Hikikomori — Chapitre 6

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« Va prendre une douche. »

À peine la phrase terminée, ses lèvres se sont mises à trembler. Elle est enfin là. La tant attendue. « La mission douche putain... YES ! » Il est aussi excité qu'un quarantenaire dans le rouge qui gagne enfin son pari équestre.

Mais il ne veut pas se presser, sortir de sa chambre et risquer de croiser ses parents. Il veut faire ça bien. Il doit être stratégique. Sa chambre est à l'étage et il y a deux douches chez lui. Une en haut et une en bas, classique. Il va choisir celle du haut.

Il n'est pas prêt à passer par la jungle que sont les escaliers. La douche du haut est au fond du couloir à gauche de la fenêtre donnant sur le jardin, mais après les escaliers. Et si quelqu'un montait les marches pendant sa traversée ? Il veut éviter ça à tout prix. Hiki prend son courage à deux mains, puis il saisit son téléphone. « Maman, tu es où ? » que l'on peut lire sur l'écran de son téléphone. Il s'essuie le front, il n'a plus qu'à attendre sa réponse.

Il envoie aussi un message à papa au cas où. Papa devrait être quelque part sur le globe mais il ne veut pas laisser place à la chance. Il veut être seul.

Son téléphone vibre. C'est maman. « Je suis au boulot, il y a un problème ? » « Oy, oy, oy... c'est parfait tout ça... » dit-il en sautillant sur place. Il ne manque plus que la réponse de papa.

Son téléphone vibre. « Je suis dans le salon, tu veux quoi ? » « Oh shit... »

Okay. Les conditions ne sont pas parfaites mais papa n'a qu'à rester en bas.

« Surtout ne monte pas dans les trois prochaines heures, ou j'arrête d'être ton fils. » pianote-il sur son téléphone. Il ne sait pas si la menace est légitime mais il n'a rien trouvé de mieux.

« Je suis quand même chez moi fiston... Oh ! J'ai compris :D. Tu ne veux pas que je t'entende te masturber c'est ça :P ? » Hiki frappe son front avec le bord du téléphone. Papa lui envoie un second message. « Je n'ai rien à faire en haut de toute manière, tu as carte blanche. Tu as compris ;) ? Carte blan... »

Hiki verrouille son téléphone puis le balance sur le futon. Papa est relou par message mais il ne devrait pas venir en haut. Hiki ouvre son armoire, glisse une tenue sous son bras et une serviette autour du cou. Il ressemble à un touriste allant à la plage. Il regrette de ne pas avoir le short à fleurs qui va avec.

Il ouvre la porte. Son téléphone s'agite sur son futon, papa doit continuer de raconter de la merde alors il l'ignore.

Il sort de sa chambre. Il a les deux jambes écartées et le dos droit comme un aventurier avant une longue aventure. Il fixe la fenêtre au fond du couloir mais celle-ci semble s'éloigner et les murs prennent un aspect gélatineux, mou. Son cœur s'accélère alors il empoigne son T-shirt d'une main tremblante. Puis il refait son exercice de respiration. Le plancher craque derrière lui. Il bondit.

« QUI EST LÀ ?!! » crie-t-il avant de tomber sur le cul.

Mais il n'y a personne. Juste un plancher diabolique, des murs en gélatine et une fenêtre qui prend ses jambes à son cou pour jouer avec sa tension. Hiki empoigne à nouveau son T-shirt, s'allonge et enfonce son bras dans son visage.

« Putain... c'est qu'un couloir bordel... »

Mais il sait que c'est plus que ça. Il confronte deux ans de sa vie. Deux ans en tant que Hikikomori. Si quelqu'un s'était trouvé derrière lui, il serait mort sur le coup. Il martèle le plancher des pieds comme une enfant en crise puis se relève.

Il entend les marches de l'escalier craquer. C'est papa.

« FISTON, ÇA VA ? »

Papa est encore dans la cage d'escalier, il ne peut pas voir son fils mais papa sait qu'il se tient dans le couloir.

Hiki tourne sa tête vers la chambre. Il n'a que deux pas à faire pour être à l'abri. Mais papa va-t-il aller plus loin ? Il ne sait pas s'il aura le courage de ressortir après ça. Du moins, pas aujourd'hui. Alors il attend. Mais papa monte une marche de plus.

« Je... ne monte pas... Tu m'as dit que tu n'allais pas monter... »

Papa s'arrête. Hiki ne le voit pas mais papa essuie une fine larme de son visage. Son fils a quitté sa chambre. Il n'a pas le droit de monter pour le féliciter mais il en meurt d'envie. Alors il va le lui crier. Papa renifle fort.

« FISTON TU ES DEHORS ! JE... JE SUIS FIER DE TOI ! CONTINUE ! »

Puis papa descend lentement. À présent il essuie plus d'une larme. Papa ignore ce que son fils doit continuer mais ça semblait la bonne chose à dire.

Hiki reprend sa respiration. Il compte le nombre de pas jusqu'à la douche. « Aller... une dizaine à tout casser... »

Les murs sont toujours en gélatine et la fenêtre prend toujours ses jambes à son cou, alors il baisse la tête. « "Ne te concentre pas sur les objectifs mais sur les étapes," vas-y un pas à la fois. » Il avance. Puis après ce qui lui a semblé un unique pas, la salle de bains lui fait face, la fenêtre est sur sa droite (elle ne fuit plus) et les murs sont de nouveau droits.

« Eh... Que... Serait-ce l'œuvre d'un stand ennemi ?! King Crimson ?! »

Puis après avoir fait une référence que seuls les vrais reconnaîtront, il pose sa main sur la poignée. Mais il n'arrive pas à ouvrir la porte.

« Oy, je ne vais pas encore vomir, hein... »

Mais ce n'est pas ça. Il doit pousser la porte, pas la tirer. « Putain... arrête de stresser... » Mais il ne sait pas si c'est du stress ou de l'excitation, la douche est juste là, derrière la porte. Il pousse la porte puis il s'enferme à l'intérieur.

C'est le moment de se rafraîchir.

Il règle le robinet sur l'eau chaude et amorce la douche. Et pendant que l'eau se réchauffe il se déshabille et prend un malin plaisir à jeter ses vêtements partout. Il regarde son corps nu dans la glace. Faire du sport ne lui ferait pas de mal, « LES CUPS NOODLES N'ENTRETIENNENT PAS VOS MUSCLES » devrait figurer sur la boîte. Mais son corps le dégoûte moins que le visage du décédé Hiki-sans-abris.

Il pense que la douche est prête, alors il se jette sous l'eau.

« AAAAAAHHHHHHH !!! »

Hiki bondit hors de la douche et manque de peu une chute légendaire — l'eau est glacée. Ce n'est pas la récompense qu'il espérait. Mais il ne comprend pas, il a bien ajusté le robinet, l'eau est réglée sur le chaud. Quelqu'un frappe à la porte.

« BAH ALORS FISTON ? T'AS PAS LU MON MESSAGE ?

— Quel... » il claque des dents. « Quel message ?

— J'AI DIT QUE SI TU VOULAIS PRENDRE UNE DOUCHE QUE C'ÉTAIT MIEUX D'ALLER EN BAS, CELLE DU HAUT EST COINCÉE SUR L'EAU FROIDE. »

— Sérieux... »

Hiki regarde la douche. il est déjà nu, mouillé et il n'a surtout pas envie d'aller en bas. C'est beaucoup trop loin. Ce à quoi il pense ne lui plaît pas du tout. Le niveau de la mission est monté d'un cran : « Prends une douche froide. » Ça ne lui plaît pas mais il en a marre d'être sale. Il en a marre de sentir les nouilles fermentées. Alors il rerentre dans la douche, mais cette fois, il se courbe pour éviter l'eau froide.

Il trempe un gant de bain sous le jet d'eau, puis il se savonne de la tête aux pieds. En s'y prenant ainsi, il réduit le temps total d'immersion, même s'il bondit à chaque fois que le gant glacé lui effleure la peau. Il regarde l'eau couler, une étrange peur le saisit : une sorte de main qui caresse son cœur. Mais loin d'être amicale.

Affronter l'eau froide lui rappelle la peur de se regarder dans la glace. C'est un saut à braver.

« Aller... putain... C'est... juste une douche froide... »

Hiki se jette sous l'eau. Il manque de crier à nouveau. Il se tord, danse et fait de son mieux pour se laver au plus vite. Il jure qu'il prendra une bonne douche chaude, qu'importe le prix. Il descendra les escaliers s'il le faut.

Il sort de la douche en tremblant. Les cheveux toujours plein de savons et les dents claquantes.

« Pa... Papa... T'es toujours... là ?

— T'AS PAS PRIS UNE DOUCHE FROIDE, SI ?

— Tais-toi...

— HA HA ! C'ÉTAIT TROP DUR DE DESCENDRE C'EST ÇA ? » Papa marque une pause. Il sait qu'il n'a pas dit les bons mots. « Putain, t'es con » dit-il tout bas. Il se racle la gorge puis reprend, « C'EST PAS CE QUE JE VOULAIS DIRE ! JE...

— C'est bon... j'ai compris... Tu peux... faire quelque chose pour moi ?

— OUI DIS-MOI !

— Tu... peux me préparer... quelque chose de chaud... et le poser devant ma chambre... le temps que je revienne ? » Hiki a besoin d'une récompense. Les nouilles cartonnées ne vont pas suffire cette fois.

— JE SAIS PAS CUISINER FISTON ! JE MANGE TOUJOURS À L'EXTÉRIEUR ET QUAND JE SUIS LÀ, C'EST MAMAN QUI S'EN OCCUPE !

— Menteur... tu sais faire... des steaks...

Papa sourit. Il adore cuisiner des steaks. Il n'a jamais été bon cuisinier mais quand il s'agit de cent grammes de viande de vache, il est au rendez-vous. Il prenait un plaisir fou à cuisiner des burgers pour l'anniversaire de son fils quand il était petit. C'était le seul moment où il pouvait être dans la cuisine sans risquer de cramer un truc.

Papa saute de joie. Il n'avait pas cuisiné depuis longtemps, maman n'aime pas les steaks... Il apprécie de plus en plus les progrès de son fils, c'est comme s'il retrouvait... une partie de lui-même.

« TU VEUX UN STEAK, C'EST ÇA ? JE TE FAIS ÇA TOUT DE SUITE ! JE TE METS DES FRITES AVEC MAIS JE NE PROMETS RIEN, OKAY ! »

Il part avant que son fils puisse répondre.

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