Le plan Elly - Partie 2

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« — La première étape est cruciale, Sawyer. Il s'agit d'évaluer la cible avec précision. Tu dois te rendre au salon de tatouage avant lui et te planquer quelque part aux alentours du bâtiment, de manière à le voir arriver. Une fois avoir pris connaissance de son sex-appeal du jour, enregistre dans ta mémoire supérieure à la moyenne, chaque détail susceptible de te faire perdre tes moyens devant lui. Ne lésine pas sur l'analyse, il en va de ton assurance ! Si jamais tu dois tomber dans les pommes, assure-toi de le faire au pied d'un mur, pas aux siens.

— Petite, tes parents ont manqué de te resservir des parts de tact et de sensibilité.

— On en reparlera quand il t'apprendra sa langue natale dans le fond de ta gorge, réplique-t-elle ponctué d'un large sourire. »

Il est huit heures et demie, soit une demi-heure avant mon rendez-vous instructif. J'ai suivi les consignes de ma coach diabolique et me suis installée sur un banc, dans la peau d'une espionne, camouflée derrière le roman de Nicholas Sparks. Toutes les cinq minutes, je glisse lentement l'ouvrage sur l'arête de mon nez, en surveillance de l'apparition de la cible avec les jumelles d'Elly. Cette dernière trouvait que ce gadget était parfaitement dans le thème. J'ai également ramené un sachet de bonbons, bon moyen d'adoucir mon stress.

Quinze minutes plus tard, le bruit d'exception d'une machine mécanique aux courbes tant gracieuses que dangereuses, ronronne à mes oreilles. Je referme prestement mon bouquin et quadruple ma vue avec l'objet de mon amie. Dans la périphérie de mon large champ de vision, se matérialisent une moto et son noble cavalier. Le grossissement est tel, que j'ai la sensation de sentir la carrosserie de Lust brûler ma peau. Dos à moi, Can retire son casque pour me laisser découvrir ses cheveux détachés. Si je le trouvais déjà séduisant, aujourd'hui, il me contraint à une allure plus sauvage... Il enjambe la selle pour mettre pied à terre tout en replaçant en arrière des mèches venues barrer son visage. Un sac à dos est déposé au sol avant que sa veste en cuir glisse le long de ses bras pour ne révéler qu'un léger sweat sombre à capuche ouvert sur un débardeur blanc. Paré à présent d'une paire de lunettes de soleil, Can m'offre une séance d'espionnage des plus sexy ! Mais le spectacle s'écourte lorsque sa silhouette bien charpentée s'achemine vers son salon de tatouage « l'Altaïr ».

Je transmets les informations de première main à ma compère :

[ Arrivée de Can à l'instant. Je répète : Cible en visu, venue avec sa moto et ses 50 nuances. Help ]

[ Bien. Tu as fait tout ce que je t'ai dit pour tes cheveux et le reste ? ]

[ Oui et c'était vachement galère ! J'espère ne pas avoir de marques d'autobronzant dans le dos ! ]

[ Si tu as suivi à la lettre tous mes conseils, ton dos doit être ton atout majeur ! Pour l'amour du ciel ! Ne va pas tout gâcher ! ]

Je ne prends pas la peine de lui répondre. Pour sa défense, le système servant à trier tous les éléments indésirables de son flux de mots pour ne retenir que les éléments utiles, ne fonctionne pas chez Elly ; elle est née sans filtrage. Elle est tellement enthousiaste à l'idée qu'il puisse se passer un truc avec Can. Que ce soit un petit quelque chose ou un grand n'importe quoi, tant que ça compte pour moi.

Mon grand sac à dos ajusté sur mes épaules, j'ajuste mon maillot de bain - modèle cache cœur noir à imprimé floral - de façon à bien le positionner entre ma poitrine et mon nombril. Elly m'a conseillé de dormir les cheveux tressés. Lorsque j'ai défait les élastiques ce matin, ma chevelure avait l'allure d'une crinière de lionne. Sous ses suggestions, j'ai aussi tressé de petites mèches accompagnées d'une perle à la pointe. Je dois admettre que le résultat est concluant. Associé à un grand kimono noir fait de dentelle au crochet, mon style rappelle celui des surfeuses bohèmes des plages de Malibu.

Portant mes pas en direction du salon de tatouage, ma jupe longue taille haute et portefeuille, assortie aux fleurs orangées de mon haut de maillot, laisse entrevoir mes jambes bronzées. Ce succès doit sa réussite à l'autobronzant hors de prix de ma meilleure amie.

Je me remémore les conseils les plus importants d’Elly, concernant la stratégie de rencontre :

« — Une fois la cible bien analysée par ton radar hormonale, il va falloir faire preuve d'une bonne maîtrise de soi. Tu te pointes devant le lieu du rendez-vous et lui envoi un SMS. Option une : il te rejoint dehors où te répond qu'il arrive. Si c'est le cas, attends-le dos au salon, ça lui donnera une occasion supplémentaire de venir à toi. Option deux : il te demande de le rejoindre à l'intérieur. Ce cas de figure reste le plus intéressant, car il signifie qu'il t'accorde une certaine importance en te faisant d'abord entrer dans l'un de ses espaces personnels. »

À quelques mètres entre Lust et la devanture, je dépêche mes pensées à composer le bon message texte à envoyer.

J’ai appris à la dure que parfois, plus j'en dis, plus j’ai de chances de me ridiculiser. Alors, pour cette fois, je choisis la simplicité.

Majuscule - Sujet - Verbe - Complément d'Objet Direct - Point.

[ Je viens d'arriver. ]

Le regard perdu au loin, j'aperçois l'océan azuré scintiller sous le soleil. Oh, comme cette vue me manquera une fois mon retour à Orléans ! Mes traits se déforment rien qu’à cette pensée.

— Bonjour, Arizona.

Voilà qui va déjà mieux !

J'aimerais pouvoir enregistrer cette voix enchanteresse pour me réchauffer chaque hiver, durant les nuits les plus froides. Ou l'écouter en boucle, chaque fois que j'aurais le moral au plus bas.

Je tourne mon visage et le découvre dans le passage de l'entrée.

— Tu me suis ? Le petit-déjeuner est prêt.

Mes yeux s'arrondissent. Mon esprit dérive vers des eaux un peu folles où se profilerait un rancard matinal.

— C'est-à-dire que j'ai déjà pris un en-cas...

Même que c'était un sachet rempli de glucose grignoté en catimini sur un banc.

— À s'y méprendre, on dirait que tu refuses une proposition culinaire, déclare-t-il, sourire goguenard aux lèvres.

— Il y a une insinuation à comprendre ?

— Mon oncle se réjouit de ton appétit, poursuit-il. Depuis qu'il t'a embauché, il ne fait plus de gaspillage. J'ai entendu dire que son imprudente employée finissait tous les restes de fruits.

J'observe ses dents blanches s'aligner devant ma mine abasourdie. Alors que je me retourne complètement vers lui, les bras croisés sur mon cache-cœur, l'expression de son visage passe à un autre niveau. Ses yeux deviennent deux fentes où laissent passer un regard de velours flattant respectueusement mon physique. Il est certain que je ne ressemble plus vraiment à la fille qu'il a rencontrée y a deux semaines ; des mains collantes, un tablier maculé de tâches et dans l'incapacité d'aligner deux phrases censées.

Je tire profit de cet encouragement silencieux pour accepter son invitation.

J'ai le plaisir d'entrer dans son espace de travail personnel. Bien que la superficie y soit plus grande que celui de June, une fois la porte fermée, les murs semblent se resserrer autour de nous. La pièce est à son image ; simple avec un soupçon d'aventures. Des photos de familles de différentes ethnies décorent les murs. Je remarque un poster de la série Sons's of Anarchy, des livres sur l'art du tatouage et des étagères jonchées d'objets artisanaux, probablement ramenés de ses nombreux périples. J'aime l'âme de son bureau, par la manière dont il raconte plusieurs histoires. Mais ce qui me captive le plus, c'est Can lui-même. Je le regarde, le contemple, sur plusieurs photos prises de lui à différentes années de sa vie. La légèreté du moment est soufflée par quelque chose de plus pensant dans l'air, une intimité envahissante.

— Fruits ?

L'aventurier sort de son sac à dos deux boites hermétiques garnies de fruits découpés. Il doit en déduire que j'en raffole. La vérité n'est pas si différente. C'est juste que le Bebek ne propose que ça. Sinon, je goûterais sans hésiter tous les menus à la carte !

Au dernier morceau d'agrume avalé, Can contourne son bureau et ouvre un placard. Se révèle un casque de moto connu de récents souvenirs. Des souvenirs qui ont ramené ma fougue à la vie. Mes yeux fixent l'objet avec tellement de convoitise que le biker lance :

— Impatiente de faire de la moto, Championne ?

Il marche jusqu'au bord de la table pliante où s'allongent habituellement ses clients, et là où je suis assise. Il s'arrête lorsque le tissu de son jean effleure la peau de mes jambes découvertes, croisées dans le vide. La toute première fois, cette proximité trop intime me mettait mal à l'aise. Mais j'ai compris une chose, Can a ses propres conventions sociales, guidé par un bon instinct. Pour percer mes défenses, il n'a pas hésité à s'inviter sans autorisation dans mon espace vital. Son buste est si prêt, que pour établir une connexion entre nous, je n'ai d'autres choix que d'incliner ma tête en arrière.

Encore une fois, je ne vois pas venir ce qui suit. Dans un geste délicat, l'Aventurier repousse une mèche venue se coller à petite distance de ma bouche. De son pouce, il essuie une goutte de jus de mangue restée à la commissure de mes lèvres et le porte aux siennes. Je ne saurais pas réellement affirmer ce qui se cache derrière cet acte, mais c'est assurément quelque chose.

— prête pour ta leçon ? me demande-t-il.

— Prête.

Casque à la main, j'essaie de suivre le rythme de sa silhouette athlétique. Une aura de guerrier, inondée de force, émane de lui. Nous enfourchons sa moto, puis Can réveille le monstre d'acier entre nos cuisses. Le grondement de Lust fait trembler mes cellules, produisant une telle poussée d'adrénaline que j'ai le sentiment de sentir frémir chacun de mes nerfs sensitifs.

Filant le goudron à une vitesse folle, le paysage autour de moi ressemble à un enchantement. L'air a un goût de guimauve, le ciel regorge de nuages cotonneux en forme de cœur. Et la route ? La route n'a pas d'autre choix que de nous offrir son champ libre pour laisser passer notre énergie intrépide.

Bonté divine ! J'ai la fièvre au corps, grand symptôme de la maladie d'amour ! Ce sentiment me transperce de part en part sans que je ne cherche plus à le repousser.

Je ne vois que nous. Can et Arizona. J'aime la façon dont mon prénom sonne à côté du sien. Je ne suis plus qu'allégresse, mon sourire s'étend sur des kilomètres et des kilomètres. Mon élan de transe énamourée gagne son paroxysme lorsque je dévisage le site où nous nous arrêtons. La nature impose la richesse de sa beauté. Relativement isolée des plages prisées de Santa Cruz, une côte sauvage déchiquetée par des falaises se cache derrière les ombres d'une forestation de palmiers et végétations variées. Impossible d'accès à moto, le sentier que nous empruntons à pied serpente parmi les roches.

Après quelques minutes de marche, mes pieds rencontrent le sable et mes poumons respirent un air boisé mêlé d'iode. Mes yeux se heurtent alors à un joyau rare si proche de la grande ville : une crique. La civilisation est inexistante, il n'y a que nous et cette plage sublime implantée en contrebas de collines rocailleuses. Je retire mes chaussures et avance doucement sur la nappe de sable fin. En levant les yeux, je suis époustouflée par les sculptures naturelles de pierres monstrueuses cherchant à défier le ciel. Mon attention se porte désormais sur le clou du spectacle.

Que serait un aventurier sans sa cabane ?

— Co... Comment as-tu trouvé cet endroit ? À qui appartient cette cabane de pêcheur ?

— Ce havre de paix est la découverte de deux adolescents fous amoureux qui cherchaient à se bécoter en secret lors d'une balade à moto. Quand ils ont compris qu'à part eux, personne ne venait ici, Ibrahim et Karen se sont appropriés les lieux.

Je m'imagine les deux jeunes amants se cachant derrière les arbres pour s'embrasser, ma vision paradisiaque de cet endroit est momentanément polluée par l'image de mes patrons en train de... STOP !

Mon visage doit se revêtir d'une grimace théâtrale, car l'homme en train de laisser tomber sa veste et son sweat, secoue ses épaules dans un éclat de rire. Quand ses mains agrippent l'ourlet de son débardeur, ma respiration se fige dans l'espace-temps. Les battements de mon cœur sautent des rythmiques devant le magnifique tableau qui s'illustre devant moi. La tête penchée, j'admire les courbes, les angles et les arrondis du torse musculeux de Can.

Il ouvre la porte d'un abri en bois monté sur pilotis. À l'intérieur, des équipements de surf, camping et tout un tas de choses dont j'ignore l'utilité. Je remarque qu'il y a un couchage une place et le nécessaire pour y passer la nuit.

— Cet endroit est juste... irréel... mes yeux ont du mal à se concentrer sur un coin en particulier tellement il y a de secrets à découvrir.

— Il va pourtant falloir que tu te concentres, on parle de ta toute première leçon de surf, Championne.

Il me fait signe de prendre la planche sur ma droite.

Ah oui. La leçon de surf. Je me suis complètement laissé distraire par le professeur, ça promet bien une noyade ça.

— Mets-toi à l'aise et rejoins-moi sur la plage. Finalement, je vais récupérer la planche, ça m'embêterait que tu te blesses avant que la séance ne commence.

Ha ha.

« — Tous les débutants commencent à apprendre hors de l'eau. Pas besoin de te déshabiller complètement, il va probablement te montrer les bases sur le sable. Nous, ce qu'on veut, Sawyer, c'est lui donner faim, mais pas de le nourrir, tu vois ?

— Mmh, continue.

— Bien. Donc, tu vas simplement retirer ton gilet. À chaque mouvement, ta jupe va se fendre en deux pour révéler juste ce qu'il faut. Crois-moi, les hommes adorent ce genre de tentation ! »

Je replace une dernière fois mon haut de maillot. Elly dit que la forme cache-cœur met en valeur le galbe de ma poitrine. C'était son dernier conseil avant celui-ci :

« Dernière chose : ne pisse pas dans l'eau. Tout le monde pense que ça passe incognito, mais c'est faux. Et toi, tu n'as pas envie que Can comprenne que la jolie serveuse de son oncle se soulage tranquillement à côté de lui. »

Je ferme les yeux, compte jusqu'à dix. Puis recommence jusqu'à vingt.

Je dois m’élancer.

Je suis préparée.

J’en suis capable.

Sortie de la cabane, je regarde autour de moi, aperçois la planche sur le sable, mais pas mon professeur. Tout à coup, émerge des vagues frangées de petits galets, un chef d'œuvre de chair mouillée et de muscles. Beaucoup beaucoup de muscles. L'aventurier remonte en direction de la plage, façon gravure de mode à l'état sauvage.

Ma bouche s'assèche, elle ne sait même plus produire de salive !

— Pour commencer, allonge-toi sur le ventre, la tête dans ce sens, explique-t-il.

— Tu... ne veux pas t'essuyer avant ?

— Arizona, allonge toi sur cette planche.

Je me retrouve donc allongée sur le ventre, la tête tournée dans une certaine direction.

— Et maintenant ? demandé-je.

— Recule un peu. Il faut que tes orteils touchent bien l'arrière de la planche, sinon à la première vague, tu vas piquer du nez. Oui, c'est mieux. Maintenant, cambre ton dos et gaine ton buste. Il faut que tu regardes très loin devant toi. Colle bien tes doigts entre eux pour ramer et viens raser les bords de la planche. Quand tu seras dans l'eau, il faudra également que tu regardes derrière toi pour surveiller à quel moment te mettre debout. Maintenant, imagine qu'une vague arrive, brasses plus vite et impulses sur tes pieds pour te mettre debout !

Je saute. Can s'accroupit, place une main sur mon pied et l'autre sur mon mollet pour me positionner correctement. Avec la petite brise, ma jupe flotte le long de sa joue, ses cheveux chatouillent ma cuisse. Il me donne encore quelques réglages sur le fléchissement puis se place derrière moi de toute sa hauteur.

— Maintient davantage le haut de ton corps sur ta jambe avant, et ce bras, allonge-le bien devant. Regarde.

Sans crier gare, ses mains fraîches se posent sur mes flancs. Je le sens exercer une pression pour m'incliner un peu plus. Mon corps se tend, le duvet de poils de mon épiderme se dresse. Sous l'effet de son toucher, j'ai du mal à garder l'équilibre, si bien qu'il vacille. Son bras s'empare de ma taille et plaque mon dos contre lui.

— Hep, hep, hep, tu t'en allais où comme ça ? me murmure-t-il à l'oreille.

— Nulle part... murmuré-je en retour.

Nous ne bougeons pas d'un millimètre pendant une poignée de secondes, quand il décide de me rejoindre sur la planche. Plus proche que nous ne l'avons jamais été. Son short de bain trempe ma jupe, des gouttes d'eau salée dévalent l'arête de mon dos. À aucun moment, il ne retire son bras. Il va même jusqu'à le déplacer délibérément, de manière à ce que ça paume se retrouve sur mon ventre.

— On va reprendre l'exercice ensemble, Championne, tu vas suivre mes mouvements.

En cet instant précis, Can ne m'apprend pas seulement les bases d'un loisir nautique, il m'initie à un phénomène universellement recherché chez l'être humain : la tension sexuelle.

C'est incontrôlable, crépitant, et vu ses qualifications, capable de déclencher un feu de forêt de grande envergure.

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