Vers la Citadelle

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 Paul sortit de la tente, galvanisé par mots du Roi. Il avait peur, certes, de rejoindre la Citadelle des civilisés et il luttait contre sa culture barbare de haine ; mais il était aussi fier de la mission qu’il lui avait été confié et voulait se montrer à la hauteur des attentes royales. Et puis, ce serait un moyen d’apprendre à contrôler son pouvoir et de se cultiver…

 Il pensait combien Jean aurait été heureux de pouvoir découvrir la civilisation : il lui avait dit un jour d’un air ébahi que les civilisées construisait des pièces simplement faites pour y ranger et lire des livres ! Paul retint un haut-le-coeur à cette pensée.

 Jean… c’était à vrai dire la première fois qu’ils allaient se quitter aussi longtemps. Il ne savait pas jusqu’à quand il demeurerait chez les civilisés, mais il était déterminé à y rester aussi longtemps que nécessaire pour apprendre d’eux et les convaincre de renoncer aux guerres. Cette dernière tâche ne serait pas aussi compliquée que sa pendante : apprendre aux barbares à aimer les civilisés…

 Le héros voulait annoncer son départ à son père et Jean. Il demanda aux soldats qu’il croisait sans vraiment espérer de réponse s’ils savaient où les trouver. Contre toute attente, on lui indiquait avec respect la direction. On ne lui répondait pas par amitié, mais il lui sembla qu’il avait au mois gagné l’estime des autres : sortir, vivant qui plus est, d’une entrevue avec le Roi était en effet particulièrement digne de respect ! Et la montre civilisée à son poignet intriguait autant qu’elle fascinait ces barbares…

 Paul trouva enfin Jean et son père. Ce dernier avait encore les yeux rouges de pleurs, qui s’illuminèrent quand il vit son fils. Ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, le père heureux de retrouver son fils, le fils triste de devoir quitter son père :

— Tu es vivant ! s’écria David.

— Oui ! Et le Roi m’a confié une mission…

— Une mission ?

 Paul quitta les bras de son père, et dit avec conviction :

— Il m’a fait ambassadeur des Barbares auprès des civilisés.

 Son père était abasourdit : il avait cru son fils mort, et alors qu’il semblait lui revenir on l’envoyait chez les pires ennemis des barbares ! Il scruta Paul : il aurait voulu lui dire de rester près de lui, de se battre un peu puis de rentrer à la maison… Il sentait cependant sa détermination, et une volonté que rien ne pourrait dévier. Il lui adressa alors un long silence d’encouragement et le pris une dernière fois dans ses bras.

 Jean était resté à côté, fasciné par la conviction de son ami, et pensant aux richesses spirituelles qu’il lui serait permis de voir. Il aurait bien proposé à Paul de l’accompagner, mais il sentait que sa place était ici, avec les barbares. Il était amusé par ce sentiment : « moi qui aime tant les sciences et qui est méprisé par les autres barbares, voilà que je souhaite rester ! » Il savait cependant que la question ne se posait même pas : évidemment qu’il devait rester avec les autres barbares, et continuer de se cultiver dans ce sol si aride.

 Paul devinait les pensées de son ami. Il se souvenait cependant quelques vers qu’on apprenait à tous les enfants :

C’était un barbare cultivé,

Qui voulait rejoindre la civilisation.

Il trouva porte fermée,

Et mourut faute d’attention.

 Il se demandait comment lui-même il ferait pour entrer dans la citadelle ! Paul promit cependant à son ami de lui ramener quelques livres lorsqu’il rentrerait chez lui…

* * *

 Un cheval galopait dans la plaine, son cavalier le poussant avec force. L’un et l’autre ne prenaient même pas le temps le temps de regarder le paysage grandiose qui les entourait. À l’Est, une ceinture de montagne s’étendait bien au delà de l’horizon. Des monts enneigés dépassaient çà et là, feignant de toucher le ciel. À l’Ouest, la plaine s’étendait jusqu’à s’aplatir, comme pour rentrer dans la terre. Cette plaine était depuis quelque dizaines de lieus vide d’habitation, comme si l’homme n’avait osé troubler la quiétude naturelle qui y régnait. C’était l’empire des fleurs, des arbres, offrants avec grâce leurs feuilles et fruits à leurs sujets les animaux. De vieilles pierres veillaient sur ce sempiternel cycle qui toujours se régénérait, équilibre presque surnaturel…

 Seul le cavalier se détachait de ce tableau paisible, tache de peinture noire sur un fond de vert, marron, jaune et bleu.

 Pendant plusieurs jours, Paul parcouru ainsi la distance qui séparait civilisation et peuple barbare. Il ne savait pas vraiment quand il arriverait en terres civilisés, il savait seulement qu’il devait continuer vers l’Ouest, ne s’arrêtant que lorsque apparaitrait devant lui la Citadelle.

 La Citadelle… image presque poétique, qui marquait la fin du monde connu des barbares. Au-delà, ce n’était que néant, chaos entièrement vide de toute humanité. Elle semblait être un rempart qui séparait les barbares d’un éventuel trou béant qui s’ouvrirait dans la terre. Mais comme les papillons attirés par la lumière, ils ne pouvaient se lasser de revenir vers ce lieu qui encore leur résistait.

 Au cours de son périple, quand le soleil se couchait, il semblait à Paul qu’il descendait de plus en plus bas, comme s’il devait passer en dessous de la terre. Il remarquait aussi que peu à peu les montagnes se rapprochaient de lui et de la plaine, s’étalant à l'Est comme pour ceindre son univers.

 Après de longues journées à parcourir ainsi la plaine, Paul cru apercevoir au loin deux petites tours en pierre, dépassant à peine des étendues vertes. Ainsi, bientôt j’arriverai, se dit-il.

 Le lendemain, ces deux tours grandirent, et laissèrent apparaître des murs, des toits, des cheminées : petit à petit, la citadelle apparaissait. De couleur sable, c’était surtout sa taille qui fascinait Paul. Imposante et grandiose, elle semblait exercer une domination sur tout les alentours, mais aussi sur les esprits, et même le temps… Paul était émerveillé tandis qu’il se rapprochait de cette civilisation.

 Alors qu’il la voyait dans toute sa splendeur, il mit le pied à terre, ne voulant se présenter devant cette cathédrale qu’en toute simplicité. Bientôt apparu entre les deux tours qu’il voyait depuis longtemps une majestueuse porte en bois, dont il ne pouvait exister aucun arbre assez grand pour en faire une pièce d’un seul tenant. Paul s’avança devant cette porte à pas lent, craignant un quelconque piège qui mettrait fin à sa découverte de la civilisation. Mais non, il n’y avait rien que cette porte pour l’empêcher de pénétrer dans l’inconnu.

 Pendant une bonne heure, il chercha par tous les moyens à entrer : il commença par toquer… la porte resta muette. Crier, peut-être ? Seul un long écho lui répondait. Frapper plus fort ? Inutile. Tenter d’escalader les murs ? Suicidaire. Creuser sous les murs ? Impossible. Rien ne semblait pouvoir ouvrir cette porte ! Paul était enragé d’être arrêté si près du but par une simple porte. « Ouvrez-moi ! Je suis ambassadeur de sa Majesté des Barbare ! » criait-il, mais sans effet : juste une immense porte en bois, stoïque.

 Il s’assit et tenta de réfléchir calmement. Le Roi devait bien lui avoir donné un moyen d’entrer, enfin ! Un sourire apparu sur son visage… Mais oui, bien sûr ! La montre ! Tout excité de son idée, il montrait haut devant la porte ce cadeau royal. Cependant, rien ne semblait pouvoir ouvrir cette porte, pas même un bijou suprême. De rage, il retira sa montre du poignet et la jeta sur la porte !

 Celle-ci rebondit insolemment sur le bois de la porte, Ne faisant qu’un pathétique « toc »… Paul était furieux. Qu’est-ce qu’il avait à faire d’une montre ? Est-ce qu’on n’aurait pas pu lui donner un cadeau plus utile ; comme une scie, une corde, un maillet ? Nom de Dieu !

 Il s’avança néanmoins pour récupérer ce précieux présent. Et alors qu’il se releva, il vit qu’on s’agitait derrière les meurtrières des deux tours. En un instant une plume sortit du haut de la porte. Celle-ci descendait gracieusement, s’étendant dans un sens, puis dans l’autre… comme si elle voulait rester toujours en suspension dans les airs. Elle descendait cependant inexorablement, si bien que rien ne semblait pouvoir arrêter sa chute… Paul fixa intensément cette manifestation quasi-divine. Cette plume, se disait-il, il y a bien un moyen d’empêcher sa chute… Alors il se concentra, et repensant à tout le chemin qu’il avait parcouru pour se retrouver devant cette porte, il espéra que cette plume ne touche jamais le sol. Celle-ci alla vers la gauche, puis vers la droite, puis… elle s’arrêta bien au milieu, juste en face du regard vif de Paul.

 Il maintenu la plume immobile devant lui pendant quelques secondes encore, puis dans un son strident et séculaire, les battants de la porte s’ouvrirent face à lui. La plume tomba, mais déjà entre les battants s’avançait d’un pas boiteux mais rapide un vieillard à la toge blanche. Dans un sourire apaisé, celui-ci adressa ces mots au héros :

« Bienvenue dans la Civilisation, Moduleur de temps. »

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