Les Vas-t-en-guerre

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Paul aidait sa mère à terminer la préparation du repas. C’était d’habitude un temps d’échange agréable à propos des occupations de la journée, mais ce soir-là Paul était trop préoccupé pour dire une parole. Machinalement il hachait les légumes et les plongeait dans l’eau bouillante ; pensant à l’attitude de Hary, le fils de son chef de travail : pourquoi ce sourire narquois ?

Sans vouloir y croire, il se disait que cela pouvait avoir un rapport à ce qu’il avait dit à Jean. Il aurait donc entendu tout ce qu’il avait confié ? Si cela était le cas, toute la ville ne tarderait pas à le savoir et les prochaines semaines seraient particulièrement difficiles…

Coupant court ces pensées, son père arriva dans la maison. Il rentrait plus tard que d’habitude, nota Paul. Lui aussi affichait un air préoccupé, et même visiblement soucieux. Sa mère sortit une banalité de circonstance :

- Tu as passé une bonne journée, David ?

- Euh, oui, merci. répondit-il, le ton trahissant sa contrariété. En fait, j’ai participé à un conseil extraordinaire de la ville, et on nous a rapporté une annonce du Roi assez préoccupante…

Paul et sa mère avaient complètement arrêté leur tâche, écoutant avec attention David :

- Le Roi nous a annoncé l’imminence de la guerre contre les civilisés. laissa-t-il échapper. »

Ainsi finissait ce temps de paix qui leur avait tant coûté, pensa la mère. Ainsi, son mari allait devoir retourner sur le champs de bataille, peut-être y rester comme tant d’autres… Ainsi, elle devrait garder la maison et travailler pour deux jusqu’à son hypothétique retour…

Et Paul ! Voilà qu’à la tristesse d’une amante s’ajoutait celle d’une mère : lui aussi devrait aller se battre. Il n’était pourtant que presque adulte, et presque encore enfant , se disait elle. Il avait les mêmes yeux que son grand père… Elle se souvenait très bien de son visage, avant qu’il ne parte pour une ultime guerre contre les civilisés.

La guerre revenait toujours réclamer son sacrifice de pères, maris et fils ; laissant aux filles, femmes et mères seulement le souvenir de leurs garçons et les pleurs. Quelques femmes partaient aussi faire la guerre, certaines comme infirmières. Mais toujours cette question funeste s’imposait : peut-on vraiment soigner les morts… C’était la guerre qui les tuait plus que les flèches des civilisés.

Pourtant, les barbares y revenaient inlassablement. C’est par courage, honneur et bravoure, que les plus fous partaient à la guerre. Certains y allaient par tradition, l’affrontement entre barbares et civilisés semblait inévitable tant l’un et l’autre étaient opposés : deux faces d’un monde, deux conceptions antagoniques du bien et du mal, deux civilisations qui s’unissaient dans leur haine mutuelle. Et c’est bien par haine des civilisés que la plupart partaient se battre, et mourir. Cette mère affligée ne retenait que difficilement ses pleurs. Elle s’adressa à son mari, les mots entrecoupés de lamentation :

« Vous devrez partir tous les deux ? »

On toqua à la porte, rendant inaudible la réponse du père. Ne voulant laisser voir à personne d’autre que sa famille ses larmes, la mère alla se réfugier dans une chambre.

On pouvait sentir la tension dans la pièce, qui pesait sur Paul et son père. Plus lentement, les coups se répétèrent sur la porte. Paul ouvrit, et, apparu dans le chambranle de la porte…

Le chef du travail des champs. Alors ça y est, son fils lui avait confié que Paul pouvait moduler le temps. Instinctivement, ce dernier regarda s’il pouvait s’échapper de la pièce… Il ravisa immédiatement ce comportement enfantin : il se sentait en fait prêt à affronter cet homme, que ce soit de mots ou d’armes.

- Bonsoir, commença l’intrus, je crois que David vous a déjà partagé l’information majeure de la journée, la guerre… Je suis venu chez vous car mon fils m’a fait part d’une seconde, et je voulais vérifier par moi-même si vous n’y voyez pas d’inconvénient…

Tandis qu’il disait cela, il s’avançait doucement dans la maison.

- Alors tu serais capable de moduler le temps, Paul, continua-t-il. Je n’ai pas besoin de te rappeler que les civilisés aussi, et que les barbares n’aiment pas les civilisés… Tu as d’autres points communs avec les civilisés, Paul ?

L’intéressé resta de marbre. Oui, il avait réussi à moduler le temps. Mais il restait profondément humain et barbare. Les mots que disait l’impromptu ne lui faisait pas peur, il pris même pas la peine de répondre à ces provocations.

« Réponds-moi ! ordonna-il. Et si tu peux arrêter le temps, essaie d’arrêter ça ! »

Il se saisit d’un outil laissé dans l’entrée et le lança sur Paul. Celui-ci s’écarta en un éclair, et l’arme continua sa cours en un fracas dans une fenêtre. David voulut s'avancer vers le méprisable homme qui venait de menacer son fils pour lui asséner un coup mérité, mais s’arrêta dans son élan : de la fenêtre maintenant ouverte, on entendait monter une clameur.

Tout d’abord incompréhensible, elle enflait pour devenir un ensemble de mots cohérent : « Le Roi ! Le Roi ! Le Roi… dans la ville ! » Profitant de cette issue quasi-miraculeuse, le vilain s’échappa de la maison pugnace.

Le Roi dans la ville ? Cela ne pouvait signifier qu’une seule chose qui sidérait le père de Paul : la guerre n’était plus imminente, mais immédiate. « Tu viens ou tu restes ? » lança-t-il, adressant à son fils cette question à la réponse si évidente : « Je viens » répondis héroïquement Paul, acceptant ainsi de peut-être céder sa vie à cette guerre si capricieuse…

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