Chapitre IV et conclusion

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IV- Envisager des améliorations est une nécessité dans notre pays si l'on se réfère au rapport PISA (Programme for International Student Assessment) de 2013, rapport de l'OCDE qui évalue les performances des systèmes scolaires du monde entier. La France s'y trouve au 25ème rang sur 65 pays recensés, elle est championne des inégalités dans l'éducation. Dans l'ordre du classement elle est devancée en Europe occidentale par le Liechtenstein (8), la Suisse (9), Les Pays Bas(10), la Finlande 12), la Pologne (13), la Belgique (15), l'Allemagne (16), l'Autriche (18), l'Irlande (20) et le Danemark (22). Dans le rapport 2016 qui vient d'être publié la France se retrouve en 27ème position sur 72 pays étudiés. Nos gouvernements ont tenté des réformes qui n'ont pas réduit les inégalités sociales, il reste donc encore beaucoup à faire. Comme l'écrit Jacques pain : rien n'est perdu mais rien n'est jamais gagné...La pédagogie ne se fait pas sans la règle et la loi... L'éducation est entre la violence de l'institution et la conscience de la loi. Pour faire évoluer notre système scolaire, il y a un principe fondamental, bien connu en Médecine, qu'il faut avoir constamment présent à l'esprit, c'est « en premier lieu ne pas nuire », autrement dit ne pas mettre les enfants dans l'embarras.

Au niveau des structures matérielles il convient d'étudier l'architecture des locaux, de proposer aux élèves un environnement agréable et esthétique. Les structures anciennes en un seul bloc de 2 ou 3 étages avec des couloirs immenses et des salles en enfilade, une cour rectangulaire froide et non accueillante, des grilles de 3m de hauteur qui offre une image d'enfermement carcéral, sont aujourd'hui remplacées ça et là par des bâtiments plus conviviaux, avec des salles plus modestes reliées par des passerelles munies d'un toit et donnant directement sur un extérieur moins vide, des clôtures moins hautes et plus travaillées, en un mot par une architecture moins rébarbative. Cependant le budget de l’État ne semble pas être en mesure de reconstruire toutes les écoles, collèges et lycées de France. Les intérieurs sont à réaménager en faveur de salles plus petites et plus nombreuses afin de permettre à des groupes de se rencontrer, groupes d'élèves seuls ou avec leurs maîtres, leur famille, groupes d'enseignants seuls ou avec des élèves, des parents, des partenaires, des lieux pour faire la cuisine, de la peinture, du théâtre, de la vidéo, des jeux d'échecs ou autres. Le matériel scolaire ne manque en général pas trop mais le poids des livres dans les cartables demeure un problème encore mal résolu, voire pas du tout. Pour le prix d'un cartable, d'une sac à dos ou d'une valise roulante on devrait pouvoir offrir à tous les élèves un ordinateur et supprimer les livres scolaires au profit des clés USB.

Au niveau des structures institutionnelles la tâche me paraît considérable. L'institution scolaire reste encore de nos jours trop attachée à des principes éducatifs dépassés. Depuis Jules Ferry on a changé les termes Instruction Publique en Éducation Nationale pour mieux marquer le souci d'éduquer dans nos écoles laïques et plus seulement d'y instruire. Mais l'éducation qu'on propose est à mon sens beaucoup trop moralisante et unilatérale, la notion de respect par exemple est plutôt orientée vers le respect que les élèves doivent aux adultes que vers le respect que les adultes doivent à des enfants et à des adolescents. Malheureusement cela ne se voit pas qu'à l'école mais dans tous les secteurs plus ou moins hiérarchisés de notre Société. Pour que nos institutions permettent à ceux qui les font vivre d'accéder au bien-être, il me semble nécessaire que les mentalités changent, que l'on cesse de penser, de juger, d'aimer, dans un système de pensée binaire, et que l'on s'efforce de comprendre nos missions, nos relations humaines, sur le mode de pensée ternaire. En effet nous sommes conditionnés au système binaire et nos institutions sont bâties sur ce mode, nous opposons l'homme à la femme, le père à la mère, l'élève au maître, le bon au méchant, le bosseur au fainéant, le juste à l'injuste, la récompense à la punition, le mérite au mépris, l'amour à la haine, et enfin le bien-être à l'école au mal-être à l'école. Et ce mode de pensée binaire est typiquement le mode de pensée qui anime les enfants, c'est un mode de pensée infantile. Alors évidemment à l'école ça ne marche pas pour la simple raison que l'on ne peut pas éduquer les enfants jusqu'au stade adulte si notre mode de pensée n'est pas lui-même adulte. L'on doit donc ne plus penser en deux dimensions mais en trois dimensions. Chez un élève, un maître ou un parent, associer ensemble le bien-être et le mal-être et leur adjoindre une autre dimension, l'être par exemple. Nous les psys nous disons qu'il s'agit de trianguler les dualités. Il y a institutionnellement des choses à reconsidérer tels que le système de notation, les punitions, les temps d'échanges entre les élèves et les enseignants, les concertations entre les enseignants, la participation des familles aux projets scolaires, la convivialité avec les élèves handicapés...

Au niveau des enseignants le malaise actuel est bien réel, ainsi que le découragement, la dépression, la démission et le suicide. Le manque de moyen, la suppression de classes, les conditions de travail parfois inhumaines, le décalage entre le sommet de la hiérarchie et la base, le sentiment de ne pas être reconnus, compris, respectés, par les autorités et les usagers, la peur de se faire agresser, mal juger, tout cela ne contribue pas à installer du bien-être chez les enseignants qui ressentent une solitude profonde au sein de la collectivité scolaire, qui survivent à l'école plus qu'ils n'y vivent. J'éprouve pour eux de la compassion et de l'empathie et j'ai de l'admiration pour ceux qui ne baissent pas les bras et continuent d'accomplir avec ferveur leur mission auprès des élèves. Mais il existe des formes de lutte contre le mal-être, des améliorations sont notoires avec les nombreuses tentatives individuelles ou localisées qui naissent chaque jour un peu partout, et avec les expérimentations dans les établissements pilotes. Les adultes y travaillent les motivations avec les familles, rencontrent des éducateurs de quartiers, des travailleurs sociaux, des membres de services médico-sociaux ou de soin, des rééducateurs (psychologues, psychomotriciens, ergothérapeutes). Ils permettent aux familles d'avoir une idée précise de ce que font leurs enfants à l'école à tels moments de la journée, et avec qui ils nouent préférentiellement des relations. Les résultats de ces expériences sont d'ores et déjà positifs. Les enseignants qui savent allier la rigueur à la souplesse, qui ne jugent pas d'emblée mais cherchent à comprendre les écarts de langage et de comportement, les raisons des conflits entre élèves, qui imposent l'égalité devant le règlement et la loi, favorisent le bien-être de leurs élèves. Ils leur faudrait plus de temps pour s'articuler avec leurs collègues, recevoir les familles pas seulement quand il y a un problème ou pour la remise du bulletin de notes. D'ailleurs au sujet des notes, en Finlande il n'y a pas de notes avant la seconde au collège. Les personnes qui accueillent les élèves à la loge d'entrée, les personnels non chargés de cours, jouent également un rôle important. Cette notion de l'accueil peut être facilement améliorée. Certains auteurs préconisent que les récréations durent plus longtemps, une demi-heure, que les enseignants et élèves et discutent avec tout le monde dans la cour pour développer la parole, aller vers ceux qui ne disent jamais rien, leur montrer qu'on s'intéresse à eux. Les gens se sentent mieux s'ils se rendent compte qu'on se préoccupe d'eux, qu'on a de l'estime et de l'affection pour eux. C'est un lieu commun que de rappeler que le rôle des enseignants est primordial pour favoriser des échanges, des modes de communication, pour éviter des rivalités de clans, pour construire le bien-être institutionnel et améliorer le climat scolaire.

Au niveau des élèves les conséquences du mal-être à l'école sont redoutables et l'on doit tout faire pour les dépister et pour les traiter. L'état psychologique de l'enfant est un élément à considérer sérieusement. On peut être un élève en souffrance dans un établissement de qualité parce qu'on a des dispositions particulières au pessimisme, à la tristesse, à la fatigue, au stress ou à l'ennui. Ce qui peut expliquer l'échec scolaire, l'absentéisme, des troubles du comportement, de l'alimentation, du sommeil, des atteintes physiques (entorses, fractures, vomissements, malaises...), ou un état dépressif allant jusqu'à des idées suicidaires voire à des passages à l'acte. Je suis néanmoins persuadé qu'une institution en bonne santé est capable d'aider cet élève à reprendre espoir, échapper à ce qui le préoccupe ailleurs qu'au sein de l'école, retrouver le goût de vivre. Inversement je suis assez surpris de constater que les enfants soi-disant déficients intellectuels et fragiles dont je m'occupe, que les adultes ne jugent pas aptes à affronter les contraintes de l'école ordinaire, s'intègrent fort bien en inclusion dans les classes des écoles primaires ou des collèges du département, en supportant la fatigue causée par les transports et le rythme scolaire, et s'y sentent parfaitement heureux. Lorsque les enseignants constatent le mal-être d'un élève ils ne doivent pas hésiter à lui en parler et à prendre contact avec le psychologue scolaire ou le médecin scolaire, et dans le cadre du partenariat , si l'élève est suivi par notre Service, à appeler notre éducateur chargé de l'articulation avec les écoles. Pour citer quelques expériences qui ont amélioré les conditions de vie des élèves il y a celle d'un collège du Nord, le collège Philippe de Commynes qui a vu l'absentéisme réduit de 20% en quelques années. Celle d'un collège de Bordeaux où les élèves prennent en charge le petit déjeuner qui inaugure chaque journée de classe et travaillent ensuite par petits groupes. Celle de la création d'un collège à Mantes-la-Jolie où des espaces de paroles existent réellement, des méthodes d'éducation nouvelle, de « discipline positive » sont appliquées, où a été instituée une cérémonie solennelle de distribution de prix non seulement scolaires mais aussi le prix du garçon et de la fille les plus sympathiques, les prix sportifs, le prix de la classe qui fait le moins parler d'elle. Et au bout de trois ans 500 personnes se trouvaient présentes à cette cérémonie, dont les responsables du quartier, les associations multi-culturelles et bien sûr la majorité des parents d'élèves de ce collège qui a un des plus bas taux de violence dans toute la région. Celle d'un collège de Chartres où les connaissances de certains élèves, pas forcément en réussite scolaire, dans des langues non étudiées, comme l'arabe, le turc, et même le lingala sont reconnues et certifiées en un document officiel par des professeurs d'université avec le niveau maximum de compétence, le niveau C2. Si ces expériences ont convaincu les élèves et leur famille, elles doivent encore convaincre beau nombre de nos concitoyens et professionnels de l'Enfance et de l'Adolescence, et il faudra beaucoup de courage et de persévérance à nos décideurs pour les généraliser à tous les établissements scolaires de notre pays.

Au niveau des familles le bien-être avec l'école passe prioritairement par la lutte contre les inégalités sociales. La priorité sur le plan politique est de soutenir les familles défavorisées dans leurs relations avec le milieu scolaire. Nous sommes en ce domaine particulièrement en retard en comparaison de nombreux pays européens, y compris le Portugal. En ce qui nous concerne professionnellement la grande majorité des enfants que nous suivons dans notre SESSAD (service d'éducation spéciale et de soin à domicile) est issue de milieux défavorisés voire précarisés. Nous avons pour objectif essentiel de favoriser la scolarisation de ces enfants en milieu scolaire ordinaire. La tâche est énorme, nous rencontrons des obstacles multiples et considérables mais nous nous battons bec et ongles pour atteindre cet objectif, nous ne lâchons rien. Les réussites viennent heureusement récompenser nos efforts grâce à des contacts permanents avec les enseignants, notre participation aux réunions dites ESS (équipes de suivi de la scolarisation), notre accompagne­ment et soutien des familles, nos négociations parfois âpres et houleuses avec nos différents partenaires de la MDA (maison départementale de l'autonomie) qui succède depuis peu à la MDPH (maison départementale des personnes handicapées), notons au passage qu'il est fort judicieux d'avoir supprimé le H, de l'EN et du secteur social. Nous recevons régulièrement des encouragements, des gratifications, des remerciements des parents qui se sentent moins seuls et démunis, moins culpabilisés, qui ont moins peur d'être jugés par les instances scolaires et de se retrouver en face d'elles. Comme si ces familles défavorisées se voyaient pour une fois grâce à nous reconnues et favorisées dans leurs relations avec l'école.

Mais force est de reconnaître que bien des personnes s'opposent encore farouchement à la présence d'enfants en situation de handicap soi-disant déficients intellectuels dans les écoles primaires, dans les collèges et dans les lycées. Comme si l'école ne pouvait admettre en son sein que des élèves motivés et installés dans le processus de la réussite scolaire. Dans notre pays on enferme encore beaucoup trop les personnes dans des cases, on n'accepte encore trop difficilement les différences comme moyens de mieux vivre en société et de s'enrichir mutuellement. Nous nous heurtons trop souvent à des mentalités sectaires, à des systèmes de pensée binaire et infantile. Cela doit changer.

Conclusion : C'est volontairement que je n'ai pas développé la question de la violence entre élèves, du harcèlement, du racket, des emprises nuisibles et humiliantes, parce que je la considère comme la conséquence de pratiques inadaptées, de raisonnements et jugements infondés. Analyser le mal-être à l'école en partant de la violence, en la retournant dans tous les sens, en montant en épingle certains faits divers dramatiques qui alimentent le besoin de spectaculaire, le goût pour le sordide et l'horreur des médias, qui incitent à la peur, l'angoisse, l'insécurité et la haine, en refusant de prendre en compte le contexte général dans lequel elle prend naissance et se développe, ne permettrait pas à mon sens de régler le problème, bien au contraire cela ne fait que renforcer le mal-être. Pour conclure je dirai simplement qu'il nous faut cesser, à l'école comme ailleurs, de placer en concurrence le bien et le mal qui nous habitent tous de la naissance à la mort, pour les trianguler par des valeurs morales, des lois et des règles institutionnelles qui nous permettent de vivre sereinement avec tous nos concitoyens, qu'ils soient proches ou loin de nous, semblables ou différents. Et maintenant, place au débat...

Jean-Paul, décembre 2016

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