Smurf

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Explication pour bien comprendre le texte.

Lors d’un atelier d’écriture nous avions comme consigne d'utiliser littéralement, dans un texte, les expressions suivantes :

- Tirer le diable par la queue.

- Travailler du chapeau.

- Prendre le taureau par les cornes.

- Poser un lapin.

- Donner la langue au chat.

- Peigner la girafe.

- Tenir la chandelle.

- Couper les cheveux en quatre.

- Sans queue ni tête.

- Avoir la main verte.

Smurf

Mille années lumières que le vaisseau errait dans l’espace.

Smurf, sans savoir pourquoi, braqua à cent quatre-vingt degrés et entraîna l’engin dans un tourbillon de météorites. La carlingue mitraillée bringuebala dans tous les sens et tomba en chute libre. Elle traversa un nuage épais, fut ralentie, commença à chauffer dangereusement et s’écrasa dans un vacarme de tôles froissées sur …

le champ du père Durand.

Smurf, prit son translateur, descendit par l’ascenseur gravitationnel et avança dans un épais brouillard.

Comment décrire Smurf : un ver luisant, pas tout à fait, Smurf ne luisait pas mais ressemblait par mal à un ver. On pourrait dire que c’était un être sans queue ni tête, et sans bras ni jambes d’ailleurs, une espèce d’Alien mais pas méchant. Il n’aurait pas fait de mal à une mouche surtout que des mouches, il n’en n’a jamais vues. Là d’où il venait, il n’y avait jamais eu de mouche, maintenant il n’y avait plus rien. Il était le dernier survivant d’une catastrophe qui avait englouti sa planète.

Smurf était seul dans ce champ et ne s’attendait pas à trouver quelqu’un. Pourtant, à travers le brouillard, il lui sembla apercevoir une forme avancer vers lui. Smurf avait peur, il ne savait pas comment se défendre face une agression. Il n’avait pas d’arme, il n’en avait jamais eu besoin.

Chez lui, ils étaient tous gentils, la seule chose qu’ils savaient faire c’était parler. Ils parlaient beaucoup, ils disaient qu’ils avaient la tchatche. C’est rigolo, c’est comme chez nous.

Ils tchatchaient et leur tchatche était magique. Magique, me direz-vous ? Oui, magique, il suffisait à Smurf de dire vache et une vache apparaissait. C’est fou, non ?

Je réfléchis, je ne sais pas s’il y avait des vaches chez lui, mais c’est un exemple.

Il devait dire « czyubtd » et un « czyudtb » apparaissait, vous voyez ce que je veux dire. Ce pouvoir n’était pas sans leur poser de problème. Ils étaient obligés de faire attention à ce qu’ils disaient. J’en connais certains, ici … mais je m’égare ce n’est pas le sujet.

Dans l’épais brouillard, donc, la forme continuait à avancer et commençait à prendre forme. Pour Smurf, ce qu’il voyait était horrible, une espèce de mikado désarticulé, avec deux tiges plantées au sol qui bougeaient l’une après l’autre, au-dessus un truc sale, plus gros, une boule enfin terminait cette structure bizarroïde. Cette boule avait un trou qui s’ouvrait et se refermait, qui faisait de la fumée et qui émettait des sons.

De chaque côté deux bidules plus courts que les tiges du bas bougeaient dans tous les sens. Une des tiges était prolongé par un bâton au bout duquel quatre piques métalliques semblaient menacer Smurf.

Au pied de l’engin, une forme, plus petite avec quatre tiges mobiles et un plumeau à poil au postérieur s’agitait, sautait, émettait des sons agressifs à l’encontre de Smurf.

« Regardons dans notre banque de données ! Photo » dit-il à lui-même. L’image de la chose intégra l’unité centrale de Smurf et afficha « Chien, espèce vivant sur une planète appelée la Terre ».

« Je suis sur la terre, super, j’en ai tellement entendu parler ! C’est quoi, à côté ? Photo ! » Se dit-il. L’unité centrale afficha « Être humain, espèce vivante sur la terre, la plus dangereuse des espèces de l’univers ». Smurf se mit à trembler, le translateur bascula en avant et tomba au pied de la chose, de l’être humain.

— Vindiou ! Chétiquoi sta de cas’rol et ce vermisso qui mé veu ? brailla l’être humain.

— Swxjoizs ! répondit Smurf.

— Kekidi le godin (ver de terre en patois) ?

« Traducteur, traducteur, vite ou cet énergumène va m’attaquer » pensa Smurf.

— Gente damoiseau, je suis marri de vous importuner mais pourriez-vous abaissir votre hallebarde.

— Chétiquoi une halbarre ?

— Ce que vous tenois au bout de votre extrémité, gente grâce.

Apparemment le traducteur devait dater.

— Chéti pas une halbarre mais une hourquét (fourche), crénomdediou.

— Plaît-il ?

En tout état de cause, l’incompréhension entre nos deux protagonistes était totale. Ils restèrent ainsi quelques secondes sans se parler, l’être humain, prêt à en découdre et Smurf, farfouillant dans l’ordinateur du translateur cherchant désespérément un traducteur plus récent.

Un petit miracle se produisit.

Deux lapins, un chat, une girafe et un taureau passèrent par là. Improbable me direz-vous ? Vous avez tout à fait raison mais attendez un ver de terre extraterrestre qui parle vieux français et un paysan qui parle patois, vous trouvez ça normal ?

Bon ! Pour le paysan, je veux bien à la rigueur mais quand même. Alors, pouêt-pouêt ! N’oubliez pas que j’ai des mots à mettre dans ce foutu texte. Comme vous êtes un petit malin, vous commencez à voir où je veux en venir.

Ce fut un des deux lapins qui morfla, pardon qui en prit plein la gueule, oh pardon que l’on maltraita d’entrée de jeu. Smurf posa un lapin sur son translateur qui le découpa en morceaux et donna la langue au chat qui la dévora et s’endormit dans les bras du père Durand. Oui, j’oubliais de vous dire, le bidule, le truc bizarre, l’être humain c’était le père Durand. Vous vous souvenez, je l’ai écrit au début, mais ça vous vous en doutiez déjà, je suis bête.

Le père Durand avait maintenant une fourche à la main et un chat dans l’autre, il était content.

— Vin Diou, chui ben contan ! dit-il.

« Traducteur, traducteur » pensa Smurf.

— Individu content, heureux, satisfait peu enclin à l’agressivité, faire cadeau pour amadouer, lui indiqua le traducteur, tout ça bien sûr en langue Smurf, je traduis, enfin j’essaie, vous avez bien compris.

« Un cadeau, un cadeau ! Faut que je trouve un cadeau ! Ah ! Oui ! Le taureau ! »

Il prit le taureau par les cornes, le fit voler dans les airs et le donna au translateur qui le coupa en morceaux, entrecôtes, filet, faux-filet, chapeau. Il eut du mal à travailler du chapeau comme du reste mais il réussit quand même à en sortir quelque chose, la bête n’était pas bien grosse. Le translateur emballa le tout et le déposa aux pieds du père Durand.

— Merrde alore ! Ce gougnafier ché y faire, s’exclama-t-il. Il laissa tomber sa fourche et tendit la main à Smurf.

Je sens que depuis un moment quelque chose vous turlupine, à moi aussi en vérité. Faut pas se le cacher, Smurf a beau être un extraterrestre doté de supers pouvoirs (quoique pour le moment c’est son translateur qui fait tout) il n’est en fin de compte qu’un vulgaire vermisseau, un peu plus grand qu’un vermisseau, je vous l’accorde, un gros vert de terre. C’est quoi le problème alors ? Le taureau, le problème c’est le taureau. Vous avez vu comment il l’a pris par les cornes. Non, je suis bête, vous n’avez rien vu puisque vous lisez, ce n’est pas un BD mon truc. Bon mais quand même, il l’a bien pris par les cornes ce taureau, non ? Et comment ? Un ver de terre, ça n’a pas de bras, des anneaux sûrement mais pas de bras. Alors comment, a-t-il fait ?

Il a tchatché, tout simplement. Il lui a suffi de dire « bras » et des bras lui ont poussé sur le ventre et voilà comment le taureau s’est retrouvé dans une cagette de congélation.

Maintenant, Smurf pouvait serrer la main tendue par le père Durant. Il était bien content d’avoir deux bras. Il commençait à comprendre qu’il n’avait pas besoin en permanence de son translateur.

— Chui ben contan ! dit-il, après un dernier réglage sur son traducteur.

— Mila Diou ! Voilà-ty pas que je comprends ce bougrre !

— Viens peigner la girafe, lui dit Smurf.

— Kékétidis ? La girafe ?

— Oui, la girafe ! Tu la peigne et tu me récupères ses cheveux pour moi. J’en n’ai pas un sur le caillou. J’aimerais avoir la même tignasse que toi.

Le traducteur avait enfin trouvé le bon dialecte. Le père Durand attrapa la girafe, la ramena près de Smurf, la fit s’assoir et se mit à la peigner. Il rassembla une grosse touffe de poils et les présenta à Smurf.

— Voilà, ptiga, tes poils !

— Merci, mais pas des poils, des cheveux. Ils sont trop longs pour moi. Tu dois les couper pour que je puisse les mettre sur ma tête.

Le père Durand se mit à couper les cheveux en quatre et les planta sur la tête de Smurf.

Non loin de là, sur le champ du Père Martin, un drôle de personnage était agenouillé, les mains jointes, les yeux fermés. Il semblait marmonner des choses dans sa barbe.

— Diantre, qui est ce bougre à genoux ? demanda Smurf qui avait de nouveau des ennuis avec son traducteur.

— Le curé du village.

— Pourquoi, mazette, faut-il qu’il mette les genoux à terre ?

— Il débusque les démons et leurs diableries ! Vin Diou !

Le curé alerté par la conversation, ouvrit les yeux, et avança au hazard. Il était aveugle. Derrière lui, le suivait un diablotin, le visage rouge, les mains vertes et deux petites cornes sur la tête, la queue trainant au sol.

— Hé, hé ! Dit le petit démon. Pauvre petit curé qui n’y voit plus rien attends je vais te tenir la chandelle.

Le diablotin, posa la chandelle sous la soutane du curé, celle-ci se mit à brûler. Le pauvre homme, en une seconde, se transforma en torche vivante.

— Pluie, averse, douche, beaucoup, beaucoup sur le bougre, dit Smurf.

Un déluge s’abattit sur le curé et sur le petit diable. Le curé faillit se noyer mais s’en sortit quant au diable très fâché courut vers Smurf pour le punir. Le translateur réussit à tirer le diable par la queue, le lança dans les airs puis l’avala.

— Je te remercie, mon brave, lui dit le curé. Tu es un ange !

— Un ange, moi ? demanda Smurf.

— Un ange ! répondit le curé.

— Un ange ? Ça me va !

Smurf sentit comme une douleur diffuse sur son dos, deus bosses apparurent. Il se tordit de douleur, déclenchant autour de lui un nuage qui s’éleva jusqu’au ciel. Le nuage se transforma en tourbillon qui se mit à tournoyer autour du père Durand, de la girafe, du chat, d’un des deux lapins et du curé. Puis le calme revint, la poussière tomba au sol, Smurf avait disparu.

— Comment ce fait-ce ? dit Le père Durand.

— C’est un miracle, c’était vraiment un ange, dit le curé.

La girafe leva la tête, le chat et le lapin en firent autant. Au-dessus d’eux voletait un papillon. Il vint se poser sur l’épaule du père Durant, sembla lui dire quelque chose à l’oreille, rejoignit le translateur et remonta dans le vaisseau.

Celui-ci s’ébroua, fit claquer quelques tôles et s’éleva dans le ciel. Il resta quelques instants au-dessus du champ du père Durand, le survola de long en large puis disparut.

En lieu et place d’un terrain ravagé par la canicule, s’étendait un beau champ de tournesol. Le père Durand ne planta plus rien sur cette parcelle, ni ses enfants, ni ses petits-enfants, d’ailleurs car chaque année, à la même époque des tournesols venaient l’envahir.

On dit, mais c’est une légende, qu’un jour un peintre vint poser son chevalet et les peignit.

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