Une nuit à La Montagne

3 minutes de lecture

Minuit, je suis seul.

Il règne autour de moi un silence presque total.

Presque !

Une brise de terre se glisse en longs chuchotements dans les feuillages d'une végétation luxuriante et draine avec elle des effluves d'embruns et parfois de relents épicés de cuisine exotique.

La lune joue avec quelques nuages étirés en longs filaments sous la voute céleste étoilée et adresse sur les toits de cases éparses de merveilleux reflets argentés.

Assis sous la varangue de la maison dans un transat, je profite de la fraîcheur nocturne pour sécher ma peau. Vêtu d'un t-shirt et d'un pantalon de toile légère, j'essaie d'échapper à la chaleur moite de la journée encore très présente à cette heure avancée et qui cherche le moyen de s'évacuer.

Toutes les portes et les fenêtres restent ouvertes, protégées par des moustiquaires pour éviter les attaques de diptères. Des margouillas moqueurs ricanent de temps à autre, agrippés au plafond blafard. On devine leur corps de couleur rose. D'apparence fragile, Ils contribuent comme prédateur à la sélection des insectes dont ils se nourissent.

En abaissant mon regard, je devine des araignées qui s'éloignent comme intimidées par les lézards à moins que ce ne soit la fumée des serpentins, disséminés à même le sol pour éloigner les suceurs de sang. Elles fuient de la terrasse en mosaïque et s'évanouissent dans l'herbe galopante et épaisse. Un immense caoutchouc jette son ombre bienveillante sur le jardin, portée par l'astre sélène alors que ses racines encerclent la maison en quête de la moindre source d'humidité.

Minuit trente, je suis toujours seul. Impossible de trouver le sommeil.

Ma femme et mes enfants dorment paisibles dans leur chambre. La plupart du temps, à cette période de l'année, il vaut mieux dormir nu avec juste un drap léger sur le corps. La chaleur s'accumule sous le toit des maisons traditionnelles. Alors pour réguler, on ruisselle en abondance et il faut se lever souvent pour s'hydrater.

Je réside dans le village de La Montagne, au-dessus de Saint-Denis de La Réunion. Quelques vagues lumières m'indiquent que des voisins cherchent comme moi le sommeil. Au loin et en surplomb, le regard se perd dans l'immensité de l'Océan Indien. Aucun fanal d'un navire ou d'un voilier à cette heure avancée. Juste le reflet magique de l'astre nocture traçant un sillon lumineux sur la peau ridée de l'océan immense.

La période de l'été austral incite à porter le regard vers l'est. La menace d'une tempête tropicale ou d'un épisode cyclonique rythme le quotidien entre les mois de novembre et avril. Ces phénomènes climatiques se traduisent par des vents violents et de pluies diluviennes. Les ravines et les lits des rivières se gonflent de flots impétueux et emportent tout sur leur passage. La prudence s'impose dans ces circonstances et chacun reste à l'abri de son habitation.

Cela paraît presque irréel d'évoquer ces excès climatiques alors qu'à cet instant précis tout semble immuable et calme.

Je savoure une gorgée tiède de thé à la menthe. Il va bien falloir que je m'endorme. L'idée de se laisser aller sous la varangue me gagne. Mais cela présente le risque insensé de se faire "dévorer" par les insectes et je me sais réagir aux piqûres avec l'apparition de forts boutons d'irritation.

Impossible de lire sans lumière sous peine d'une attaque en règle.

Ecouter de la musique douce serait tout aussi mal venu.

Mon cerveau entame une phase de rumination. Une tonne de dossiers m'attend au bureau situé à seulement trois cents mètres de la villa, dans l'enceinte de l'Etat-major des FAZSOI. Installé dans d'anciens locaux dévolus au repos du personnel navigant d'Air France en escale, les militaires prennent possession des bâtiments dans les années qui suivent l'indépendance de Madagascar après une période coloniale violente et répressive.

Minuit, bientôt Une heure. Je suis seul avec mes pensées.

Assis là dans ce moment étouffant de moiteur et de solitude, je n'imagine pas un seul instant que je participerai à une opération militaire d'envergure aux Comores, baptisée Azalée, en octobre 1995.

Et bien moins encore, je ne soupçonne pas la naissance future de ma fille Eléa, le 1er juillet 1996 avant de rentrer en métropole, après un séjour en famille de deux années extraordinaires.

Annotations

Vous aimez lire Jean-Michel Palacios ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0