Décisions

3 minutes de lecture

Le café où les deux agents de Spiritus Mundi avaient fait une halte bienvenue n'était pas le plus sélect des établissements ; malgré tout, Hadria se plaisait à voir du monde autour d'elle, même sous un plafond un peu craquelé et des murs grisâtres : pas de zones d'ombre ni de créatures aux yeux jaunes, ni même de cochons, vers ou crapauds... Ashley attaqua le sujet de front :

« Nous allons attendre que les émanations de haine qui accompagnent cette entité disparaissent. Peut-être pourrez-vous discerner plus efficacement ce qui se cache derrière, quand ces émotions parasites auront disparu. »

La jeune femme reposa sa tasse de thé sur la table ronde coincée entre leurs deux paires de genoux.

« Je ne suis pas sûre que ça marche ainsi, déclara-t-elle avec nervosité.

— Vous craignez ce que vous allez rencontrer ? »

Elle le fixa d'un regard étonné ; la rumeur des autres clients leur parvenait de façon très lointaine, même les vociférations de deux hommes en état d'ébriété avancée et le rire strident d'une grosse femme qui s'encanaillait avec deux types à l'allure plus que louche. Ashley adoptait le plus souvent une attitude froide et distante ; seuls d'infimes détails, discernables lorsqu'on commençait à le connaître, montraient qu'il éprouvait peut-être des sentiments. Elle ne l'avait jamais vu manifester autant de passion. Agacée, elle recula sa chaise et le toisa :

« Peur ? Bien sûr que oui, j'ai peur : de ressentir encore une fois la haine terrible de cette créature, la terreur qu'elle a suscitée chez ces malheureux... Il faudrait que je sois insensible ou stupide pour ne pas avoir peur, non ? Tout le monde n'est pas comme vous ! »

Un soupçon soudain s'empara d'elle :

« En l'occurrence, je serais presque tentée de croire que c'est vous qui craignez ce que vous allez rencontrer, poursuivit-elle en plissant légèrement les paupières. C'est plus facile de me mettre en première ligne, n'est-ce pas ? »

Hadria savait, en son for intérieur, qu'elle se montrait injuste. Son partenaire s'était toujours montré attentif à sa sécurité, physique et mentale. Il n'avait jamais hésité à s'interposer s'il pensait qu'une menace pesait sur elle, comme si c'était la chose la plus naturelle au monde. Elle comprenait d'autant moins pourquoi, cette fois, il semblait faire si peu de cas de ses réticences.

Ashley resta un moment impassible, sa propre tasse stoppée à mi-hauteur ; derrière les verres assombris, les yeux en amande s'étaient élargis. Leurs prunelles vertes brillaient d'un éclat singulier que même leur protection coutumière ne pouvait dissimuler. Son visage était devenu étrangement pâle et ses lèvres serrées se réduisaient à une mince ligne.

Hadria jugea plus déstabilisante encore son incapacité manifeste à proférer la moindre parole. Surprise et embarrassée, elle tendit les mains pour sauver la tasse d'un désastre imminent :

« Je.. je suis désolée, bredouilla-t-elle en posant le récipient sur la table. Je ne voulais pas dire tout cela et je m'en excuse... »

Elle se morigéna intérieurement : bien souvent, elle admonestait Hector, l'ami d'enfance qu'elle avait laissé derrière elle à Minéapolis, parce qu'il disait tout ce qui lui passait par la tête... et voici qu'elle venait de se conduire de la même manière. Elle avait clairement blessé son partenaire plus qu'elle n'en avait l'intention...

Après tout, que savait-elle de lui ?

Si peu...

Il baissa les yeux vers ses mains vides, les reposa lentement sur la table :

« Ne vous excusez pas. Vous avez tout à fait raison. Je ne devrais pas vous demander de vous lancer dans cette recherche si vous ne vous en sentez pas prête. »

À présent, la jeune femme ressentait ses paroles comme une insulte. Pour qui la prenait-il ? Une petite fleur fragile ?

L'étreinte de ses bras autour d'elle...

La protégeant de l'assaut des sensations violentes émises par la créature...

Elle sentit le rouge lui monter aux joues.

« Ne vous inquiétez pas, j'avais juste besoin de me ressaisir un peu. Je serai prête... »

Elle laissa passer un temps de silence avant d'ajouter :

« ... dès que vous le serez. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Beatrice Aubeterre ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0