Samedi 23 Février 2019

28 minutes de lecture

SAMEDI 23 FÉVRIER 2019

Fin de matinée.

Suivie par Dounia en retrait, Na-ri entre d’un pas résolu dans la salle des professeurs du lycée de Sangam, un grand open space ou chaque bureau est encombré de livres et manuels. Elle se dirige sans hésitation au fond, droit vers un homme d’une cinquantaine d’années (Lee Jung-wan, 54 ans) qui se balance nonchalamment dans son fauteuil, regard vague fixé sur les nuages au travers de la fenêtre. Arrivée à moins d’un mètre de son objectif, Na-ri s’incline bien bas et reste ainsi alors qu’elle s’écrie d’une voix forte :

— 안녕하 … (Bonjour professeur !)

L’homme tourne lentement la tête vers Na-ri… puis retourne à ses nuages pour lui répondre d’un ton désabusé.

— 여기서 … (Qu'est-ce que tu fais là. Rentre chez toi.)

— 죄송합니다 … (Je suis désolée professeur !)

— 미안해? … (Tu es désolée ? Mais pourquoi ?)

— 지난 며칠 … (De ne pas être venue en cours ces derniers temps !)

Il se tourne enfin vers les filles et, s’énervant progressivement, s’adresse à Dounia tout en pointant Na-ri du doigt :

— 당신이 ... (T'as vu ? Elle est désolée... Dis-lui qu'elle peut rester chez elle… Ça fait près d’un an qu'elle ne fout rien en classe ! Tout ce qu'elle sait faire s'est se battre ! Quelle rentre chez elle ! Allez !)

— 교수 ... (Professeur… Elle ne comprend pas bien.), dit Na-ri, toujours courbée.

— 그녀는 … (Elle ne comprend pas ? Elle est sourde ?), s’étonne-t-il d’un ton calme avant de soudain hurler à Dounia : 김나리에게 … (Dis à Kim Na-ri de rester chez elle ! On est plus tranquille sans elle !!)

Un peu sur la réserve depuis le début, Dounia cette fois se rétracte, franchement craintive, tandis que Na-ri se redresse brusquement, comme mue par un ressort :

— 오 … (Oh ça suffit professeur ! Elle ne parle pas Hangul !!)

L’homme s’adresse alors à Dounia d’un ton plus calme.

— 근데 … (Mais qu'est-ce que tu fous là alors ? Tu es qui toi d'abord ?)

Na-ri lui faisant enfin le signe qu’elle attendait, Dounia s’incline vivement et récite par cœur d’une voix forte au débit précipité :

— Annyeonghaseyo seonsaengnim … (Bonjour professeur ! Je m'appelle Dounia Battini. Je suis Française !)

— 안영 … (Salut. Tu fous quoi avec une fille comme ça ?), répond-t-il d’un ton désinvolte. Puis, regardant sa main bandée. 오 ... (Oh, je vois… T’aimes te battre toi aussi.) Do you speak English? (Tu parles Anglais ?)

Dounia se redresse, soulagée.

— Yes sir ! (Oui Monsieur !)

— I don’t … (Moi pas…), ironise-t-il avec un petit sourire en coin avant de s’adresser enfin directement à Na-ri. 당신은 … (Tu veux quoi toi ?)

— 프랑스어를 … (Je veux apprendre le français.)

— 우리는이 … (On n'apprend pas ça dans ce lycée. Partez. Je dois aller faire mon cours.)

Il se retourne vers la fenêtre. Les filles se préparent à tourner les talons, un peu dépitées, quand il poursuit, regardant les nuages :

— 김나리 … (Na-ri. Reviens lundi. Je vais voir ce que je peux faire pour le français. Je ne sais pas comment tu fais pour communiquer avec ta copine. T’es nulle en anglais. Tsss... Ces gosses...)

Puis il daigne tourner la tête vers elles et s’adresse à Dounia dans un anglais parfait :

— Hey you, Dounia Battini … (Hé toi, Dounia Battini. Je vais voir si je trouve quelque chose pour toi aussi ... Tu dois te mettre au Hangul, tu ne penses pas ?)

Heureuses, les deux filles s’exclament dans une parfaite synchronisation :

— Gamsahabnida, seonsaengnim ! (Merci professeur !)

Elles s’inclinent une dernière fois puis s’en vont. Arrivées dans le couloir, elles se prennent par la main et détalent en riant, sans prendre attention à l’élève qu’elles croisent. Celle-ci les regarde étonnée puis galope jusqu’à une salle de classe dans laquelle elle rentre en trombe pour annoncer à la cantonade :

— 야 ! ... (Hé ! J'ai un scoop ! Kim Na-ri est là !)

Partout dans la classe les exclamations fusent : « 그건 … (C’est vrai ?) », « 그녀는 … (Elle est où ?) », « 김나리가 … (Kim Na-ri est revenue ?) ». Une fille s’écriant même en regardant Hee-jung affalée sur son pupitre ; « 싸움이 … (Ça va être la baston !) ». Une autre fille vient la secouer.

— 야 ! ... (Hé ! Hee-jung ! Cette garce de Na-ri est la !)

— 그건 … (C’est vrai ?)

Emergeant de sa sieste, Hee-jung se lève visage fermé, va en clopinant regarder au travers d’une fenêtre et voit Na-ri et Dounia assises sur les gradins entourant le terrain de sport. Toute la classe est médusée de voir alors un grand sourire illuminer son visage tandis qu’elle ouvre la fenêtre et se met à agiter les bras en criant :

— Na-ri ! Dounia ! 기다려 … (Attendez-moi, j'arrive !)

Hee-jung boitillant dans le couloir croise Lee Jung-wan :

— 야 ! … (Hé ! Où tu vas ? On a cours maintenant !)

— 나는 … (Je sèche Professeur ! Na-ri est là.), répond-t-elle en lui offrant un cœur de deux doigts au passage.)

D’un geste de main désinvolte, il lui fait signe de partir tout en marmonnant avec le sourire :

— 소방서에 … (Appelez la police ! Le duo infernal se recompose.)

Assis sur sa moto de l’autre côté du boulevard, MM regarde d’un air renfrogné les trois amies sortir du lycée bras dessus, bras dessous et s’en aller, joyeuses.

………………….

Chez Hyun-ae, Dounia et Na-ri installées sur le canapé du séjour se concentrent sur Instagram et KakaoTalk. Soudain Dounia pousse un petit cri :

— Sarah est revenue à Séoul !

Na-ri s’approche, regarde l’écran de Dounia qui lance un appel et dans les trois secondes le visage de Sarah marchant dans une rue s’affiche.

— Salut Dounia ! T’es connectée de bonne heure dis-moi !

— Salut Sarah ! T’es retournée à Séoul ?

— Ouiiii ! Enfin ! Je reste à Hongdae quelques jours avant de descendre à Busan voir une amie.

— On se voit ce soir ?

Ouais sup…. Hein ? M… Mais t’es où ?

Dounia attrape le cou de Na-ri et l’attire vers elle.

— A Séoul avec Na-ri !!!!!

— 안영. (Salut.)

Na-ri incline légèrement la tête avec un sourire radieux.

………………….

Pendant ce temps dans son atelier, Hyun-ae prépare une nouvelle création, fixant de façon à priori aléatoire sur un grand panneau grillagé quatre toiles de tailles variées préalablement couvertes de fonds de couleurs fluorescentes, différentes pour chaque tableau. Avec un rouleau, elle recouvre ensuite chaque toile d’une fine couche d’argile de consistance pâteuse préalablement mélangée à une teinture noire. Puis elle positionne sur un guéridon un ensemble de spatules et couteaux de peintre plus ou moins spécialisés et passe à la création proprement dire en ôtant la boue noire par touches plus ou moins appuyées laissant apparaitre les couleurs de sous-couche.

Hyun-ae travaille vite, avec des gestes sûrs et précis… bien qu’elle semble un peu perturbée par l’éternel petit sourire en coin de Hee-jung, assise non loin sur un tabouret, qui l’observe en silence. Hyun-ae lui jette de fréquents petits coups d’œil par-dessus l’épaule, fronçant légèrement les sourcils à chaque fois.

Sur l’ensemble des toiles, peu à peu prend forme une seule image. C’est d’abord une impression, celle d’un visage morcelé, qui se précise doucement en portrait de femme… Non, de jeune femme… très jeune… au regard dur et au sourire narquois. Bientôt, Hyun-ae se recule, juge et revient donner de ci, de là quelques derniers coups de couteaux. L’effet est saisissant, l’expression du visage est réelle et les proportions parfaites malgré la fragmentation des supports. Satisfaite, elle jette ses outils dans un grand seau d’eau.

Sortant de sa contemplation, Hee-jung vient se positionner derrière Hyun-ae et lui tapote l’épaule. Celle-ci se retournant se retrouve face à un doigt d’honneur s’accompagnant d’un clin d’œil.

— 뭐라고요 … (Quoi ? Tu m'insultes ?)

Le sourire de Hee-jung s’agrandit. Elle agite son doigt dressé devant les yeux de Hyun-ae puis désigne avec lui la toile située en bas à droite du grillage d’un geste impérieux. Hyun-ae regarde le doigt redevenu obscène puis la toile, puis le doigt encore…

La peintre regarde sa jeune spectatrice d’un œil nouveau puis s’anime soudain. En quelques minutes à peine, un splendide doigt d’honneur se dresse devant le visage morcelé. Elle se recule de quelques pas et reconnaissante, sourit à Hee-jung venue contempler à ses côtés, bras croisés.

— 감사합니다 … (Merci Hee-jung. Je n'avais pas réalisé qu'il n'était pas fini.)

Elle regarde la jeune fille avec intensité.

— 당신은 … (Tu joues la rebelle mais tu es très attentionnée envers les autres. Sans ta présence d'esprit, le père de Dounia ne serait peut-être plus de ce monde.)

Hee-jung sourit, penche sa tête sur l’épaule de Hyun-ae puis rapproche sa bouche de l’oreille de l’artiste soudain tétanisée.

— 언니 … (Eonni... Tu m'aimes ?), murmure-t-elle…

D’un bond, Hyun-ae s’écarte de l’impertinente, surprise et agacée :

— 당신은 … (Tu joues à quoi ?! Han Hee-jung !)

Sourire ironique aux lèvres, Hee-jung va se positionner à côté de l’œuvre fraichement terminée et dresse le majeur droit devant sa joue… La ressemblance est frappante !

Hyun-ae reste sans voix. Hee-jung s’esclaffe, sincèrement surprise.

— 뭐 ... (Quoi... Tu l'as fait inconsciemment ? Wow... Tu m'aimes à ce point alors…)

Troublée, Hyun-ae va récupérer ses couteaux dans le sceau et commence à les essuyer.

— 그만 ... (Arrête Hee-jung...)

Hee-jung la suit et se penche vers son visage en la narguant, pétillante de malice, d’un gros cœur dessiné des deux mains :

— 그래서 … (Alors tu m'aimes ? Allez ! Dis-moi !) Puis entourant ses joues de ses paumes. 날 봐 … (Regarde. Je suis jolie ?)

— 이제 … (Ça suffit maintenant ! Tu n'es vraiment qu'une gamine inconsciente !), s’exclame Hyun-ae, excédée.

Elle sort de l’atelier en claquant presque la porte au nez de la jeune fille qui la suit jusque dans la maison, tenace. Dounia et Na-ri voient surgir Hyun-ae dans un état d’exaspération inhabituel, suivie comme son ombre par une Hee-jung au sourire narquois qui leur fait au passage un clin d’œil, comme pour les prévenir du spectacle à venir. Devant l’évier, Hyun-ae retroussant ses manches pour se laver les mains se trouve soudain ceinturé de dos par les bras de Hee-jung qui se colle à son dos en soufflant dans son oreille dans un murmure.

— 나는 ... (Moi je veux bien... Je n'ai jamais essayé avec une fille.)

Tous sont alors surpris par la violence de la réaction de Hyun-ae ; saisissant les poignets de Hee-jung, elle écarte brutalement ses bras, se retourne et la pousse durement en arrière, furieuse.

— 무엇을 … (Tu veux quoi ? Savoir si je suis lesbienne ? Oui je le suis ! Tu es contente ? Va ! Va le dire à tout le monde ! C'est ce que tu voulais non ?)

Réalisant qu’elle est allée trop loin, Hee-jung tente un geste d’apaisement mais c’est trop tard. Enragée, Hyun-ae s’en prend à Na-ri qui la regarde, sourcils froncés.

— 예 … (Oui j'aime les filles ! Et alors ! Je te dégoute ?)

Puis se prenant la tête dans les mains, elle la secoue de droite à gauche.

— 젠장 … (Putain, je suis trop conne ! Pourquoi j'aurai besoin de me justifier devant des gamines…)

Piteuses, les trois filles regardent Hyun-ae prendre au frigo bières et soju puis sortir de la maison. Hee-jung réagit enfin, elle court à sa suite jusqu’à la porte de l’atelier.

— 언니! … (Eonni ! Pardon Eonni ! Je plaisantais !)

Hyun-ae se retourne brusquement et approche son visage du sien à le toucher pour lui dire d’une voix remplie de colère contenue :

— 우리는 … (On ne plaisante pas avec ce qu'on ne connait pas fillette. Tu n'as aucune idée des conséquences que ça peut entrainer.)

Dans la petite allée bordant la maison, MM ne perd rien du spectacle qu’il filme avec son téléphone. Il semble furieux. Hyun-ae entre dans l’atelier et ferme la porte à clef. Hee-jung retourne à l’intérieur de la maison. Dans le séjour, elle se fait apostropher par Na-ri :

— 왜 … (Pourquoi t'as fait ça ?)

— 뭐! … (Quoi ! C'était juste pour le fun...)

— 그렇게 … (T'avais pas besoin d'aller aussi loin ! Tu ne vois pas comme tu l’as blessée ?)

— 괜찮아 … (D'accord ! Désolée ! Hé ! T'as pas vu comme elle me reluque ?)

—그래서 … (Et alors ! T’as dit toi-même que tu t'en fous de ça ! Que les gens ont le droit de faire ce qu'ils veulent !)

— 이봐 … (Oh mais lache-moi un peu ! C'est ton problème ? Tu l’aimes ?)

Les deux se font face poings serrés, prêtes à en venir aux mains. Dounia se lève d’un bon et les rejoint pour leur dire d’une voix très calme, posant une main apaisante sur leurs épaules :

— Hé c’est bon les filles. Vous n’allez pas vous battre encore, hein ?

Les tremblements de Na-ri se calment. Déterminée, elle regarde Hee-jung dans les yeux :

— 네 … (Oui je l'aime. C'est une vraie amie. Elle m'a toujours aidé sans jamais rien demander en échange et m'a toujours respectée. Alors respecte-là s'il te plait…)

Hee-jung détourne son regard.

— 괜찮아요 … (C'est bon... Pardon, j'ai été stupide.)

Bousculant presque Na-ri, Hee-jung s’en va sans dire un mot. Na-ri se tourne vers Dounia et lui tend la main.

— Gaja. (Allons-y.)

Tenant toujours Dounia par la main, elle toque à la porte de l’atelier.

— 언니 … (Eonni, on s'en va. On va voir nos parents à Hongdae.)

Hyun-ae ouvre la porte et les regarde en souriant. Puis, ébouriffant les cheveux de Na-ri :

— 어머니에게 … (Sois gentille avec ta mère.)

— 죄송합니다 … (Pardon Eonni… Dounia a raison. J'ai trop de préjugés.)

— 다 괜찮아 ... (Tout va bien... Allez-y. Aimé et Eun-jung vous attendent.)

Hyun-ae accompagne les filles dans la rue et les regarde partir bras dessus, bras dessous. Toujours caché derrière son muret, MM lui jette un regard chargé de haine.

………………….

À Donggyo-dong, Aimé, Eun-jung et les deux filles traversent le boulevard Yanghwa-ro, se dirigent vers la place Eoulmadang. Pendant leur marche, Eun-jung tente à plusieurs reprises de se rapprocher de sa fille mais celle-ci trouve chaque fois un prétexte pour l’éviter.

Dans le Café Edyia, Na-ri entraine d’autorité Dounia pour aller occuper des chaises côte à côte. Dégustant leurs capuccino et pâtisseries, Dounia et Na-ri ne quittent pas le nez de leur téléphone, écoutant de la musique ensemble, riant et discutant par le biais du logiciel de traduction. Aimé tente de distraire Eun-jung mais celle-ci reste à fixer sa fille, en attente désespérée d’attention.

………………….

Se promenant sur Gyeongui Line Book Street, Dounia et Na-ri devancent Aimé et Eun-jung. Dounia montre à son amie qui vient là pour la première fois les nombreux petits détails artistiques faisant le charme de cette promenade aménagée sur une ancienne ligne de chemin de fer. Accrochée au bras d’Aimé, Eun-jung est mal en point, son regard embué ne quittant pas sa fille qui semble l’avoir totalement effacée de son esprit. La sentant prête à défaillir, Aimé guide Eun-jung vers un banc placé un peu en retrait où celle-ci peut s’assoir et se laisser aller, pleurant doucement sur son épaule.

Quelques minutes plus tard, Na-ri surveillant par-dessus l’épaule de Dounia voit Aimé sortir de derrière un bosquet. Accrochée à son bras, sa mère essuie une dernière fois ses joues mouillées... Brusquement Na-ri entraine Dounia hors de vue. Les deux filles s’asseyent sur un gradin. Dounia regarde Na-ri qui semble désespérée.

— Gwaenchanha Na-ri ? (Ça va Na-ri ?)

— 나는 나쁘다. (Je suis mauvaise.)

— Wae ? Ah… Ani… (Pourquoi ? Ah… Non…) Tu as juste besoin de temps.

Na-ri la regardant sans comprendre, Dounia tape sur son téléphone :

« Tu n'es pas mauvaise, tu as besoin de temps.

Je sais que tu es aussi malheureuse que ta mère. (당신은 …) »

Na-ri hoche la tête en silence. Dounia rajoute.

« Tu lui en veux beaucoup ? (그를 …) »

Na-ri inverse le sens de la traduction.

« 하고 … (Je ne le veux pas mais la colère revient toujours.

Je ne sais pas comment faire. Je suis vraiment mauvaise.) »

Voyant une larme éclore au coin de son œil, Dounia prend doucement la tête de Na-ri entre ses mains et vient poser son front contre le sien. Na-ri se laisse faire quelques instants puis elle se redresse, fait du dos des doigts une légère caresse sur la joue de son amie et prenant sa main, subitement souriante, elle l’entraine après elle.

Eun-jung et Aimé les ayant précédés, elles les voient de loin arriver près de la statue de l’homme bedonnant. Aimé laisse Eun-jung et vient prendre la pose à côté de la statue, ventre en avant, son visage affichant une mimique comiquement féroce. Eun-jung éclate de rire… Tout comme Na-ri en voyant la photo de la même scène prise deux ans plus tôt que Dounia lui montre sur son téléphone.

Eun-jung regarde avec une tendresse mêlée de tristesse Aimé qui la rejoint. Elle l’entraine plus loin vers un banc en partie caché par des buissons. S’asseyant, elle lui désigne un autre banc non loin de la statue :

— There was … (Il y avait un couple d’adolescents ici...Tu ne te rappelles pas ?)

— Oh ?... Tu étais là ?, s’exclame-t-il, surpris.

— I was sitting here ... (J'étais assise ici ... Pourquoi pleurais-tu ? Inquiet pour Dounia ?)

— Non… Je pensais…

— Thinking of what? (Pensais à quoi ?)

— Ils étaient jeunes. Ils étaient beaux, ils s’aimaient… J’ai eu soudain le sentiment d’avoir tout raté, de n’avoir jamais su aimer… Enfin j’ai oublié… Cela fait si longtemps…

— Et moi ?

Aimé soupire en souriant aux nuages puis enlace les épaules d’Eun-jung pour la serrer contre lui.

— Toi c’est … Complètement inattendu, totalement inespéré… Je me sens extrêmement reconnaissant.

— Grateful? That's … (Reconnaissant ? C’est tout ? Tu ne sembles pas très convaincu…)

Aimé la regarde ; il est sincère.

— N’aie jamais le moindre doute à ce sujet… C’est juste que… C’est difficile de regarder devant pour nous deux. Non ?

Eun-jung le repousse.

— I hate … (Je te hais quand tu parles comme ça.)

— J’essaie seulement d’être réaliste Eun-jung. Nous vivons chacun à l’opposé de la planète. Toi tu es à l’apogée de ta vie. Moi je serais bientôt vieux, je suis malade et…

Eun-jung se lève vivement et lui fait face en levant la main, menaçante.

— Do not say … (Ne dis pas ça ! Si tu le dis…)

— Eun-jung… Il faut regarder les choses en face. Tu sais très bien que je suis incapable de te sat……

Arrivées depuis un petit moment près de la statue, Dounia et Na-ri voient avec stupeur Aimé se prendre la gifle promise. Choquée, Na-ri veut intervenir mais elle est retenue par Dounia qui connait trop bien cette expression peinée qu’affiche son père. Pas surprise, elle le regarde prendre la main qui l’a frappé pour la porter à sa bouche et l’embrasser. Na-ri ne comprend pas. Elle entraine Dounia hors de vue et tape à toute vitesse sur son téléphone :

« 왜 아무 … (Pourquoi tu ne dis rien !?

Tu sais pourquoi ma mère l'a giflé ?) »

La réponse de Dounia la laisse confuse :

« Non… mais je suis certaine que des deux,

c’est elle la plus blessée. (아니 …) »

………………….

En début de soirée, tout le monde s’installe dans un restaurant de barbecue coréen au bord de la place Eoulmadang. Dounia s’est arrangée pour que Na-ri soit assise aux côtés de Eun-jung. Mère et fille font visiblement des efforts pour converser avec Dounia et Aimé afin d’éviter de communiquer entre elles. Le plat de viande arrive, Eun-jung commence à la faire griller tandis qu’Aimé remplit les verres de bière. Quand arrive le tour de Na-ri, Eun-jung va pour le stopper mais se ravise devant le regard farouche que sa fille lui lance.

Une jeune fille (Seo Ye-ji, 17 ans) faisant le service ne cesse de leurs jeter des coups d’œil. Profitant d’un petit moment de calme, elle fouille dans son téléphone, trouve et se dirige vers Dounia avec un grand sourire :

— Tu es… Dounia ?

Celle-ci la regarde, surprise.

— Oui…

— Tu ne souviens pas ?

Elle tend à Dounia son téléphone où s’affiche un selfie d’elle et Dounia souriantes faisant le V de la victoire.

— Oh oui !!! Ye-ji ! Mais… tu parles français ?

Sans laisser à son interlocutrice le temps de répondre, Dounia se lève soudain et baisse la tête en prenant un air faussement contrit.

— Mianhae ! Je n'ai pas tenu ma promesse ...

— Gwaenchanha… Pas de problème.

서로 … (Vous vous connaissez ?), s’enquiers Eun-jung.

— Oui. 우리는 … (Oui. Nous avions parlé un peu ici il y a 2 ans.) ‘’Nous avons promis apprendre langage de l’autre. Depuis là je prends leçons français.’’

— Oh, je me rappelle maintenant. Vous avez tenu votre promesse, s’exclame Aimé. C’est vraiment bien. Dounia n’a même pas ouvert les manuels que je lui ai acheté.

— Papa…

La comprenant embarrassée, Na-ri vient au secours de sa copine :

— Dounia는 … (Dounia n'a pas besoin de prendre des cours, elle apprend très vite !)

— ‘’Non, non ! Depuis longtemps je voulais apprendre mais je avais pas le courage. Je dis merci Dounia !’,’ s’exclame vivement Ye-ji gênée d’avoir mise Dounia dans l’embarras, avant de rajouter pour Na-ri. 제가 … (C'est grâce à elle que j'ai appris. Elle était si cool que ça m'a donnée envie.)

Un groupe de clients entre dans le restaurant.

— Je dois aller … Merci Dounia. Je suis contente tu souviens mon nom.

Elle salue poliment et s’en va, souriante. Dounia se rassied, toujours un peu embarrassée mais surtout admirative.

— Waouh ! Elle parle super bien ! Elle est too much d’avoir tenu sa promesse. On avait parlé pas plus de 20 minutes la dernière fois…

— How did you … (Comment aviez-vous fait pour communiquer ?), demande Eun-jung en retournant la viande.

— Son père parle un peu anglais. On avait traduit. C’est la fille des propriétaires, explique Aimé. C’est impressionnant, elle ne parlait pas un mot de français il y a deux ans. Comme quoi, prendre des cours…

— Les cours ne font pas tout… N’est-ce pas Na-ri ?

Ne sachant sur quel pied danser, Na-ri regarde sa mère qui poursuit en saisissant une feuille de salade.

— 놀랐 … (Tu m’as surprise.)

Tous la regardent garnir la feuille de salade de condiments, d’un gros morceau de porc bien grillé puis la rouler et la tendre vers la bouche de sa fille.

— Didn't you … (N’avez-vous pas remarqué ? Na-ri a parfaitement suivi la conversation.) 네가 … (Je suis fière de toi.)

Prise de court, Na-ri ouvre la bouche et mache la préparation offerte par sa mère qui poursuit avec un débit un peu précipité.

— I was the one … (Je suis celle qui a fait cuire la viande. Votre première bouchée à tous est sous ma responsabilité.)

Un peu tendue, Eun-jung nourrit de même Dounia puis Aimé avant de se servir.

Plus tard…

Le repas est sur sa fin. Dounia regardant l’heure à son téléphone se lève :

— Sarah va arriver. Tu viens Na-ri ? On va l’attendre.

Précipitamment, Na-ri prépare une dernière bouchée avec le seul morceau de viande restant sur le grill. Elle se lève et, tendant la préparation vers sa mère :

— Eomma…

Surprise, Eun-jung ouvre la bouche et regarde sa fille rejoindre immédiatement Dounia qui l’attend près de la porte. Celle-ci lui prend la main et glisse à son oreille :

— Joh-ayo. (C’est bien.)

Les filles parties, Aimé commande une autre bouteille de bière, remplit les verres et lève le sien en direction de Eun-jung :

— A toi et à Na-ri. Tu verras, les choses s’arrangeront petit à petit.

— It breaks my heart … (Ça me brise le cœur de la voir comme ça et de ne pouvoir rien faire. Tu sais... Depuis deux ans, je… j’ai justifié ma lâcheté en me persuadant qu’elle ne pouvait qu’être heureuse avec son père. Ils s'entendaient vraiment bien.) Si je savais...

— C’était difficile entre vous ?

— ‘’Not really ... Les derniers ans, elle était un peu éloignée de moi but that's normal, she was a teenager.’’ Her father … (Son père lui passait tout alors je devais endosser le rôle du méchant. Il était vraiment doux et gentil avec elle. Je ne pourrais jamais assez le remercier pour ça... sachant qu'il n'était pas son père biologique.)

— Les liens du sang ne sont rien.

— You know … (Tu sais, j'ai grandi dans un orphelinat. Nous étions ostracisés à l'école et ma seule façon de me sentir bien était de travailler dur. Alors tout ce que j'ai fait c'est étudier. Je suis allé à l'université apprendre les langues vivantes grâce à une bourse et suis tombé amoureuse à la fin de la troisième année. Il était beau, agréable et sûr de lui. Le connard ... Toutes les filles lui tournaient autour mais il m'a courtisé pendant presque un an ... Ma résistance devait l'exciter. J'étais tellement naïve ... Bref, quelques mois plus tard il a soudainement disparu en apprenant que j'étais enceinte. J'étais désespérée. Je ne voulais pas avorter et ne me sentais pas la force de supporter le rejet que subissent chez nous les mères célibataires. C'est alors que le père de Na-ri a proposé de m'épouser. Je ne sais pas comment il l’avait appris mais il était au courant de mon état. Je le connaissais bien. Il travaillait au service administratif de l’université et s’était toujours montré gentil et prévenant avec moi. Voici mon histoire. Pathétique, non ?)

— Tu n’avais pas le choix. Ce sont les connards comme celui qui s’est enfuit qui sont pathétiques. Mais tu sais… J’ai un peu de mal à t’imaginer en jeune fille timide et naïve. You seem … (Tu sembles si forte…)

— Tu me trouves forte ? Merci... In fact, I was … (En fait, j'étais naïve mais pas timide. Je pensais juste que mon destin était de traverser la vie toute seule alors je m’étais fabriqué une armure en gardant une distance avec les autres.)

Eun-jung prend une main d’Aimé dans les siennes et pose sa tête sur son épaule.

— Tu me donnes de la force. I feel like … (J'ai l'impression d'avoir beaucoup changé ces derniers temps.)

— Je ne pense pas avoir ce mérite. You are … (Tu es bien plus solide que tu ne le penses.)

— Tu penses ? Peut-être, dit-t-elle, songeuse avant de s’exclamer, soudain ragaillardie : Then I … (Alors je serais assez forte pour deux ! Bon... Allons retrouver les filles.)

Dehors sur la place, deux cris de joie font se retourner les nombreux passants ; Dounia et Sarah s’élancent dans les bras l’une de l’autre.

………………….

Pendant ce temps à Susaek-dong, chez MM…

Deux containers empilés sur le côté d’une station-service, un escalier extérieur menant à celui du haut ; c’est la chambre de MM. À l’intérieur, c’est le bordel. Le petit lit est défait, des canettes de bière, bouteilles de soju et bols de Ramyun vides trainent partout, sur la petite table encombrée d’un réchaud de camping comme par terre. Basquets aux pieds, MM allongé sur son lit passe et repasse en boucle la vidéo volée de Hyun-ae engueulant Hee-jung. Il boit et reboit, déjà visiblement saoul, son visage exprime une haine féroce.

— 암캐! … (Putain ! Mais qu'est-ce qu'elle fout avec cette vieille gouine !)

………………….

Sur la place Eoulmadang. Sarah, Dounia et Na-ri regardent debout la performance de Elaine Kim accompagnée de sa pianiste. Heureuses de se retrouver enfin après deux ans, Sarah et Dounia sont enlacées, Na-ri restant un peu à l’écart. Dounia n’en oublie pas pour autant son amie, lui tenant la main et se penchant régulièrement vers elle pour lui parler.

Assis plus loin sur les marches de l’estrade en béton, Aimé et Eun-jung profitent de la mélodie, eux aussi enlacés mais amoureusement. Sarah les regarde, glisse un mot à l’oreille de Dounia puis vient les rejoindre. Aimé l’accueille chaleureusement.

— Ça fait vraiment plaisir de te revoir. Dounia est heureuse.

— Moi aussi. Il y a longtemps que vous êtes là ?

— Moi une vingtaine de jours. Dounia est arrivée une semaine avant.

— Comment… Elle est venue seule ?

— Elle ne t’a pas dit ? Elle m’a fait une belle frayeur…

Aimé finit d’expliquer.

— C’est comme ça que je l’ai retrouvée, grâce à Eun-jung. Na-ri est sa fille.

— Oui, Dounia m’a dit. Alors c’est ça le bonnet… Aïgo ! Quel phénomène cette Dounia ! s’exclame-t-elle avec un grand sourire surpris. Ça ne m’étonne pas, avec un père comme vous.

— Je vois que vous le connaissez bien, confirme en riant Eun-jung.

Sarah la regarde en souriant chaleureusement.

— 당신은 … (Vous faites un beau couple. Je suis heureuse pour lui.)

— 고마워요 ... (Merci... Mais cet idiot veut bientôt repartir.)

Sarah frissonne et ne peut réprimer un bâillement.

— Mianhae, je suis arrivée hier et j’ai peu dormi.

Eun-jung se lève.

— Il fait froid. Aimé, on va prendre un café entre filles. Sarah, come … (Venez, allons nous réchauffer.)

...................

Les deux femmes boivent leur café face à face au Café Ediya.

— Aimé m’a dit vous avez travaillé au i Guest house ?

— Oui, quelques heures par jour en échange d’un lit et des repas.

— Can I speak … (Puis-je parler anglais ? Je suis plus à l'aise avec.)

— Oui, bien sûr.

— Heard that … (J'ai entendu dire que l'ancienne manager était difficile.)

— Dounia m’a dit que vous l’avez remplacé. Excusez-moi de parler comme ça mais c’était une vraie garce.

Eun-jung éclate de rire.

— I like your … (J'aime votre franchise. Je comprends pourquoi Aimé vous apprécie.)

— Dounia et Aimé ont une place spéciale dans mon cœur. Vous savez, la première fois que je l’ai rencontré, j’ai cru qu’il me draguait, je le trouvais vraiment lourd !

— He's so … (Il est si maladroit avec les femmes...)

— Non mais là il était carrément chiant ! Je n’ai compris qu’ensuite pourquoi il était si insistant ; Il cherchait désespérément quelqu’un pour emmener sa fille en sortie le soir.

— Really? That’s … (Vraiment ? Ça c’est Aimé…)

— Il m’a fait une totale confiance, immédiatement… J’adore Dounia.

— I understand ... (Je comprends. Que pensez-vous de Na-ri?)

— C’est difficile à dire, on vient à peine de se rencontrer. Elle ne dit rien, écoute et observe tout… Je suis certaine qu’elle est très intelligente mais…

— Mais ?

— Ça m’ennuie de dire ça, vous êtes sa mère… Je trouve qu’il y a quelque chose de dur en elle. Oui, ses yeux sont tristes et durs… sauf quand elle regarde Dounia.

— It shows ... (Cela se voit tant...) C’est très dur pour elle, la vie ces deux derniers ans. We have been … (Nous avons été séparés. Nous venons de nous retrouver, grâce à Aimé et Dounia.)

— Ah… En tout cas, elles s’adorent avec Dounia, ça c’est certain.

— They are inseparable … (Elles sont inséparables. Malheureusement, Dounia devra partir, Aimé aussi.)

Sarah regarde Eun-jung faire tourner le café dans son mug, elle est visiblement très émue :

— Le monde est petit… Je suis certaine qu’Aimé ne demande qu’à rester. Dounia vous aidera.

— Aimé… He's sick. (Aimé… Il est malade.)

— Hein ?

— A cancer … (Un cancer… C’est guéri, mais il a aussi une leucémie chronique… et nous venons de le lui trouver de sérieux problèmes cardiaques.)

Sarah la regarde bouche bée :

— Quoi ?! Putain, il a eu un cancer lui aussi ?

Les deux femmes s’enferment dans un long silence que Sarah brise en premier.

— La vie est une saloperie… Dounia sait ?

— Yes.

— Allons-y, je veux être près d’elle.

— Oui… Let's … (Oui… Prenons-leurs des boissons chaudes.)

Sarah et Eun-jung rejoignent Aimé et les filles qui les attendent, assis sur les marches. La musique est finie, le public est parti et les passants sont moins nombreux. Sarah donne à Dounia et Na-ri leurs capuccinos caramel et, s’asseyant d’autorité entre les deux filles, elle enlace leurs épaules et leur fait à chacune un gros bisou sur la joue. Na-ri la regarde, surprise.

— 당신이 … (Si tu es l'amie de Dounia alors tu es aussi mon amie. Appelle-moi Eonni… Yeodongsaeng.)

Le merveilleux sourire de Na-ri apparait alors pour la première fois de la soirée.

— 와! … (Wow ! Tu es trop belle quand tu souris !)

………………….

A Susaek-dong, Hee-jung entre sans frapper dans le container de MM et vient s’assoir sur le lit près de lui. Elle a l’air remontée. MM attrape une bière au sol, l’ouvre et la lui tend. Comme elle refuse, sombre, il demande.

— 이제 ... (Quoi encore...)

— 내 … (Mon beau père est de retour...)

Il agite la canette devant son visage.

— 그를 …. (Lâche-le. Tant qu'il ne te touche pas…)

Exaspérée, elle repousse un peu trop vivement sa main, renversant un peu de bière sur son ventre.

— 나는 … (J'ai dit que je n’en veux pas. T’es déjà saoul ou quoi !)

Il se redresse, furieux.

— 야 ! … (Hé ! Casse-toi si t'es venue pour me faire chier !)

Hee-jung se tait. MM pose sa bière au sol et l’attire à lui pour l’embrasser mais elle le repousse sans ménagements.

— 오늘 … (Pas ce soir. J'ai pas envie.)

Il revient à la charge, à peine moins lourd.

— 어서 ... (Allez arrêtes... T'as jamais refusé un p'tit coup.)

— 하고 … (J'ai pas envie !)

— 섹스하고 … (Qu'est-ce que tu viens foutre ici si t'as pas envie de baiser !)

— 편안 … (Le réconfort, tu sais ce que ça veut dire ? C'est de ça que j'ai besoin !)

MM ricane en revenant à la charge, ses mains essayant de se glisser sous sa jupe :

— 편안? … (Du réconfort ? Toi ? Laisse-moi rire.)

Elle le repousse brutalement.

— 젠장 … (Putain mais t'es trop con dès fois ! J'ai dit que j'ai pas envie ! En plus j'ai pas de capotes et t'en as jamais.)

Il la regarde d’un air mauvais.

— 그 … (Tu préfères baiser avec la vielle gouine ?)

— 무슨 … (Qu'est-ce que tu racontes là ?)

— 당신은이 … (Ça fait trois jours que tu traines avec elle et ses petites salopes !)

Elle se recule, subitement sur la défensive.

— 나를 … (Tu m'espionnes ?)

— 내가 … (Tu sais où je l'ai vu entrer l’artiste ? Au Pink Hole à Hongdae, la plus grosse boite lesbienne de Seoul ! Ça me dégoute de penser que tu puisses bouffer sa vieille chatte !)

Dépassant le stade de la stupéfaction, Hee-jung soudain explose, méprisante :

— 당신은 … (Tu dis vraiment n'importe quoi... Et même si c'était vrai, qu'est-ce que ça pourrait te foutre que je lui bouffe la chatte, connard ! Tu as peur que je la préfère à ta petite bite ?)

MM soudain cogne, sans préavis et sans retenue. Son poing frappe l’œil d’Hee-jung avec une telle violence qu’elle est projetée en arrière, sa tête heurtant brutalement le tube en acier du pied de lit. Elle perd connaissance…

D’abord c’est un mal de crâne, si fort qu’il masque presque la douleur de son œil gauche, puis c’est ce poids, énorme sur son corps qui l’empèche presque de respirer. Hee-jung sort lentement des vapes. Elle finit par ouvrir un œil, le droit, le seul qui le veut bien.

L’épaule de MM apparait en premier, suivi par ses fesses nues quand elle relève un peu la tête. C’est là qu’elle prend conscience de la sensation poisseuse entre ses cuisses écartées et comprend immédiatement. Elle est abasourdie ; le fils de pute a osé… Et en plus il s’est endormi sur elle… Le gros porc ! C’est la colère en premier qui domine. Elle essaie de repousser le corps avachi sur le sien mais il est trop lourd. Elle tente encore, se dégage un peu. Dérangé dans son sommeil d’ivrogne, MM finit par se retourner de lui-même sur le dos et se met à ronfler.

Elle se redresse péniblement, s’assied sur le bord du lit, regarde sa culotte trainant au sol et tire machinalement sur sa jupe retroussée sur ses cuisses, cheveux défaits. Jamais elle ne s’est sentie aussi misérable… Elle se lève, ramasse son sous-vêtement, l’enfile puis attrape un couteau trainant sur la table. Revenant près du lit, elle regarde la verge flasque et avance le bras. Tout son corps tremble de rage…

Non, elle ne peut pas, elle serait pire que lui. Alors elle jette le couteau par terre, ramasse son téléphone tombé au pied du lit, prend son manteau et s’en va, laissant la porte ouverte.

………………….

A Donggyo-dong, Eun-jung rentre chez elle, suivie par sa fille. Masquant son manque d’assurance, elle désigne le canapé en prenant un air exagérément enjoué.

— 우리는 … (On dort très bien ici. Tu verras. Je t'apporte ce qu'il faut.)

Empressée, elle part dans sa chambre et revient avec une couette et un oreiller qu’elle pose soigneusement au bout du canapé. Puis elle va chercher deux bières et un sachet de calamars séchés qu’elle pose sur la table. Elle ouvre les canettes, en donne une à sa fille et vient s’assoir près d’elle.

— 당신은 … (Tu aimes la bière... Comme moi.)

Na-ri hoche la tête.

— 처음 … (Tu te souviens quand tu y as goûté pour la première fois ?)

Na-ri dénie de la tête et demande :

— 그리고 … (Et Dounia ?)

— Aimé의 … (J'ai rajouté un lit dans la chambre d'Aimé au Guest house.)

Na-ri hoche la tête. Sa mère continue comme si elle n’avait pas été interrompue.

— 당신은 … (Tu devais avoir 11 ou 12 ans. J'avais laissé une canette de bière entamée sur la table pour aller aux toilettes. Quand je suis revenue, tu la buvais à grosses gorgées. Je ne sais pas pourquoi je me suis cachée et je t'ai regardée sans rien dire. Tu faisais la grimace entre chaque gorgée mais tu y revenais quand même. Tu étais drôle...)

— 그래서 … (Tu me regardais ? Je ne savais pas. J'avais peur que tu m'engueules en trouvant la canette presque vide.)

— 그래서 … (Alors tu t'en souviens...)

Un silence gêné s’installe, tendu même. Dans un geste un peu précipité, Na-ri tend le bras pour prendre un calamar au moment même où sa mère saisit sa bière. Les deux bras se percutent et la manche de Na-ri se retrouve trempée. Eun-jung se lève précipitamment.

— 미안해! … (Pardon ! Je vais nettoyer.)

— 아니 … (Non, non ! Tout va bien !)

Sans écouter, Eun-jung revient avec une serviette et saisit le poignet de sa fille qui se dégage vivement. Ne se laissant pas impressionner par son regard farouche, Eun-jung attrape sa manche des deux mains. Les deux luttent un instant puis Na-ri repousse brusquement sa mère en se levant.

— 충분 … (Ça suffit maman !)

Eun-jung reste figée en regardant l’avant-bras de sa fille découvert par la manche retroussée pendant l’affrontement. Désignant les marques bleues encore bien visibles des plus récents hématomes, elle demande :

— 그게 … (C'est quoi ça ?)

Na-ri recouvre vivement son avant-bras sans répondre. Sa mère tend la main.

— 보여줘 ... (Montre-moi… Montre-moi je te dis !)

— 아니 ! … (NON ! Ça ne te regarde pas !)

Les deux s’affrontent, la tension monte.

— 당신이 … (Que ça te plaise ou non, je suis ta mère. Dis-moi qui t'a fait ça.)

— 뭐? … (Quoi ? Ma mère ? Je n'ai plus de mère depuis deux ans ! Pour moi tu es morte !)

Eun-jung accuse le coup.

— 나리 ... (Na-ri… Je…)

— 닥쳐 ! … (TAIS-TOI ! Tu n'as aucun droit sur moi !)

Eun-jung comprend soudain que rien ne pourra arrêter sa fille. Elle la regarde, cœur battant, prête à tout entendre.

— 아빠가… (T’étais où quand papa est mort !? T'es même pas venue à son enterrement ! T’étais où quand grand-mère me frappait à coups de bâton !? Oui regarde ! C'est comme ça qu'elle l’aime sa petite fille ! En me traitant de salope chaque jour ! Tu sais combien de fois elle m'a foutu à la porte en pleine nuit ! Tu sais combien de nuits j'ai passé dans la colline !? Tu sais combien de fois j'ai voulu mourir !? TU ÉTAIS OÙ TOI !!!!)

Sa dernière phrase, Na-ri l’a hurlé, son visage presque à toucher celui, décomposé, de sa mère.

Effarée, yeux écarquillés, Eun-jung ne pleure même pas. Elle est choquée, tétanisée par ce qu’elle vient d’entendre. Le remords et la honte ne la rongent pas, ils explosent, elle n’est plus qu’eux. Elle reste ainsi, tremblante, jusqu’à ce que Na-ri se redresse. Alors elle n’a qu’un réflexe, celui de s’enfuir, de se cacher de sa fille, du monde, d’elle-même. Sans savoir comment, elle se retrouve dans l’obscurité des toilettes, porte fermée à clef. La nausée monte, elle vomit.

………………….

Aimé et Dounia arrivent précipitamment chez Eun-jung. Affolée, Na-ri s’accroche au bras de Dounia en désignant la porte des toilettes.

— Dounia ! 엄마 … (Dounia ! Eomma… Elle est là. Ça fait longtemps ! Elle ne répond pas !)

Anxieux, Aimé toque à la porte.

— Eun-jung ? C’est Aimé. Ouvre la porte s’il te plait.

Pas de réponse. Il se tourne vers Dounia et lui donne une clef.

— Emmène Na-ri au Guest house. Je vais rester. Je vous appellerais.

Prenant sa main, Dounia entraine dehors Na-ri qui se laisse guider sans réagir.

---------------------------------

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Laurent T. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0