Chapitre 3

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Le groupe de Dias marchait encore et encore vers le sommet qui se tenait devant eux. La forêt luxuriante ne permettait pas de voir aux alentours et seul l'espoir permettait de continuer l'ascension qu'ils avaient entamée.

La faune et la flore leur paraissaient enchantées, des multitudes d'oiseaux vivaient en harmonie, chantant une divine symphonie. Les arbres étaient si hauts que les explorateurs ne pouvaient voir les oiseaux qui s'y cachaient. Dias, d'un pas fort et assuré ne prenait pas le temps d'apprécier ce spectacle, il était encore plus froid que d'habitude.

Silvio et Polo le suivaient, accompagnés des officiers. Tandis que le jeune mousse, qui traînait le pas, peinait à fermer la marche. Ils formaient ainsi une drôle de compagnie d'explorateurs.

Soudain, alors que Max observait les oiseaux sans regarder devant lui, il se cogna la tête dans les fesses d'un des officiers et tomba à la renverse.

— Oh ! Ça va pas de rester dans le chemin comme ça ?

— Regarde ton chemin petit ! Au lieu de flâner la tête vers le ciel !

Max, assis, regardait la troupe qui le dévisageait, ils s'étaient entassés et avaient stoppé la traversée.

— D'ailleurs, pourquoi est-ce qu'on s'arrête ? lança le petit mousse.

Un officier répliqua :

— C'est vrai ça ! Pourquoi on s'arrête ?

Un autre assura :

— On suit le capitaine !

— Alors capitaine on fait quoi ? demanda celui qui venait d'accueillir la tête du mousse sur ses fesses.

Tous se retournèrent, n'ayant eu de réponse du capitaine. Ils furent forcés de constater que Dias n'était plus là !

Polo, Silvio et Max se regardèrent intrigués.

— Capitaine ! cria un soldat.

— Vous êtes là ? répliqua un autre.

Après quelques secondes de chaos au sein de la troupe, une voix se fit entendre :

— Par ici sombres idiots !

Bien que la voix était éloignée, le ton qu'elle venait de prendre était clair. Cela ne pouvait être que Dias. En même temps, qui cela aurait-il pu être sur une île apparemment déserte.

Au camp, les matelots installèrent tentes, cuisine et de quoi se protéger de la nuit. Tout se déroula avec une précision chirurgicale, ils savaient exactement quoi faire et pourquoi le faire. Un accostage comme celui-ci, ce n'était pas le premier qu'ils faisaient. Un des mousses avait déjà eu le temps de fabriquer une sorte de harpon en bois, pour la chasse. Et sur le navire, les murmures de la cale ne cessaient pas. Et Kalla, la dame aux épices que Dias avait traité sorcière, décida de jouer de ses tours et de s'emparer du Lamentin.

L'après-midi passa vite et le soleil ne tarda pas à se coucher. Au début du soir, le camp chaleureux profitait d'un grand feu, celui-ci éclairait à plus de vingt mètres aux alentours et donnait du caractère à la chanson que fredonnaient les mousses et les timoniers. Les explorateurs quant à eux n'étaient pas encore revenus de la forêt. Ils se faisaient attendre d'autant plus qu'ils étaient aussi chargés du repas. En cas d'échec ils pouvaient manger quelques pommes de terres bouillies mais un bon gibier n'aurait pas été de refus à en croire la tronche que faisaient les soldats, qui trinquaient dans leur coin, comme toujours.

Heureusement pour eux, la voix de Dias résonna dans la forêt.

— Avancez sombres idiots !

Le camp fut rassuré. Les explorateurs étaient tout près. Quelques secondes plus tard, Max sortit des branchages suivi de Silvio et de Polo qui tenaient dans leurs mains des perches sur lesquelles étaient empalés des dizaines de poissons. Dias fermait la marche cette fois-ci.

Chacun des marins vaqua à son occupation tandis que Polo prépara les brochettes de poissons grillés.

Silvio et Max s'assirent près du feu, Dias s'en était éloigné le plus possible, dissimulé dans l'ombre, il observa longuement la côte.

— Je la sens pas cette île, marmonna le second.

— Pourquoi ça ? lui demanda le mousse.

— Je ne sais pas petit Max, j'ai un pressentiment.

— La dernière fois que t'as eu un "pressentiment" on a frôlé la mort !

— Silence petit mousse ! Ne reparle plus jamais de ça, tu ne voudrais pas que le capitaine change d'avis.

— Il ne ferait rien à un mousse !

— Le capitaine d'avant peut-être. Celui-là, il est malsain.

Brusquement Max sursauta. Une brise glaciale venait de lui traverser le corps.

— Il fait un froid atroce !

Silvio ne lui prêta aucune attention, son regard était maintenant pointé en direction de Dias.

— Qu'est ce que je disais, dit-il.

Max suivit le regard du second, observa le capitaine à son tour et celui-ci tourna la tête vers leur direction. Les jeunes marins détournèrent le regard de façon indiscrète. Ils ne dirent plus un mot jusqu'à ce que Polo déclare que le repas était prêt.

Dias en profita pour se retirer plus loin sur la plage. Il marchait d’un pas calme et reposé dans la nuit qui était sombre. La lune n’était pas visible en raison des nuages qui parcouraient le ciel à ce moment-là. Alors que Dias regardait l’horizon, une voix féminine résonna derrière lui.

— Ils se posent beaucoup de questions depuis les Indes.

— Je le sais, répondit Dias.

— Et tu penses qu’ils comprendront ?

— J’ai compris, non ?

— Oui mais toi, tu me connais plus que tous, Diego.

Une dame apparut de nulle part et vint se placer à ses côtés, face à la mer.

Elle était habillée d’une grande robe raffinée de couleur blanche. Sa peau métissée et les traits de son visage ne trompaient pas, elle était Indienne. Et à en juger par ses habits, elle provenait d’une grande famille. Ses longs cheveux noirs descendaient jusqu’à ses genoux. La dame ne semblait pas être dérangée par la froideur de la brise d’hiver et encore moins par le sable mouillé qui se collait sous ses pieds nus.

Dias se tourna vers elle et lui caressa la joue. La tentative fut inutile, car sa main traversa le spectre.

— Taly, ma Taly, on pourrait peut-être rester ici. Je ne pense pas pouvoir retourner à une vie normale.

— Je suis certainement la chose qui est venu bousculer ta vie paisible ? s’énerva t-elle.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire !

Dias pouvait essayer de s’excuser, la dame disparut à l’instant, le laissant de nouveau seul sur la plage.

Lors de cette soirée si simple et banale pour les Morgabins, pendant que les marins apprentis explorateurs fêtaient leur première soirée sur l'île, sur le Lamentin, la situation se précisait de plus en plus. Il paraissait évident qu'un combat serait mené.

Les prisonniers venaient de passer plusieurs heures à réfléchir au plan qu'ils appliqueraient pour gagner leur liberté. En effet, aucun d'entre eux n'avait fait l'effort d'admettre l'idée de l'autre, ils n'étaient guère soudés. En particulier les hommes qui se battaient entre eux à coup d’insultes à défaut de pouvoir faire autre chose.

Les bagarres de prisonniers arrivaient souvent lors des voyages comme celui que le Lamentin connaissait. Et pour éviter les morts et les rébellions, les chaînes étaient dispersées dans la cale. Tous se tenaient à demi-allongés et à des mètres de distance. La querelle faisait rage pendant que le temps se perdait. Sans que quiconque ne l'attende, Kalla se mit debout. D'un soupçon de magie, elle s'était libérée seule et sans aucune aide. Tous étaient respectueux et appliquèrent, à la lettre, les instructions de la vieille femme.

Le soir approchait et en l'absence de Polo, le souper allait être distribué par un des mousses. Il n'avait qu'à réchauffer la bouillasse du midi et à l'amener aux prisonniers. Bien évidemment, celui-ci ne soupçonnait guère ce que Kalla avait en tête et lorsqu'il ouvrit la porte, il fut forcé d'obtempérer en appelant de toutes ses forces :

— Au secours ! Les prisonniers s'échappent ! Ils s'échappent !

Les marins du pont accoururent aussi vite que possible et entrèrent dans la pièce à leur tour. Le mousse était ligoté et à peine eût-il le temps de les prévenir du piège que la porte se referma derrière eux.

La machination de Kalla eut été des plus efficaces et les nouveaux responsables du vaisseau étaient les plus heureux de cette soirée d'hiver austral.

Tous les esclaves montèrent sur le pont pour respirer l'air frais de l'extérieur. Kalla observa la côte avec une longue vue. Sans tarder, elle demanda aux hommes de rassembler armes et outils, selon ce qu'il restait sur la frégate. Quant aux femmes, elles rassemblèrent toutes les vivres qu'elles trouvaient ici et là. La suite, Kalla l'avait bien imaginée. Il allait être impossible d'envisager de s'en aller en possession du Lamentin. Ils n'étaient pas assez nombreux pour mener à bien un tel périple et surtout, où iraient-ils ?

Kalla choisit alors d'attendre une chaloupe et de la subtiliser. Puis, se cacher sur l'île semblait beaucoup plus simple pour une équipe dont la condition physique avait longtemps été malmenée par l'exploitation et les punitions des maîtres. Et de toute façon, elle savait que le capitaine Dias n'allait pas attendre de peut-être pouvoir les retrouver. D'autant plus que la présence de prisonniers sur le navire n'était guère des plus légales. S'ils arrivaient à se cacher, ils gagneraient leur liberté.

Le lendemain matin, ils furent heureux de voir une chaloupe s'approcher. Polo devait récupérer des épices sur le navire et il était accompagné de deux mousses pour cette mission. Il avait beau être assez costaud, lorsqu'il comprit la situation, il n'eut d'autre choix que de céder l'embarcation. Les forcenés lui demandèrent des renseignements et comme la chance les accompagnait, la dérive vers le sud de l'île se fit sans attendre puisqu’au départ du cuistot, la compagnie de Dias avait repris sa mission en tentant d'atteindre les plaines du nord.

Polo libéra les marins qui étaient emprisonnés et ensemble ils regardèrent les Noirs gagnant encore un peu plus de liberté.

Dias ne se doutait pas de ce qui venait de se passer. Il avait toujours plus d'un œil pointé sur Max et Silvio. Les officiers les suivaient en traînant le pas suite à une soirée quelque peu arrosée en alcool. La compagnie longea la rivière et descendit les remparts. Au bout de quelques heures de marche, les marins s'arrêtèrent pour faire une pause.

Les forêts de Dina Morgabine cachaient d'immenses secrets. Les explorateurs portugais ne le savaient pas mais autour d'eux jaillissait un souffle de magie. Cependant, ils n'allaient pas tarder à s'en rendre compte. Les papillons de multiples couleurs tournèrent autour de Max qui était ébahi par le charme que les insectes lui faisaient. Tout d'un coup, sortit des arbres une paire de perroquets qui vint se poser sur les épaules d'un des officiers. Celui-ci en fut surpris et sursauta.

— Mon capitaine ! Mon capitaine ! cria-t-il d'une voix frêle, presque féminine.

Silvio dut se retenir d'éclater de rire. La paire de perroquets s'envola d'affolement et atterrit sur ses épaules. Il ne bougeait plus, stupéfait par la prestance des oiseaux qui se donnaient en spectacle.

— Ah ! On fait moins le malin maintenant ! lui déclara l'officier.

— J'ai pas peur moi ! Elles sont gentilles ces petites bêtes.

Silvio attrapa l'un des deux, la femelle, et la garda dans ses mains. L'autre, le mâle, s'envola par peur du mouvement brusque.

— Ka-Frine ! Ka-Frine ! dit le perroquet en se trémoussant. Max était fasciné, sa réaction fut rapide :

— Silvio on dirait qu'elle t'a adopté !

— On dirait bien petit mousse ! Alors comme ça tu t'appelles Kafrine ! Très bien, enchanté petite bête.

Kafrine s'imposait face à la verdure de la forêt de par son plumage rouge magmatique et semblable à une flamme rougeoyante dans la nuit. Une de ces flammes que l'on n'éteindrait pas avec un simple seau d'eau.

Dias, qui observait la scène, détourna le regard subitement lorsqu'il entendit au loin le déplacement vif d'une bête qui se dirigeait vers eux. Il sortit son pistolet, arma et dirigea le canon face à sa position. Dès que la bête sortit il visa et tira d'un coup sec. L'explosion qui s'en dégagea avait pu être entendue à des kilomètres à la ronde en raison de la structure des montagnes et du calme qu'elle entraîna ensuite. Les oiseaux et insectes s'en allèrent de peur. À l'exception de Kafrine qui ne réagit pas et fixa Dias comme tous les marins le faisaient eux aussi. Le capitaine rangea son arme et s'approcha de la bête dont il avait eu raison en un seul coup centré en pleine poitrine.

La prise était un grand volatile blanc au bec long et pointu. Il ne le savait pas à ce moment mais la grosse volaille qu'il venait d'abattre était en réalité un ibis, oiseau terrestre et sacré des Morgabins.

— Superbe prise mon capitaine ! cria l'un d'entre eux.

— Ça sent la bonne grillade avec ce que Polo va ramener du Lamentin ! assura un autre.

— Attachez moi ça sur une perche et rentrez au camp. Tic et toc, Silvio et Max, suivez moi. On rentrera cette après midi au camp.

— Je me faisais une joie de manger de ce poulet, dit Tic.

— Et moi donc, dit Toc.

Tic et Toc étaient deux officiers très discrets. Ils ne parlaient pas beaucoup et ne faisaient preuve de perspicacité que lorsqu'ils ouvraient la bouche, ce qui arrivait rarement. Le choix de les garder pour la suite de l'exploration du jour devait êre dû au besoin en muscles. Tic et Toc étaient les plus musclés des soldats de cette compagnie, mais ils n'étaient pas très grands et ne mesuraient qu'un mètre cinquante-cinq pour Tic et un mètre cinquante-six pour Toc. Une différence qui suffisait à déclencher bon nombre de bagarres entre les deux frères d'armes.

Silvio et Max quant à eux n'étaient pas contre la prolongation de cette expédition. Ils reprirent la route vers le nord pendant que les autres officiers retournèrent au campement.

Le coup de pistolet du capitaine n'avait rien de discret car il se fit entendre jusqu'au village Nord des Morgabins. On put voir depuis le boucan les nuées d'oiseaux quittant la forêt. Ceux qui avaient provoqué cela étaient proches et dangereux. Oan savait pertinemment ce que cela allait entraîner, il connaissait le bruit des armes. Dans un mouvement de panique, lui et Gaspar rassemblèrent chacun des membres de la tribu. On ne saura pas, encore aujourd'hui, comment ? Mais Gaspar avait déjà, à ce moment-là, demandé à Oryan et Taly de préparer de quoi faire une traversée. Il semblait savoir ce qui se passait dans l'ombre, à l'est.

En l'espace d'une heure, les villageois avaient plié bagage et étaient sur le point de se rendre dans l'ouest en empruntant le chemin escarpé de la grande montagne séparant les deux villages. Seule la fuite allait leur permettre de gagner du temps. Les Morgabins méfiants d'un ennemi inconnu, craignaient le pire.

La nouvelle invention d'Oan fut très utile, une fois de plus. Il tressa du vakwa pour en faire un sac léger pouvant être porté par tous. Cela devait servir à rapporter du bois plus facilement, mais le transport de vêtements et de nourriture semblait dans ce cas précis y être bien plus adapté. Émil avait eu le sien. Il le portait avec fierté et détermination car il ne pensait qu'à une seule chose. Il devait retrouver ce Simendéf; à défaut de pouvoir s'approcher des étrangers.

Quelques minutes plus tard, après avoir gravi une vingtaine de mètres de hauteur, Émil stoppa la marche et observa à travers les arbres le village qu'ils laissaient derrière eux. Il vit alors l’arrivée de Dias sur la plaine précédant les kazs. Et à l'arrière, suivant la compagnie, Émil aurait juré voir une femme qui regardait vers la montagne.

Gaspar l'interrompit pour observer la scène à son tour. Il prit ensuite la parole.

— Nous ne reviendrons plus ici, plus jamais. Prenez le temps de dire au-revoir à votre vie au nord. Nous allons maintenant vivre à l'ouest, pour combien de temps, qui sait ?

Ce que je sais c'est que nous n'avons pas d'autre choix. Reprenons la marche et faites attention à la marche, discrétion et sécurité avant tout. Ils ne viendront pas nous chercher et une fois au sommet, nous pourrons camper sur la montagne.

Le groupe reprit la traversée. Oryan et Taly ouvraient le chemin pendant qu'Oan et Gaspar le fermaient. À la tombée de la nuit, la tribu avait atteint le sommet de la montagne et s'éloignait du rempart pour y installer un campement de fortune. Ils entouraient un feu, essentiel à leur survie lors de cette froide nuit.

Le groupe que menait le capitaine portugais décida de camper au village. Ce qui entraîna l'inquiétude des autres matelots au camp. De plus, ils n'avaient pas eu de nouvelles du Lamentin et avaient dû faire griller leur prise avec le peu d'aromates qu'il restait. Ils s'inquiétaient peut-être plus pour l'épice sur ladite volaille plutôt que sur le sort de leurs semblables. L'alcool n'aidant pas, il servit à combler le manque. Tous étaient saouls, même les mousses picolèrent, en l'absence d'un véritable commandement. Silvio et Max étaient surpris. Ils avaient fait le tour du village pour en déceler les secrets. La nuit tombée, ils mangèrent des patates et du poisson qu'ils trouvèrent. La question qui les troublait au plus au point était la suivante :

— Où sont les habitants de ce village ? demanda Tic à haute voix.

— Ils ne sont plus là ! assura Toc.

— Peut-être qu'ils arriveront plus tard.

— Tu penses Tic ? Je n'en sais trop rien.

— Mais si Toc. Sinon, pourquoi seraient-ils partis ?

— Pour revenir probablement, tu dois avoir raison Tic.

Dias se promenait sur la plage pendant que les compères profitaient de la soirée accompagnés de la ravissante Kafrine qui subjuguait Silvio. Il la trouvait diablement attachante. Le ciel s'était dégagé, ce qui permit à Max de regarder vers le ciel et de scruter les étoiles. Il ne se doutait pas qu'au sommet de la montagne, les villageois eux-aussi, pouvaient profiter de ce magnifique ciel étoilé.

Émil ne trouvait pas le sommeil, lui contrairement à ses proches, regardait le ciel et pensait. Il n'avait relevé aucun indice et pas l'ombre d'une trace de Cory sur le sentier. Pendant que les autres dormaient, il attrapa une branche dans le feu en guise de torche et se mit à explorer les alentours en esquivant Gaspar, chargé de garde.

Durant la nuit, les ténèbres faisaient voir tout et n'importe quoi. Les formes aléatoires se métamorphosaient en les peurs et les cauchemars de chacun. Le jeune garçon n'en avait que faire, son courage prenant le dessus et sa détermination aussi solide que le roc, il continuait de marcher.

Dans la noirceur, il entendit une mélodie. Elle provenait des arbres et il s'en rapprochait à mesure qu'il avançait. Le jeune garçon avait dérivé au sud du campement, s'engouffrant de plus en plus dans les arbustes qui l'entouraient. Face à lui se dressait une grande forêt de bambous, il y entra. La musique devenait plus forte et elle semblait l'appeler.

Un rythme régulier était frappé devant lui. Ceux qui jouaient se cachaient juste derrière un grand rideau de bambou. Le jeune Morgabin écarta les tiges et s'y infiltra. Ce qui se trouvait derrière était surprenant. Trois enfants dansaient autour d'un feu pendant qu'une jeune fille jouait d'une sorte de tambour sur lequel elle était assise.

Émil n'en croyait pas ses yeux. Eux, ils ne pouvaient pas être là, qui étaient-ils ? Le jeune garçon regarda le spectacle jusqu'à ce qu'un d'entre eux ne vienne le bousculer. Celui-ci se mit à l'observer pendant que les autres, qui n'avaient rien remarqué, continuaient leurs festivités. Le regard d'Émil croisa celui du tout petit garçon. Mais c'était inévitable, des larmes roulèrent dans ses yeux. Soudain, il pleura. Son cri strident stoppa la musique et attira les regards vers lui. Il ne fallut que peu de temps pour que tous se retrouvent à fixer Émil du regard. D'une synchronicité irréprochable, les deux enfants rejoignirent leur camarade dans un couinement attristé de détresse.

Seule la fille qui jouait du tambour garda son sang froid. Elle se leva et vint faire face à l'intrus.

— Dis-donc, toi. Ça ne va pas de faire peur aux petits comme cela ? Ton Dadabé ne t'as-t-il rien appris ? Et puis, pourquoi tiens-tu cette branche, tu ressembles à un homme avec ça. Et avec tes cheveux secs et ébouriffés, ne serais-tu pas plutôt un petit gobelin ?

— Un dadabé ? Un gobelin ? Qui êtes vous ? Vous venez du village de l'ouest ? Je suis Émil du village du Nord.

— Oh ! Un humain !

Les enfants se cachèrent derrière la jeune fille qui se tenait encore plus sur ses gardes. Elle reprit cependant :

— Comment peux-tu nous voir ?

— Vous aussi vous êtes des spectres ?

Ça tombe bien que je vous rencontre, je suis à la recherche d'un certain Cory Simendèf, lui et moi avons à nous expliquer.

— Tu connais Dadabé ! murmura un des petits en ouvrant grand ses yeux.

— Chut ! lui dit son camarade.

— Oups je n'aurai pas dû dire ça !

— Et bien non petit crétin ! assura la fille, les yeux rivés vers Émil.

— Vous le connaissez ! Où est-il ?

Le Morgabin avait beau insister, des minutes et des minutes encore, personne ne lâcha d'information quant à l'endroit où il pourrait trouver Cory. Tant de questions fusèrent dans les pensées d'Émil. Et sans qu'il ne s'en rendit compte il était perdu, oubliant l'étrange quatuor qui se tenait toujours devant lui.

— Eh oh !

— Il ne bouge plus Sika, c'est normal ?

— C'est un tour du petit gobelin, faites attention ! dit-elle.

— Dommage que Dadabé ne soit pas là !

Pendant qu'Émil regardait dans le vide et que les enfants de la forêt s'interrogeaient entre-eux, une silhouette sortie de l'ombre en entrant dans la cachette. Sika et les trois petits le virent arriver et l'on pu voir sur leurs visages le réconfort d'une présence amicale.

Cory Simendèf se tenait juste derrière le jeune garçon, il lui tapota sur l'épaule et dit :

— Tu me cherches, petit.

Émil se retourna et surpris, il rétorqua :

— Simendèf. Sale spectre.

— Hola hola doucement petit chamane, je suis un esprit de la forêt. Pas un vulgaire spectre !

— A cause de toi personne ne me croit au village ! Tout le monde pense que je suis fou. Même Alysia ne semble pas être convaincue de ton existence ! Alors, pour réparer ton tord, tu vas venir avec moi ! On va tout mettre au clair.

— Du calme, du calme, du calme. Émil, n'as-tu rien remarqué d'étrange depuis notre dernière rencontre ?

— Non rien. Enfin, si. J'ai cette vilaine tâche sur le bras !

— Ce n'est pas une tâche ! C'est la marque des chamanes ! dit Sika.

Les trois enfants repliquèrent intrigués :

— La marque des chamanes !

Ils regardèrent le bras d'Émil de la façon la plus détestable, celle qui faisait de lui une monstruosité.

— C'est quoi un chamane, Dadabé ? se demanda un des petits.

— Un chamane est un être magique qui vit en harmonie avec la nature et les esprits. Autrement dit, avec nous.

— Alors, il est notre copain ? en demanda un autre.

— Je l'espère, murmura Cory en observant de plus près la marque.

La marque d'Émil formait une sorte de rond qui s'étendait jours après jours. Le grand esprit attrapa le bras du garçon d'une prise sèche et rapide, une bonne poignée de main dont leurs avants-bras se touchant instantanément. Une grande lumière aveuglante survint alors et déconcerta le groupe. Le rayon lumineux était si fort et si perçant, qu'Émil dû fermer ses yeux. Lorsqu'il les ouvrit, Cory avait disparu et la marque qu'il avait au bras s’était changé en un motif en spirale plutôt complexe.

Sika se tenait droite, méfiante.

Les enfants ne dirent rien, qu'auraient-ils pu dire ? Leurs Dadabé venait de disparaitre et peut-être qu'il n'allait jamais revenir, c'est ce qu'ils pensaient.

Émil avait ressenti le changement qui prenait forme, son bras dégageait une forte chaleur, il l'observa un moment et releva sa tête. Il ressenti naître en lui une force titanesque. Lorsque son regard croisa celui de Sika, il remarqua qu'elle semblait être étonnée. Et il avait de quoi l'être car au dessus de l'épaule du jeune garçon flottait une lumière brune, un petit nuage rempli d'électricité. Celui-ci ouvrit les yeux car il en avait. Dépourvu de bouche et d'autre caractéristiques, la forme était étrange. Elle regarda Sika et la voix de Cory se fit entendre.

— C'est bien ce que je pensais. Nous voilà liés, jeune chamane !

Émil se retourna pour découvrir la sphère lumineuse flottant à ses côtés.

Simendèf était devenu cette petite boule d'énergie, rien à voir avec le grand gaillard qui se tenait là quelques instants plus tôt.

— Cory ? demanda l'assemblée encore surprise.

— Et qui voulez vous que ce soit d'autre ?

— Que veux-tu dire par lié, Simendéf ? interrogea Émil.

— Toi et moi ne pouvons plus nous séparer. Du moins, je ne peux plus me séparer de toi. Tu devras me supporter j'en ai bien peur. Et avant que tu me poses une autre de tes questions peu subtiles, laisse moi te montrer.

Cory s'avança, face à face à Émil, il s'illumina de nouveau. Ce qui suivit alors restera entre Émil et Cory jusqu'au lendemain matin. Le jeune garçon céda et alla raconter ses aventures nocturnes à Alysia, pendant que les villageois marchaient de nouveau vers l'ouest.

— Lorsqu'il est devenu tout blanc de lumière, j'ai fais un rêve. J'ai vu plein de personnes qui...

ière

— Tes ancêtres chamanes, lui répliqua Cory qui se tenait près d'eux.

— Et c'est bon ça va ! Tu vas pas me corriger à chaque mot !

— C'est lui ? C'est Cory ? Ils vont te prendre pour un fou, lui assura Alysia.

Émil reprit son explication pendant que Cory s'en allait flotter au dessus des villageois.

— Dans le rêve je voyageait et j'avais fait le tour du monde. Les étrangers, c'était moi la plus part du temps et je venais en aide à ceux qui se tenait devant moi. J'ai aussi vu d'autres figures, il me semble, je ne me rappel plus très bien ce qui c'est passé en suite. Apparemment j'ai certains pouvoir magiques et ils viennent de ma relation avec mon esprit protecteur qui est Cory. Il m'a expliqué grossièrement les choses, mais c'est vrai que j'ai un peu de mal à m'en rappeler. Il m'a aussi parlé d'une formation ou quelque chose dans le genre, je crois.

— Tu devrais en parler à Gaspar, il saura quoi faire.

— Tu as certainement raison.

Émil termina sur ce point. Quelques heures plus tard, ils atteignirent un point de vue. Ils virent enfin, le village de l'ouest. Le réconfort se voyait sur leurs visages. Ils entamèrent la descente sans plus attendre, car à se rythme ils arriveraient pour l'heure du déjeuner.

Au village Nord, Dias n'avais pas fermé l’œil de la nuit et il exposait une triste expression dorée de fatigue. Silvio et Max fouillaient dans les affaires d'Oan, ils avaient déniché une vouve et une bèrtelle. Max prit la vouve pour un chapeau, ce qui le dissimula quasiment. Il comprit très vite que cela n'était pas un chapeau. Silvio compris sa fonction quand il vit au fond de la pièce du matériel de pêche, perche et pic de bambou. Ils décidèrent de se charger du repas du midi et allèrent à la rivière à l'est.

Tic et Toc avaient la veille pris le boucan pour une cuisine, Dias les traita de sombres idiots comme à son habitude et révéla sa fonction d'autel religieux. Ils allèrent à la réserve, il y restait quelques patates et bien évidemment des dizaines de fût de bambous qui avaient dû rester là de part leur poids. Tic en ouvrit un.m et renifla l'odeur qui s'en dégageait.

— Ça sent... L'alcool... L'alcool ! Ça sent l'alcool ! cria-t-il à Toc.

Il n'en fallut pas plus pour que son frère d'arme n'attrape une coupelle de calebasse et ne la plonge dans le fût.

— Et ça a bon goût, Tic ! dit il en terminant une gorgée.

Au village le réveil était plein de curiosité et de détente. Mais à l'est, au campement l'inquiétude régnait. Le premier officier n'avait pas bu une seule goutte d'alcool de la soirée. Et au petit matin, il dépêcha la chaloupe pour retourner au Lamentin pendant qu'un groupe alla à la recherche des cinq explorateurs.

Quant à l’embarcation qui dérivait au sud pour contourner l'est, elle avait atteint bon port et les nouveaux libres avaient construit un camp dissimulé entre deux remparts, à l'abri de tout danger. Ils avaient choisi ce lieu car ils voyaient les alentours et pouvaient se cacher de quiconque. Ils trouvèrent très rapidement de quoi se nourrir et commencèrent à cultiver un jardin. Kalla organisait les choses. Tout se passait pour le mieux et personne, mis à part les hommes du Lamentin, ne savaient dans quelle direction ils s'étaient enfuis.

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