Chapitre III

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La beauté de la Bergésir restait éblouissante malgré sa dangerosité. Les arbres centenaires attestaient de l’ancienneté de cette forêt. La ferveur des Sylvains à veiller sur ces lieux ne surprenait pas la fillette. La verdure et le brun des écorces s’équilibraient à la perfection. Chaque détail, chaque bruissement et chaque senteur devenait aux yeux de Yuna un sujet de ravissement. L’ambiance des sylves créait chez l’enfant le sentiment étrange de se trouver à sa place.

Émerveillée, elle continuait son chemin lorsqu’un craquement attira son attention. Un lièvre surgit de derrière un taillis. Étonnée, elle le fixa avec ses grandes billes émeraude, car elle aurait donné sa main à couper que cette espèce préférait les vastes prairies aux étendues arborées. Elle se laissa un instant pour se remettre de sa surprise avant de lui demander :

— Mais que fabriques-tu ici ?

L’animal resta statique et l’observa tranquillement.

— N’aie crainte, lança-t-elle, je ne fais que passer.

Elle reprit sa marche d’un pas rapide, mais se rendit compte que la bête la suivait. Amusée, la fillette fit mine de l’ignorer. Elle ne désirait pas l’effrayer et continua sa route. Cependant, tandis que les minutes s’écoulaient, le lièvre persistait à gambader auprès d’elle. Elle marqua une pause et l’animal l’imita.

— Je te plais beaucoup, dis donc ! lui lança Yuna en riant.

Il pencha sa tête sur la gauche et paraissait attentif à ce qu’elle lui racontait, comme s’il essayait de la comprendre. Attendrie, la petite s’agenouilla, mais ne s’approcha pas. D’une part, elle avait peur de le faire fuir, d’autre part, il se trouvait hors du chemin.

— Que tu es beau ! s’extasia-t-elle

— Merci.

Le cœur de l’enfant manqua un battement et, dans un sursaut, ses yeux s’écarquillèrent. Est-ce que cet animal venait de lui parler ou l’avait-elle imaginé ?

— Je sais que cela peut s’avérer surprenant, admit la créature aux longues oreilles.

Stupéfaite, encore sous le choc, Yuna sentit une sueur froide couler le long de son dos. Elle était en train d’halluciner, c’était évident. La culpabilité la précipiterait-elle dans la démence ? L’animal esquissa un bond, la fillette recula d’un pas :

— Je me doute qu’un lièvre qui parle puisse te paraître impossible, mais je suis bien en train de discuter avec toi. Une fée a décidé de m’embaucher en tant que messager et m’a attribué la capacité d’interagir avec les humains.

— Pourquoi les fées auraient-elles besoin d’un messager ?

— Les fées peuvent communiquer avec les animaux, mais pas les magiciens. Ce qui ne se révèle pas pratique, car la faune détient parfois des informations qui pourraient servir, notamment concernant une menace récente, si tu vois ce que je veux dire. Et c’est là que j’interviens. Discret, rapide et efficace.

Yuna ne put s’empêcher de trouver ce lièvre un peu prétentieux et assez pédant. De plus, elle considérait que cette histoire possédait quelque chose d’étrange. Sa grand-mère lui avait souvent raconté que les fées aidaient rarement les humains de façon désintéressée. Une offrande ou une monnaie d’échange se révélait chaque fois nécessaire pour obtenir leur assistance. Alors que l’une d’elles ait pu décider d’une telle initiative s’avérait surprenant. Un frisson désagréable lui traversa le corps.

— Cela ne m’explique pas ce qui t’a amené à me suivre, lança-t-elle en reprenant sa marche.

— Tu conviendras qu’une enfant seule dans la forêt avec une cape écarlate ne passe pas inaperçue. D’autant plus, en ces temps inquiétants… précisa l’animal.

La fillette resta silencieuse.

— C’est également surprenant que tes parents t’aient laissé partir, poursuivit-il soupçonneux.

Elle tira sa capuche pour dissimuler son visage fautif.

— Je ne te juge pas. Tu as certainement une excellente excuse pour agir ainsi.

L’enfant acquiesça. Elle sentit ses lèvres trembler et des larmes perlèrent sur ses cils qu’elle sécha du revers de la main.

— Cela ne te regarde pas. Je te trouve bien indiscret, riposta-t-elle d’un ton acerbe.

— Je te prie de me pardonner. Si tu me le permets, j’aimerais t’accompagner. Je pourrais veiller sur toi.

— C’est inutile. Tant que je reste sur le chemin, rien ne m’arrivera, déclina la fillette.

— Tu devras bien finir par le quitter quand tu… D’ailleurs où te rends-tu ?

Yuna demeura muette.

— Je cherche juste à t’aider. Si les fées se fient à un lièvre messager, peut-être peux-tu également m’accorder ta confiance ? Si tu te retrouves en danger, grâce à ma vitesse, le peuple sylvain en entier viendra à ton secours, insista la créature aux longues oreilles.

Suspicieuse, l’enfant prit son temps pour l’examiner. Il ne ressemblait en rien au chien primate que lui avait décrit Derfel et seules les fées détenaient la faculté de permettre à un animal d’interagir avec les humains. Peut-être que son histoire tenait la route après tout.

— Je vais chez ma grand-mère, soupira Yuna.

— Vraiment ? sursauta le lièvre. Mais tu devras passer deux nuits dans les bois avant d’atteindre le premier village !

— Elle habite bien plus près.

— Tu veux dire que ta grand-mère vit dans les sylves ?

La fillette acquiesça.

— Mais attends… ta grand-mère… ce ne serait quand même pas…

Il marqua une pause avant de s’exclamer :

— La grande Milréade !

— Tu la connais ? s’étonna Yuna.

— Si je la connais ? Mais bien sûr que je la connais ! Tout le monde la connaît ! Elle est la plus fabuleuse magicienne de la Sulvanie, peut-être même celle de Valême ! J’ai régulièrement l’occasion de lui transmettre des messages de la part des fées, expliqua-t-il avec fierté. Qu’est-ce qui t’amène auprès d’elle ?

La fillette serra sa besace.

— Je vais lui donner un remède.

— Un remède ? La grande Milréade serait-elle souffrante ? s’exclama le lièvre avec stupeur.

— Je dois aller au plus vite auprès d’elle avant que le bisclaveret ne le devine.

Il pencha la tête, comme s’il réfléchissait à la situation.

— Si tu me le passes, je pourrai me rendre chez elle à la vitesse de l’éclair.

— C’est gentil, mais je préfère lui apporter en personne.

— Je comprends. Et si tu restais sur le chemin jusqu’à ce que tu aies la clairière de ta grand-mère en vue. À ce moment-là, tu me donneras le remède et me surveilleras pendant que je le lui amène. Tu m’attendras en toute sécurité.

Yuna admit que l’idée s’avérait excellente.

— Bien ! s’exclama le lièvre. Dans ce cas, tu n’as plus qu’à me suivre !

La créature aux longues oreilles détala à une vitesse vertigineuse dans les méandres de la forêt. Yuna essaya de garder le rythme, mais, à sa grande surprise, son compagnon emprunta une voie inhabituelle.

— Ce n’est pas la bonne direction ! lui cria-t-elle à bout de souffle.

— Bien sûr que si ! hurla le lièvre. C’est un raccourci !

La fillette peinait à tenir la cadence. De toute évidence, personne n’avait pris soin de ce sentier depuis fort longtemps. Des branchages la ralentissaient et peu à peu elle perdit l’animal de vu. Elle avançait difficilement, au plus rapide de ses capacités, la respiration saccadée. Yuna appela le lièvre désespérément, mais il avait disparu.

Elle scruta les alentours. Elle ne reconnaissait plus rien. Les troncs se nouaient les uns aux autres et ses yeux peinaient à discerner la lumière. Elle se mit à haleter et son cœur s’emballait. Elle tenta d’inspirer plus profondément pour retrouver son calme, mais une forte odeur humide lui agressa les narines. Son corps tremblait, les larmes ruisselaient sur ses joues. Elle devait se rendre à l’évidence : elle s’était égarée.

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