La nuit porte conseil

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LA NUIT PORTE CONSEIL

En boucle. Les heures passent et pourtant, les minutes, elles, restent fixes. Dans les fossettes de son sourire à elle, je me perds, englouti dans une grotte aux pierres douces et sensuelles. Vingt-trois heures quarante. L’amour boucane allègrement lorsque les âmes sœurs se fixent de leurs yeux-soleil. Chacune des minutes s’arrête, se bloque, se fragmente pour devenir l’espace d’une vie entière : ma vie. Reflet de vos vies : nos vies. Elles en deviennent infinies de par leur force commune, lourde, poisseuse qui lentement coule sur nos épaules. Dans notre dos surtout. Deux heures vingt-sept. Une impression est-elle somme toute, toujours trompeuse ou uniquement lorsqu’elle concerne le cœur des hommes? Sans cesse tournent les souvenirs, les pensées, les questions, les idées, les disputes sourdes et non avouées, les décisions évitées, les longs silences, les yeux flamboyants d’Anne-Catherine, les embarrassantes fins de soirée seules avec soi-même, les langues mortes que l’on refuse de déterrer et d’embrasser à nouveau et, force est de l’admettre, les braises d’un cœur éteint. Chacun de ces morceaux carrés s’envole sous notre crâne et frappe inlassablement ses parois trop rondes. Ils les abiment de leurs coins pointus. Un cafard est-il heureux d’être un cafard plutôt qu’un homme? Un cœur peut-il honnêtement aimer plus d’un à la fois? Peut-il se déchirer aussi aisément? Le mien non... Un homme est-il heureux d’être un homme plutôt qu’un rat? Quatre heures vingt-neuf. Ces morceaux nous déchirent dans le seul but de se moquer. Ils nous achèvent dans le seul but de divertir l’humeur morose d’un esprit malhonnête. Sur notre planète ou ailleurs, pourrais-je espérer en des êtres qui ne voyagent que parmi les esprits? Si oui, pourraient-ils venir et nettoyer le mien? Cet esprit nous dérange, nous désaligne, au sein de notre propre esprit. Il s’y installe avec délectation comme un précieux corbeau confectionnant son nid. Tous ces horribles chiffres crées par l’homme nous donnent cette trompeuse impression d’avoir une emprise sur les clignotements verdâtres des cadrans du monde. Les yeux du corbeau, eux aussi, clignotent de l’intérieur. Et de l’intérieur toujours, il croasse. Comme tous les corbeaux, évidemment il croasse, mais ce corbeau-ci ne s’arrête jamais. Onze heures onze. Il croasse jusqu’à l’éclatement de nos tympans, jusqu’à ce que nos oreilles saignent d’angoisse et de folies. Suis-je le seul fou parmi des génies? Par delà les heures, par delà tout. Puis il continuera. Jusqu’à huit heures zéro-zéro. Pendant encore des heures. En boucle.

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