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 Ce soir-là, le crépuscule était magnifique. Au-delà des arbres qui le camouflaient par intermittence, un véritable camaïeu d’ocre, d’or et d’écarlate s’offrait à nos yeux. Il peignait le ciel de teintes chatoyantes avant que l’encre de la nuit ne distille son obscurité dans chaque recoin du monde, ne laissant que trois lunes et une poignée d’étoiles pour guider le vagabond sur son chemin.

La lumière qui trouait le feuillage clairsemé jetait sur les écailles de mon frère d’écailles des éclats fauves, délicieux spectacle n’eut été la lueur inquiétante qui dansait au fond de ses pupilles.

⸺ Qu’est-ce qu’il y a ?

Un grognement, rien d’autre.

Je m’accroupis pour sectionner des plants d’elecampanes.

⸺ Faf’, qu’est-ce qu’il y a ?

Vous ne pouvez pas continuer comme ça.

⸺ Est-ce qu’on a le choix ?

Ça te détruit.

⸺ … N’exagère pas non plus.

Je n’exagère pas. Liam !

⸺ Quoi ?

Tu essaye d’esquiver le sujet.

⸺ Bien-sûr que non !

Retourne-toi.

⸺ Pour quoi faire ?

Si tu veux mentir, vas jusqu’au bout et fais-le en me regardant dans les yeux.

J’étais coincé. J’étais parfaitement incapable de lui mentir en face-à-face, et il le savait.

Je me penchai en avant pour m’intéresser de plus près aux minuscules fleurs indigo qui poussaient à mes pieds.

⸺ Dis donc, qu’est-ce qu’elles sont belles !

Liam…

⸺ Je n’en avais jamais vu des comme ça ! Quelle surprise !

Lia…

⸺ Je me demande bien quelles propriétés elles peuvent avoir !

Li…

En tout cas, c’est une occasion à ne pas manquer ! Je suis sûr qu’elles me seront très utiles, pas…

LIAM !

Quoi ?

⸺ Qui est le butor qui s’amuse à pousser une gueulante pendant le seul moment calme de la journée, que je lui en colle une ?

Une voix excédée se fit entendre à ma droite, par-delà les arbres et les fourrés. Une main agacée écarta les feuillages et découvrit une silhouette malheureusement familière, du genre à bien vous enfoncer dans le crâne que la journée avait été faisandé du premier grain de sables au dernier du sablier.

Merveilleux.

Il y avait ce couple de scribouillards, dans la cité… pas forcément cordiaux mais pas méchants, qui me filaient les vieux parchemins qu’ils avaient sous la main quand je passais devant chez eux, vendaient leurs manuscrits de bon cœur à ma mère lorsqu’elle venait faire le marché, m’offraient une boisson chaude à l’occasion lors de l’Ayshar… de braves gens.

De braves gens, oui. Mais voilà : j’appréciais les parents… leur fille beaucoup moins.

Autoritaire, susceptible, surexcitée, déchaînée, et tout ça en permanence... Hana Myrddin me faisait l'impression d'un feu follet humain.

Ce qui n’est pas un compliment.

Elle et moi partagions une inimitié mutuelle depuis que le soleil se couchait à l’ouest. Quant à savoir pourquoi… certaines personnes n’allaient pas ensemble, voilà tout. En tout cas, c’était ce que je m’imaginais. Mais peut-être l’explication était plus poussée : après tout, ma mère et moi étions les moutons noirs d’Arkën Soa et Hana me donnait parfois l’impression de vouloir se battre avec le monde entier – un comble lorsque l’on rencontrait ses parents que le moindre souffle de vent aurait pu emporter. Alors voilà, peut-être n’avait-elle besoin que de ce prétexte… ou peut-être que je lui portais effectivement sur les nerfs pour une raison obscure et méconnue de tous.

Qui sait ?

⸺ J’aurais dû me douter que c’étaient vous. Qui d’autres se permettraient de saccager les rares moments tranquilles que cette cité a à offrir à pars vous ?

⸺ Tu serais surprise, Hana.

⸺ Ne me tutoie­ pas, rebouteux.

⸺ À toi l’honneur, orpheline.

Elle tressaillit. Je me mordis les lèvres. Il était de notoriété publique que Hana avait été trouvée en langes devant la porte des deux scribes, mais cette insulte restait un coup bas.

Surveille ton langage, Liam Leigh.

À mon tour de ciller. Pourquoi étais-je surpris ? L’une n’allait pas sans l’autre. Ou plutôt, là où Hana allait, sa sœur d’écailles suivait.

Reyja.

Fafnir.

Les deux dragons échangèrent une salutation d’usage.

Elle est vraiment immense.

Reyja était une Dragoën. En théorie, il était tout à fait logique qu’elle soit de grande taille – tous les Gardiens l’étaient. Mais tout de même… le contraste était encore plus grand lorsqu’elle se tenait face à Fafnir. Lui, le Drâkorian, dont le corps était si mince en comparaison de tous les autres dragons, mais qui pouvait tenir plusieurs cycles sans manger ni dormir, et sans émettre un seul gémissement de protestation.

Et puis, Fafnir avait d’autres atouts dans sa manche, du genre à lui permettre de se rendre invisible ou de supporter mes humeurs de Nobliaux en permanence…

Tu vas me faire rougir.

Je ne cillai même pas. J’étais depuis longtemps habitué aux interventions intempestives de mon frère d’écailles dans mon esprit, Lien oblige.

Les dragons ne rougissent pas, répliquai-je dans ma tête.

Peut-être que ton sarcasme a fini par déteindre sur moi.

Après dix-sept Möks, il t’en aura fallu du temps !

Que veux-tu, j’apprends lentement…

⸺ Ça va, on ne vous dérange pas trop ?

Je serrai les dents. J’avais bien envie de répondre que « si, vous nous dérangez », mais je n’avais pas ce niveau d’insolence. Pas aujourd’hui, en tout cas.

Quelque chose remua au fond de mes tripes.

⸺ Eh, je te parle !

Il y avait quelque chose… quelqu’un.

Ce… non.

Ça ne pouvait pas…

Non.

Liam ?

Le ton alarmé de Fafnir résonna sous ma caboche, mais je ne réussis pas à le rassurer.

À l’intérieur de moi, des griffes lacéraient mes tripes, mes organes.

Il y avait…

Le monde se troubla autour de moi. Le battement de mon cœur envahit l’espace, je n’entendais plus que ses palpitations qui faisait trembler la terre.

Il était là.

Il était là !

Non, non, non, non.

Il ne devait jamais revenir, il aurait dû disparaître, il n’aurait jamais dû exister !

Non, non, non, non !

Un goût métallique, sur ma langue. Je m’étais mordu la joue.

La joue.

Une douleur, immense !

Plus rien, plus que la douleur la souffrance non non non non !

Liam !

Il est là, Fafnir, Il est là !

Li…

Le monde explosa.

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