Peur indicible

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Comme tous les vendredis soir, au 14 Rexton Avenue, Sir Alexus Wesley terminait son verre de bourbon engoncé dans le cuir d'un vieux fauteuil.

En compagnie de ses quatre amis amateurs de récits fantastiques, ils se réunissaient toutes les fins de semaines pour narrer des histoires effrayantes autour d'une  excellente bouteille de brandy ou de bourbon.

La soirée se finissait paisiblement, la chaleur de la grande cheminée et l'alcool avait eu raison de la gouaille des quatre amis. Deux heures du matin sonnèrent à la ténébreuse horloge gothique du salon de son fidèle ami Burton Miles. Alexus se dégagea tant bien que mal de son assise douillette.

- Mes amis, je vous laisse à vos cauchemars. Il est temps pour moi d'aller ronronner dans mon lit.

Tout le monde le salua sans se lever. Il enfila son manteau, son écharpe et son chapeau.

- A la semaine prochaine gentlemens! Un geste de la main en guise d'adieu puis il sortit.

Le froid piqua ses joues déjà rougies par les nombreux verres de bourbon. Les rues enneigées étaient éclairées par quelques réverbères aux lumières vacillantes qui offraient un spectacle que l'on pouvait considérer comme inquiétant ou magnifique. Alexus choisit le magnifique. De nombreuses calèches étaient enfouies sous un épais manteau blanchâtre. Quelques quidams, ivres d'alcool déambulaient et glissaient d'un trottoir à un autre. Sans doute cherchaient-ils le trajet le plus rectiligne pour rentrer chez eux. Ce n'était malheureusement pas un franc succès. 

Il traversa la rue sans tomber et s'engouffra dans une venelle tellement étroite qu'à peine deux personnes, à condition qu'elles soient très minces, pouvaient l'emprunter de concert. La petite rue n'était pas éclairée et Alexus avait toujours hâte de tourner à gauche pour déboucher sur la longue ruelle du Crowley Cemetery, légèrement plus large, longeant l'arrière du cimetière de la ville. Sir Wesley aimait ce trajet de retour du vendredi soir, notamment l'hiver. Qu'il aimait ce petit frisson délicieux d’appréhension qui courait le long de son échine. Il sourit. Quelques flocons commençaient à tomber. Une nuit parfaite pour d'horribles histoires. Il débuta sa marche dans la rue des spectres comme il l'avait surnommée. Ses pas crissaient dans la neige. Les ombres des branches, nues de feuilles, des arbres centenaires du cimetière s'agitaient sur les murs, formant des silhouettes difformes. Sentant l'humidification soudaine de son nez, Alexus Wesley sortit un mouchoir de sa poche mais le carré de tissu brodé lui échappa, il chut délicatement sur le trottoir. Alors qu'il se baissait pour le ramasser, il entendit derrière lui un son, semblable à des pieds trop fatigués pour se soulever du sol et qui se traînaient dans l'épaisse couche de poudreuse. Se retournant, il distingua une silhouette claudicante qui s'avançait vers lui dans une atmosphère devenue tangiblement plus inquiétante. C'était sans aucun doute un vieillard, il progressait si lentement qu'Alexus se demanda  si ce dernier arriverait au coin de la rue avant la fin de la nuit. Il reprit son chemin. Le bruit des pas des deux hommes se chevauchaient. Ce n'était qu'un vieil homme boiteux, pourtant Alexus se sentait comme traqué. 

Brusquement, il n'y eut plus que le bruit de ses propres pas résonnant à ses oreilles. Il regarda aussitôt derrière lui,  Le vieillard n'était plus qu'à quelques mètres. Il ne bougeait plus. Comment avait-il fait pour avancer aussi vite? Malgré la neige qui, à présent, chutait massivement, il distinguait parfaitement son suiveur. Sir Wesley scruta ce vieux bonhomme courbé comme un arc tendu, il portait une veille redingote rapiécée mal assortie d'un vieux pantalon trop court pour lui. Ses jambes paraissaient trop fines pour le porter. Un haut de forme d'où seule une grande barbe grisâtre jaillissait de façon chaotique. Sa tête penchée vers le sol, il était impossible de distinguer son visage. Le bossu reprit sa marche, les pieds glissants dans la neige, d'une allure constante, presque surnaturelle.

Alexus, malgré la peur qui montait en lui insidieusement, se dit que son imagination lui jouait de vilains tours. Il accéléra quand même le pas tout en jetant un œil régulièrement par dessus son épaule.

Les flocons de plus en plus nombreux tombaient droit, comme de la grêle. De magnifique, la neige devenait presque effrayante. Soudain, un cri abject brisa le silence pesant de la ruelle. La voix difforme se répercuta dans l'air.

Le gentleman se retourna brusquement. 

Le vieillard s'était arrêté. Il ne bougeait plus. Un détail qu'Alexus avait remarqué mais que son cerveau n'avait pas voulu admettre. La neige fondait littéralement en tombant sur lui. Comme s'il était brûlant. D'un mouvement rapide et totalement aberrant pour un vieil homme, il jeta sa canne contre le mur du cimetière puis commença à se redresser lentement. Ses bras, ses mains , ses ongles s’allongeaient. Sir Wesley voyait maintenant son visage immonde. Assurément ce n'était pas un être humain. Un liquide infâme coulait de sa bouche déformée par des dents aussi pointues que des poinçons. Sa barbe grisâtre était souillée de bave visqueuse. Ses yeux brillaient d'un rouge qui ne devait exister que dans les entrailles de l'enfer. Une créature cauchemardesque  se dressait devant le gentleman terrorisé. Il resta pétrifié. Son corps tremblait d'une indicible terreur. Un grognement obscène le fit sortir de sa torpeur.

Sir Wesley se mit à courir. Ses jambes fonctionnaient à nouveau. Son coeur battait si promptement qu'il eut l'impression qu'il s'était arrêté. Il haleta. La mort allait l'emporter mais Dans un sursaut d'énergie il s'agrippa au mur du cimetière et parvint à passer de l'autre côté. Il entendit les griffes acérées du monstre percuter la pierre. Un long cri glaçant sonna dans la nuit.

L'endroit, encore plus sinistre que celui qu'il venait de quitter, lui parut presque comme un havre de paix. La créature chthonienne ne l'avait pas suivi pour une bonne raison. La peur d'entrer dans ces lieux maudits. D'autres êtres plus infâmes attendaient Alexus au milieu des milliers de flocons qui dansaient dans le ciel. Il trébucha sur une tombe surmonté d'un ange et chuta lourdement.

Allongé sur le ventre, il n'eut pas le temps d'esquisser un mouvement. De longs doigts griffus entaillèrent ses vêtements puis déchirèrent sa peau. Il pleura de douleur. Il tenta de se relever mais déjà il sentait un poids sur lui. Alexus le savait, il allait mourir. 

Alexus! 

Quelqu'un l'appelait. Il sentit les dents pénétrer dans son cuir chevelu. Une haleine brûlante et fétide le fit tousser.

Alexus! Encore cette voix.

La dernière chose qu'il entendit ce fut le craquement de sa boite crânienne sous les dents acérés de la gargouille.

Alexus!

Il se réveilla en sursaut

Il était en vie, dans un fauteuil en cuir dans le salon de son ami.

- Burton! Quelle joie de te voir! J'ai fait un cauchemar absolument horrible. 

- Je sais mon ami! Tu hurlais comme un cochon!

- Je crois que je vais faire une pause dans nos soirées du vendredi!

- Oui en effet Alexus, tu vas faire une pause.

La voix du Burton venait de changer.

- Une longue pause.

- Une longue pause? Que veux-tu dire?

Sir Wesley n'eut pas le temps de poser une autre question.

Son ami lui avait déjà tranché la gorge avec ses griffes nouvellement poussées. Paisiblement il s'abreuvait de son sang directement à la source.

On retrouva le corps du pauvre Alexus, pas loin du 14 Rexton Avenue, dans une ruelle étroite dans laquelle à peine deux personnes pouvaient se croiser. Sa tête ne fut jamais retrouvée.

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