Peur.

3 minutes de lecture

 Une goutte d’eau s’effondra de tout son poids sur le dos de sa main gauche. Christiane sursauta et hurla de plus belle. Enfermée et plongée dans l’obscurité depuis des jours, ses sens étaient décuplés. Le moindre contact, le plus petit frémissement, la plus infime des odeurs les maintenaient en éveil. Plus que des réflexes de survie, elle voulait combattre. Elle lécha frénétiquement sa main et le sol. La soif ne la quittait plus. L’eau était poisseuse, salée, certainement non potable.
Plusieurs fois par jour ou par heure, elle se remémorait ses derniers instants de femme libre. Pour ne pas perdre pied. Pour rester en éveil.

Il était presque 19h30, l’heure de fermer boutique. Son épicerie était déserte depuis longtemps. À son habitude, elle empoigna son trousseau de clés et entama son tour de « sûreté ». Elle vérifia chacune des allées étroites en débutant – à son habitude – par le rayon des alcools. Elle pesta comme chaque jour contre ces fichus néons qui scintillaient et donnaient à sa boutique un air de vieille discothèque. Elle fit rapidement le tour et termina sa course près des réfrigérateurs qui vrombissaient de douleurs. Elle balaya le fond de sa boutique d’un seul regard. Un frisson s’empara d’elle qui la fit trembler de tout son corps.


Le deuxième congélateur.


Elle s’arrêta net. Tétanisée, elle ne put pas tourner la tête tout de suite. Elle était sûre d’elle. Il était débranché et ne produisait aucun son. Quelque chose dépassait même de la vitre, mal refermée. Elle serrait désormais ses clés si fort, qu’une goutte de sang coula le long de son avant-bras. La rangée de néons derrière elle explosa dans un bruit sec.
Elle fit volteface et se trouva maintenant devant le congélateur. Elle crut voir à l’intérieur de la machine un homme nu, comme replié sur lui-même qui semblait flotter dans son propre sang. Avec stoïcisme et sang-froid, elle décrocha de sa ceinture son téléphone sans fil et appela la police. Le combiné était maculé de sang et lui glissa des doigts lors de la première tonalité. Elle se baissa calmement en pliant les genoux pour le ramasser. C’est à ce moment qu’une main lui pressa le sommet du crâne et l’emporta avec fracas vers la sortie. Une autre main gantée s’engouffra dans la bouche, elle ne parvenait pas à crier mais jeta des regards apeurés partout autour d’elle. Elle vit rapidement le reflet du monstre dans le miroir de surveillance. Petit, trapus, une capuche qui masquait à peine de longs cheveux gras. L’air vint à manquer, elle finit par s’évanouir.

 Dans l’obscurité la plus totale, elle parvint à deviner les contours de la pièce du bout des doigts. Elle ne devait pas excéder les six ou sept mètres carrés. L’humidité était très importante et Christiane pouvait atteindre de fins tuyaux bouillants au-dessus de sa tête. En tâtonnant le sol irrégulier à maintes reprises, elle finit par arracher un petit bout de pierre. Bien que lointain, le bruit semblait venir d’en haut. Des ronronnements mécaniques, des cliquetis, des cris, des sonnettes, des odeurs de friture. Puis plus rien pendant quelques heures. Elle en était sûre : elle se trouvait dans la cave d’un restaurant. Elle serrait sa pierre de toutes ses forces, sans relâche, en écarquillant ses yeux à l’affut du moindre petit bout de lumière. Recroquevillée dans un coin de la pièce, elle se tenait prête à bondir, à griffer ou lacérer s’il le fallait. Elle se mit à penser que son âge avancé et sa piètre forme physique ne lui permettront pas de réaliser le moindre exploit. Elle pensait aussi à tous ces faits divers sordides qui la divertissaient auparavant. Un mince fil d’air arrivait jusqu’à elle. Perdue dans ses pensées, elle ne réagit pas assez rapidement. Une main de cuir lui agrippa le mollet et la fit glisser en dehors de la pièce. Elle se laissa faire et pleura. Une larme salée, comme une goutte d’eau.

Annotations

Vous aimez lire opan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0