Le petit con aux allumettes

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J’ai craqué une allumette et fais rougir le bout de ma tige. La première taffe m’a procuré un bien-être familier, et j’ai soufflé d’aise en direction de la fenêtre. C’est vrai que j’étais tenté de m’essayer de nouveau au cinéma. En même temps, je n’avais pas envie de lâcher la musique. J’ai tiré une nouvelle bouffée. Les oiseaux pépiaient leurs mélodies au-dessus du fond sonore urbain. J’avais misé beaucoup d’argent et d’énergie dans ce studio d’enregistrement, et si je pouvais compter sur mes associés, l’idée d’abandonner le bébé ne serait-ce que quelque mois me fichait la trouille. J’avais l’espoir que l’album de Mathy Blues fasse son petit effet, et en même temps Ben m’avait longuement parlé d’un nouveau projet, un moyen métrage de science-fiction avec du budget, un scénario sensass et un chef op qui avait bossé aux États-Unis. Après une autre bouffée, la clope était à moitié consumée, alors je l’ai écrasée consciencieusement dans le cendrier. J’ai laissé quelques secondes à la fumée pour s’échapper au-dehors, puis refermé la fenêtre. J’étais décidé à réfléchir sérieusement à la proposition de Ben.

Je suis retourné avec un grand naturel jusqu’au bar. Ben n’avait pas bougé de sa place, et discutait avec visage de porcelaine. Il avait déboutonné le haut de sa chemise, elle avait pris du rose aux joues ; ils se racontaient des histoires d’acteurs. J’ai bu une autre coupe de champagne, croqué dans une tarte aux fruits, mais j'avais déjà dans l'idée de rentrer chez-moi. Le volume général de la cacophonie ordinaire et alcoolisée du rassemblement avait considérablement augmenté, et je commençais à m’ennuyer. Je n’étais plus dans le mood. La musique devenait particulièrement mainstream, je craignais de me retrouver bientôt dans un karaoké géant. J’échafaudais un retrait stratégique, quand un éclat de voix nous a fait nous retourner.

— Quel est le con qui a fumé dans les toilettes ?

Le maître des lieux tenait et agitait au-dessus de lui le cendrier, dans lequel ma cigarette consciencieusement écrasée était prête à s’échapper.

— Les allumettes, c’est pour chasser les odeurs, pas pour s’en griller une, merde !

Je rentrais la tête dans les épaules, tel un gosse pris la main dans le sac, avant de me souvenir que personne ne m’avait vu ni entrer ni sortir, desdites toilettes. Je me tournais vers Benjamin, empruntant un air amusé afin de paraître aussi innocent que possible.

— Ça pourrait tout aussi bien être une conne, non ?

Visage de porcelaine a gloussé, mon pote Ben a haussé les épaules et répondu :

— Craquer une allumette dans les toilettes, c’est tellement has-been...

Il a vidé son verre cul sec avant de me faire un clin d’œil.

De retour à mon appartement, je me suis jeté sur l'ordinateur et, pour en avoir le cœur net, j’ai tapé dans le moteur de recherche de mon navigateur : allumettes dans les toilettes.

Ben a raison, ce truc, c’est vraiment has-been.

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