II

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Stupéfait par ce changement météorologique, Peter avança timidement vers une borne d’arcade. Le son de la machine le replongeait des années en arrière lorsque ses amis et lui esquivaient une après-midi d’école afin de prendre du bon temps. L’école buissonnière était l’un de ses meilleurs souvenirs d’antan. S’extirpant de ses pensées passées, son attention fut happée par la borne générique mélaminée trônant devant lui.

C’était l’un des jeux vidéo mythiques, si ce n’est le jeu d’arcade par excellence : Pac-Man. Il invoqua ses mémoires : des heures passées à déplacer un personnage ressemblant à un diagramme circulaire, à l’intérieur d’un labyrinthe afin d’attraper des pac-gommes tout en évitant des fantômes. Les jeux vidéo de l’époque avaient révolutionné la vie d’une pléthore d’enfants.

Et dire que, maintenant, les gamers contrôlaient des héros aux biceps surdimensionnés au travers de quêtes inimaginables.

  • Bon, tout n’est pas à jeter, j’ai adoré vivre les aventures de Kratos ou de Geralt de Riv. Mais tout de même, l'essence même des précurseurs du jeu vidéo me manque.

Un homme solidement charpenté profitait déjà de cet illustre loisir, mais venait de perdre. Le Game Over avait retenti et pourtant, il ne bougeait pas. L’inconnu se retourna d'un bloc et ce qu’il vit lui glaça le sang. Les yeux hagards, injectés de sang, la bave aux lèvres, l’homme employait un langage abscons. D’instinct, Peter recula d’un pas.

Sans un mot de plus, l’étranger enragé remit une pièce et recommença une partie.

  • Une tempête, une panne instantanée, un zombie … on dirait le commencement d’un roman d’horreur. J’aurais aimé l’écrire. Il manque plus que le Clown psychopathe cher à Stephen King.

Cette dernière pensée lui tira un maigre sourire. L’auteur de La Ligne Verte, de Shining et de tant d’autres célèbres romans, lui avait donné envie d’écrire et de marcher dans ses pas. Plus jeune, Peter lisait ses œuvres avant de dormir. Bien mal lui en prenait lorsqu’il cauchemardait suite aux lectures de Cujo ou de Carrie. L’écrivain de Portland avait le don de rendre réelles nos peurs les plus effroyables.

Sortant de ses rêveries, Peter recula lentement, méfiant lorsqu’un second Game Over retentit. Il continua son chemin vers un stand de confiseries dont les odeurs ravissaient ses narines. Des barbes à papa à foison, des pommes d’amour par dizaines et de nombreuses glaces se présentaient devant lui. Ses papilles gustatives, avides des délicieux nectars proposés, salivaient déjà.

Une petite fille rousse en léchait une.

  • Petite, héla Peter. Est-ce que tu peux me dire où je pourrais trouver un téléphone ?

La petite se retourna. Elle avait des yeux verts ressemblant à deux émeraudes, des petites taches de rousseur lui habillaient le visage. Devant lui se tenait le portrait craché de la célèbre Emma Stone. Le sourire aux lèvres mais les yeux fiévreux, elle ouvrit la bouche. Le ton grinçant de sa voix était en total désaccord avec son visage angélique :

  • Vous ne devriez pas être là. Votre temps n’est pas compté.
  • Euh… je m’appelle Peter et toi ? Qu’est-ce que…
  • Helena. Partez, tant que vous le pouvez.

Une lueur traversa son regard. Pendant un instant, le temps semblait s’être arrêté. Une grimace tordit ses lèvres charnues et elle recommença à lécher sa glace. Peter retenta sa chance.

  • Helena, peux-tu m’aider à sortir de ce parc ?
  • Bonjour je m’appelle Helena, répondit-elle. Tu veux jouer avec moi ?
  • Pourquoi répétes-tu ton nom ? Bref, je n’ai pas le temps. Tu peux me dire où je peux trouver un téléphone ?
  • Tu sais, ce serait gentil si tu m’aidais à attraper les gros ours en peluche là-bas.

La petite fille répétait les mêmes phrases, en boucle, tout en léchant sa glace. Peter, mû par son instinct de conservation, décida de rebrousser chemin. Des idées saugrenues chevauchaient les parties de son esprit. C’était tout bonnement inconcevable, il devait rêver. Helena ressemblait à un robot reproduisant inlassablement les mêmes actes. Il l’imagina coincée dans une boucle infinie, répétant les mêmes gestes.

Un grand fracas fit sursauter Peter, suivi d’un cri monstrueux. Instinctivement, il se mit à l’abri derrière cette boutique aux délices. Un bouquet d’odeurs aromatiques et savoureuses l’aguichait.

La jeune fille rousse ne bougeait pas d’un pouce, comme si elle n’avait rien entendu. Elle restait devant le stand, léchant sa glace, le regard perdu.

Des bruits de pas martelèrent le sol. Tout ce vacarme pour une seule et unique personne. Une énorme silhouette courrait vers la fille automate laissant un nuage de poussière opaque derrière elle. C’était un clown arborant une immense hache. Il gifla Helena avec une telle puissance qu’elle tomba lourdement au sol.

  • Pas parler. Je ne parle pas. Tu ne parles pas. Besoin de nouveaux clients qu’IL a dit.

Elle se releva, essuya un mince filet de sang coulant de ses lèvres boudeuses et reprit une glace saveur pistache qui s’alliait parfaitement avec ses yeux en forme de pierre de jade. Le Clown se mit à rire à gorge déployée. Ce gloussement guttural remplit d’effroi Peter qui resta interdit, dans l’incapacité de bouger. Une goutte de sueur dégoulina le long de sa colonne vertébrale.

Bien que terrifié, il laissa trainer son regard.

Le Clown mesurait plus de deux mètres. Son maquillage coulait sans s’arrêter. Une flaque colorée l’accompagnait à chacun de ses appuis. Une toison rouge décoiffée dégringolait sur ses épaules musculeuses. Ses yeux anthracites roulaient dans leurs orbites d’où découlait un liquide verdâtre. Sa bouche était garnie de crocs aiguisés laissant apparaître un sourire satanique. D’inextinguibles gouttes rougeâtres perlaient de son immense hache. Il leva son arme et l’abattit sur le sol. Ses muscles saillaient sous son costume.

Peter tressaillit, transpirant à grosses gouttes. La version athlétique de Ça, l’ignoble démon engendré par Stephen King se tenait devant lui.

Peter était pétrifié. Que venait-il de se passer ? Qui était ce clown ? Qui était ce « IL » ?

Quelques instants plus tôt, il avait imaginé ce personnage clownesque diabolique. Ses désirs devenaient réalité. Impossible. Il chassa cette idée et se leva, les jambes tremblantes et le cœur battant à vive allure.

Se cachant derrière les stands et les buissons avoisinants, Peter arriva sur la pointe des pieds jusqu’à l’endroit des machines à sous. Le tintement des pièces l’attirait. La mélodie douce à l’oreille l’enivrait. Décidemment l’argent était addictif même dans les pires moments possibles.

  • Cette fois-ci je ne joue pas, je ne pense pas que ce soit mon jour… blagua-t-il dans l’espoir d’exorciser sa peur.

À cet instant, un souvenir revint à lui, encore. L’angoisse ravivait sa nostalgie. Adolescent avide d’aventures et de bêtises, Peter avait décidé d’aller au casino avec des amis, muni de ses dernières économies. Bien sûr, son pécule ne fit pas long feu et il se retrouva sur la paille un nombre incalculable de fois.

Ses parents lui avaient fait un sermon inoubliable quant à cette fièvre acheteuse qui consumait et ruinait n’importe qui. Jusqu’au jour où son père, enivré jusqu’à la moelle, lui flanqua des torgnoles à tire-larigot. Les joues humides et les poches vides mais la tête un peu plus remplie, il s’était juré de ne plus jamais toucher à un seul jeu d’argent.

La journée étant étrange, le nouvel écrivain décida de rompre sa promesse et de retrouver ses démons du passé. Il vérifia ses poches de jeans. Un ticket de caisse d’une supérette, un médiator usé, un papier froissé renfermant quelques miettes d’une barre chocolatée estampillé Mr Goodbar… Trifouillant sa poche arrière, il tomba sur quelques dollars.

Serrant fermement sa monnaie ridicule, Peter gravit la marche du stand et se dirigea vers le levier de la machine la plus proche. Il espérait déjà avoir les trois cloches de la liberté alignées, synonyme de jackpot.

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