Je vous rappellerai.

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Le téléphone a sonné un après-midi du mois d’août, alors que j’étais en train de somnoler devant un épisode du Doctor Who. J’hésitai quelques secondes avant de me décider à répondre.

J’avais posé mon mobile sur une étagère à l’entrée du salon, il fallait que je me lève pour l’attraper.

Je quittai difficilement mon canapé et décrochai juste avant que le répondeur ne s’active. Je  n’eus pas le temps de dire « allô », une voix se fit entendre. 

— Regardez par la fenêtre, vous voyez le gamin avec le ballon ?

Le timbre était synthétique, avec des reflets métalliques. Mon interlocuteur ne voulait pas être reconnu. 

— Qui êtes-vous ?

— Regardez, insista-t-il. Sa vie est en danger. 

Je marchai jusqu’à la fenêtre. 

— C’est bon, je le vois. Il est tout seul. Il n’y a aucun danger.

— Sortez immédiatement et allez le sauver. 

— Quoi ? C’est une blague ! Je vous dis qu’il n’est pas en danger.

— Faites-le maintenant !

La voix était très métallique et très insistante. Je me décidai. 


J’attrapai les clés de mon appartement, je claquai la porte et je dévalai l’étage qui me séparait du rez-de-chaussée. Je sortis et je trottinai vers le footballeur en herbe. Je le vis tenter de jongler avec sa balle et la frapper trop fort, l’envoyant au milieu de la rue qui longeait la résidence. Il courut pour la récupérer alors qu’un véhicule apparaissait au bout de l’allée. Je compris que le garçon ne l’avait pas remarqué. Une haie lui masquait la vue. Je piquai un sprint et je lui donnai un coup d’épaule au moment où il s’engageait sur la voie. Il tomba tandis que la voiture le frôlait. Le chauffard klaxonna sans réduire sa vitesse. 

Je me tournai vers le gamin. 

— Tu n’as rien ?

Il se contenta de secouer la tête et, ne faisant plus attention à moi, courut récupérer son ballon. 


Je restai immobile quelques secondes, et j’essayai d’assimiler ce que je venais de vivre. Je me souvins que je tenais encore mon téléphone. Mon interlocuteur n’avait pas raccroché. 

Je le portai à mon oreille.

— Vous êtes toujours là ?

Quelques secondes passèrent sans réponse de sa part. J’allais couper quand la voix se manifesta à nouveau.

— Maintenant, rendez-vous à la gare. Vous êtes à dix minutes à pied. Prenez le prochain train pour Montparnasse. 

— Vous me surveillez ? C’est quoi ? Une caméra cachée ? Une émission de télé-réalité ? Parce que je ne suis pas fan !

— Croyez-moi, Cédric, je sais mieux que quiconque à quel point cette situation est surréaliste. Mais j’ai besoin que vous me fassiez confiance. Je vous promets que tout vous sera bientôt expliqué et que vous allez adorer.

— Bon... Admettons que je sois un petit peu curieux et que je n’aie rien de mieux à faire. C’est quoi la suite ?

— Allez jusqu’à la gare. Vous avez dix minutes, je vous rappellerai.

— Il fait très chaud aujourd'hui, vous êtes au courant ? Ne comptez pas sur moi pour courir et... allô ?

— La communication avait été interrompue.  Je soupirai et je me mis en route. 


Ainsi se poursuivit la plus incroyable journée de mon existence. Mon interlocuteur me fit parcourir quelques trajets dans le métro parisien, et accomplir d’autres actes héroïques. À chaque fois, c’était comme si j’arrivais au bon endroit au moment exact où quelqu’un avait besoin de moi. Je permis l’arrestation d’un pickpocket alors qu’il s’enfuyait avec un énorme sac de femme dans les mains. Je rattrapai un homme fatigué qui essayait de descendre sur une voie. Et je signalai un colis suspect qui avait été habilement dissimulé derrière un paravent cachant la partie d’un quai en travaux. 

— J’ai une dernière course pour vous, me dit finalement la voix métallique. Vous allez vous rendre en banlieue (il me dicta l’adresse) chez Philippe Saget. Présentez-vous à lui et mentionnez le mot « tachyons ». Vous aurez toutes les explications que vous souhaitez.

— Tachyons, vous dites ? Qu’est-ce que c’est ?

Pas de réponse. Il avait raccroché.

Je pris une nouvelle fois le train. Pendant le trajet, une actualité s’afficha sur mon téléphone. Le colis suspect qui avait été signalé plus tôt dans l’après-midi ne contenait heureusement pas d’explosifs, mais une importante quantité de drogue. Ainsi se conclut ma dernière intervention de la journée.  


Arrivé à la gare, je marchai quelques minutes sous un soleil déclinant et j’arrivai à l’adresse indiquée. C’était une petite maison au cœur d’un lotissement tellement provincial que la métropole semblait à des centaines de kilomètres. 

Je m’engageai sur le chemin de graviers qui séparait le jardinet de l’allée du garage et j’actionnai la sonnette. L’homme qui m’ouvrit aurait pu être photoshoppé à partir de photos d’Albert Einstein et du Doc Emmett Brown. 

— C’est pour quoi ? Je suis très occupé et je n’ai pas besoin de... quelle que soit la chose que vous vendez. 

— Je m’appelle Cédric Caspian, et nous devons parler des tachyons, répondis-je, fidèle aux instructions qui m’avaient été laissées.

— Quoi ? Comment êtes-vous au courant ? Oh…

Il ouvrit complètement la porte. 

— Je suppose que mon expérience fonctionne alors. Comment avez-vous su où j’habitais ?

— J’ai reçu un appel et...

— Ça suffit ! Vous m’avez convaincu. Entrez et racontez-moi tout ce qui vous est arrivé. 


Je le suivis et sans un mot, il m’indiqua un escalier qui menait au sous-sol. Je descendis et découvris une salle mal éclairée remplie de matériel électronique. 

Il débarrassa un tabouret d’une pile de cartes graphiques et me fit signe de m’asseoir.

— Qu’est-ce que vous fabriquez ici ?

— Vous racontez votre histoire d’abord, jeune homme. Ensuite, je vous expliquerai tout. 

Je m’exécutai, n’omettant aucun détail depuis le premier appel de cet après-midi jusqu’à mon arrivée devant sa porte. Il eut l’air satisfait. 

— Très bien. À mon tour, donc. Savez-vous ce que sont les tachyons ?

Je secouai la tête. 

— Ce sont des particules élémentaires capables de se déplacer plus vite que la lumière et de voyager dans le passé. C’est une explication grossière et surtout, controversée. L’existence des tachyons n’est pas reconnue officiellement. 

— Je ne vois pas très bien le rapport avec ma présence ici. 

— L’appel que vous avez reçu venait du futur. J’ai mis au point un appareil capable de déplacer les signaux émis par un téléphone vers le passé.

— Vous êtes en train de me dire que c’est vous qui m’avez appelé ?

— Pas exactement. Je n’ai pas encore utilisé mon routeur tachyonique. Mais votre présence ici prouve qu’il fonctionne. Je n’ai parlé à personne de mes expériences. 

— Je ne comprends pas. Vous êtes professeur dans une université. Vous êtes chercheur. Pourquoi avez-vous fabriqué cet appareil dans votre cave, plutôt que sur votre lieu de travail ?

— Comme je vous ai dit, l’existence des tachyons n’est pas reconnue. Dans mon métier, il y a des sujets aux limites de la science qu’on évite d’aborder dans un cadre officiel si l’on tient à sa réputation. Il me faut une expérience qui prouve sans le moindre doute l’existence des tachyons avant que je me risque à en parler à mes collègues. 

Il se rapprocha de moi et me fixa du regard. 

— Et vous allez m’aider à la terminer. 

— D’accord ! J’aimerais bien connaître la fin de cette histoire. Qu’allez-vous me demander de faire ?

— Vous savez, je pense que vous vous trompez en croyant que c’est moi qui vous ai... Je veux dire, qui vais vous appeler. Et comme personne d’autre n’est au courant, le seul en mesure de passer cet appel...

— ... C’est moi ? Mais ce n’est pas possible ! Comment puis-je me téléphoner à moi-même ?

— À vrai dire, ce ne sera pas un véritable échange. Voyez-vous, mon routeur ne peut qu’émettre vers le passé, pas recevoir. 

— Alors ce ne sera pas une vraie conversation ?

— Non. Ce qui renforce mon hypothèse selon laquelle c’est vous qui devez appeler. Vous seul savez comment vous avez réagi.

— Oh... Ça va me demander un petit effort de mémoire alors. Vous auriez de quoi écrire ?

Saget me tendit un bloc-notes et un crayon. Je transcrivis aussi fidèlement que possible les échanges que j’avais eus avec... moi-même. Une fois terminé, je saisis la prise reliée par un câble à un improbable assemblage de circuits électroniques et d’autres objets que j’aurais été incapable de nommer. Je la branchai sur mon mobile, que j’activai d’une pression sur le bouton principal. Quelque chose me revint en mémoire.

— La voix métallique !

— Que dites-vous ?

— Je n’ai pas reconnu la voix parce que mon interlocuteur l’avait transformée. Et pourtant elle me disait quelque chose. J’ai acheté une application qui permet de modifier sa voix quand on téléphone. Je l’ai testée une fois puis je l’ai oubliée, comme la plupart des applications que j’installe, d’ailleurs. L’une des options proposées est un timbre de robot.

— Ah très bien ! Vous devez l’utiliser. 

— J’imagine que je suis prêt. Mais avant de commencer, monsieur Saget, j’ai une question. Comment est-ce que j’ai su quoi faire aujourd’hui, alors que je l’ai appris de moi-même ?

Le chercheur réfléchit un moment. 

— Jeune homme, c’est ce qui est merveilleux avec la science. À chaque fois que nous trouvons une réponse, dix questions apparaissent. Peut-être que je découvrirai la solution de cette énigme ? Peut-être que l’un de mes successeurs le fera. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il n’y a pas de paradoxe... à condition que quelqu’un passe ce coup de téléphone. Et le plus tôt sera le mieux.

— J’ai compris. Plus d’action, moins de questions !

J’activai le changeur de voix. Je composai mon propre numéro. J’attendis quatre longues sonneries que mon interlocuteur décroche, et je commençai à lire mes notes. 

— Regardez par la fenêtre, vous voyez le gamin avec le ballon ?

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