Chapitre 1 La leçon d'Alice

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Alice est venue, sans bruit, s’asseoir sur le petit banc de pierre, à la limite de l’ombre du tilleul, non loin de grand-mère qui s’est endormie dans le grand fauteuil d’osier. A petits coups de langue, elle lèche le sang qui perle sur le dos de sa main.

« Méfie-toi des chats, fillette »

Grand-mère n’a pas ouvert les yeux, un sourire léger sur ses lèvres fines. Elle reprend d’une voix un peu voilée, grave et chaude, une voix qu’Alice ne lui connaît pas.

« Ecoute-moi, Alice. Bientôt tu te croiras habile à jouer avec des matous de tout acabit, et faisant fi de leurs grands airs, tu les feras ronronner à tes genoux, te régalant de leurs abandons sous tes caresses… Tu te sentiras légère, les voyant revenir vers toi, au terme de leurs errances, t’offrant dans un miaulement rauque une soumission soyeuse que démentent le regard prédateur et le balancement de la queue qui rythme le léger chaloupé de la démarche.

Laisse-moi te parler du plus habile des chats, le chat du Cheshire. Celui-là t’envoûtera puis s’effacera, ne laissant flotter que son sourire. Un temps, tu t’amuseras à suivre son sillage, l’entrapercevant çà et là, t’obstinant à rassembler les pièces du puzzle qu’il laissera comme traces de son passage. Si tu les assembles, tu les verras dessiner des tableaux absurdes et mouvants, sans que jamais ne s’éclaire le mystère du chat du Cheshire ! Mais je te connais, impatiente et raisonneuse, tu sauras bien vite déjouer la supercherie, a-t-on jamais vu un sourire sans chat ?

Maintenant, Petite, ne mésestime pas la violence si subtile des chats sans sourire. Je les connais bien, je les ai souvent observés. Ils sont totalement sincères à chaque étape de leur chasse. D’abord capturer la proie en la câlinant, en la mettant en confiance. Puis jouer avec elle, la plaquer au sol, la laisser repartir, la ramener … la proie ne sait plus où elle est, ne sait plus qui elle est, elle oscille dangereusement entre toutes les émotions exacerbées, au point de ne plus pouvoir les maîtriser. Le plaisir, la tendresse, la peur, la colère …. Le chat lui-même ne sait pas s’il veut la laisser partir ou la câliner … ou peut-être la tuer. Puis il se lasse, d’un coup de patte, il règle la question et revient tranquille et amnésique se coucher en rond dans le panier qui a été préparé pour lui, à la maison.

Ainsi sont les chats. Certains, certaines se gausseront, te diront d’un air entendu qu’il suffit, dès que le matou est de retour, qu’il dort, qu’il est sage, de bien le nourrir pour s’assurer qu’il reste bien à sa place. De le châtrer, peut-être, ce serait plus prudent…. Et alors, la pendule du salon pourra de nouveau égrener les secondes, la vie s’immobiliser et ne plus tourner qu’au rythme des aiguilles de l’horloge qui jamais ne s’évaderont de leur cadran.

Sauras-tu mon enfant, résister à la tentation de la domestication ? Sauras-tu … »

Grand-mère se tait et flotte le souvenir de chats d’antan, de chats bottés, de chats légers…

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