Monsieur Gordon nous laissa le rejoindre dans son bureau. Les aboiements des chiens se faisaient encore plus entendre dans cette pièce. Cela en plus du regard noir du directeur des lieux me donnaient bien des frissons.

 Alors que j’aurais cru que ça aurait été facile de le demander de me raconter mon histoire, c’était tout le contraire. Mon père comprit rapidement mon malaise et s’excusa auprès de l’homme.

 — Mon fils est encore un peu jeune, excuse-le. C’est son tout premier interview. J’ai pris contact avec toi pour lui. Sa maîtresse lui a demandé de rédiger une rédaction d’une dizaine de page pour la rentrée. Le thème stipulé est une personne qui a changé du tout au tout après un évènement. Comme je te l’ai déjà raconté, il aimerait dans le futur raconter des histoires avec des animaux, basé sur l’émission télé « Nos animaux, ces héros » où les animaux sauvent des hommes. Et avec cette rédaction, j’ai vu l’opportunité qu’il a de pouvoir se lancer dans ce grand projet. Pui, j’ai pensé à toi. Tu es le sujet idéal. Si tu ne veux pas, on comprend tout à fait et on s’excuse de t’avoir dérangé.

 Monsieur Gordon ne répondit pas tout de suite, il semblait songeur. Mon père me fit signe de me préparer à partir, au moment où on se levait, notre interlocuteur demanda :

 — Si j’ai bien compris, ton fils doit faire une rédaction pour l’école et il rêve de parler d’animaux qui ont sauvé les animaux. Tu as pensé à moi… et tu demandes que je sois le sujet de son texte pour l’école ?

 — C’est ça !

 — OK ! Et je gagne quoi en échange ? Tu sais que le temps que je vous donne est des adoptions perdues ? Et qui te dis que j’ai envie que toute une classe connaisse mon histoire ?

 — Je sais. Je sais aussi que ton histoire tu en es fier, que le changement que tu as vécu a été merveilleux. Peut-être que le fait que ton histoire peut rendre des enfants de dix ans respectueux envers les animaux ?

 — Mitch ! Tu sais très bien ce que je pense des enfants et tu sais aussi bien ce qu’il pense de moi… Ton petit gars, chaque fois que je le croise avec ses copains c’est de la terreur que je lis dans leurs yeux.

 À cet instant, je releva le regard vers lui. Il arrivait donc à lire dans nos yeux ? Cependant, notre peur était explicable. Le physique de Monsieur Gordon, son regard noir et ses marmonnements nous fichait une trouille bleue et les rumeurs le concernant n’arrangeaient rien. Quand ses pupilles croisèrent les miennes je rebaissai la tête.

 — Tu vois ce que je veux dire, marmonna Gordon en me désignant de ses mains.

 — Oui, mais peut-être que ton histoire les fera changer d’avis sur toi, sur les préjugés et les rumeurs. Et tu pourrais aussi le faire en leur mémoire.

 — OK ! Je veux bien… mais à une seule condition !

 — Laquelle ?

 — Que ce soit ton gamin qui me pose les questions. Il veut devenir journaliste et rencontrer des personnes, il n’a qu’à commencer maintenant.

 La condition me fit sentir mal, j’avais chaud. Pourtant, je devais prendre mon courage à deux mains. Une occasion pareille, je n’étais pas sûr que ça se reproduirai. Les joues en feu, je relevai la tête avec le peu de fierté qu’il me restait.

 — Bon… bonjour Monsieur Gordon, je m’appelle Jason Collins et j’aimerai vous interviewer. Est-ce que je peux brancher ça, avant de commencer ? questionnai-je, le regard fuyant vers mon dictaphone.

 — Oui, il y a une prise sur le côté du bureau.

 Les mains tremblantes, je le brancha. Une fois fais, je me rassis sur la chaise. Je repris une grande inspiration, appuya sur le bouton et d’une voix que je voulais claire, lui demanda :

 — Monsieur Gordon, je n’ai qu’une seule question à vous demander. Pouvez-vous me raconter l’histoire qui vous a changé ?

 Mis au pied du mur et impressionné par ma question, Monsieur Gordon commença son histoire.