Chapitre 12 - Un futur immuable

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— Il est de notre devoir sacré d’agir. Terra l’a voulu ainsi. Ne gaspillons pas sa force vitale en sortilèges vains.

— Sœur Neferet, le Coven a prononcé son verdict. Il n’est pas de notre ressort d’intervenir sur la vie des hommes.

— Sœurs Supérieures, je vous en conjure, donnez-y une seconde pensée. Comment pouvez vous les regarder se déchirer ainsi ? Les barbaries que les uns font subirent aux autres, les guerres, les conquêtes. Il faut soigner leur cupidité et leur convoitise. Les hommes courent à leur perte.

— Chaque espèce est vouée à disparaitre. Si les hommes s’éteignent plus vite que naturellement, c’est que Terra l’aura voulu ainsi, jugeant qu’elle s’est trompée dans leur création.

— Terra ne se trompe pas. Elle a fait de nous, Mageresse, les gardiennes de ses créations. Nous devons exécuter sa volonté et débarrasser les hommes de la haine qui les ronge.

— Non, Sœur Neferet, Terra a décidé que cette tâche incombait aux Sans-visages.

— Sœur Supérieure Shali…

— Il suffit ! Le Coven a tranché, il est inutile de continuer cette argumentation. Nous refusons votre requête.

Shali se leva et frappa du plat de la main la table de pierre dans une gerbe d’étincelles. Ceci annula l’ensorcèlement du livre-note, signifiant la fin de l’assemblée. Courroucée, Neferet se leva à son tour, recouvrit ses épaules d’une lourde fourrure grise, et prit congé.

— Uur, gardez un œil sur Neferet. Je crains qu’elle n’agisse seule. Une simple invocation de surveillance suffira, je pense.

— Je le fais de ce pas, Shali.

Les cinq Mageresses restantes se quittèrent sans rien ajouter.

Neferet traversa la forteresse de pierre d’un pas rapide, luttant contre les bourrasques de neige qui la traversait çà et là. Elle rejoignit ses quartiers et glissa une petite clé de bronze dans la serrure. En ouvrant le battant, elle fut assaillie par une étouffante chaleur et se précipita à sa rencontre. Elle s’empressa de fermer la porte derrière elle et laissa tomber sa peau de bête aussitôt. Elle était soulagée de retrouver sa boutique dans laquelle s’engouffrait un vent brulant.

La matinée était déjà bien avancée et les marchands braillaient à tue-tête derrière leurs étales. Son mari était parti pour Tourah, au sud du Caire, et ne rentrerait pas avant plusieurs semaines. Le pauvre homme subissait les coups de fouet jour et nuit pour extraire la pierre calcaire nécessaire à la construction de la pyramide en l’honneur du pharaon Kephren, fils de Kheops. Chaque fois que Neferet le voyait rentrer, son cœur se déchirait autant de fois que le fouet avait mordu son dos. Même puissante enchanteresse, elle ne pouvait rien faire de mieux pour lui qu’alléger sa peine en lui tissant une réalité plus douce. Si le quotidien qu’elle lui montrait n’avait rien de réel, son sourire, lui au moins, n’était pas feint.

Tout en balayant le sable ramené par le vent, elle réfléchit plus sérieusement à son mari. Ce qu’un homme pouvait faire subir à un autre homme sous prétexte d’un plus grand pouvoir l’écœurait. Elle ne comprenait pas quel sentiment animait celui qui tenait le fouet. Comment soutenir le regard d’un homme qui se tord de douleur ? Comment continuer à abaisser le bras jusqu’à ce que la corde en revienne rouge ? Tout ceci lui était parfaitement étranger. Et pourtant, elle savait que lorsque le bonheur emplissait le cœur d’un homme tout était différent. Depuis que son mari ne connaissait plus la souffrance, jamais plus il n’avait levé la main sur elle. Ce désir de faire subir à l’autre ce que lui-même subissait. Donne de la douleur tu recevras de la haine. Donne de la douceur tu recevras de l’amour. Neferet arrêta son balai. Elle avait trouvé la solution. Elle savait comment soigner l’espèce humaine. C’était sous son nez depuis le commencement ! Elle avait soigné la tristesse de son mari d’une simple illusion. Elle allait guérir le monde d’un rêve. Un rêve éternel. Un rêve d’amour.

Neferet attrapa sa fourrure, elle voulait vérifier une dernière chose avant d’agir. Elle glissa la clé dans la serrure du garde mangé qui s’ouvrit aussitôt sur les couloirs glacials de la forteresse. Au même moment, un petit oiseau coloré jusqu’ici posé sur le rebord de la fenêtre s’évapora silencieusement ne laissant qu’une volute de fumée bleutée.

Elle resserra la peau autour de son cou et se dirigea vers la tour de convocation. Elle gravit les interminables escaliers et pénétra dans la salle la plus haute, celle de la Sœur Astrayd, Devineresse Supérieure du Coven. Elle enclencha sa clé dans la serrure d’une porte se dressant seule au centre de la salle circulaire puis attendit que Sœur Astrayd se présente. Les cinq ailes de convocation permettaient aux autres Mageresses de bénéficier des talents des Sœurs Supérieures, ou de simplement demander conseil sans réunir le Coven entier.

Dans une niche haut perchée, un petit oiseau coloré apparu dans un tourbillon bleuté.

— Que voulez-vous encore Sœur Neferet ? demanda la Sœur supérieure Astrayd en passant la porte.

— Sœur Supérieure, ma requête vous paraitra étrange, mais je vous garantis qu’elle prendra tout son sens en temps voulu.

— Parle. Ce sera à moi d’en juger.

— Serait-il possible de voir la Terra à un jour espacé de 5 000 années de notre date actuelle ?

— Savez-vous qu’avec un tel écart temporel, les exactitudes de ma vision seront inférieures à 0,000 001 % ?

— Oui Sœur Supérieure.

— Gardez-vous la même requête ?

— Oui Sœur Supérieure.

— Quelle en est la finalité ?

Ce qu’elle allait faire était parfaitement interdit par les lois du Coven, mais Neferet avait besoin de savoir. Elle agita discrètement les doigts de sa main encore enfouie sous sa peau, tissant un enchantement entre elle et la devineresse. Dès à présent, Neferet pouvait dire ce qu’elle voulait, Sœur Astrayd entendrait la réponse qu’elle souhaitait. Très intéressé, l’oiseau s’approcha sans bruit.

— Ô Sœur Suprême Astrayd, maitresse du temps, vous êtes la devineresse la plus à même de faire d’une prédiction aussi complexe la plus précise possible. Seule vous, pouvez accéder à ma requête de manière aussi brillante, s’entendit proférer l’enchanteresse à la place d’un banal « j’en ai besoin ».

— Très bien Sœur Neferet.

Il était certain que les pouvoirs de divination d’Astrayd n’avaient pas leur pareil. Elle était capable de montrer l’avenir au demandeur et contrairement à la plupart des autres devineresses il lui était possible de commander à son don.

Neferet se sentit décoller. Elle fut projetée à des milliers de kilomètres au-dessus d’une boule bleue tâchée de volutes blanches et de parcelles vertes. D’un seul coup, elle s’en approcha à toute vitesse et comprit qu’elle avait regardé Terra de son extérieur. Elle virevolta au-dessus de déserts ravagés et infertiles. Elle s’approcha encore et finit par atterrir dans un étrange lieu. Elle était encerclée d’immenses tours de pierre transparentes, démolies pour la plupart. Un homme en guenilles passa devant elle. Il fut abattu par un second dans une assourdissante détonation. L’homme qui brandissait un objet noir à bout de bras accourut vers le cadavre et lui vola une gourde remplie d’eau. Neferet décolla à nouveau pour atterrir cette fois-ci au cœur d’un champ de céréales disséqué par un monstre de métal qui traçait de profondes tranchées dans le sol, détruisant toute forme de vie sur son passage, si tant est qu’il y en ait encore… Elle s’envola à nouveau pour s’écraser au cœur d’une lande brulée. Des bruits assourdissants résonnaient de toutes parts. Un étrange animal passa devant elle en beuglant, l’arrière-train en proie aux flammes.

Aussi soudainement qu’elle était venue, la vision se dissipa. Neferet reprit bruyamment son souffle comme si elle sortait de l’eau. Son cœur battait vite, broyé par toute cette horreur. Les hommes avaient tué Terra… Rien avait changé et rien ne changerait jamais.

Cette terrible vue de l’avenir la glaça et renforça son idée. Non seulement elle guérirait les hommes de leur haine, mais elle les empêcherait également de détruire Terra dans leur folie meurtrière.

— N’oublie pas que l’avenir est hautement incertain et qu’en 5000 ans, bien des choses peuvent changer, conclut Sœur Astrayd avant de repasser la porte centrale.

Neferet, encore hébétée, réajusta sa fourrure et s’éloigna d’un pas chancelant. Non, 5 000 ans n’effaceraient pas la malveillance des hommes. Il fallait qu’elle agisse. Le Coven n’avait pas vu ce qu’elle venait de voir.

Cela faisait maintenant plusieurs semaines que Neferet réfléchissait à la manière de s’y prendre. Sa magie était très puissante, elle le savait et serait certainement la prochaine enchanteresse à prendre la suite de Sœur Minéa et revêtir le titre d’Enchanteresse Supérieure.

Son enchantement ne devait pas affecter la perception de l’environnement. Neferet se servit des mendiants qui hantaient les rues du Caire pour tester et parfaire son illusion. La clé de la réussite était l’amour. L’amour qu’elle insufflait à son enchantement devait être assez fort pour supplanter toute forme de négativité. Elle se servit de son adoration pour Terra.

A près un nombre incalculable d’essais, elle trouva le juste équilibre. Étrangement, insuffler trop de douceur éclipsait toute envie à l’homme de faire quoi que ce soit de sa vie. L’architecture de son rêve fin prête, il ne lui restait plus que de l’étoffer. Pour ce faire, elle devait le tester à plus grande échelle. Une ville peut-être ?

Neferet ferma sa boutique pour un temps, grimpa sur un chameau et s’en alla en quête d’un village-test. Dans le cas présent, sa clé ne lui était d’aucune utilité, n’ouvrant des portes que sur des lieux connus. Elle s’enfonça dans le désert de Libye, cherchant un village reculé, inconnu des cartes. Après plusieurs jours de marche, elle trouva ce qu’elle voulait. Du haut d’une petite falaise, elle surplombait un hameau battu par le sable.

Neferet mit pied-à-terre, dégrafa son turban et s’assit en tailleur. Le vent soufflait fort et quelques mèches noires venaient gifler son visage. Le soleil déclinait doucement, rendant l’air plus respirable. Elle fixa son attention sur les quelques maisons rudimentaires en contre bas et se rendit compte qu’un étrange flux d’énergie circulait autour d’elles. Elle s’en réjouit, car son enchantement serait d’autant plus facile à tisser. Des cinq classes de mageresses, les enchanteresses avaient le plus de mal à tirer parti de l’énergie de Terra. Hors son illusion nécessitant une grande force, Neferet puiserait dans cette vague d’énergie « toute prête ». Elle mit ses mains l’une en face de l’autre et commença à psalmodier. Le flux d’énergie qui ondulait mollement autour du village se tordit et vint l’envelopper mollement. De fins fils d’or apparurent entre ses doigts. Au fur et à mesure de la litanie, les fils tissaient une pelote de plus en plus serrée. Lorsque Neferet prononça son dernier mot, elle tenait dans les mains une large sphère d’or lisse et parfaite. Elle regarda l’objet étonnée. Jamais au par avant un enchantement avait pris cette forme-là. D’ordinaire, il s’agissait d’un simple fil quasiment immatériel qu’elle nouait mentalement autour de sa cible. En la regardant de plus près, la boule semblait fragile, prête à exploser.

En effet, lorsque la sphère toucha le sol au centre du village elle éclata, provoquant une violente déflagration et un nuage de sable. Vus de l’intérieur, les habitants du village eurent la surprise de voir un immense arbre jaillir du sol aride. Neferet le savait, car elle pouvait aisément se déplacer sur la toile de son illusion et voir ce qu’elle montrait aux autres. Tout avait fonctionné à merveille. Satisfaite, Neferet se hissa sur son chameau et prit le chemin de ses pénates. Elle avait des rêves à tisser !

Un petit oiseau coloré perché non loin de là avait tout observé.

Pendant les semaines qui suivirent l’enchantement du village, Neferet se contra sur une seule chose : gagner en puissance. Elle devait apprendre à tirer meilleure partie de l’énergie que fournissait Terra. Elle s’isola dans les dunes et s’entraina sans relâche.

Nue, assise en tailleur dans le sable, elle percevait Terra. Le vent chantant dans ses cheveux détachés. Le soleil brulant ondulant sur sa peau. Le sable fin glissant sous ses cuisses. Lorsqu’elle palpait le fil d’énergie monter du sol et traverser son corps, elle s’en saisissait et commentait à tricoter son rêve jusqu’à obtenir une sphère d’or. Chaque déflagration d’illusion était plus puissante. Lorsqu’elle ne vit plus la limite du nuage de sable provoqué par celle-ci, elle décida de tester ces progrès.

Ce n’était plus un village dont elle avait besoin, mais une ile. Un territoire bien délimité. Si elle parvenait à enchanter toute la population à sa surface, alors elle serait fin prête pour sauver l’humanité. Sauver Terra. Plus de guerre où le sang venait rougir la terre. Plus de cupidité pour aveugler l’esprit et de haine pour trouer le cœur. L’harmonie tout simplement. La symbiose entre l’être et la nature.

Dans les marchés du Caire, elle avait entendu parler de l’ile du peuple Kaphti non loin de l’Argolide. Un seul peuple, circonscrit à un seul territoire. Des conditions idéales. Les Kaphti seront les premiers à être sauvés. Neferet, troquant au préalable son apparence féminine pour celle d’un homme fort, embarqua dans le premier navire commercial en direction de l’ile.

Une fois les pieds à nouveau sur la terre ferme, elle grimpa immédiatement jusqu’au point le plus haut de l’ile et s’assit en tailleur. Elle ne prit pas le temps d’admirer la vue qui s’offrait à elle, impatiente de se mettre au travail. Elle se concentra jusqu’à ce que sa respiration soit en rythme avec Terra. Le fil d’énergie monta en elle et elle s’en saisit délicatement. L’illusion prenait forme, riche et sophistiquée. Les Kaphtis allaient être bien lotis.

Lorsque Neferet lâcha la sphère d’or, le déferlement d’énergie se perdit à l’horizon. Neferet ne savait dire jusqu’où l’illusion était allée, mais toute l’ile était conquise. Elle avait réussi !

Cette fois, elle touchait au but. Il était impossible qu’elle englobe le monde d’une seule sphère, mais en les répartissant dans le monde entier elle pourrait y arriver. Si elle reliait toutes les sphères entre elles d’un simple fil d’illusion, l’éclatement d’une entrainerait celui de toutes les autres. Neferet sautilla sur place, elle n’en pouvait plus de joie. Son plan était brillant, parfait.

Trois petits coups vifs vinrent troubler le silence nocturne haut dans une tour de la forteresse. Un simple mouvement flegmatique de l’indexe et le verrou tourna sur lui-même, ouvrant la porte.

— Shali ! Je suis désolé de te déranger, mais c’est urgent ! Je pense qu’il est nécessaire de nous réunir sur le champ.

— Astrayd… Quelle heure est-il ? marmonna une voix enfouie sous de lourdes couvertures.

— L’heur de se lever quelque part dans le monde !

— Les autres Supérieures ?

— Toutes dans la salle du conseil, nous n’attendons plus que toi Shali. Et nous avons un invité très spécial.

— Ah, qui est-ce ? demanda Shali tout en attrapant sa fourrure noire les yeux encore cousus par la fatigue.

— Un Sans-visage.

Shali se retourna brusquement très étonnée et s’empressa de suivre Astrayd. Elles dévalèrent les escaliers de la tour des appartements supérieurs, traversèrent la cour battue par un terrible blizzard et rejoignirent enfin la salle du conseil. Les trois autres Sœurs étaient déjà présentes : Minéa, Enchanteresse supérieure, Uur, Invocatrice supérieure et Enhea, Guérisseuse supérieure.

— Alors voilà Shali, la Sorcière Supérieure du Coven, déclara la voix neutre d’un félin blanc.

L’animal se tenait assis bien droit au centre de la table de pierre, agitant mollement une queue touffue.

— Je me nomme Khit’sun

Les cinq sœurs s’inclinèrent respectueusement. Connaitre le nom d’un Sans-visage était un immense honneur.

— Mageresse, le monde des hommes disparait. Je vais vous livrer le futur tel qu’il sera demain si vous n’agissez pas.

Les mageresses s’étaient regroupées autour de lui. Elles le regardaient les yeux grands ouverts sans comprendre ce qu’il disait.

— Mais… Les Sans-visages ne livrent rien du futur, fit remarquer Astrayd.

– C’est juste. Pour préserver son intégrité, il nous est interdit de le révéler.

— Alors qu’est-ce qui a changé ? insista-t-elle.

— Neferet.

Comme une seule âme, elles frémirent toutes ensemble.

— Je ne comprends pas… souffla Shali

Le renard tourna ses yeux aussi blancs que son pelage vers Uur sans rien ajouter.

— Sœur Shali j’ai fait comme vous me l’avez demandé une invocation de surveillance, expliqua Uur. L’oiseau que j’ai envoyé a suivi tous les faits et gestes de Neferet. Il semblerait que ces derniers temps elle ait tissé un nombre incalculable d’illusions. De ce que voyait l’oiseau, elles étaient toujours plus complexes. Récemment, j’ai eu du mal à le croire, mais elle aurait inventé un nouveau genre d’illusion, capable d’enchanter toute une ile.

— Impossible… s’étrangla Minéa, l’enchanteresse supérieure.

– Et pourtant rien est plus vrai, reprit Khit’sun. Voici le futur : Neferet tisse une illusion qui enferme chaque esprit vivant capable d’imagination, enrayant le concept d’évolution. Demain sera pareil à aujourd’hui et dix milles après-demain seront pareils à aujourd’hui. Si Neferet réalise son enchantement, le futur sera éternellement figé.

Shali se laissa tomber sur un des cinq sièges. Elle n’arrivait pas à le croire. Elle comprenait mieux pourquoi le Sans-visage faisait une entorse à la règle. Enrayer l’évolution ? Faire disparaitre le futur ? De telles choses étaient-elles possibles ?

— Que faire… ? murmura-t-elle.

— Lorsqu’elle reviendra, trouvez la sorcière à l’œil vert et aux crocs rouges.

Khit’sun se leva et sauta de la table avec grâce. Avant de sortir, il leur lança un dernier regard.

— Que ce conseil puisse traverser les millénaires.

Les cinq femmes le regardèrent s’éloigner, ahuries. Était-ce une prophétie ? Les Sans-visages avaient une façon bien à eux de dire les choses.

— Astrayd… appela Shali, la tête entre les mains.

La devineresse ferma les yeux quelques secondes, le temps d’inventorier les différents futurs. Ses visions étaient différentes de celles des Sans-visages. Elle n’avait pas leur don d’omniscience, mais elle pouvait voir les multitudes de possibilités que pouvait engendrer un simple choix. Ce pendant ce qu’elle vit la glaça. Le Sans-visage avait raison, dans toutes les versions où Neferet n’était pas stoppée, le futur était fixé.

— Le Sans-visage a dit vrai. Et nous avons peu de temps pour agir. Dans aucun des futurs proches, nous ne pouvons définitivement arrêter Neferet, son pouvoir est trop grand.

— Comment en sommes-nous arrivées là ? Pourquoi Terra a-t-elle permis que la magie d’une seule enchanteresse transcende celle de cinq Mageresses Supérieures ? Quand toute cette histoire sera résolue, nous devrons éditer de nouvelles lois, dit Enhea la Guérisseuse.

— Ainsi que diviser nos pouvoirs, ajouta Minéa. En particulier toi, Shali. Les capacités de destructions d’une sorcière n’ont que l’imagination pour seule limite. Heureusement, ta puissance n’a d’égal que ta bonté, mais qu’aurions-nous fait si Neferet avait été une sorcière ? Une trop grande quantité de magie dans les mains d’une seule personne est dangereuse.

— J’en conviens, Minéa, répondit Shali, mais reprenons cette discussion lorsque Neferet sera en incapacité d’agir.

Lorsque Neferet reçut l’ordre de se présenter au conseil du Coven, elle comprit sans mal que les cinq Supérieures cherchaient à l’arrêter. Elle s’y était préparée. Pendant tout ce temps, elle n’avait pas uniquement parfait son illusion, elle avait également réfléchi à une solution de repli. Il était impossible qu’elle abandonne son projet. Si elle ne le réalisait pas aujourd’hui, elle le ferait à une autre époque, il n’était jamais trop tard pour panser Terra.

Neferet avait trouvé le moyen d’enchanter un objet de sa propre âme. Si son enveloppe charnelle venait à être supprimée, son essence serait conservée dans cet objet jusqu’à ce qu’un jour quelqu’un vienne l’en délivrer. Elle avait pris une marge de sécurité et placé une infime part d’elle-même dans les parchemins qui lui avait tenu lieu de journal ces derniers mois. Toute personne posant les yeux sur ces parchemins, même sans en comprendre le contenu, serait prise de l’irrésistible envie de retrouver le miroir. Alors elle renaitrait et achèverait sa tâche. Peu importe ce que feraient les Sœurs Supérieures, elle se savait en sécurité.

— Vous ne m’arrêterez pas, conclut fièrement Neferet dressée devant les doyennes du Coven.

Les Sœurs Supérieure étaient sidérées de son annonce. Neferet venait à elle seule de créer trois puissants enchantements. Minéa elle-même ne saurait enchanter un objet de son âme.

— Sœur Neferet, écoutez-vous, pourquoi souhaitez-vous condamner l’humanité à ne jamais vivre l’avenir ?

— Je ne condamne rien du tout, je sauve des milliards d’innocents, Sœurs Supérieures Enhea.

— Cela suffit ! s’exclama Shali. J’en ai assez entendu. Si vous ne souhaitez pas arrêter cette folie, c’est nous qui le ferons. Sœur Neferet, enchanteresse de haut grade, le Coven vous condamne à mort sur le champ. Votre corps et tout ce qui vous appartient sera détruit.

L’expression malicieuse que Neferet accrocha sur son visage fut la dernière chose que les Sœurs Supérieures virent avant que Shali n’embrase le corps de l’enchanteresse d’un simple clignement de paupière agacé.

— Shali, je pense qu’il sera nécessaire de diviser ta magie plus d’une fois… c’est indécent tant de puissance.

— Uur a raison, ne prenons pas le risque que ta magie se réincarne dans une autre Neferet, ou le monde sera définitivement perdu.

— Vous avez raison, mes sœurs. Cependant, inspirons-nous de Neferet. Plutôt que de la laisser entre de mauvaises mains, je préfère enfermer ma magie dans un objet inanimé et en autoriser l’accès qu’à une seule personne.

— Qui donc ? s’étonna Minéa

— La sorcière à l’œil vert et aux crocs rouges. Mon instinct me dit qu’elle en aura besoin.

— Puisses tes mots traverser les millénaires, compléta Astrayd.

L’incident Neferet fut clos pour plusieurs millénaires. Les cinq sœurs consignèrent les évènements dans des écrits à l’accès très règlementé pour en informer leur descendance. La sorcière de la prophétie devait être trouvée avant que Neferet revienne.

Malgré tous les sortilèges que Shali essaya pour détruire le miroir ou les parchemins, de sa création ou vieux de mille ans, aucun ne parvint à altérer leur nature. Les enchantements qu’ils contenaient les protégeaient de la destruction. La sorcière réussit néanmoins à scinder le miroir en cinq morceaux que chaque sœur eut la charge de dissimuler. Les parchemins, eux, furent classer comme « lectures interdites » que d’autres ouvrages rejoignirent au cours des siècles.

En ce qui concerne la scission de leur pouvoir, les sœurs Supérieures passèrent le reste de leur vie à chercher des âmes pures pour leur partager un peu de leur magie. D’autres sœurs de catégories inférieures se joignirent à elle, convaincues par le bienfondé de cette action. Le nombre total de Mageresses passa alors de 12 685 à 19 260 et se nombre changea guère depuis lors.

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