Lentement, tu me trempes dans la couleur de ton choix. Ce sera le jaune pour cette fois, puis tu étales la parure dont tu m’as enduit sur la toile. Avec mon aide, tu traces une première ligne bien droite, parfaite, ni trop grande, ni trop petite. Mon manche se trouve au bout d'une tige posée dans ta bouche.

Avec une délicatesse infinie et une attention toute particulière, tu me fais faire un trait vers le haut. S’ensuit un autre vers le bas. Je recommence l’opération trois fois de suite, avant que tu ne fasses tremper ma partie sensible dans l’eau. Tu fais cohabiter le bout de mon être avec du rouge, et me repositionnant vers la toile, tu réfléchis. Pas longtemps, car tu me plaques dessus et appuie.

Puis tu me fais de nouveau barboter dans l’eau, tu me revêts désormais de la couleur verte. Tu réitères alors le même mouvement qu’avec la couleur rouge, une petite marque. Ta bouche me guide une énième fois vers le liquide sensé me redonner ma couleur originelle. Enfin, les poils, à l’opposé de là où la tige me tient, se recouvrent de vert.

Vert, c’est la couleur de l’espoir, et je sais que c’est ce que je représente pour toi. Depuis ce fameux jour, tu as perdu beaucoup. Cette date fatidique, tu ne l'oubliera jamais, même si tu le voudrais. Avec ta mère, tu as eu un accident de voiture qui t'a obligée à passer le reste de tes jours en fauteuil. Si tes pieds ont été paralysées, cela ne s'est pas arrêté là.

Tu as commencé à faire des gestes brusques et incontrôlés. Et il a été décidé d'attacher tes main à l'aide de menottes aux fauteuils. Tu n'étais vraiment pas bien à cette époque. Mais tu nous a trouvé, moi, cette toile et cette palette de couleurs, et on t’a redonné espoir. Tu as retrouvé le goût de vivre, et tu as commencé à te donner corps et âmes à ce qu’on t’as permis de faire.

Tu réitères le même geste que tu as fait deux fois auparavant. Et ces poils viennent toucher la toile et former un autre point. Alors que tu laves mon extrémité, encore et encore, le jaune t’attire de nouveau, tu veux fignoler certains détails de ta couronne. Car oui, c’est bien une couronne que tu semble vouloir représenter sur cette toile.

Quand tu es satisfaite, tu clignes d’un œil et un jeune homme brun s’approche de toi. Ce jeune homme représente énormément pour toi, il est ta raison de vivre, de te battre, et tu es la sienne. Prenant la tige au bout de laquelle je me trouve , il la pose de nouveau dans une coupe remplie d’eau. De l’eau, c’est aussi ce qu’il porte à tes lèvres, dans une autre coupe. Tu en avales un peu puis ferme la bouche, c’est le signal pour lui et il repose le contenant.

« C’est magnifique comme toujours !» dit le garçon en remettant la tige au bout de laquelle je suis dans ta bouche.

Tu me déposes désormais dans la couleur noire et tu traces plusieurs lignes sous cette couronne. À un moment, tu va déraper mais le garçon accourt et prend ma tige dans une main. Avec un rose pâle, tu me fais encore tracer plusieurs traits. Avant de manquer à nouveau de lâcher l’entité sur laquelle je suis attaché. L’homme en puissance est là, encore et toujours et il m’attrape.

Tu décides de faire un pause, tu en informes le jeune bellâtre, ainsi qu’une personne face à toi. Le premier me pose à nouveau dans l’eau. Il dépose un baiser sur tes lèvres et t’entraînes avec lui, un peu à l’écart. L’homme qui te faisait face se lève à son tour et quitte lui aussi la salle. Il va jeter un regard vers la toile mais se ravise. Cet homme est un roi, et sur la toile, tu as peint son portrait.

Une petite demie-heure plus tard, tu es de retour devant la toile. Le jeune garçon brun qui m'a éloigné de toi prend la tige sur laquelle je me trouve. Et il la positionne de nouveau dans ta bouche, en toi. Je ressens un plaisir immense à me retrouver de nouveau à cet endroit et j'ai envie de l'exprimer.

J'aimerais faire comme toi, quand ce jeune garçon te rend heureuse. Je l'ai vu faire dans la grande chambre où tu résides. Et j'aimerais tellement faire ce qu'il fait. Ou qu'il m'utilises pour que je puisse participer aussi. Certes, je ne fais pas de bruit, comme toi ou lui, ça aussi, j'aimerais bien, ça a l'air de vous rendre plus heureux encore.

Je prends un bain de rouge et tu traces plusieurs lignes horizontales toutes parralèles entre elles. Tu me fait réitèrer cette opération à un autre endroit de la toile. Puis tu me mouilles et me plonges dans la couleur noire pour faire de nouveaux traits. Tu sembles vouloir que ceux-ci soient fins, pour mettre en lumière des détails.

Derrière toi, le jeune homme sourit. C'est comme si il avait des étoiles dans les yeux, il semble fier de toi, et donc par ricochet, de moi aussi. J'espère qu'il le sera encore davantage à la fin. Me trempant dans la couleur marron, tu poursuis. Sur la partie que tu as recouverte de rose, qui est ronde, tu rajoutes deux autres ronds, plus petits. Autour de ceux-ci, tu en fais d'autre avec du blanc.

Finalement, tu me plonges dans diverses couleurs les unes après les autres pour finir les détails. Quand tu as fini, tu laisses échapper un son. Celui qui était derrière toi vint me retirer de nouveau de ta bouche et me pose dans la coupe. Après que tu lui aies lancé un regard, il me reprend et me frotte contre une serviette. Tu n'as plus besoin de moi, ta peinture semble te satisfaire...

Le garçon fait un signe de tête à celui qui se trouvait devant toi, cet homme avec la couronne. Ils se ressemblent et pour cause, ce monarque est le père du jeune garçon. Il vient admirer l'oeuvre et semble lui aussi aux anges, puis il vous salue, toi et le garçon et quitte la pièce. Le fait qu'il soit content de ton travail, de notre travail, à toi et à moi semble te remplir de fierté.