CHAPITRE 3

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Coucou ! On continue les aventures de Molkov :D


MOLKOV

CHAPITRE 3


Comme tous les manaors, Molkov s’éveilla bien avant l’aube. Habituellement, Magda le réveillait à coups de chaussures pour qu’il libère le passage vers la salle de bain que le lit bloquait. Alors il roulait sur le dos pour la laisser passer et souriait à ses jurons. Mais aujourd’hui, Magda n’était pas là et son absence pesait lourdement dans son coeur. Il poussa un long soupir avant de s’appuyer maladroitement sur le pied de lit pour se redresser. Les bougies de la pièce principale étaient allumées, il passa la tête pour saluer l’intrus.

Josaph était déjà là, les traits tirés par la fatigue. Molkov s’approcha de lui. Ils se saluèrent d’un coup de poitrine qui raisonna dans la pièce, avant que les deux nains ne s’installent autour de la petite table déjà dressée par son ami.


“J’t’aa pas antando rantrar.”


Le patois familier de son ami lui arracha un sourire. Même si l’accent nain avait tendance à se raréfier, certains irréductibles l’utilisaient toujours dans le cadre privé. Molkov ne l’avait jamais vraiment eu, sa mère tenant absolument à ce qu’il s’exprime correctement sous peine de se prendre une raclée. Il ne comptait plus le nombre de fois où son père s’était pris des coups de casseroles parce qu’il avait osé sortir un mot en patois. Encore plus caractérielle que Magda, la Mama. Elle n’avait laissé sa peau qu’à trois cents vingt balais, et avait emporté son héritage dans la tombe, caché quelque part dans la citadelle sans jamais pouvoir le retrouver. Ses onze frères et soeurs avaient tout tenté pour le retrouver, en vain. La vieille bique leur avait pourri la vie même jusque dans la tombe.


“J’ai pris la dernière montée, répondit le nain. Merci pour le repas, Josaph.

— C’ast la moaadra das chasas. On aamaat toos Magda dans las haots.”


Molkov le remercia d’un signe de tête. La solidarité des nains n’était plus à prouver. A Dolgaror, on était tous dans la même galère et personne n’était laissé derrière, qu’il soit riche ou pauvre, manchot ou le pire des manipulateurs. Le peuple, c’était avant tout une communauté où l’on se partageait tout, où l’on créait quelque chose tous ensemble dans l’intérêt du plus grand nombre. Molkov avait de nombreux amis, partout dans la citadelle et même au-delà. Il savait qu’il pouvait compter sur eux. Les rumeurs sur la contraction d’Älcàpräjä faisaient rapidement le tour de la montagne, il savait déjà, pour y avoir participé plus d’une fois, qu’il retrouverait une pile de lettre de soutien à son retour ce soir-là.


“Bon, je doas allar à la mana. A ça soar.”


Josaph le gratifia d’un grand coup dans l’épaule, pour le soutenir, et il s’éclipsa pour le laisser seul. Molkov finit son breuvage avant de prendre la direction de la salle d’eau. Vingt minutes plus tard, il quitta sa petite habitation pour rejoindre de nouveau l’hôpital.

Deux nouvelles chambres étaient illuminées par rapport à la veille, signe que la maladie avait encore gagné du chemin. La meilleure nouvelle était qu’aucune d’entre elle n’était éteinte pour le moment. Il toqua à la porte de sa femme et sa fille, sans vraiment savoir pourquoi. La vision qui s’offrit à lui lui tordit les entrailles. Elles étaient toutes les deux aussi pâles que les draps blancs qui les recouvraient. Sa fille haletait dans son sommeil, le front couvert de sueur. Même si elles ne sentaient normalement rien, le mal réussissait à s’infiltrer par intermittence. Bientôt, il serait inarrêtable, il le savait bien.

Il s’approcha du lit et épongea le front de Kalva avant de l’embrasser doucement, pour l’apaiser.


“Je suis là, ma petiote. Je suis là.”


Il lui prit la main et s’assit sur la chaise qu’il avait abandonné la veille. De sa main valide, il caressa doucement le visage de Magda, toujours aussi sévère, même anesthésié. La respiration de sa belle était sifflante, inégale. Elle qui avait toujours été en pleine forme ne lui avait jamais paru aussi faible qu’à cet instant.

Un infirmier interrompit son flot de pensées. Il s’inclina légèrement et lui offrit un sourire réconfortant.


“Nous avons une estimation, lui annonça t-il de but en blanc. La maladie n’évolue pas de la même façon pour chaque individu. Voulez-vous… savoir ?

— Oui, répondit-il d’une voix blanche.

— Votre fille, Kalva, est la plus touchée. Son état général se dégrade rapidement et nous ne pensons pas qu’elle passera la nuit.”


Molkov accusa le coup d’une crispation sur la main de sa fille. Finalement, il aurait préféré ne pas savoir.


“Quand à votre femme, poursuivit l’infirmier, son état est stable. Elle pourrait encore tenir deux ou trois jours si ça se maintient.”


Molkov ne répondit pas. Magda avait toujours été plus forte, bien sûr qu’elle résisterait. L’infirmier, mal à l’aise devant son manque de réaction, finit par quitter les lieux en prétextant d’avoir d’autres patients à voir. Molkov l’entendit à peine, trop concentré sur la respiration de Magda.

Les heures s’écoulèrent dans un silence pesant. Il ne lâcha jamais la main de sa fille, sauf pour aller se chercher à manger le midi. Quand il revint, un bol de soupe à la main, la petite chambre tranquille était remplie de médecins. Une alarme bippait sans discontinuité, se répercutant en écho dans tout le couloir. Le bol éclata au sol, Molkov courut à l’intérieur. Il fut repoussé par plusieurs médecins qui lui ordonnèrent de rester dehors. Alors il attendit. Une heure. Deux heures. Puis les hommes en blancs sortirent, le visage sombre. Il n’y avait pas besoin de mots. Molkov savait déjà. Il venait d’enterrer sa fille.

Après les derniers soins, on le laissa entrer pour voir le corps. Les nains n’enterraient plus leurs morts depuis longtemps. Par soucis de contagion, ils étaient brûlés dans les deux heures suivant la mort. Molkov s’approcha d’un corps encore chaud. Elle dormait paisiblement, elle ne souffrait plus. C’était l’essentiel. Il posa une main sur le visage de sa fille.


“Tout ira bien, maintenant. Tout ira bien…”


Il l’embrassa sur le front, grava la moindre parcelle de son visage dans sa mémoire, avant de faire signe aux médecins qu’ils pouvaient l’emmener. Ils hochèrent la tête et le lit disparut derrière la porte. Ses jambes tremblèrent et il fut contraint de s’asseoir. Ses sanglots, d’abord silencieux, puis de plus en plus bruyant, finirent par couvrir le bruit des machines de Magda. Elle ne savait même pas ce qui était arrivé. Elle qui avait tant fait pour sa fille, elle se serait effondrée.

Le soir, avant son départ, un infirmer déposa un petit vase blanc au chevet de son lit : les cendres de sa fille. Molkov passa ses doigts sur la céramique avant de se lever et de quitter l’hôpital. Il avait encore une épreuve à accomplir ce soir, et il ne voulait pas qu’elle attende une minute de plus. Il traversa la cité basse et se rapprocha d’un bâtiment blanc imposant et neuf. Il détonnait fortement dans le décor sombre, terreux et recouvert de pierre du reste de la citadelle. Dès qu’il en passa l’entrée, une odeur aseptisée le prit au nez.


Ce n’était pas un hôpital, mais c’était tout comme. Derrière la vitre devant lui, des naines de tous âges se promenaient et discutaient dans les couloirs. Molkov se débarrassa de ses vêtements et enfila une robe blanche stérile. Il nettoya longuement ses mains et sa barbe, avant d’enfiler une paire de gants et de chaussons en plastique et de rentrer. La tenue obligatoire était ridicule mais nécessaire. Si la maladie s’infiltrait ici, il y avait fort à parier qu’il ne reste bientôt plus rien de la citadelle.

Plusieurs naines l’abordèrent immédiatement pour lui demander des nouvelles de Kalva et Magda, avant de se mettre à hurler de douleur dès qu’il leur annonçait la nouvelle. Elles lui fendirent le coeur, mais il resta fort. Il ne devait pas faiblir, pas maintenant. Dans la chambre 402, quelqu’un l’attendait, sans certainement avoir la moindre idée de ce qui s’était passé aujourd’hui. Molkov prit l’alavataor et s’avança vers la chambre qu’il ne connaissait que trop bien. Magda et Kalva y avaient vécu presque cinq ans, jour après jour, jusqu’à en perdre la tête, et finalement la vie. Les salles stériles n’étaient qu’une illusion, personne n’était vraiment protégé de la maladie, mais cela rassurait les médias.

Assise face au mur, une petite naine dessinait sur un bureau trop grand pour elle. Ses crayons griffonnaient furieusement la feuille alors qu’elle chantait des chansons païennes en patois, bien trop mâtures pour son âge. En entendant la porte vitrée s’ouvrir, elle se retourna d’un coup. Molkov lut dans son regard que ce n’était pas lui qu’elle attendait, mais elle sauta immédiatement de sa chaise pour courir vers lui.


“Grand-père ! piailla t-elle en se jetant dans ses bras pour lui faire un câlin.”


Molkov serra Mara contre lui, comme si elle était la chose la plus précieuse qu’il lui restait. La petite se libéra et regarda curieusement le vase qu’il avait transporté depuis l’hôpital. Mara était loin d’être bête, elle avait déjà vu ce type de vase et elle savait qu’ils apportaient la tristesse et les pleurs. Sa lèvre inférieure se mit à trembler alors qu’elle aggripait le bras du nain.


“Où est Mama ?”


La question était purement rhétorique. Elle le savait déjà.


“Où est Mama ? redemanda t-elle, la voix tremblante.

— Je suis désolé, Mara… Ta mama ne reviendra pas.”


La petite se jeta dans ses bras et son corps fut immédiatement secoué par les larmes. Molkov ne retint pas les siennes bien longtemps non plus et ils pleurèrent longtemps, dans les bras l’un de l’autre, jusqu’à ce qu’ils tombent tous les deux de fatigue au milieu de la nuit.

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