CHAPITRE 1

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MOLKOV

CHAPITRE 1

Les pioches chantaient sans cesse contre les murs de Dolgarur. Le jour, la nuit, leurs coups répétés résonnaient dans l’ensemble de la montagne comme une mélodie sans âge, un air que l’on ne peut jamais totalement se sortir de la tête. Les étrangers trouvaient la chanson dérangeante et intrusive, mais pour les habitants de la citadelle, elle était le signe que tout allait bien. Le vieux Molkov faisait partie de ces enfants bercés par les plaintes sonores des rochers qui se brisent, des tapis roulants couverts de draconom et des cris des craosaors-chaf pour annoncer la pause-repas.

Lui-même appréciait cette cacophonie depuis près de cent vingt printemps maintenant. Plusieurs fois, on lui avait fait comprendre qu’il était temps qu’il laisse son poste à un de ces jeunots à l’air rêveur, mais il ne pouvait s’y résoudre : la mana, c’était la seule chose qu’il connaissait. Si certains naissaient avec un marteau de forge dans les mains, lui avait toujours voulu travailler la roche. Il connaissait chacun des quatre-vingt quatorze types de minerais et pouvait d’un coup d’œil vous raconter l’histoire de ces pierres précieuses qui passaient tous les jours dans ses mains.

Attaché dans son harnais de sécurité, Molkov tapait ce matin dans un filon de Carra dorà, l’un des minerais les plus rares et les plus chers qui existait. Il avait tracé les érosions, étudié chaque crevasse pendant plusieurs semaines avant d’arriver à cet instant qu’il savourait plus que jamais. Sa longue barbe noire frémissait d’excitation et s’entortillait sans arrêt dans la corde qui le conduisait si proche du but, retenue par ses disciples quelques centaines de mètres plus haut. Il ne les voyait plus depuis longtemps. Peu de nains osaient franchir la barre symbolique des sept-cents mètres de profondeur, mais lui ne l’avait jamais crainte.

Loin de l’effrayer, le gouffre noir et sans fond qui s’étendait sous ses pieds lui rappelait l’insouciance de sa jeunesse. Il n’avait jamais perdu le goût du risque et même la vieillesse ne l’avait pas empêché de se mettre en danger. “Tu vas finir par y laisser les os”, lui répétait sa femme, le visage fermé. Elle pouvait parler. Elle n’était pas la dernière lorsqu’il s’agissait de risquer sa vie pour un gramme de draconom bleu. Molkov s’était promis de lui en ramener bientôt. Magda ne supportait pas la quarantaine imposée à toutes les femmes de la citadelle et il en avait conscience.

Depuis trois mois maintenant, il était seul à ramener l’argent à la maison, comme tous les hommes de la ville. Il ne croisait plus les sourires chaleureux des ouvrières du centre de tri, toutes remplacées du jour au lendemain par des gardes peu qualifiés. Mais personne n’osait contester les ordres. Ce n’était que temporaire, et bientôt, tout redeviendrait comme avant.

Molkov tira un coup sec sur la corde. La pierre précieuse brillait devant lui, coincée dans une couche de roche. Le vieux nain saisit la pioche qui pendait à sa ceinture et ajusta la luminosité de sa lanterne. Bientôt, le bruit du pic sur le caillou se joignit à l’harmonie qui planait tout autour de lui. Une dizaine coups suffirent à dégager le minerai. Une lumière d’un jaune vibrant s’en détachait, comme s’il possédait sa propre force de rayonnement. Vingt coups précis et calculés libérèrent le Carra doré de sa coquille rocailleuse. Il tourna plusieurs fois sa trouvaille dans la main pour l’examiner avec plus d’attention. Plutôt grosse, sans aucune fissure, c’était une prise exceptionnelle. Il en tirerait un bon prix.

Satisfait, il rangea soigneusement l’artefact dans sa vieille sacoche de cuir et releva la tête vers le haut de la montagne. Le bruit des pioches si fort quelques secondes plutôt se tarissait pour ne devenir que murmure. Les pioches ne se taisaient jamais entièrement, sauf lorsque quelque chose de grave se produisait. Inquiet, Molkov tira deux fois sur la corde, pour demander sa remontée. Il sentit du mouvement dans la corde, mais on ne commença à tirer qu’après quelques secondes, ce qui renforça son intuition. Il ne sut si la valeur de la pierre ou la menace d’un nouveau danger le rendait plus anxieux qu’à l’accoutumée, mais cette montée lui parut durer longtemps. Trop longtemps.

Lorsqu’il atteignit la zone commune de la mine, celle où la plupart des ouvriers travaillaient, il comprit que quelque chose allait vraiment mal. Les harnais étaient vides pour la plupart et les pioches laissées à l’abandon. A l’heure du repas, cette scène aurait pu passer pour normale, mais l’après-midi débutait à peine. Il s’inquiéta un instant du coup de grisou, avant de réaliser que ses coéquipiers l’aurait remonté bien plus rapidement si ça avait été le cas. Non, ses disciples paraissaient prendre leur temps : ils craignaient le face-à-face.

Le ponton d'atterrissage apparut bientôt au dessus de sa tête. Molkov saisit les mains qui se dressaient au-dessus de lui pour l’aider et se hissa difficilement sur la plateforme. De nombreux nains s’y trouvaient, silencieux et le casque baissé. Le vieux nain chercha les regards de ses compagnons, mais une certaine tension régnait dans les lieux. Un homme s’avança vers lui. Aux tresses sophistiquées de sa barbe, Molkov sut qu’il s’agissait d’un màdacan. Son ventre se tordit brutalement et il lâcha sa lourde sacoche.

“Pitié, non, chuchota t-il. - Je suis désolé, répondit le spécialiste de la santé. Votre femme et votre fille l’ont contractée. Nous avons dû les emmener.”

Molkov sentit ses jambes faiblir. Plusieurs manaors s’avancèrent pour l’empêcher de s’écrouler. Le nain poussa un cri de rage et de tristesse qui se répercuta en écho dans toute la montagne, comme bien trop souvent ces dernières semaines. Tous les nains savaient ce que signifiait la visite du màdacan : dans trois jours, un nouveau mari serait veuf et ils ne pourraient rien y faire.

Le nain se releva. Il ne voulait pas être faible devant toutes ces personnes qui le considéraient comme un vànàrable, le plus ancien des mineurs.

“Et Mara ? implora t-il d’une voix brisée par l’émotion.

— Elle est en surveillance, mais la prise de sang est négative.”

Il hocha la tête. Sa petite-fille allait bien, c’était tout ce qu’il comptait à cet instant. Il devait se raccrocher à cette idée car dans quelques jours, son monde entier, celle avec qui il avait passé soixante ans de sa vie, ne serait plus.

Doucement, le bruit des pioches reprit, d’abord faible, puis de plus en plus fort. La mort était devenue chose commune à Dolgaror, que Balgröm le veuille ou non.

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