Chapitre 2

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Acacio n’avait pas tenu deux minutes avant d’essayer de noyer son familier sous des litres de flotte. Et en réponse, Shain avait tenté de le mordre. Il n’avait cependant réussi qu’à attraper la manche de son invocateur et à la déchirer. Il retenta sa chance tout en esquivant des jets d’eau et de foudre que lui balançait Acacio, mais le sorcier, en plus d’être doué pour la magie, semblait avoir un don pour l’esquive.

De longues minutes passèrent où aucun ne parvint à toucher l’autre, énervant d’autant plus le loup. Le seul résultat de leur affrontement fut la destruction de la moitié des meubles et des documents sur le bureau. Le matelas ressemblait maintenant à une énorme éponge imbibée d’eau, des feuilles avaient les bords carbonisés, des livres étaient éventrés au sol et une des portes de l’armoire ne tenait plus que par l’une de ses charnières. Même la baie-vitrée n’en était pas sortie intacte – on pouvait y discerner un bon nombre d’impact.

— Mais tu vas arrêter de bouger, sale clebs ! s’énerva l’invocateur.

Pour toute réponse, le loup-garou grogna violemment, toutes crocs dehors, les oreilles plaquées vers l’arrière. Son regard jaune fusilla le sorcier. Comme certains disent, si le regard pouvait tuer, il serait mort sur place.

Shain avait fini par aller faire un tour, voulant principalement calmer l’animal en lui, beaucoup trop agité après ce nouvel affrontement. Il ne savait pas encore comment il allait pouvoir vivre avec son invocateur. Il le détestait, le haïssait même, et la réciproque était vraie. La chambre finirait dans le même état dès qu’ils se retrouveraient dans la même pièce.

Il en avait profité pour faire une petite visite de l’école – s’il avait bien compris où il avait atterri – puisqu'il ne pourrait visiblement pas retrouver ses bois ni sa meute à cause du sort de ce maudit sorcier et qu’il pouvait faire une croix sur la bienveillance de celui-ci pour lui montrer les lieux. Et tant qu’il y était, il allait chercher un coin tranquille où roupiller quand il ne sera pas obligé d’accompagner son invocateur. Invocateur qui, en plus de l'avoir privé de sa liberté, le traitait comme un vulgaire chien. La preuve, il ne lui accordait qu'un vulgaire panier pour seul lit, non, couchage. Alors même si dormir sous les traits du canidé ne le dérangeait pas vraiment – il l’avait déjà fait de nombreuses fois, notamment lors d’hiver trop froid – Shain avait encore le comportement d’Acacio en travers de la gorge. Il détestait qu’on lui manque de respect, et ce foutu sorcier n’avait fait que ça depuis qu’il les avait liés.

Shain comptait bien se venger de cet affront d’ailleurs. Ce n'était pas pour faire joli qu'il était surnommé le « Démon vengeur » par chez lui. Quiconque le méritait subissait un retour de bâton plus ou moins humiliant en proportion de la faute commise. Il préférait de loin le ridicule à la violence pour ses proies, et c'était redoutablement efficace. Il ne fallait pas croire, mais le loup-garou pouvait avoir des idées plus que tordues – parfois même salace.

Après quelques heures de visite – Shain n’aurait jamais imaginé qu’une école pouvait être aussi grande – son estomac le rappela à l'ordre, le forçant à stopper sa balade. N'ayant aucune envie de manger avec cet abruti d’invocateur, Shain se dirigea vers les cuisines après avoir récupéré ses vêtements – il ne voulait pas créer un vent de panique parmi les restaurateurs.

— Excusez-moi ? les interpela Shain en ouvrant la porte.

— Le repas sera servi dans quelques minutes, alors va attendre dans le réfectoire avec les autres élèves, lui répondit un des cuistots qui passait devant lui.

— Je ne suis pas vraiment un élève, en fait. Alors je voulais savoir s’il était possible d’avoir un sandwich ou quelque chose de facile à manger tout en étant assis dans le parc ?

— Ah ! Tu dois être le familier d'Acacio, dans ce cas, déduisit le chef des cuisines – son uniforme parlait pour lui. Ne bouge pas, je vais te chercher ta part. Le directeur nous avait prévenus que tu risquais de te pointer ici, après ce qu’il s’est passé lors de ton invocation.

Il revint quelques secondes plus tard avec un petit panier rempli de sandwichs et de fruits. Shain le remercia et se dirigea vers les tables les plus éloignées qu’il avait repérées plus tôt dans le parc de l’école. Il y serait tranquille le temps de se remplir l’estomac.

Lorsqu’il regagna la chambre de son invocateur, il était bien heureux qu’on lui en ait donné la clé car celle-ci été vide et surtout fermée. Le propriétaire devait sûrement encore être au réfectoire avec les autres. Cela arrangeait bien les affaires de Shain qui pouvait se mettre où il voulait et faire ce qu’il voulait puisque personne n’était là pour le surveiller. Il prit donc sa forme lupine et s’installa sur le lit de tout son long. Jamais il ne mettrait un pied dans ce panier pour chien, foi de loup-garou. Même s’il était plutôt raisonnable, il avait une certaine fierté.

Le sommeil l'avait gagné rapidement – même si léger – avant qu'Acacio ne revienne dans la chambre et ne le réveille. Il fit cependant mine de rien et ne bougea pas, faisant semblant d’être profondément endormi. Il n’avait alors dormi que sur une oreille pendant un temps, avant que la fatigue n’ait raison de lui.

Les rayons du soleil sortirent Shain de ses songes, ce qui l’étonna grandement. Il s’attendait à se faire réveiller par tout, sauf la lumière du jour après les évènements de la veille et certainement pas en étant sur le matelas où il s’était couché la veille. Jetant un coup d’œil dans la pièce, il remarqua qu'Acacio était assis à son bureau, feuilletant un énorme bouquin qui lui semblait plus ancien que la création de sa meute – et tous savaient qu’elle était l’une des plus anciennes. Il nota cependant que le panier pour chien, même s’il n’était plus à côté du lit, était toujours présent dans un coin de la pièce.

— Monsieur est enfin de retour parmi nous. Si tu es réveillé, on va pouvoir aller voir le directeur puisque monsieur à juger bon de disparaître sans prévenir hier soir, lança Acacio sans se retourner, l’agacement présent dans sa voix.

Sautant au sol, Shain reprit forme humaine. Il s’étira, ignorant sa nudité ou la gêne du sorcier. Il n’avait que faire de ne porter aucun habit, il y était habitué depuis l’enfance au sein de la meute.

— Je suis allé calmer la bête que tu as énervée, alors la ramène pas trop si tu ne veux pas la voir en colère encore une fois.

Ce sorcier avait vraiment un don pour être désagréable. Il était à peine levé qu’il l’agaçait déjà. Même si le loup-garou ne répliqua pas plus, il lui fit bien comprendre que ses paroles irritaient l’animal en lui en laissant ressortir les pupilles du loup.

— Habille-toi et suis-moi, sale cabot, ordonna le sorcier en lui balançant ses habits à la figure tout en évitant son regard, avant que je ne décide de te transformer en crapaud ou une autre créature toute aussi hideuse.

Visiblement, ce stupide surnom ne l’avait pas quitté pendant la nuit. Shain n'ajouta rien et se prépara rapidement avant de suivre son invocateur jusqu'au bureau du directeur. Ce fut presque un miracle qu’aucune injure ne fût entendue sur leur passage.

— Monsieur Ersson, monsieur Silva, entrez, je vous prie, les invita le directeur avant même que l’un d’eux n’ait pu toquer à la porte.

Shain reconnu immédiatement l'homme qui avait stoppé leur dispute la veille après l'invocation. Il se dégageait de lui toujours la même autorité bien qu’il ne semblait pas au mieux de sa forme – en attestaient les cernes sous ses yeux.

Les deux jeunes prirent place sur chacune des extrémités du canapé, laissant le fauteuil de l'autre côté de la table basse au propriétaire du bureau.

— Bien, tout d'abord, je tenais à me présenter convenable. Je suis Millian Mortensen, directeur et fondateur de Gach tùs, école de magie pour tous. Enchanté de vous rencontrer monsieur Ersson.

— De même, répondit d’une voix incertaine le loup-garou, enfin j'imagine.

— Je me doute que vous devez être perdu et confus…

— Ce n’est pas vraiment le terme que j’aurais employé, marmonna Shain.

— Mais j'espère que vous vous habituerez vite à cette école, continua le doyen comme si de rien n’était.

— Ce ne sera pas nécessaire, contredit Acacio. J'ai fait des recherches toute la nuit, et il existerait un sort permettant de rompre le lien.

Ceci expliquait pourquoi Shain avait pu dormir tranquillement. Son invocateur avait préféré chercher un moyen de se débarrasser de lui plutôt que de l’emmerder.

— Rumeurs infondées, réfuta aussitôt l'ainé. Tous ceux qui ont essayé ont échoué, causant la folie des deux parties.

— Mais papa ! protesta Acacio.

— Acacio Silva Mortensen, ça suffit ! Tes ancêtres t'ont lié à ce jeune homme, tu te dois de t'y soumettre.

— Mais…

— J’ai dit stop !

— Attends, t'es le fils du directeur ? hallucina Shain qui n'en revenait pas.

— Et je ne veux pas que ça se sache, alors tu la boucles le clebs, assena d'une voix tranchante Acacio.

— Ce n'est pas en me parlant comme ça que tu vas réussir à me faire taire, menaça le loup-garou.

— Il a raison Acacio, alors calme-toi maintenant. Je te rappelle que tu m’as promis que tu ferais des efforts hier soir. Quant à vous monsieur Ersson, je me suis dit que vous voudriez peut-être contacter votre meute pour leur expliquer la situation. Je vais vous prêter mon fòn, vous me le rendrez lorsque vous aurez fini.

— Merci monsieur.

Sans plus attendre, Shain prit l’appareil et sortit de la pièce pour se trouver un coin tranquille.

Acacio n'avait pas bougé de sa place, attendant d'être seul avec son père pour pouvoir lui dire bonjour convenablement. Ce n'était pas parce qu'il ne voulait pas que tout le monde sache qu'il était le fils du directeur qu'il le détestait. Il voulait juste éviter les insultes et les accusations de favoritisme, ou même les traitements de faveur des professeurs à cause de son nom. C’était d’ailleurs l’une des raisons qui faisait qu’il utilisait le nom de sa mère.

— Alors fiston, pourquoi tiens-tu tant à te débarrasser de lui ?

— Parce qu'il est grossier, sauvage, malpoli, n'a aucune pudeur et ne se gêne pas pour occuper le lit des autres sans leur accord, énuméra Acacio.

— C’est vrai qu’il a l’air d’avoir son caractère, mais tu n’es pas mieux que lui sur ce point-là. Je te connais mon fils, je sais comment tu réagis lorsque tu es contrarié ou en colère et tu n’es pas mieux que lui. Pour la pudeur, c'est pareil chez tous les loups, donc il faudra t'y habituer. Ils sont habitués dès leur plus jeune âge à ne rien cacher, en particulier à partir du moment où ils peuvent transmuter et donc se joindre aux courses ou aux parties de chasse dans les bois. En ce qui concerne le lit, vu ton état d'esprit d'hier soir lorsque vous avez regagné ta chambre, je peux affirmer que tu lui as dit de dormir dans un panier pour chien et il n'a pas apprécié. Tu sauras que les loups sont des créatures nobles et que certains sont très rancunier. Alors je te conseille d'enterrer la hache de guerre avec lui au plus vite avant ses représailles et de trouver un compromis si tu ne veux pas partager ton lit avec lui. Maintenant, dépêche-toi d'aller en cours avant d'être en retard.

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