Chapitre V

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« Décidément, je pense réellement que je n'aurais pu trouver meilleur que toi. Aucun avant n'a osé me défier de la sorte ; je croyais te connaître, mais c'est bien la première fois que je me trompe. Tu es imprévisible, fragile et fort à la fois, rusé et désirable au-delà du possible. Je promets devant les Ténèbres que jamais je ne te trahirai pour quiconque, que nous nous appartiendrons encore après que la fin du troisième monde ait débuté.

J'espère ne jamais te décevoir et pouvoir un jour gagner ton réel amour. Tu te souviendras de notre première rencontre, lorsque j'en aurais décidé. Saches seulement que je ne perdrai jamais patience, qu'après mille longues années, une de plus ou de moins je ne les compte plus…

Ce que je désire le plus au monde, c'est de ne jamais voir s'éteindre ce que je vois dans le fond de ton regard chaque fois que nos corps s'emmêlent : la folie, après laquelle je cours depuis le début des temps. Je veux sentir ton corps couler sur le mien à n'en plus finir.

Je n'attends rien réellement de toi, j'aimerais juste que jamais tu n'oublies le son de ma voix.

Je pense à chaque seconde qui s'égrène, qui file ; je les entends s'échapper bien plus vite que moi, mais tant que je les passerai avec toi, elles ne seront jamais suffisamment longues.

Je pense que je n'ai pas toujours fait les bons choix, puisque tu as longtemps été loin de moi.

J’imagine que tu sais, être impossible de connaître tout ce que je crois.

Je maîtrise ce qui est et ce qui n'est plus. Mais la seule chose que je ne puis atteindre est ce qui sera ou n'a jamais été.

Et je crois qu'il faut savoir lire entre les lignes.

S.

PS: Je suis allé te dégoter une nouvelle chemise, puisque tu avais l'air plus désenchanté que je l'ai abîmée, que tout le reste que j'ai pu te faire. »


Celest replia la lettre du Démon et ferma les yeux. Avant même d'avoir lu ces lignes, il entendait déjà les murmures de celui-ci dans sa tête. Sa voix suave, qui virevoltait sur l'air pour se glisser jusqu'à ses pavillons, l’enivraient tellement.

Il ne faut pas qu'il puisse lire en moi comme s'il possédait mes pensées ; je veux éternellement danser entre ses bras.

Malgré lui, Celest rouvrit la lettre et un détail, qui ne lui avait pas sauté aux yeux à la première lecture, le frappa de plein fouet : ce S. Il était vrai, qu'il s'était donné comme jamais il ne l'avait fait auparavant à quelqu'un dont il ne connaissait rien, même pas son nom. Il allait bientôt le savoir car la poignée de porte venait de pivoter sur elle-même, et le loquet claqua, ce qui l'extirpa de ses pensées enchanteresses. Le Démon passa le pas de la porte de la chambre d'hôtel, plus radieux qu'il ne pourrait l'être. Un sourire franc s'affichait sur son visage enjoliveur et un brin sérieux. Sa longue chevelure noire en bataille lui donnait un air aventurier et charmeur, tandis que ses iris orangés, qui aspiraient la crainte de tous, semblaient faire craquer Celest, qui cependant ne l'avouera pas. Son port de tête le rendait dominant et protecteur avec sa silhouette élancée tout aussi grande que celle de Celest. Vêtu d'une longue veste noire à col retourné, il portait également une paire de gants gris, qui lui saillait à merveille. Le Démon avait revêtu son apparence humaine élégamment.

Très sincèrement, j'hésite à te préférer dans cette tenue ou bien sans la moindre, sourit Celest.

Alors viens me retirer mes gants, dit le principal intéressé sournoisement tout en lui faisait signe d'approcher en tendant sa main.

Celest le rejoignit alors sans délai pour venir saisir et effeuiller les mains du Démon avec les dents. Avant qu'il n'ait prononcé un seul mot, l’être déposa un doigt sur les lèvres de Celest pour qu'il ne dise plus rien et l'emmena sur la terrasse. Ils auraient bien des choses à se dire, mais rien ne servait de se précipiter, toute l'éternité s'étalait devant eux.

Celest s'assit en premier sur un large transat dépliable bien moins confortable comparé au lit douillet, ce que le Démon crut comprendre et le souleva alors pour s'asseoir et assit son protégé sur ses cuisses.

Tous deux voulurent soudain parler au même moment :

C'est suffisamment confortable à présent ?

Dis-moi ton nom !

Celest hocha la tête pour que le Démon réponde à sa requête en premier.

Il est vrai que cette impolitesse ne m'a pas sauté aux yeux. Je suis Sor Ivēz Ger Mad Arhel ! dit-il fièrement.

Mais encore ? Tu crois réellement que je me suis souvenu du début de ce nom lorsque tu en es arrivé à la fin ? le coupa le jeune homme en riant.

Mais je crois que si tu m'appelles Sigma, cela ira aussi ! lui dit cette créature au nom bien étrange.

Celest resta silencieux l'espace d'un instant pour enregistrer l'information qu'il venait d'apprendre et lui susurra alors à l'oreille :

Je n'ai jamais été aussi confortablement assis... Sigma..., tout en se lovant dans ses bras pour ensuite fermer les yeux et savourer ce dernier moment d'insouciance.

Sigma l’embrassa au sommet de la tête et joua avec ses mèches de cheveux.

Il faut que tu me dises pourquoi tu es là Sigma, pour quelles raisons tu sembles avoir jeté ton dévolu sur moi.

Sigma prit une grande inspiration, car le meilleur n’était pas à venir. Celest ne l’interromprait pas, il le savait.

Je crois qu'après mille ans, j'ai bien le droit de me jeter sur toi, non ? Je t'ai observé longtemps user de la faveur que je t'ai offerte. Je t'ai vu souffrir plus que jamais, je t'ai vu renoncer à ce qui t'était le plus cher... Je croyais tout savoir et tout connaître à ton propos, mais à présent je suis confus.

J'espère que tu ne me détesteras pas après la révélation que je m'apprête à te faire.

Puisque je suis la source de tous tes démêlés, de toutes tes profondes souffrances, de ton calvaire incessant. Je t'ai vu essayer de toutes les manières de mettre fin à tes jours, de trouver un remède, ou bien la formule qui rendrait ceux que tu aimes comme toi.

Je t'ai vu essayer de t'arracher ton propre cœur...

Celest pardonne-moi, souffla Sigma entre ses dents, pardonne-moi de t'avoir rendu éternel... immortel même.

Le jeune homme n'avait pas eu le courage d'interrompre son discours, ou bien pas l’énergie, et il ne parvenait pas à se résoudre à le haïr. Il s'enferma dans une bulle de silence, mais ne se détacha pas pour autant de bras du Démon.

Dis-moi quelque chose mon amour, s'il te plait. Dis-moi que tu vas me damner à perpétuité. Dis-moi que tu me hais. Dis-moi n'importe quoi !

Mais Celest ne parvenait plus rien à dire et s'échappa de l'emprise de Sigma pour se lever et s'en aller sans un regard vers lui. Comment la personne qui prétendait t'aimer le plus au monde, pouvait te faire souffrir plus que personne ? Celest sortit de l'hôtel et se retrouva en plein milieu d'une des rues chics de Syrāphez. La foule se pressait et l'opprimait, ne l'aidant pas à se calmer. La côte était notamment plus urbanisée et l'intérieur des terres constituait une jungle organisée. Celest, dans sa fureur ne s'était pas rendu compte immédiatement qu'il n'était à présent plus sur Saphre, mais avait traversé́ un océan de mers pour atterrir sur Nouth. Il voulait hurler, hurler toute la haine qu'il contenait désormais, déverser toute la colère qui l'avait envahi, pourtant rien ne sortait de sa gorge. Ses cordes vocales ne lui obéissaient plus. Derrière ce dégoût infini se cachait bien toute autre chose qu'il tentait de canaliser, mais qui menaçait à tout moment de l'assaillir. Serrant les poings, il dût se retenir de frapper ce qu'il voyait. Celest pressa le pas et enchaînait une succession de rues et ruelles en marchant sans but pendant des heures. Celui âgé de dix-neuf ans finit par s'asseoir sur le rebord froid d'une fontaine, ses souvenirs refirent surface et il commença par se demander comment il avait pu passer sur un autre continent sans ennui, alors que les lois l'interdisaient fermement et pour quelles raisons Sigma l'avait amené ici précisément ? Rien ne le raccrochait à cette ville, dont l’immortel avait pourtant la connaissance auparavant, une centaine de siècles plutôt. Par ailleurs, elle avait bien changé.

Les rues autrefois pavées et boueuses s'étaient transformées en dalles lisses et régulières, qui avaient perdu tout leur charme d'antan.

Seulement, le plus malheureux fut que Celest se rendit compte que le splendide château qui surplombait la vue, autrefois – dans un passé lointain– dressé à hauteur de montagne, n'était plus. Un tel monument somptueux avait été incendié et prit de force par le peuple en rage, il y a un millénaire. Le dernier roi, Alaric, dont personne n'avait jamais fait la connaissance avant qu'il ne fût appelé à régner, n'avait aucun talent pour diriger un empire tel et ne vit pas les braises de la révolution reprendre vie. Avant qu'il ne s'en rende compte, averti par ses sentinelles, la situation aurait été désormais incontrôlable même pour le meilleur des monarques. Suite à la mort d’origine suicidaire du Roi Ciur, il fallut nommer ce successeur d'urgence, alors recruté dans les régions des Lacs sans Fond, qui constituaient l'Ancien Monde.

Ce roi, le dernier, dégoté uniquement pour maintenir la royauté à flot, avait bien noyé celle-ci. Jeune, il n'avait aucune expérience, ne savait pas prendre la moindre décision et ignorait jusqu'aux simples lois fondamentales sur lesquelles reposaient le système politique, mis à part celle mentionnant le plein pouvoir du Roi. Ne se privant pas de s'en vanter, il se vit rétorquer de nombreuses fois qu’« un vrai Roi n'a pas besoin de préciser qu'il en est un. »

Beaucoup trop arrogant, il ne se préoccupait que de lustrer ses parures royales pour que l'on se souvienne de lui et ne faisait aucune concession. Ses conseillers n'avaient plus le droit de lui rendre visite et lui expédiaient donc les rapports par lettres scellées. Alaric s'isolait et croyait que le simple fait de détenir le pouvoir absolu le protègerait de tout. Délaissant encore davantage le peuple, ce roi indigne ne daignait plus à sortir de son château massif et restreignait donc son entourage. Il avait donné ordre de faire construire des tours supplémentaires de sorte à augmenter la majesté du bâtiment, et déversait alors l'argent du contribuable dans des occupations futiles. Plus les Rois se succédaient plus la situation devenait critique en ville. Après avoir subi un assaut qui valut au peuple de se faire prendre au piège par le Roi Ciur lui-même, plus aucun membre de la royauté ne s'approchait des citoyens. On raconta que Ciur avait pris un malin plaisir à les regarder se tordre de douleur sous les flammes ardentes, qu'il se délectait de leurs cris de désespoir. Mais cette fois, la ruse fut alors aisée, le roi incompétent, contrairement à Ciur, ne se préoccupant que de se protéger, n'aperçut pas les hordes du peuple, désireux d'assaillir une fois de plus le dirigeant actuel. Tous savaient ce roi égoïste et donc trop occupé à se regarder dans la glace, que de réellement ordonner à ses troupes de combattre les opposants.

Ce fut grâce à cette faille que le peuple réussit à agiter le peu de membres présents au palais et démanteler cette monarchie absolue.

Un royaume a beau être bâti à l'échelle des richesses mondiales et s'étaler sur toute l'ampleur des terres, s'il n'a personne assez digne pour le maintenir d'une poigne de fer, il est un château de cartes, qui s'effondre au premier souffle de vent.

Toujours adossé à la fontaine, Celest tentait de se relaxer en écoutant le flux de l'eau se déverser dans la vasque géante en marbre et en pierre de jade. Laquelle était surmontée d'une statue illustrant un monstre sans visage muni de lames dans les bras, terrassé par un homme lui enfonçant un arc dans la gorge. Exorcisée, la bête semblait s'effacer en brume sans vraiment perdre vie. Ce n'était pas pour rien que Syrāphez avait été surnommée la cité fantastique. Cette appellation s'était perdue à travers les temps, mais était pourtant toujours de mise en vue des nombreuses créatures dont forêts et montagnes regorgeaient. Celest sentit soudain une présence dans son dos, un fourmillement léger et il fit volte-face en espérant apercevoir quelque chose, mais ne vit rien. L’atmosphère s’était réchauffée brutalement. Il sonda mainte et mainte fois les alentours, pourtant sa vision était comme dupée : il sentait clairement qu’il était épié sans parvenir à distinguer quoi que ce soit, même pas une ombre dansante. Tentant de donner des coups dans tous les sens, il semblait comme chasser l’invisible.

Comment est-ce possible qu’il sente ma présence ? J’ai pourtant la capacité à me rendre totalement indétectable de telle manière à être présent comme si je ne l’étais absolument pas, grommela silencieusement Sigma. Il a réellement quelque chose qui diffère de la norme et qui m’intrigue de plus en plus.

Montrez-vous immédiatement ! Je crois que l’on a assez joué au chat et à la souris, je ne suis pas d’humeur aujourd’hui, râla l’humain immortel en continuant à frapper l’air.

Sigma s’immobilisa précipitamment telle une statue afin d’observer de quelle manière les sens affûtés de Celest allaient réagir. Ne fut-il pas déçu lorsque son protégé braqua son regard dans sa direction, sans le voir, certes, mais il avait bel et bien réussi à distinguer sa position précise rapidement. Le Démon entreprit alors de l’embrouiller un peu plus, avant qu’il ne s’approche de lui, en décrivant de larges cercles autour de lui. Sa curiosité avait néanmoins été piquée : si je le laissais venir vers moi, immobile, me reconnaîtrait-il ? pensa Sigma quasiment au bord du désespoir.

Cette fois, nous allons tester tes limites sensorielles Celest, souffla doucement l’être démoniaque.

L’individu prétendument invisible s’assit confortablement à la précédente place du jeune homme sur la fontaine et le laissa tournoyer quelques instants. Vu de l’extérieur, on aurait aperçu un fou en train courir après un fantôme. Celest, cette fois, perçut plus aisément une présence auprès de la large vasque et avança vers elle à pas feutrés. Sigma ne put s’empêcher d’esquisser un sourire de le voir à moitié perdu en se frottant les cheveux. Il avait là un côté assez mignon avec ce regard vague ; malgré tout la colère ne l’avait pas entièrement quitté. Le Démon n’était sans doute pas près de le revoir de sitôt, jamais Celest ne viendrait ramper à ses pieds, même s’il était en danger. Il valait mieux par la suite le laisser tranquille en le suivant de loin. Sigma n’arrivait toujours pas à donner une explication rationnelle aux capacités décuplées de son alter-ego. Celui qu’il avait rendu immortel, s’était placé en face de lui et tendait une main pour le sentir… pour espérer toucher quelque chose. Sigma ne put alors s’empêcher de saisir sa main et de la griffer pour observer la réaction. Il était certain que son aimé n’avait pas été insensible à cette décharge, puisqu’il sentit sa peau vaguement tressaillir ; mais Celest l’avait-il senti lui-même ce tressaillement ? Rien n’était moins sûr…

Qui êtes-vous pour oser me suivre et ne pas être suffisamment courageux pour vous montrer ? lança Celest dans le vide.

Je ne savais pas que tu parlais tout seul, murmura une voix dans son dos.

Je connais cette voix… Je l’ai déjà entendue tant de fois, mais je n’arriverai plus à remettre un visage dessus. Les événements de ces derniers jours m’ont tellement embrouillé le cerveau que je ne me reconnais plus moi-même.

Celest ! Tu m’entends ?

L’immortel se retourna alors et ne fut-il pas surpris lorsqu’il la toisa. Klarysse… Klarysse… Comment pouvait-elle se tenir devant moi ? Etais-je encore prisonnier d’une vision extrêmement réaliste ?

Toi aussi tu n’es que de la brume ? Tu vas me poignarder dans le dos alors que j’ai tenté de t’aider ? babilla-t-il.

En voilà un accueil bien hostile… Où est passé mon amir blagueur et enjoué ? Tu prétends avoir voulu m’aider, mais tu me voles inopinément ce grâce à quoi j’aurais pu atterrir sur Nouth sans batailler autant. Tu sais que j’ai… Dis tu m’écoutes un peu là ?

Tu parles toujours autant de toi à ce que je vois, tu ne te préoccupes que de ce qui tourne autour de ta petite personne, la coupa-t-il froidement.

Klarysse ne sut quoi répondre et s’approcha de lui pour tenter d’en savoir plus ou tout au moins le consoler si cela était nécessaire, mais Celest s’écarta prétendant ne pas vouloir parler. Elle aurait bien voulu lui sauter au cou comme la dernière fois, cependant, son ami ne semblait aucunement réceptif. Il avait changé… Que s’est-il passé en si peu de jours ?

Je le pensais fort et rusé en toutes circonstances, bien que son air de chien battu me prouvât le contraire. J’avais envie de le secouer - une fois de plus - pour lui faire cracher tout ce qu’il gardait au plus profond de lui. Pourquoi avait-t-il toujours été si renfermé sur lui-même lorsqu’il s’agissait de confier des sentiments importants ? Sigma vit Klarysse le prendre par le bras et l’emmener ailleurs dans un lieu plus chaleureux que celui-ci, isolé de tout.

Je crois avoir fait ce que j’avais à faire ; je n’ai aucun regret : j’ai agi consciemment et non pour servir mes propres intérêts. J’espère que tu t’en rendras compte tôt ou tard Celest. Pour moi, le temps des remords et de l’amertume est révolu. Cette fois, je ne vois pas de raisons pour me repentir de mes actes. Crois-moi cruel et indigne, je ne viendrai pas te prouver le contraire, puisqu’après tout je reste un Démon.

Sigma était bien plus bouleversé que ce qu’il n’aurait cru et ne put réellement se l’admettre. Il avait beau avoir fait tant d’erreurs, de mauvais choix; cette fois-ci, la situation lui restait en travers de la gorge. Malgré tout, une créature comme lui gardait un fond sans réel scrupule et envie de se faire pardonner. Il laissa donc Celest lui glisser entre les doigts.

Eh bien, au lieu d'enchaîner les verres de champagne qui vont nous coûter une fortune, dis-moi ce qui t'arrive Celest ! Cela fait à peine quelques heures que l'on s'est retrouvé et tu ne décroches pas de tes pensées, qui m'ont l'air noires. Tu me dois bien ça, petit voleur ! dit Klarysse pour briser le silence.

Raconte-moi plutôt ce que toi tu as fait ces derniers jours, j'ai besoin d'entendre autre chose... répondit-il lacement. Et si je te parlais de ce que j'ai fait, tu me prendrais pour un détraqué et je crois que pour la première fois de ta vie, tu aurais raison.

L'alcool n'avait aucun effet sur lui, il ne le buvait que pour s'occuper, se vider la tête.

Je vois que tu n'as pas perdu ton côté taquin, c'est déjà bon signe, dit-elle tandis que Celest n'avait pas du tout envie de plaisanter, cette journée avait été plus que détestable. Si tu tiens tellement à savoir ce que j'ai fabriqué, il va falloir que tu cesses de boire, enfin ! Et puis je me demande comment tu tiens autant l'alcool, c'est du jamais vu.

Son interlocuteur ne dédaigna pas à obéir, plus têtu qu'une mule et sirota un nouveau verre.

On va passer à quelque chose de plus fort, je m'ennuie là... un petit bourbon peut-être ? Qu’en penses-tu ?

Mais Klarysse lui vola précipitamment son verre et éconduit le serveur illico presto avec un regard insistant. Ensuite, elle saisit une joue de Celest et le força à la regarder dans les yeux.

Dis-moi seulement une phrase et je te laisserai tranquille pour ce soir, le convint-elle.

Je crois que je n'ai jamais été plus mal de toute ma vie en ce jour, le problème c'est que mes sentiments se battent dans ma tête, deux en particulier qui sont assez proches si je ne me trompe, finit-il par admettre lourdement.

Tu dis « de toute ta vie » comme si tu avais déjà vécu un demi-siècle, plaisanta-t-elle. Celest ne répondit rien et se renfrogna alors. Il venait d’avoir la certitude que seul lui et Sigma connaissait sa véritable nature.

Bref si tu veux tout savoir, je l'ai perçue immédiatement ta petite ruse de voleur. Tu croyais vraiment que je n'avais rien sentit lorsque tu as fait glisser ma montre de ma poche ? C'est vraiment me sous-estimer ça ! Mais j'ai décidé de faire comme si de rien était pour voir jusqu'à quel point ton petit côté mal honnête pouvait aller.

Cependant, on va dire que je ne vais pas t'en tenir rigueur puisque je suis arrivée à mes fins en parvenant ici en un seul morceau et puis... tu m'as sincèrement l'air en piteux état.

Celest marmonna une sorte d'excuse maladroite en essayant de récupérer son verre, néanmoins Klarysse ne céda pas et but le dernier filet de champagne.

Donc après avoir faussement joué la comédie de la fille énervée, j'ai cru que tu viendrais me rattraper, pourtant il n'en fut rien : sincèrement j’aurais attendu plus de ta part. Alors, je me suis résignée à faire sans toi. Bon il est vrai que clairement je crois que pour choisir au mieux mes armes, tu aurais été de bon conseil. Étant donné que concrètement je ne sais toujours pas si mes choix ont été judicieux...j’ai dû faire avec ce qui me tombait sous la main.

N’as-tu jamais entendu dire que pour être certain de n’être déçu, il ne faut rien attendre des autres ? Je te jure que pour cette fois, c’était indépendant de ma volonté en vue des circonstances passées.

Mais revenons à toi… Qu’as-tu obtenu ? Puisqu'il me semble que s'en procurer n'est pas aisé et puis passer les frontières sans munition est déjà un exploit, alors avec ! Tu m'épates, rigola-t-il. Je me demande ce que tu as bien pu faire pour y parvenir et être toujours en un seul morceau justement.

Non, mais vous êtes tous les mêmes, vous les hommes, gronda-t-elle, à toujours nous rabaisser ! J'ai réussi à obtenir un pistolet 9,75 mm et puis quelques armes blanches aussi.

Tu te rends compte qu'ici la culture est différente il me semble et si jamais tu brandis des armes pareilles tu vas te faire repérer rapidement. La majeure partie de ce continent ne fonctionne pas avec des lois traditionnelles et son cœur constitue des forêts à perte de vue où l’époque est bien en deçà évoluée par rapport à Saphre.

T'inquiète, j'assure toujours, dit-elle en lui faisant un clin d'œil. Les choisir c'était une chose, mais les voler ça, ça n'a pas été des moindres ! Pourtant, les imprévus ne se sont pas montrés trop insurmontables.

Et tu oses me traiter de voleur !! Quelle mauvaise foi sérieusement. Ma petite subtilisation n'est rien à côté de tes délits. Explique un peu comment tu t'y aies pris, que je rigole un peu…, ricana-t-il plaisamment en apparence.

Alors j'ai utilisé la technique la plus bête au monde, tu sais. J'ai infiltré l'organisation non officielle de vente d'armes de Chrymès : « Ėgérie », en me présentant en tant stagiaire potentielle. Ces bouffons de membres m'ont fait patienter des heures dans la salle d'attente pour ensuite me transférer dans un bureau des recruteurs et encore y attendre un moment avant de pouvoir être reçue. Je te jure, ils ont joué avec mes nerfs, si cela n'avait pas eu pour but un enjeu énorme, j'aurais pris la poudre de d'escampette rapidement.

En bref, avant que le recruteur ne daigne à me rejoindre pour l'entretien, je n'ai pu m'empêcher de tenter le tout pour le tout et j'ai fouillé parmi les dossiers présents. Le dernier fut décisif, car il contenait les fiches des futurs membres ayant postulé et je jetai mon dévolu sur celles qui indiquaient l'approbation du PDG de sorte à devenir membre. J'ai alors relevé une des candidatures féminines qui se rapprochait la plus de la mienne physiquement et j'ai alors volé son identité sur les dossiers.

Voilà j’ajoute un délit de plus sur tes dettes de comportements, taquina-t-il.

Mais Klarysse trop prise par son discours ne releva pas cette petite blague.

Pour être sûre de ne pas avoir été remarquée, je suis sortie discrètement du bureau et feignis de me rendre aux toilettes afin de sortir par la porte de service subrepticement. Grâce à la pêche aux informations, je me suis rendue au domicile de cette dénommée Guilia Ferez. Elle tenait un centre d'esthétique et parfois réalisait des soins à son domicile. Je pris donc rapidement rendez-vous dans l'après-midi pour obtenir une manucure, poursuivit-elle en arborant fièrement ses ongles parfaitement polis sous les yeux de Celest, qui n'eut aucune réaction, afin de reprendre son souffle.

Après cette petite séance bien agréable, j'annonçais alors ne pouvoir payer uniquement à l'aide chèque bancaire.

Tu vois où je veux en venir ?, questionna-t-elle alors que Celest hocha de la tête, il pensait bien avoir deviné ce qu’elle s’apprêtait à raconter, une vieille ruse que nul n’utilisait encore.

Plus personne ne fait confiance à ce mode de paiement donc, elle se devait de téléphoner à la banque pour avoir la certitude que ce chèque n'était pas en bois et vérifier ainsi ma solvabilité. Ne tenant pas à me montrer son doute, elle prétexta aller sur le palier d'en face pour demander à la voisine si elle n'était pas intéressée par un soin. J'avais pleine conscience qu'elle bluffait puisque c'est moi qui l'avais poussée à se comporter de la sorte.

Une fois de plus, mes talents de fouineuse furent sollicités et je mis la main sur ses papiers d´identité aisément que je volais. A la fin, je répartis alors joyeusement avec mes beaux ongles, mais surtout avec une pièce à conviction.

Le lendemain même, je pus venir me présenter et acquérir le poste destiné à cette femme et, accessoirement la carte d'identification accédant à la réserve.

Mon piège fonctionna étonnamment bien et referma ses dents sur mes victimes. Le recruteur qui, au final ne m'avait jamais vue en vrai, n'y vit que du feu dans mon petit jeu d'actrice. Il me remit tout le nécessaire et me souhaita une longue carrière dans leur organisation, ce qui eut le don de me faire sourire intérieurement.

Le soir même, j'allais abattre ma dernière carte ! Je prétextais alors vouloir me familiariser avec l’armement, afin de justifier ma présence à une heure tardive dans les bureaux. Le PDG goba littéralement ce que je lui dis et je compris alors que ce n'était certainement pas pour ses talents qu'il avait mis la fiche de Guilia au sommet de la pile.

Je décidais alors de descendre dans la réserve aux coffres forts pour récupérer des armes, mais un obstacle supplémentaire dont je n'avais pas étudié le fonctionnement se présenta. Un dernier code était nécessaire afin d'ouvrir la première antichambre. J'essayais alors de forcer la sécurité, mais je déclenchais malencontreusement une alarme sonore et visuelle : le système crachait des fumigènes rendant la vision difficile. J'entendis des pas marteler le sol dur des escaliers, ce coup de pied, c'était celui du PDG. Il n'y avait aucune issue pour m'échapper, le seul moyen était donc de le renverser.

Je l'ai laissé dévaler à toute vitesse les marches et au moment où il atteignit la dernière je me lançais corps et âme sur lui. Cherchant ses lèvres, je parcourus ses poches de veste discrètement et je refermais ma main sur une arme blanche. La lame me paraissait suffisamment aiguisée et l'homme ne se méfiant pas, je le poignardais dans les côtes à un endroit non mortel, mais suffisamment stratégique pour l'immobiliser et le laisser gisant au sol. Je remontai précipitamment l'escalier pour atteindre enfin son bureau. C'est en fouillant peu que je saisis un 9,75 mm et un second couteau que j'emportais dans mon sac à main.

Oui donc si je résume, tu as commis un triple vol, dont un à main armée, et une agression ! Et tu dis que c’est moi qui dépense une fortune en champagne. Imagine une seconde que tu te sois faite attrapée en flagrant délit, bonjour le casier judiciaire et la somme à verser pour illégalement te faire acquitter.

Mais il y a un truc qui me chiffonne. Pourquoi cette Guilia ne s’est pas présentée à son poste de travail si elle l’avait obtenu ?

Eh bien, elle figurait sur la pile des candidats à rappeler pour confirmer leur emploi… Elle n’a donc pas eu le temps d’être avertie de son acception puisque je me suis présentée à sa place en feignant de vouloir des nouvelles, déclara-t-elle innocemment.

Je comprends mieux à présent… mais ses papiers d’identité, ne me dis pas que tu as gentiment été les lui rendre…

Tu es fou ou quoi ? Après ce petit braquage improvisé, j’ai filé sans crier gare et ses papiers je les ai laissés sur place. Après tout, j’ai effectivement laissé des empreintes digitales partout, néanmoins je crois que personne n’ira fouiller sur ce continent-ci pour espérer me retrouver.

Oui donc justement ça m’intéresse ça ! Qu’es-tu venue faire ici ?, demanda-t-il une seconde fois. En effet, celle-ci ne lui avait pas répondu lors de leur discussion en terrasse il y a plusieurs jours. Et puis tu ne m’as toujours pas dit non plus de quelle manière tu t’y es prise pour traverser… il me semble qu’en analysant bien ce que tu viens de me dire, tu ne comptes donc jamais rentrer à Chrymès ?

Je suis venue finir ce que j’avais à faire ! J’ai assez attendu et je crois que c’est le moment opportun pour finaliser mes projets, lança-t-elle plus froidement qu’elle ne l’aurait pensé. En ce qui concerne ma traversée, je t’expliquerai uniquement à condition que toi tu me révèles le mystère qui plane sur la tienne ! Par ailleurs, tu as vu juste encore une fois, je ne crois jamais remettre les pieds sur Saphre puisque n’oublie pas un dernier continent subsiste non loin : Hė

Ce fameux projet, tu le gardes pour toi je crois, je n’insisterai pas lourdement dessus, même si je suis bien curieux de le savoir. Vis-à-vis de ma traversée, dis-toi bien que je ne peux rien te dire car en vérité il n’y a rien à dire dessus. Tu me croirais si je ne m’en souvenais plus ?

Alors tu comptes me faire virevolter de continent en continent encore longtemps, rit-il.

Que les choses soient claires, je ne te tiens en dehors de tout cela uniquement car c’est d’ordre privé et personne ne doit influencer mes choix.

Je ne saurais dire si tu me mens ou non, mais j’ai décidé de te faire confiance. Tu me fais penser à quelqu’un, bafouilla-t-elle, MOI.

Qui te dit que tu vas m’accompagner durant tout ce périple au fait ?

Pardon ? Je te signale que c’est à cause de toi si je me retrouve ici ! Si tu n’avais pas eu l’idée saugrenue de quitter Saphre, je serais encore paisiblement en train d’écrire dans ma bibliothèque privée, ironisa-t-il en réussissant cette fois à lui subtiliser le verre de champagne vide malheureusement.

Hé, oh, je ne t’ai jamais rien demandé ! Rêve pas non plus, je ne suis pas du style à venir quémander de l’aide pour le simple plaisir de m’abaisser devant quelqu’un.

Attends deux secondes… Tu as dit « écrire » ? Écrire dans ta bibliothèque ?

Non, ce n’est rien j’ai confondu avec le mot « lire », prétendit-il, bien qu’il savait très bien ce qu’il avait dit et ne s’était pas trompé, mais décida de ne pas lui faire part de cette information.

Il serait tout de même temps de partir, même si ça m’aurait bien tenté de rester ici toute la nuit, déclara-t-il distraitement en se levant de sa chaise.

Klarysse fit de même et il l’entraîna à l’extérieur du bar après avoir réglé la note. L’air frais lui piqua le visage, Celest avait bien trop l’habitude, ces dernières années, du climat tempéré et doux de Chrymès, au bord de mer. Le choc de température ne l’affectait pas intensément, mais cela le fit frissonner puisqu’il n’était pas habillé en conséquence. Contrairement à son amie, sa fuite n’avait pas été préméditée, on pourrait presque parler de rapt. Il n’avait pas, avant de se faire assommer par Sigma, précisé qu’il voulait qu’on lui prépare une valise. Cette réflexion le fit sourire.

Eh bien, tu débarques vraiment ici comme un tourist, mon pauvre, lui rabâcha Klarysse pour se moquer de lui une fois de plus.

La jeune fille n’eut cependant pas de réponse, Celest était replongé dans les limbes de sa conscience. L’image de ce Démon ne le quittait pas, la sensation d’être dans ses bras non plus…

Les étoiles avaient rempli le ciel d’un noir profond et Klarysse les guetta une à une. L’ambiance était légère et douce, il fallait en profiter. Ils sillonnèrent tous deux quelques rues larges silencieusement, mais étaient attirés par de l'agitation plusieurs centaines de mètres plus loin. Se déroulait sur la Grand-Place principale de Syrāphez, des festivités ardentes. Une fête battait son plein au cœur de la ville afin de célébrer chaque année la liberté retrouvée du peuple lors de la chute du jeune Roi et le renouveau. En souvenir de ce jour plus que lointain, il y a près d'un millénaire, le symbole de la célébration était le feu rappelant l'incendie majestueux du Palais royal. Un feu de joie brûlant explosait au centre même de la place, représentant les ravages nécessaires pour reconstruire une cité meilleure. Pendant toute l'année, chaque famille responsable de la gestion de la fête confectionnait un immense personnage hilare et tous étaient disposés le jour J sur un socle, qui serait embrasé le soir même. Cette tradition constituait un jeu. L'objectif était d'atteindre avec une quelconque arme la zone située entre les yeux d'un des personnages avant que le feu ne l'ait calciné totalement. Généralement les archers remportaient le concours avec l'agilité d'une flèche puissante. Le vainqueur devenait alors le meneur de la soirée jusqu'au petit matin. L'année passée, un exploit fut réalisé par un archer à cheval, qui décocha une flèche à l'endroit propice de chaque personnage. Des chants emportés rythmaient les célébrations et encourageaient les compétiteurs, accompagnés de divers instruments de musique à percussion. Les notes virevoltaient harmonieusement et donnaient envie de se joindre à la fête. Tous habillés dans les tons chauds, les membres du peuple étaient invités à assister à cette festivité nationale en ce jour férié. Des lanternes décoraient de toutes parts les arbres, qui semblaient flotter dans l’air. Illuminée elle aussi, la splendide basilique, qui se dressait au nord de la place, semblait presque aussi vivante sous les effets de jeux de lumière brillants.

Les ombres de ceux qui ravitaillaient le feu se projetaient dans tous les sens, dansant au rythme des flammes. Celest et Klarysse tentaient de se frayer un passage à travers la marée humaine qui remplissait la zone. Se prenant des coups de coudes ou se faisant marcher sur les pieds en étant interpellés de nombreuses fois, ils essayaient de ne pas se quitter des yeux au risque de se perdre. Il était certain que ceux-ci n’étaient pas passés inaperçus, néanmoins l’ambiance n’était pas à la discorde vis-à-vis des étrangers.

Ballottés de gauche à droite au tempo des danses folkloriques, ils arrivèrent tant bien que mal à atteindre le centre de la place non loin du grand feu. Les mélodies envoûtantes les enivraient alors et leur fit tourner la tête. Klarysse s'adossa à un piquet prolongé d'un flambeau pour se remettre les idées en place, tandis que Celest, lui, se dirigeait dangereusement vers les flammes. Comme charmé par elles, leur lueur se reflétait dans le fond de son regard profond. La couleur terre de sienne habituelle de ses iris avait viré à un orange qui s'intensifiait plus il s'en approchait. Klarysse le vit s'avancer davantage et tendre une main scrupuleusement vers les flammes géantes.

Celest plongea entièrement sa main droite au cœur de la chaleur étouffante et sentait les flammes enrober celle-ci, chatouiller ses phalanges doucement. Il les contrôlait presque puisqu’en bougeant ses doigts, elles s'adaptaient à ses mouvements fluides.

Le jeune homme ne ressentait pas de sensation de brûlures intenses tant qu'il concentrait son regard dessus, mais il sentit déferler brusquement la douleur lorsque Klarysse le tira en arrière, détourant alors son attention du feu.

Mais tu es complètement fou ma parole ! Montre-moi ta main ! cria-t-elle à travers la cohue de la foule déchaînée, cependant en la saisissant, elle constata qu'aucune brûlure n'avait entaché la main gracieuse de son ami. Elle lâcha alors sa main et l'interrogea du regard, mais n'y trouva pas réponse.

Si tu es là pour me surveiller, tu peux repartir aussi vite que tu es venue. Je sais ce que je fais, ne crois-tu pas ?, lui rétorqua-t-il en lui tournant le dos pour aller observer à nouveau de plus près la flambée majestueuse.

Les flammes évoluaient telles des guirlandes graciles, qui ondulaient autour d’un axe imaginaire ; de quelle nature étaient-elles réellement ?

Cependant, aucun des personnages confectionnés n'avait encore été touché par une arme. Les valeureux gagnants des années précédentes ne s'étaient pas encore manifestés. Celest s'approcha de plus en plus de ces créations et cette fois, il glissa ses deux mains dans le brasier fumant. Les flammes se remirent à emballer ses doigts puis l'entièreté de ses mains et atteignaient enfin ses poignets. L'immortel frissonna subitement et se demandait pourquoi il ne sentait plus la douleur liée à la chaleur. Il repensa malgré lui au Démon et se dit que peut-être les brûlures physiques infligées, dignes des Enfers, l'avaient immunisé. Rien ne pourrait plus jamais alors le consumer hormis Sigma. Son frison ne provenait pas des flammes en elle-même mais de toute autre chose. Le feu frémissait étrangement et Celest le ressentait au bout de ses doigts. Ses yeux se figèrent subitement à la vue du corps du personnage présent au-dessus de lui, auquel il n’avait pas particulièrement prêté attention depuis le début. Le corps n'était pas une vulgaire poupée confectionnée par une noble famille honnête, mais bien un être vivant. Il l'aurait juré, son visage avait bougé !

L'homme suspendu sur le bûcher venait de tourner brusquement la tête vers Celest et le fixait dangereusement. Il semblait comme vouloir faire passer un message à l'immortel et fit alors avancer les flammes d'un rouge flamboyant vers lui. Étrangement, lui non plus ne hurlait pas suite au déchirement de ses chairs par les braises. Les yeux du pantin vivant et brûlant devinrent totalement noirs, il paraissait comme possédé par un oracle et tremblait comme une feuille malgré l'intensité de la chaleur. Ses dents s'entrouvrirent et laissèrent échapper une buée noirâtre, qui tourbillonnait autour de son visage et l’agressait sauvagement. Le corps inerte, il apparaissait souffrant dû au passage de spasmes irritants. Ses membres s'agitèrent frénétiquement comme s'il désirait se décrocher du pilier sous les yeux de Celest toujours rivés sur lui et il cria d'une voix brouillée :

« Le jour où tu sonderas les profondeurs de celui-là, là prendra la fin de ton innocence, là prendra la fin de ton existence et commencera le début de la fin des temps. Se brisera ce que tu as de plus cher, mais se rétablira quand ta véritable fin approchera.

Trois fois il te faudra verser ton sang, une fois pour survivre, une fois pour la vérité et une fois par amour.

Trouve les Trois et tu auras la vérité, tue en un et tu auras une vie, aime en un et... »

Le devin, qui flambait sur son bûcher, se nourrissait de son énergie pour formuler des paroles incohérentes aux oreilles de Celest, qui tenta néanmoins de les mémoriser un maximum. L’incantation étrange fut coupée avant la fin, il finit brusquement son discours transcendant par une flèche de plomb parfaitement placée entre ses yeux exorbités. L'immortel, ayant perçu les frottements de la pointe dans l'air, pivota sur ses talons et aperçu juste derrière lui un homme à peine plus petit que lui, muni d'un arc et d'une seconde flèche à pointe en croix asymétrique prête à être décochée. Il remarqua que l'homme, assez jeune avait les paupières parfaitement closes lorsqu'il s'apprêtait à tirer : un chasseur d'élite.

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