Dénouement

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Sœur Gabrielle hésitait au fond d'elle même. Cette fille était-elle vraiment coupable ? C'était impensable. Une fillette ne pouvait pas détrousser un cadavre et voler un livre impie écrit par un hérétique et détaillant des pratiques d'alchimie et de sorcellerie. Pourtant c'était ce qui lui était déjà arrivé à elle près de vingt années plus tôt. Le même livre, elle l'avait trouvé en même temps que les corps de six de ses sœurs, toutes mortes en voulant escalader le mur. Elle avait immédiatement appelé quelqu'un, mais en trouvant ce livre elle avait à l'époque éprouvé un furieux besoin de le garder pour elle. Mais elle s'était faite prendre avant de l'avoir pu seulement ouvrir. Sa punition avait été exemplaire. Elle portait encore les cicatrices du fouet. Mais on lui avait alors expliqué ce qu'était ce livre, et elle avait compris. Néanmoins, elle en gardait un souvenir si atroce qu'elle hésitait à faire subir le même sort à une autre enfant. Gabrielle se demanda si elle ne ferait pas le bien en mentant à l'abbesse en lui disant que Cassandra n'y était pour rien. C'était un mensonge pour la bonne cause. Mais l'abbesse n'était pas le genre de personne que l'on dupait si facilement. Gabrielle se souvenait l'avoir vue ce jour là, emplie de fureur, saisissant un martinet et la frappant avec une cruauté innommable. Elle n'était pas encore abbesse à l'époque, mais déjà il n'était pas une personne au couvent qui osa la défier. Qu'allait elle faire ? Mentir à l'abbesse pouvait provoquer bien pire que l'incident en soit, sa fureur pourrait n'en être que décuplée. Toutefois, si Cassandre avait pu lire cet ouvrage impie jusqu'au bout, il n'était pas à exclure que l'abbesse la fasse tuer.
Gabrielle était en proie à ce dilemme lorsqu'elle entra dans sa cellule. Comme à son habitude elle avait laissé la porte entrouverte. Elle s'assit sur une chaise et posa le livre devant elle pour le contempler avec méfiance. Il lui semblait sentir la couverture lui brûler les doigts, néanmoins elle prit la peine de la soulever pour regarder la première page. On y voyait une illustration représentant l'auteur, un allemand du nom de Faust, dans une posture de réflexion intense. Toutefois, la partie du portrait qui attira le plus l'attention de Gabrielle était l'ombre du savant qui était assez mal faite. En effet, l'ombre paraissait beaucoup trop intense et occupait une trop grande part de l'illustration. Mais en y regardant de plus près, il lui sembla voir au milieu de cette masse noire, deux yeux, une bouche et…
Elle referma brusquement le livre. Ce qu'il lui semblait avoir vu était invraisemblable, mais elle ne voulait pas vérifier, elle voulait préserver son innocence en restant dans l'ignorance. Elle crut alors voir une ombre bouger dans la pièce, mais elle se rassura vite. Ce devait être sa propre ombre.
En regardant la table elle remarqua qu'elle avait une bouteille de vin ouverte et un verre plein qu'elle avait dû oublier. Pour se rassurer et ne pas gaspiller, elle lampa le verre, puis s'en servit un autre qu'elle lampa à nouveau. Ce vin lui sembla avoir un étrange arrière goût. Était-il bouchonné ? Elle se servit un autre verre qu'elle but plus calmement, consciente qu'en lampant deux verres elle risquait déjà l'ébriété.
Puis d'un coup une brûlure fulgurante se fit sentir dans son ventre. La douleur fut si forte qu'elle laissa choir son verre pour porter la main à son ventre. Puis la douleur remonta dans sa gorge, et elle crut qu'elle allait vomir mais elle ne fit que cracher sa salive. Elle se tordît de douleur, et aux douleurs gastriques s'ajoutèrent bientôt des maux de tête. Tout cela alla très vite. Elle eut à nouveau l'impression de vomir, mais ce fut du sang qui lui sortit par la bouche et par le nez. Horrifiée, elle poussa un cri qui fut noyé par des gargouillements remontant de sa gorge. Elle s'effondra sur la table, renversant la bouteille de vin qui tomba par terre et vola en éclat. Puis, lentement, elle glissa de la table et tomba par terre dans le vin et les débris de verre. Elle essayait de crier, mais ne sortaient de sa bouche que des crachats de sang et de bile. Sa vision devint trouble et s'assombrit.
Gabrielle fit un effort pour regarder, et elle vit une ombre, une ombre d'un noir intense. C'était l'ombre qu'elle avait vu derrière Faust, une ombre surnaturelle, avec des yeux, une bouche et… des cornes. C'était l'ombre du Mal.

- "Je te demande pardon. Au plus profond de moi j'ai compris que j'avais agi avec le mal dans l'âme et je ne connaîtrais plus de repos tant que je ne me serais pas faite pardonner."
Cassandre était à genoux devant la petite Catherine qui la regardait avec étonnement et une certaine gêne. Sous l'œil bienveillant des sœurs supérieures, Cassandre était venue demander pardon à celle dont elle avait provoqué l'infortune.
- "Je jeûnerais trois jours durant en te laissant ma part de chaque repas. Ainsi, peux-tu me pardonner ma sœur ?"
Catherine, ne sachant trop quoi dire chercha du regard l'aide des sœurs supérieures. Finalement elle articula:
- "Ma sœur, le tort que vous m'avez fait est déjà oublié. Vous… vous pouvez vous lever."
Cassandre se leva et les deux sœurs s'embrassèrent. La longue méditation forcée de Cassandre allait prendre fin.
Cassandre reprit aussitôt le travail, et sous son insistance, les sœurs supérieures acceptèrent de la mettre en charge des cuisines afin qu'elle ressente toutes les souffrances du jeun. Sous la surveillance des autres sœurs, elle prépara la grande soupe que partageraient toutes les sœurs, car ils étaient en période de Carême, et le couvent avait pour tradition en cette période de ne faire que de la soupe.
Cassandre semblait avoir complètement changée à la suite de son recueillement intensif. Elle était bien plus souriante, et parlait bien plus. Tout en cuisinant, elle raconta aux autres sœurs comment ses parents lui avaient appris à faire la cuisine, à cueillir les champignons, et à faire cette soupe à base de champignons qu'elle avait elle même cueillis dans la forêt.
Ce soir là, l'abbesse ordonna à Cassandre de faire une lecture de la bible avant le repas. Ce qu'elle fit sans problème. Puis lors du repas, l'abbesse fit une annonce pour célébrer le jeun de Cassandre et conseiller aux autres de prendre exemple sur elle. Et elle ordonna que Cassandre reste à ses côtés pendant le repas.
L'abbesse était une femme d'apparence plutôt jeune, bien que ses cheveux soient blancs. Elle souriait en guettant Cassandre d'un œil menaçant. Elle se doutait de quelque chose.
- "Je n'ai pas vu sœur Gabrielle." Lâcha-t-elle brusquement. "Serait elle souffrante?
- Je ne sais pas. Je peux aller la voir si vous voulez.
- Non, reste juste là." L'abbesse voulait la tenir à l'œil.
Tous mangèrent de la soupe, la règle au carême était que tout le monde devait être réuni, sans quoi on prenait le risque que quelqu'un aille piller les réserves. Mais l'abbesse se doutait que Gabrielle n'était pas le genre à voler de la nourriture.
Sœur Catherine qui avait une morphologie fragile et avait reçu une double ration de soupe comme l'avait demandé Cassandre, fut la première à succomber au poison. Elle commença par annoncer qu'elle avait mal au ventre, puis elle s'évanouit, et quand on tenta de la réveiller elle vomit du sang sur les autres sœurs. Puis cela se répandit partout, et bientôt toutes les sœurs du couvent eurent mal au ventre. En voyant cela, l'abbesse ne perdit pas une seconde. Elle saisit Cassandre par les cheveux et avec son autre main, elle sortit une dague de sous ses robes qu'elle approcha de la gorge de la fille.
- "Pas besoin d'explication!" Cria l'abbesse. "Donnes moi l'antidote! Tout de suite!
- Je n'ai pas d'antidote. Comment aurais je pu en fabriquer? Je n'ai aucun matériel d'alchimie.
- Alors comment as tu fais ce poison?
- J'ai simplement cueilli les amanites phalloïdes qui pullulent dans vos bois madame."
La matriarche eut une hésitation sous le coup de la surprise, puis elle abattit sa dague, mais Cassandre se dégagea en lui donnant un coup de poing dans le ventre, et elle partit en courant. L'abbesse se lança à sa poursuite, enjambant les corps de ses ouailles qui se tordaient de douleur. Mais la jeune fille lui échappa en courant plus vite qu'elle.

Les trois jours de jeun pour Cassandre ne furent pas un mensonge. Elle dut se cacher dans le domaine pendant que des sœurs du couvent, affaiblies par leurs atroces douleurs gastriques, organisaient une battue pour la retrouver. On découvrit sœur Gabrielle, plus qu'à moitié morte, dans sa cellule; baignant dans son propre sang. L'abbesse, qui était la moins malade de toutes, prit la tête de la chasse. Toutes les sœurs furent envoyées explorer la forêt en dépit des douleurs qui leur tordaient le ventre. Puis elles commencèrent à mourir, les unes après les autres. Certaines d'entre elles fuirent le domaine pour aller jusqu'au plus proche village demander de l'aide, mais celles qui y parvinrent ne purent adresser aux villageois que des vomissements de sang avant de s'effondrer.
Finalement, au bout de trois jours passés à se cacher dans la forêt en mangeant des champignons comestibles, des vers et des rats, Cassandre pût sortir de sa cachette, et voir l'abbesse s'effondrer dans un râle en la maudissant.
Cassandre tâta du pied le corps sans vie de l'abbesse, puis poussa un cri de victoire. Elle l'avait fait. Elle avait dompté l'essence du mal et s'en était servi mieux que les catholiques ne l'avaient fait de celle du bien.
Pour la grandeur des de la Fère.

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