Prologue

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-"Hérétiques!"
Ils couraient partout en scandant tels des déments:
-"Mort aux hérétiques! Mort aux hérétiques! Mort aux hérétiques!"
Le châtelet du baron de la Fère était investi par la foule des catholiques qui se revendiquaient déjà vainqueurs de la croisade contre les albigeois. Le baron avait taché de tenir comme il le pouvait, mais face à des hommes plus nombreux et plus féroces qu'eux, les défenseurs de la cause des "parfaits" avaient été submergés comme un rien. Déjà les cités de Béziers et Carcassonne étaient tombées, et un fortin comme celui là n'avait aucune chance.
Dans une salle close, le baron Raimon de la Fère se languissait, assis sur un fauteuil rustique avec auprès de lui sa jeune fille, Cassandre.
Le baron émit un soupir.
- "Des sauvages. Dire que nous nous sommes rendus. Ce chevalier ne sait pas tenir ses hommes.
- Pourquoi nous sommes nous rendus?" Demanda la fillette. "Nous ne pouvions vraiment pas gagner?"
Son père eut un sourire amer.
- "Tout ce qu'on aurait pu faire, c'est gagner du temps. Mais c'est à double tranchant. Plus un siège est long, plus les attaquants se font violents. Si on les avait laissé devant nos murs pendant des mois, en entrant ils nous auraient tous massacrés. Mais j'ai négocié, et au moins nous deux nous devrions avoir la vie sauve. Et c'est important. Si nous mourons notre humble lignée s'éteindra, et il n'y aura plus aucun avenir pour nous. Et l'avenir c'est ce qui compte. Tu sais pourquoi je t'ai appelée Cassandre n'est ce pas.
- Mais, si on abandonne le fort…
- Je sais, nous avons déjà peiné pour en arriver là. C'est dommage, j'étais bien parti pour m'élever et gagner en puissance. Dommage. Cette guerre aurait pu, si j'avais su me démener pour survivre, me permettre d'atteindre le rang de vicomte en profitant du chaos. Mais hélas, c'était une erreur. La cause des cathares est une cause perdue, et d'ici trente ans le monde chrétien s'en sera définitivement débarrassé. On verra peut-être rejaillir des idées semblables dans cinq siècles mais personne ne fera le rapprochement avec nous.
- Mais pourtant c'est nous qui avons raison!" Affirma l'enfant avec une assurance surprenante. Le baron se leva en poussant un soupir.
- "Écoutes moi bien." Dit il. "Personnellement, j'ai toujours su que dans ce monde il existait un bien et un mal. Et il m'a toujours paru évident que ce monde imparfait est le fruit du bien perverti par le mal. Le bien et le mal sont des essences qui composent ce monde et le parcourent constamment. Si l'on ouvre ses narines on peut sentir la puanteur du malin qui souille l'existence même. Mais mon avis à moi est que les parfaits ont tort de rejeter ce monde, cette essence, et ce mal. Je n'ai rejoint les cathares que par intérêt, pas par pure conviction. Je pense que si le bien et le mal pures coexistent en ce monde, rien ne nous indique que l'un est pire que l'autre, il est du ressort de l'homme de déterminer ce qui est mieux et ce qui est pis. Moi, j'en pense que bien ou mal importe peu tant qu'on a des objectifs. Et si l'homme a le pouvoir de dire ce qui est mieux et ce qui est pis, c'est que l'homme a le pouvoir de dompter le monde, de le modifier et d'en user à sa guise. À cet égard, je ne vois pas pourquoi il en irait différemment des essences. Du bien et du mal. Elles peuvent être utilisées comme outils, comme arme, plutôt que d'être simplement de lointains objets de vénération. Des gens manipulent déjà l'essence du bien. Tenez, l'église catholique le fait. Elle se sert du bien et de la moralité comme d'une arme. L'essence qu'ils manipulent est indéniablement le bien, et ils s'en servent pour commettre des massacres. Moi qui suis homme et qui en juge, je dirai que si c'est bien l'essence du bien qu'ils utilisent, celle ci entre leurs mains parait plutôt pis que mieux."
Avec un sourire goguenard pour sa fille, il ajouta:
- "Maintenant que j'ai vu l'essence du bien en action, il me tarde de voir ce qu'il en est de l'essence du mal, pour pouvoir la comparer. Je ne connais personne qui sache manipuler cette essence, et peut être personne n'y parviendra jamais. Dans le doute si tu y arrive, fais moi signe. Qui sait, peut être serais tu capable d'utiliser le mal de sorte à ce qu'il soit mieux que le bien."
Cassandre gloussa doucement. Puis les cris cessèrent. Et des pas lourds vinrent en direction de la porte.
- "Ils arrivent." Fit le baron. "Prépare toi. Bien que ça nuise à mes projet d'être dépouillé de mon seul descendant, tu sera la clé de notre survie à tous. C'est grâce à ton sacrifice que nous serons graciés. Tu peux tout de même t'estimer heureuse." Il ajouta avec un rire:" J'aurais aussi bien pu te tuer et me suicider pour montrer mon désaccord face à l'église de Rome. Tout comme le fit le roi Mithridate."
La fillette parut perplexe.
- "Ne t'ai je jamais raconté l'histoire du roi Mithridate?"
Cassandre fit non de la tête. Le baron se rassît et fit signe à la fille de venir s'asseoir sur ses genoux.
- "Le temps qu'ils rassemblent leurs prisonniers, je vais te résumer cette histoire. C'était du temps de l'empire romain, du vrai empire romain, celui de Rome. Il existait quelque part un roi qui résistait farouchement à l'envahisseur romain, et refusait leur hégémonie. Mais un jour, acculé dans son palais par ses trop nombreux ennemis, il décida de mettre fin à ses jours avec ses filles en s'empoisonnant."
Cassandre l'écoutait très attentivement, immobile, avec les yeux grands ouverts.
- "Ce roi Mithridate partagea donc du poison avec ses deux filles. Ses deux filles moururent instantanément. Mais, là où c'est cocasse, c'est que quand il but le reste de poison, il eut beau souffrir le martyr, ça ne suffisait pas à le tuer. Et sais tu pourquoi? Parce que Mithridate était quelqu'un d'excessivement prudent. Il avait eu recours à une méthode supposée le rendre plus résistant aux poisons. Il buvait régulièrement du poison en très petite quantité, pas assez grande pour lui faire du mal, mais à force son corps s'habituait au poison. Ainsi, ses adversaires ne pouvaient pas l'empoisonner. Simplement il n'avait pas songé que lui non plus ne pourrait pas s'empoisonner.
- Mais alors… comment a-t-il fait?" Demanda la petite.
- "Il a été alors obligé de…"
La porte s'ouvrit avec fracas. Cassandre bondit des genoux de son père qui se leva lentement.
Derrière la porte, des soldats aux allures de fous furieux se tenaient bien droit en grimaçant de leurs visages déjà tordus et difformes. Un chevalier s'avança dans la salle. Jeune et beau avec de longs cheveux châtains clairs, il était en armure et avait la main sur le pommeau de son épée. Il parla d'une voix claire:
- "Sire Raimon de la Fère. Vous êtes un odieux hérétique!
- Je…
- Avant toute chose! Indiquez nous où se trouve ce soldat que nous avons vu sur les remparts uriner sur une bible et la jeter dans notre direction! Dites nous où il se trouve et son châtiment sera exemplaire.
- Ce soldat c'est Robin. Je l'ai envoyé ouvrir les portes pour que vous puissiez le cueillir sans problème. Il doit donc déjà être parmi vos prisonniers."
Le chevalier parut tressaillir. Il tourna la tête vers ses hommes et murmura d'un ton de reproche:
- Bon sang, vous l'avez déjà tué. Ah bravo. Quand je vous disais de vous tenir." Il se tourna à nouveau vers le baron. "Nous t'avons noblement vaincu coquin. Tu n'as plus qu'à te plier à notre volonté.
- Noblement?" Fit le baron. "À six cent cinquante contre cinquante hommes valides et une centaine de blessés. Épargnez moi les «noblement».
- Tu n'es pas en position de te livrer à de tels sarcasmes. Soumets toi ou meurs!
- Je reconnais mon erreur. J'ai été faible et j'ai succombé aux promesses des cathares. Je m'en remets au tout puissant et implore votre miséricorde. Pour prouver ma bonne foi je vous rejoindrai dans votre croisade pour éradiquer l'hérésie cathare.
- En gage de ta bonne foi, comme il a été convenu, ta fille entrera dans un couvent pour racheter tes péchés par sa prière.
- J'y consens. Je suppose qu'elle ne pourra donc jamais se marier?
- Non! Elle dédiera sa vie à servir le Seigneur.
- Dommage alors. Enfin, je vous laisse donc la garde de ma fille et je veux que vous juriez sur votre honneur de chevalier et sur votre vie que vous vous chargerez d'amener ma fille au couvent et vous assurerez qu'aucun mal d'aucune sorte ne lui soit fait en cour de route."
Le chevalier serra les dents et déclara:
- "Sur mon honneur et sur ma vie, je jure que votre fille entrera dans le couvent intacte, où j'en périrai moi même.
- Alors tout cela est bel et bon."

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