VIII

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Le lendemain matin, Aurore se réveilla dans une chambre vide. Jeanne était déjà partie. C'était étonnant: leur mère avait l'habitude de les réveiller toutes deux au même moment. Aurore se dit qu'après la faute qu'elle avait commise, elle ne méritait sans doute plus la grâce d'un salut matinal.

La jeune fille s'extirpa de son lit avec beaucoup de peine. Son genou lui faisait encore terriblement mal. Elle s'avança ensuite vers la cuisine où Annabelle Damester était assise, une assiette encore fumante posée sur la chaise en face d'elle.

- Ah! Te voilà réveillée! Viens donc t'assoir, je t'en prie.

Aurore n'osait pas s'avancer, partagée entre la peur et la confusion. Le ton de voix que prenait sa mère était pour le moins inhabituel: chaleureux et mielleux à la fois. Elle l'avait déjà entendue parler de cette façon à Jeanne mais à elle? Jamais.

- Viens, Aurore. répéta-t-elle d'un ton plus pressant. Je t'ai préparé ton repas.

La jeune fille obéit. Bien que le comportement de sa mère lui semble totalement incompréhensible compte tenu des évènements de la nuit passée, elle n'en était pas au point de se méfier d'une assiette bien garnie.

Affamée, Aurore se mit à avaler ses œufs aux plats et son jambon en essayant tant bien que mal d'éviter le regard de sa mère, qui n'avait eu de cesse de la fixer depuis le moment où elle l'avait vue entrer dans la pièce. Elle lui souriait de temps en temps, ce qui ne faisait qu'ajouter à ce sentiment de malaise.

Lorsqu'elle eut terminé de manger, la jeune fille se leva pour débarrasser son assiette. Sa blessure au genou la brula et la fit grimacer.

-Non, non, non, ne t'occupe pas de ça ma chérie. Fit Annabelle, Je vais la laver.

Aurore se rassit aussitôt, tout en observant sa mère d'un air abasourdi. "Ma chérie..." Avait-elle bien entendu?

Lorsqu'Annabelle eut terminé de laver l'assiette, elle vint s'asseoir auprès d'Aurore en tournant sa chaise afin de lui faire face. Puis elle se pencha sur ses jambes et commença à lui masser doucement le genou. Aurore fut si intimidée par ce contact qu'elle leva les yeux au plafond. D'après ce dont elle parvenait à se souvenir, c'était la toute première fois que sa mère l'avait touchée d'une façon qui n'était ni violente, ni forcée. De plus, un contact si doux après les coups violents de la veille avait de quoi porter à confusion. Pendant un instant, Aurore avait envisagé la possibilité que sa mère eut été la victime d'un enchantement, ou peut-être que les miracles existaient bel et bien après tout.

- Aie, fit Annabelle, l'os s'est déplacé. Ce n'est rien de grave mais ça a du te faire très mal.

Aurore fit tout ce qu'elle put pour s'empêcher d'éclater d'un rire nerveux. Au lieu de ça, elle émit un soufflement à peine audible accompagné d'un rictus tout en espérant que sa mère ne le remarquerait pas. Sa gentillesse soudaine risquerait d'être mise à l'épreuve.

- Ne t'inquiète pas! reprit-elle d'une voix enjouée, J'étais guérisseuse dans le temps, je devrais avoir remis ton genou en place d'ici quelques jours. Laisse-moi chercher de quoi faire un bandage, je reviens!

Aurore hocha la tête, en évitant toujours de croiser le regard de sa mère. Lorsqu’elle entendit la porte de fermer, la jeune fille sentit un flot violent d'émotions diverses monter en elle. Elle ressentait de la colère, due à son incompréhension. Cette femme n'était pas sa mère, c'était impossible. Elle l'avait toujours traitée comme une moins que rien, une souillon indigne de son amour. Si Jeanne n'avait pas été là, Aurore aurait pu penser que sa mère était simplement sévère, mais elle voyait bien chaque jour que sa sœur et elle étaient traitées différemment.

Alors pourquoi avait-elle décidé de lui offrir son affection après tant d'années de négligence? A un moment aussi délicat qui plus est. Elle ne pouvait pas la battre au point de lui déboiter le genou et la soigner avec tant d'attention le lendemain. A moins que Jeanne lui ait demandé de... non, ce n'était pas ça. Jeanne avait déjà tellement fait pour elle sans que rien ne change. Il faudrait lui poser la question face à face.

- Me voilà! Je vais pouvoir remettre tout ça en place! Mais... tu as pleuré?

Du revers de la manche, Aurore essuya ses larmes. Elle s'était un peu laissé emporter.

- Ce n'est rien, mère. répondit-elle. J'ai encore très mal, c'est tout.

Annabelle fit la moue, comme si elle ressentait la douleur de sa fille. Aurore trouvait ce geste profondément hypocrite. Comme si elle n'était pas la cause directe de cette blessure...

- Ma pauvre enfant, répondit Annabelle en touchant à nouveau le genou de sa fille. Il te faudra certainement rester à la maison encore un moment le temps que l'os se remette en place... Ah oui! Le bandage!

Annabelle releva la chemise de nuit d'Aurore afin de lui appliquer un onguent. Puis elle lui remit l'os en place à l’aide d'un tissu très serré. L'expérience était particulièrement douloureuse, même si les gestes professionnels de cette ancienne guérisseuse se voulaient doux. Cependant, Aurore se posait bien trop de questions pour se préoccuper de la douleur brulante qui lui rongeait l'os. Les dernières paroles de sa mère étaient trop invraisemblables pour pouvoir y croire, et pourtant...

Elle décida de lui poser la question, après tout il y avait peu de risques de la froisser.

- Mère, pourquoi avez-vous dit que je devrais rester "encore un moment" à la maison? N'y suis-je pas consignée?

Tout en continuant de bander le genou de sa fille, Annabelle lui répondit.

- Non Aurore. Il est parfaitement compréhensible que tu ne souhaites pas passer le restant de tes jours auprès de ta mère et de ta sœur. Quelle jeune fille le souhaiterait? Je ne peux te retenir plus longtemps. Une fois que ta blessure sera guérie, tu seras libre de partir si tu le souhaites.

Le cœur de la jeune fille fit un bond dans sa poitrine. Etais-ce seulement possible que sa mère ait décidé, en l'espace d'une nuit seulement, de lui offrir la liberté qu'elle avait tant désirée? Aurore ne pouvait pas le croire.

Si cela s'avérait vrai, Aurore se sentait prête à pardonner sa mère pour l'avoir battue si violemment ainsi que pour toutes les années où elle l'avait délaissée au profit de sa petite sœur. Même si cela prendrait du temps.

Lorsqu'Annabelle eut terminé son soin, Aurore partit à la recherche de Jeanne en boitillant. Elle espérait que sa sœur ne s'était pas trop éloignée de la chaumière. Elle la trouva assise près de la réserve de bois en train de lire un livre. Aurore s'approcha d'elle, attendant qu'elle interrompe sa lecture.

Une fois qu'elle vit sa sœur ainée debout devant elle, Jeanne se leva et lui sauta au cou. Quelque chose dans son regard pétillant semblait indiquer qu'elle connaissait déjà la bonne nouvelle, même si le départ prochain de sa sœur adorée la chagrinait quelque peu.

Pour Aurore, les quelques jours nécessaires à son rétablissement semblèrent durer une éternité. La jeune fille eut tout le temps du monde pour préparer mentalement son trajet. Elle en discutait parfois avec Jeanne à la nuit tombée. Ne pensant pas qu'il serait judicieux de parler du château au milieu de la foret à sa mère.

- Tu crois que ces gens sont devenus des fantômes? demanda Jeanne, fascinée par le récit des époux Landebrune.

- Je ne sais pas, avoua Aurore. Mais je suis décidée à connaitre la suite de cette histoire. Je vais rendre visite à Edmyre pour en apprendre davantage.

- Et si jamais elle n'est pas chez elle? Que comptes-tu faire?

De toute évidence, Aurore avait envisagé cette possibilité. Pour elle, la réponse était très claire mais elle mentit afin de ne pas effrayer Jeanne.

- Je suppose qu'il me faudra attendre son retour.

Aurore vit dans les yeux de sa petite sœur que celle-ci avait du mal à croire ce qu'elle entendait. Néanmoins, elle s'abstint de la contredire.

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