I

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L'arrivée d'un printemps précoce avait fait pousser des feuilles d'un vert luisant sur les arbres. La forêt regagnait peu à peu ses couleurs tandis que les animaux sortaient de leur abri. Le vent glacial qui avait soufflé sur la chaumière durant tout l'hiver laissait désormais sa place à une douce brise. Le temps chaud revenait, et les filles Damester étaient les premières à s'en réjouir.

- Quel bonheur de ne plus avoir besoin de se couvrir pour aller dehors! s'exclama Jeanne, la plus jeune, un sourire rayonnant sur le visage. Et puis cette odeur... on peut sentir les fleurs à l'autre bout de la forêt !

- Les animaux aussi se font sentir, fit remarquer Aurore, l'ainée, visiblement incommodée par l'odeur âcre émanant d'un nid de chouette situé un peu trop près de la branche où elle était assise.

Jeanne lui envoya un petit sourire. Aurore avait toujours eu ce naturel bougon. Lorsque leur mère les laissait seules, elle passait le plus clair de son temps à se plaindre, plus ou moins sérieusement. Par contre, lorsque la famille était au complet, Aurore n'osait jamais ouvrir la bouche.

- J'ai eu l'impression que cet hiver ne finirait jamais. Je suis heureuse de pouvoir sortir me promener. Pas toi?

Aurore soupira, puis détacha le regard de celui de sa sœur.

- Je suis toujours heureuse de pouvoir sortir. Si seulement je pouvais voir autre chose que cette forêt...

Elle observait l'horizon, mélancolique. Ces mêmes arbres millénaires qu'elle connaissait comme une seconde famille. Le jour de ses seize ans approchait à grands pas, et pourtant, elle n'avait jamais eu le droit de s'éloigner du périmètre défini par sa mère. La seule chose qui la retenait de crier à l'injustice, c'était que sa petite sœur n'avait pas ce droit non plus.

Jeanne grimpa sur la branche pour rejoindre son ainée. Elle savait comment canaliser ses moments de tristesse et ne s'était jamais lassée de le faire.

- Ce jour viendra, dit-elle d'une voix douce, certaine de ses propres paroles. Mère ne peut nous laisser enfermées avec elle indéfiniment. Il faut simplement lui prouver que nous sommes dignes de confiance et...

- Que nous sommes dignes de confiance ?! la coupa sèchement Aurore. On voit bien que ce n'est pas à toi qu'elle reproche tout qui ne va pas dans son sens. Elle ne me laisse même pas me coiffer seule. Comment pourrait-elle me laisser sortir dans un endroit que je ne connais pas?!

Aurore tourna à nouveau la tête. Jeanne se tut, pensive. Il y avait de la vérité dans les paroles amères de sa sœur. Bien qu'elle ne s'en soit jamais rendue compte sur le moment, Jeanne avait toujours été favorisée par rapport à Aurore, et ce dans n'importe quelle situation : si Jeanne brisait un verre, la faute revenait à Aurore pour ne pas avoir veillé sur sa cadette. Lors des repas de famille, Annabelle Damester écoutait avec attention les paroles de Jeanne, mais lorsqu’Aurore souhaitait s'exprimer, elle se mettait à bailler, à sortir de table ou bien à la couper au beau milieu de son histoire.

Il y avait autre chose d'étrange dans le comportement d'Annabelle envers sa fille ainée : elle refusait absolument de la laisser seule. Aurore était constamment sous la surveillance de sa mère, ou bien accompagnée par sa petite soeur, à chacun de ses pas. Cette situation était à la fois le plus grand mystère et la plus grande source de souffrances de la jeune fille.

- Elle le fera un jour, répondit enfin Jeanne. Je lui en parlerai. Si tu n'arrives pas à la convaincre, je le ferai pour toi.

Aurore tourna les yeux vers sa sœur.

- Vraiment? Tu me le jures?

- Je te le jure. Tu sais que je ferai n'importe quoi pour te voir heureuse.

Aurore le savait. C'était d'ailleurs pour cette raison qu'elle supportait si bien la présence de Jeanne, même lorsqu'elle mourrait d'envie de rester un peu seule. C'était l’amie idéale, et Aurore n'avait jamais trouvé quoi que ce soit qu’elle aurait pu lui reprocher directement.

Elle lui passa le bras autour du cou et l'embrassa sur le front.

- Merci d'être là, petite sœur.

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