Saletés de rats

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La bonne nouvelle, c'est que vu sa tête, le bellâtre est aussi ravi que moi. Il s'attendait à voir un gars de seconde, pas une fille et surtout pas moi. De ce que je comprends de la discussion, le responsable a caché à tous l'identité de la nouvelle recrue pour éviter les débats inutiles. Le grand dadet pensait qu'il s'agissait d'un sportif et donc d'un lutteur, seul club à avoir intégré des secondes cette année. Je réalise que le bénévolat construction n'intéresse pas grand monde et ce sont surtout les sportifs et de préférence les basketteurs et les lutteurs.

Je suis surprise d'entendre Maltez qui s'estime heureux d'être mon superviseur et avouer que je suis l'une des secondes les plus débrouillardes et bosseuses qu'il connaisse. Mon étonnement à ce qui ressemble à un compliment ne lui a pas échappé et je le vois se marrer en douce. C'est bien ce que je pensais. C'est de l'ironie. Cette andouille veut me faire croire qu'il m'apprécie pour me faire douter des paroles de ma frangine. Il faut dire que le discours du responsable sur l'élève attentive que je suis est tellement loin de ma personnalité que les mensonges du crétin passent inaperçus. Il n'y a que pour la construction et en équitation que je suis assidue. Les autres matières, ça dépend des jours.

Après les politesses d'usage devant le responsable, nous nous dirigeons vers le chantier. Maltez me demande ce que je fais là très poliment. Je suis la première fille à vouloir travailler sur ce projet. Il est très surpris de ma présence tout en admettant que Mélia et moi sommes les seules filles de tout le lycée qu'il estime capable de faire des choses utiles. Il a apprécié le travail réalisé pour les cadeaux de Noël et adore le sien.

Comme il me demande cela de manière presque gentille, je réponds sur le même ton que j'adorais aider mon grand-père à entretenir notre maison. Le bricolage est une activité que j'apprécie beaucoup et qui suscite ma curiosité et mon envie d'apprendre et de faire. En plus de me défouler physiquement aussi très souvent. De toutes les activités caritatives, celle-ci m'a paru être la meilleure pour moi.

Je blague un peu sur la catastrophe que j’aurais été au téléphone de SOS Dépressifs. Mon manque d'empathie, mon vocabulaire brut de décoffrage et ma maladresse naturelle auraient provoqué des drames. Damien admet qu'il n'aurait pas été très bon lui aussi à ce poste même s’il est capable de filtrer ses paroles parfois, contrairement à moi. En revanche, la voix douce et la capacité à toujours trouver du positif de Mélia fait déjà des miracles. Mon double a un véritable don.

Il évoque Blaise, coincé à la soupe populaire pour protéger sa sœur. Son meilleur pote n'a pas hésité un instant à changer d'affectation quand il a su que Musclor et d'autres gars pas recommandables faisaient partie des bénévoles. L'idée principale de ces crétins est de piquer de la bouffe aux plus démunis. Le grand frère et un autre basketteur sont les gardes du corps des kawai et des plus faibles de ce groupe. J'aurais fait la même chose pour Mélia, bien qu'elle soit parfaitement en état de se défendre sous ses dessous bariolés de gentille fille.

Je le préviens que je ne m'attends pas à faire de la décoration d'intérieur, mais bel et bien à casser des murs et à travailler dans la poussière et dans la saleté. Pour avoir aidé Papinou, j'ai parfaitement idée de ce qui m'attend et j'ai choisi ce bénévolat en toute connaissance. Il sourit avec la mine d'un sale gosse qui s'apprête à faire une bêtise et me répond d'un ton espiègle que je sens tout le temps le canasson alors ça ne changera pas beaucoup mon odeur. Il me cherche. Il va me trouver, mais pas tout de suite. Je veux voir le chantier d'abord. En plus, je m'en fous si je pue. Ça éloigne une partie des andouilles.

Je profite du trajet à pied pour essayer de sonder le grand dadet sur ce qu'il éprouve réellement pour ma frangine et moi. Il est bizarre depuis quelques temps et cette aprèm, il est bavard et de bonne humeur. Je n'ai pas trop de difficultés à lui faire dire du bien de Mélia. Il apprécie sincèrement la gentillesse, le calme, la culture et le sens de la diplomatie de mon double. Que ce soit Sarah ou Naya, les deux filles dont il se préoccupe de l'opinion, elles l'adorent, tout comme Blaise. Il est plus réservé mais reconnaît que la compagnie de ma frangine lui est agréable. Rares sont les filles et encore plus les secondes qu'il tolère. Fleur et Lilou sont trop gamines pour lui et l'agace par moments. Mélia est gentille mais sait lui clouer le bec si besoin et il peut discuter d'un tas de sujet avec elle, bien plus qu'avec les autres filles. Il la voit comme une petite sœur avec qui il peut être complice et se confier, alors que Sarah, il la protège.

Pour mon cas, Maltez ne sait pas trop dire. La plupart du temps, je lui hérisse le poil et il a envie de m'étrangler. Je jure comme un charretier et suis toujours pleine de poussières. J'ai tendance à toujours chercher le moyen de lui casser les pieds, sans lui laisser de répit. Si j’étais un mec, il m’aurait déjà collé son poing dans le nez malgré mon entrainement militaire. Cependant, je suis aussi très intelligente et cultivée comme ma sœur. J'agis de la même manière qu'un mec et je suis donc beaucoup plus facile à comprendre que les autres filles. Je m'entends hyper bien avec ses potes ainsi que Sarah. Je le fais souvent rire avec mes âneries. J'ai de nombreux points communs avec lui comme l'appétit insatiable et le besoin de sport intensif. J'ai un sens de la répartie qui lui plaît quand il n'est pas dirigé contre lui. Et surtout, je protège les plus faibles. Du coup, il n'arrive pas à me détester sans pour autant m'apprécier. Lui aussi est perturbée par les propos de Mélia et reconnaît qu'il a pensé à me protéger du froid sans arriver à se montrer galant. Moi, je suis la petite sœur énervante.

Nous voilà enfin devant la bâtisse. Le responsable nous fait un topo. La maison qu'on rénove est à l'abandon depuis plusieurs années. L'ancien propriétaire est décédé dedans. Il a fallu un an avant qu'on ne découvre son cadavre. Deux ans, pour que l'on retrouve les héritiers et que la maison soit mise en vente. La puanteur a fait fuir tous les squatteurs humains. Le lycée en a fait l'acquisition pour une bouchée de pain il y a trois mois. On vient juste de récupérer les clés. Nous devons la rénover et la remettre aux normes afin d'y loger une famille défavorisée d'une veuve avec trois enfants, dont un bébé de quelques mois qui vivent actuellement dans un foyer. L'idée m'enthousiasme, c'est le genre de projets qui me plaît beaucoup et je sautille.

— Pourquoi tant de joie, miss soldat impassible ? Se moque Maltez en souriant.

— Il ne faut pas croire. J'ai un cœur sous ma carapace de ninja, je lui réponds d'un air choqué pas du tout crédible.

Le jardin me semble petit et est rempli de chardons, de lierres et de détritus divers. L'allée menant à l'entrée est envahie d'herbes folles. Les quelques arbres sont morts ou étouffés par les lianes. Les arbustes et fleurs sont en grave souffrance, affrontant les plantes envahissantes, le manque d'eau et de soleil. La couleur de la façade n'est pas distinguable sous l'épais couvert végétal qui la recouvre et condamne quelques-unes des fenêtres. C'est une mini forêt vierge. Une décharge à ciel ouvert qu'il faudra attaquer à la machette ou à la pelleteuse.

Le responsable délègue cinq gars sur l'extérieur. Pour débroussailler, arracher les mauvaises herbes, enlever les détritus... Il veut redonner un extérieur à la maison. J'ai le plaisir de voir Alex, le colocataire de nos trois amis, nommé chef de la partie jardin. Le peu que je connais de lui est qu'il est quelqu'un de consciencieux, très calme et aimant la nature. Je l'apprécie beaucoup. Parmi les autres ouvriers délégués, j'aperçois Thibaut qui me fait un clin d'œil et vient me faire un bisou sur le front quand il m'aperçoit. Avant de partir rejoindre ses camarades, il me supplie à l'oreille d'être sage et gentille avec Maltez, ce qui me fait sourire.

Le responsable nous parle alors de l'intérieur. Les murs porteurs sont relativement sains ainsi que la toiture. L'intérieur est jonché de poubelles et rempli de rats. Des moisissures pullulent sur les papiers peints des murs. Il faut tout sortir, tout nettoyer pour pouvoir désinfecter. Il envisage de casser les murs intérieurs non-porteurs et de refaire des murs. Ce sera plus rapide que de chercher à les assainir, d'autant plus qu'ils sont en très mauvais état. L'électricité, la plomberie, l'isolation du toit sont à changer en totalité. Les ouvriers bénévoles vont devoir aussi réparer les fissures ou coups dans les murs porteurs et après, les purifier par sécurité. La dernière tâche sera de repeindre l'intégralité des surfaces. On ne garde que les murs porteurs et le toit si je résume bien.

— Eh la femelle, j'espère que tu n'as pas peur des sales rats, me sort méchamment un des garçons en crachant dans ma direction.

— Si j'avais peur des sales rats, je ne serais pas ici avec toi le mâle, lui répondis-je sur le même ton.

Je sens Maltez qui pose sa main sur mon épaule. J'ignore si c'est un signe à destination du type ou pour me retenir. Mon corps s'est tendu, en position d'attaque, prêt au combat. Une position si courante qu'elle est presque naturelle. Mélia dit que je l'adopte aussi en dormant. Les doigts légèrement crispés de mon grand camarade m’indiquent que c'est ma hargne qu'il cherche à contrôler. Il ne veut pas de grabuge. Il se place entre le sale type et moi pour m'empêcher de faire un massacre.

— Mégane est sous ma protection Garcia. Touche là et je t'explose. C'est valable pour chacun d'entre vous. Tenez-vous loin ou vous goûterez de mes poings. Et toi, Farmer... Sois gentille et ne cherche la bagarre qu'avec moi s'il te plaît. J'ai promis tout à l'heure par texto à Blaise de veiller sur toi et de t'empêcher de faire des bêtises.

Je me décontracte à sa supplique si honnête. Il a raison. Priorité au boulot. Je regarde Damien et lui fait un beau sourire sincère de remerciement. Il soupire. Il sait déjà que je vais être difficile à gérer. J'apprécie son geste protecteur. Lui et moi, c'est chien et chat, mais on se respecte. On adore Blaise et Thibaut tous les deux. Il est intervenu plusieurs fois pour éloigner Musclor ou d'autres petits cons qui effrayaient mes Kawai ou des secondes.

Il est grincheux, acariâtre, cinglant et acide. Comme moi, en fait. Maltez est aussi protecteur, intelligent et est un vrai leader. Je le respecte pour cela. J'ai juste du mal à le supporter. Non, en fait, je ne peux pas le supporter sans avoir envie de l'étriper. Je repense à ses paroles de tout à l'heure. Ne pas arriver à se détester bien qu'on ne puisse s'apprécier. C'est très bien résumer nos sentiments réciproques. Si j'étais un mec, je serais Maltez, avec juste un meilleur look. Je suis certaine qu'il va profiter du peu d'autorité sur moi liée à son poste pour me casser les pieds. Ce chantier va être long et difficile, je le sens.

Je me dirige vers l'intérieur du bâtiment au côté de Maltez. Il me fait porter un masque pour les moisissures qui volent. Le grand dadet m'explique les choses avec de nombreux détails, sans me prendre pour une idiote. Il a compris que j'ai vraiment envie de faire mon maximum. Avec d'autres gars, nous déménageons les meubles et les ordures. Bien que je n’aie rien d'une faible fillette, je ne peux lutter contre la puissance de garçons de dix-sept ans sportifs. J'aide de mon mieux et ne ménage pas mes efforts. Je sors avec des sacs et des cartons à ma mesure. Je fais ma part de taf de manière efficace. La plupart des mecs sont sympas avec moi quand ils voient à quel point je suis investie et efficace.

Maltez ne cesse de me râler dessus. Il m'est impossible d'obéir sans broncher à cet imbécile heureux. Il est incapable de me supporter sans émettre une remarque plus de cinq minutes. Nous sommes d'accord sur le travail à effectuer et son importance. J'accepte son expérience. Il accepte ma débrouillardise. Nous ne faisons rien qui pourrait retarder l'avancée de notre boulot. Cependant, pour tout le reste, que ce soit le choix de la musique d'ambiance, les commentaires des derniers matchs, ou la façon de déguster des spaghettis bolognaise, nous avons des opinions différentes. On se chamaille, on peste, on râle. Mais on bosse et on fait rire les autres avec notre mauvaise foi réciproque. Ma chamaillerie enfantine avec leur leader les amuse aussi énormément. Ils n'ont pas l'habitude de voir quelqu'un contester son autorité bien que je le fasse aujourd’hui uniquement pour des choses sans conséquence pour le chantier.

Nous entassons les déchets qui débordent vite de nos poubelles. Agile, je grimpe sur un des tas pour sauter et le faire se réduire par compression au grand désespoir de Maltez, épuisé par mon initiative. Tel un kangourou, je fais des bonds qui écrabouillent et tassent les ordures. Je fais tellement l'imbécile que je ne vois pas le meuble pourri dessous qui s'effondre aussitôt. Je dégringole d'un bon mètre sans me faire mal et me voilà coincée dans la benne, éclatant de rire. Cette andouille ne bouge pas le petit doigt pour m'aider et en profite pour se moquer, voulant me laisser là quelques jours. Heureusement, Thibaut est proche et me tend les bras en preux chevalier. Je me fais porter comme une princesse et j'exagère les remerciements tant pour essayer de faire rougir le blondinet que pour blâmer Maltez.

Aucun des gars à proximité n'est dupe de mon stratagème. Ils ont tous compris que je suis une bagarreuse dans l'âme et une éternelle rebelle contre toute forme d'autorité. Je suis aussi pleine de conneries et respectueuse du travail. Leurs sourires complices et leurs prises de position pour me défendre face au despotisme de Maltez qui ne fait pas correctement son job de superviseur me confirment qu'ils m'apprécient et m'ont intégré dans leur groupe. Le fait que je sois la plus jeune et la seule fille fait rapidement de moi une sorte de mascotte avec qui ils sont sympas et un peu protecteurs.

Je retourne à mon déménagement de détritus. Très vite, nous sommes retardés dans notre progression par des attaques de rats. Ils essayent de nous mordre quand nous approchons de leur lieu de sieste. Ils sont nombreux et agressifs. De tout coté, il en sort des gras et gros qui courent à toute vitesse en couinant à peine on ouvre une porte ou un volet pour aérer ou faire entrer la lumière. La population est vraiment très importante et devient dangereuse pour notre sécurité. Nous battons temporairement en retraite, car nous allons finir par être amochés à force.

Maltez me confie une mission à la hauteur de mes talents au combat et de ma folie. Il me charge de faire reculer les bestioles et de les empêcher de mordre les autres tandis que les gars portent de lourdes charges. Il me dit à haute voix d'imaginer que c'est Musclor, Garcia ou lui-même en riant pour me motiver. Je lui fais un grand sourire niais pour approuver cette suggestion plus qu’appréciable. Plus doucement, il me demande confirmation si je me sens capable de les aider. Mon superviseur du jour connaît mon entraînement militaire et la vitesse de mes réflexes. Il a raison. Je n'ai pas la force pour les gros meubles. Si je me concentre sur la chasse aux rats, je peux être redoutablement efficace. Les gars pourront bosser sans souci. On avancera bien plus vite et efficacement de cette manière que si chacun tente de bouger les cartons de son côté en se protégeant des rats.

J'accepte donc volontiers et me munis d'un balai solide en guise d'armes. J'ai mis mes guêtres d'équitation au cas où un rat aurait la mauvaise idée de s'en prendre à moi pendant que je défends mes camarades. Mon idée de sécuriser les jambes est adoptée et on s'équipe tous avec ce qu'on a sous la main. Je vais quémander auprès d'Alex des bottes et d'autres protections, normalement utilisées pour le débroussaillage. Il accepte volontiers quand je lui explique la raisons et me recommande la prudence pour ne pas me faire mordre par les rongeurs.

Nous regagnons l'intérieur pour déblayer pièce par pièce. En mode ninja, je chasse les rongeurs vindicatifs à coup de balai. Dans des petits cris ridicules et stimulants, les rares kamikazes sont éjectés dans les airs par mon balai avant de m'atteindre ou d'atteindre un des gars que je défends. Je fais rire un peu le groupe par mon comportement gamin. Je les éblouis par ma vitesse et ma précision. Même Maltez sourit à un de mes cris de victoire. Je crois que j'ai un problème existentiel avec les rats. J’éprouve énormément de plaisir de les contrer et de les faire voler. Bien que cela soit hyper tentant, je prends sur moi pour ne pas les envoyer vers le sale type ou vers Maltez pour le bien de notre œuvre caritative.

Pour blaguer et égayer la mine préoccupée de Maltez, je mime en sifflotant le mouvement d'envoi de rats vers le sale type et la pose d'enfant innocent qui s'en suit au grand dadet qui me gronde du doigt avec un magnifique sourire que je lui rends. Il apprécie que je reste sage et ne me laisse pas envahir par mes instincts vengeurs par respect pour le travail à accomplir auquel il tient beaucoup. J'apprécie qu'il me laisse faire l'andouille et cautionne un peu mes bêtises puériles qui ont l'avantage d'alléger l'ambiance de travail. Je parviens à le dérider un peu et j'obtiens même un ébouriffage de cheveux complice.

Aucune morsure sur la matinée. J'ai rapidement abandonné le balai pour une pelle droite tranchante. Les rats étaient trop nombreux et les éloigner ne suffisait pas. Ils revenaient à la charge comme enragés. Avec un coup de pelle dans la tronche puis un coup net sur le cou, ils faisaient moins les malins. Une cinquantaine de cadavres de rats forment un tas de victoires sur le sac repas de Garcia. Maltez m'a vu ramasser et entasser les cadavres tout au long de la matinée. Il a juste soupiré et secoué la tête en rigolant doucement, m'autorisant à effectuer cette petite vengeance pas bien méchante. Je crois que lui non plus n'aime pas Garcia.

A sa manière, c'est à dire en me traitant de ninja folle et sanguinaire, Maltez me félicite d'avoir protégé les gars aussi efficacement. Au fur et à mesure de mes assassinats de rongeurs, les attaques devenaient moins nombreuses et surtout, la progression de nettoyage n'a pas pris trop de retard. Nous sommes dans les temps par rapport au planning et même un peu en avance, puisque mon génocide diminuera le besoin de piéger à la mort au rat le quartier pour que les rongeurs ne se répandent pas chez les voisins. Je me permets toutefois une remarque sérieuse sur la population qui semble beaucoup plus importante que prévu. Maltez souligne le fait au responsable de chantier en lui désignant mon tas de bestioles. L'adulte ronchonne un peu sur l'emplacement choisi pour le stockage en argumentant sur le réveil des animaux.

De toute façon, les rats sont bel et bien morts. Il n'y a aucun danger physique si ce ne sont les microbes. On ne peut pas mettre les cadavres avec les autres ordures. Je devais les entasser quelque part en attendant. Alex va allumer un feu pour certains déchets végétaux non-compostables demain. On brûlera les corps indésirables dans les bennes. Leurs cendres broyées nourriront la terre et permettront aux futures plantes de prospérer. De la mort, naîtra la vie. J'aimerais bien faire une citation aux gars à propos de la poussière qui redevient poussière afin de faire l'intello, mais je ne me rappelle plus la phrase exacte. Thibaut qui me voit réfléchir, vient près de moi pour me demander ce qui me rend sérieuse. Je ne marmonne en ne voulant pas montrer mon inculture. Mon pote est malin et surtout, il commence à bien me connaître. Il me murmure à l'oreille que je suis une peste qui aime se vanter et qu'il adore ça. Puis me donne deux références pour frimer en me faisant un bisou sur la joue.

— Souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu redeviendras poussière. Livre de la Gènèse (Gn, 3, 19). Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Antoine Lavoisier

Aussitôt, je fanfaronne et fais la philosophe à la grande surprise des autres gars. J'ai fait la gamine et multiplier les références potaches ou de dessins animés toute la matinée. Là, je suis hyper sérieuse et utilise un vocabulaire sophistiqué. Pour en rajouter une couche, Maltez entre dans mon jeu et entame un débat d'idées sur l'importance de la vie et sa fragilité. On largue la plupart de nos camarades jusqu'à ce que le blondinet éclate de rire et nous traite de malades mentaux puis ose insinuer que nous sommes tellement semblables Maltez et moi. Je boude aussitôt de cette insulte gravissime.

Je suis quand même fière de moi et de notre équipe. En quelques heures, nous déblayons le rez-de-chaussée des saletés et meubles. D'un côté, les meubles ou matériaux à réparer et nettoyer, de l'autre la grande benne à déchets déjà quasi-pleine. Les gars du jardin n'ont pas chômé non plus. Une seconde benne de végétaux est prête à partir pour le compostage. Un premier bûcher est en cours de formation dans un coin sécurisé du chemin. On commence à apercevoir la façade et les limites du jardin qui n'est finalement pas si petit que cela.

Avant la pause déj, le responsable demande à Maltez d'installer un tube pour vider les ordures du premier étage directement dans une troisième benne cet après-midi. Afin de me surveiller et aussi pour m'éviter de mater les garçons torse-nu en train de se débarbouiller, Maltez me demande de l'accompagner pour l'aider. Si seulement il savait à quel point je me contrefiche de ces messieurs. Je prends beaucoup plus de plaisir à l'embêter. Je sors un rat mort de ma poche et le lance sur le dos de Garcia par pur esprit de vengeance. Surpris, il crie comme une vierge protégeant sa vertu, ce qui fait éclater de rire tous les gars. Encore une fois, c'est Thibaut qui intervient en preux chevalier, mais avec beaucoup moins de douceur et de compassion que pour moi. Il lui tend juste des gants pour ramasser les rats. Je crois même l'entendre dire à Garcia que c'est bien fait pour sa pomme et qu'il y réfléchira à deux fois avant d'embêter une fille.

Je trottine pour rattraper Maltez. Le sol de l'escalier et du premier étage sont jonchés de détritus amassés sans logique. Par endroits, la hauteur est telle que Maltez touche le plafond. On pousse du bout du pied et des coudes ce qu'on peut pour se frayer un passage. Il fait noir, ça pue affreusement, cependant, il semble y avoir moins de rats. L'odeur est pire que ce matin au rez-de-chaussée. L'air frais du bas, ne parvient pas à monter et à oxygéner un peu les gaz toxiques qui se dégagent. Nous n'avons qu'une faible lampe torche pour trouver les interrupteurs. Maltez essaye tous ceux à notre portée sans succès. L'épais lierre a envahi un grand nombre de fenêtres et bouche à la fois la lumière, mais aussi l'aération. L'odeur nous pique les narines et nous fait tousser malgré les masques. Nous avançons à pas prudents pour ne pas trébucher.

Je lui propose alors, en tant que demoiselle ayant un bon équilibre, d'escalader les immondices pour aller ouvrir les fenêtres et les volets qui ne sont pas totalement obstrués. J'ai aussi un couteau pour tailler la végétation qui pourrait gêner. Nous aurons de la lumière et puis espérons faire partir cette odeur écœurante. Ce n'est pas bien de se séparer, mais le volume des déchets entrave la progression de mon géant d'acolyte. Il va finir par s'évanouir ou vomir dans ce fatras d'odeurs pestilentielles. Je n'ai pas envie de devoir lui porter secours. Le cœur au bord des lèvres, il accepte ma solution et dirige la torche dans la direction de la première fenêtre afin de m'éclairer au mieux.

Leste et agile, j'avance prestement vers ma destination. Quelques rats s'enfuient à mon approche sans chercher à m'attaquer. Plus je m'approche de la fenêtre, plus l'odeur est forte. Elle me fait pleurer à travers le masque. Mes narines sont en feu. Je ne parviens pas à l'identifier. On dirait de la viande en décomposition, mais avec quelque chose de plus acide. Ce n'est pas de la pourriture classique. Avec mon bol, il doit y avoir des champignons hallucinogènes qui poussent sous la couche de déchets.

Je me mets à tousser fortement, ce qui fait fuir d'autres rats maigres, un peu moins agressifs que je repousse assez facilement en tapant du pied. Maltez s'inquiète et il me questionne. Je lui explique que l'odeur s'accentue, mais que tout va bien, je tiens pour l'instant. Pourtant, un frisson me parcourt et je sens mon corps qui se met en alerte sans que je ne comprenne pourquoi. Quelque chose cloche dans cette pièce. Mon instinct n'est pas tranquille. Je prends quelques secondes pour examiner tout ce qui m'entoure, cherchant ce qui réveille ma montée d'adrénaline. J'écoute les bruits infimes de mes pas et de la fuite des rats. J'entends quelque chose de quasi-inaudible. Comme un râle, un grognement sourd mais très très faible. Une respiration animale qui n'est ni la mienne ni celle de Maltez. Peut-être un renard ou un chat.

Au fur et à mesure que j'avance, et avec le peu de lumière que j'ai, j'observe le sol. J'aperçois des cadavres de rats et de petits animaux à moitié mangés. J'entends leurs os craquer sous mes pas. Il y en a trop. Même pour une colonie de rats. Ces bestioles ne sont pas d'une grande propreté, mais ils ne laissent pas autant de déchets pouvant leur attirer des maladies. Aucun animal ne laisserait autant pourrir sa nourriture ou son lieu de vie. Du moins, c'est le peu que je sais de mes connaissances en biologie et en comportement animalier. Un truc me gêne dans cette pièce. Tout mon corps est en alerte, comme si j'étais au milieu d'un champ de bataille.

Je pose la main sur la poignée de la fenêtre. Le peu d'air frais qui arrive à mes narines me redonne des forces. Mon petit déj va rester tranquille dans mon estomac. Espérant que davantage d'oxygène fasse calmer les battements illogiques de mon cœur, j'ouvre le volet en grand d'un bon coup pour faire jaillir lumière et air sain. Mes yeux se posent sur l'appui de la fenêtre et voient plusieurs morceaux d'animaux déchiquetés autour de moi. Mon cerveau analyse immédiatement que la taille de la morsure n'est pas celle d'un rat ou d'un petit animal. Quelque chose de bien plus gros est dans cette pièce. Je me retourne pour sortir. Mon instinct me dit de partir très vite.

Je n'ai pas le temps de crier à Maltez de reculer qu'un grognement de bête folle nous vrille les tympans aussitôt. Une forme indéfinissable me saute dessus et essaye de me saisir. Je la rejette en arrière dans un mouvement de self défense automatique. Au sol, elle tente de me mordre le mollet. Elle me fait tomber à la renverse sur les immondices et m'attire à elle.

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