Yacoub - suite et fin

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L'année suivante, Yacoub partit pour Laâyoune où le Front Polisario, toujours en guerre contre l'état Marocain, déportait des sahraouis vers les camps de Tindouf en Algérie. Il s'engagea au Croissant Rouge pour venir en aide aux populations civiles, brisées et asservies par la guérilla algérienne contre l'invasion marocaine. Déborah lui envoyait régulièrement des colis qui arrivaient rarement, par-contre, les lettres, après avoir été vérifiées, lui étaient remises par les autorités locales.

« Mon fils, quel djinn t'a poussé là-bas ? Bla Bass Mni Zik, surtout prend bien soin de toi, fais attention à ton nez, tu sais, tu as toujours été fragile du nez, tu as la cloison mon fils, et avec toute cette poussière... que même le docteur Botboul il te l'avait dit ; ta mère pourrait ne pas s'en remettre. Je souffre mille martyrs pour toi. Tu sais ce qu'on dit, c'est surtout Samuel qui le dit : mieux vaut un voisin proche qu'un frère éloigné ! Ne les écoute pas, ce sont des langues faibles, pourtant, par moment tu devrais écouter ta mère... Mon fils, même que ton père il a osé dire : ne juge pas un homme selon les paroles de sa mère, mais écoute plutôt les voisins ! Les voisins, ils ont bon dos les voisins, y a plus personne pour le dire ! Même monsieur El Fanzaoui il est parti. Voilà, Yacoub mon fils, comment on parle de toi ici, ne les écoute pas, surtout ne les écoute pas ! Tu as reçu les dattes que ta sœur a cuisinées pour toi ? Yacoub, tu nous a pas répondu à ma dernière lettre, mais avant tu disais que tu devais rentrer un moment à la maison, j'ai même appelé monsieur Abécassi à la gare pour savoir à quelle heure y devait arriver le train de mon fils. Monsieur Abécassi, il m'a même pas répondu ! Yacoub ! J'en peux plus, y faut que tu rentres, tu peux pas faire la guerre aux arabes, c'est réservé à Tsahal, si Dieu le veut ; même Samuel il est pas parti... »

Et Yacoub d'écrire à Samuel : « Ce matin le soleil n'a pas sa force quotidienne. Nous nous disons c'est peut-être la pluie, et nous voyons le ciel s'obscurcir de grosses mouches vertes, très bruyantes ! Le feu déchire nos paupières, nos tentes brûlent. Les femmes agonisent, c'est la désolation. Les corps s'entassent au creux des dunes, tous les camps sont éventrés de bombes. Les mouches portaient le métal de mort. Et ce sont nos frères marocains qui exterminent les sahraouis... Qu'est-elle devenue cette Marche Verte, pacifique... Des parents, des amis, nos frères sont frappés, torturés. Quiconque n'a pas les doigts décorés de henné est aussitôt emprisonné. Quiconque ne sourit pas quand passent les blindés est attaché aux pylônes de l'électricité ! Et c'est le bruit, soudain l'horreur, le vacarme, les avions crachent le napalm. Samuel, c'est notre peuple qu'on assassine ! Tifariti est calciné. En gémissant, nous ramassons nos morts et soignons les blessés. Le lendemain, alors que les nouvelles commencent à circuler, c'est Erni qu'ils bombardent. Les femmes et les vieillards brûlent sous le napalm, les enfants agonisent de peur. La mort fait naître sur les pierres le souvenir d'un plus grand carnage, celui pour lequel je m'étais engagé ! Illusions, illusions morbides. Dans les camps de l'attente, au cœur des régions encerclées, les gens attendent de pouvoir nous rejoindre. Les véhicules sont tous au front. Et nos troupeaux ont été assassinés. Nous avons toujours peur de revoir les avions... »

Le Polisario a voulu soustraire le plus grand nombre possible de Sahraouis aux attaques de l'envahisseur marocain. Au prix d'énormes difficultés, il a assuré leur passage en territoire algérien, et leur regroupement dans la région de Tindouf dépassa bientôt les quarante mille personnes. Les réfugiés y vivaient dans une grande misère et dans le dénuement le plus complet, attendant les secours internationaux. On les a même appelés les « Palestiniens du Maghreb ».

Et Yacoub de continuer à témoigner : « … n'en parles pas à maman, dis-lui que la vie est dure, mais ça va. Demande lui d'envoyer encore à manger, dis à Safia de cultiver plus de dattes. Les camps de notre exode grossissent chaque jours ; les réfugiés, ensanglantés viennent s'y abriter. Le Front envoie des colonnes spéciales pour porter aide aux vieux qui ne peuvent plus marcher, aux femmes enceintes qui perdent leur enfant dans la nuit et le froid. Certains marchent depuis dix jours en survivant de quelques maigres racines. Tous les petits enfants ont même peur des oiseaux, tout ce qui bouge dans le ciel a pris pour eux le visage de la mort... »

L'occupation militaire du Sahara provoqua un exode croissant de réfugiés. La moitié se trouvait dans des campements dispersés dans le désert, dont le camp de Smara à l'est de Laâyoune où Yacoub œuvrait à chasser la misère ; l'autre moitié était hébergée dans des camps de fortune sur le territoire algérien. Leurs conditions de vie étaient qualifiées de « tragiques » par le Comité international de la Croix-Rouge, d'autant qu'il y avait essentiellement des femmes, des enfants et des vieillards, les forces vives étant au front.

Et de raconter encore : « ...malgré les précautions, le sable s'infiltre partout. Il recouvre les fioles, les flacons, ampoules et pansements... Le vent fait sans arrêt claquer la toile sous laquelle la chaleur monte déjà, quoique mars débute à peine. Je me dis que dans deux mois, la situation sera intenable là-dessous. La température peut monter jusqu'à 70°. Nous espérons en petit hôpital en préfabriqué que doit installer le Croissant Rouge avec l'aide du Caritas espagnol. Quatre tentes bleues frappées du Croissant Rouge Sahraoui pour tout équipage ! Et le personnel ? Outre madame Tammi -le médecin chef, une espagnole, étudiante en cinquième année de médecine, qui a épousé un sahraoui en septembre dernier- deux jeunes infirmières espagnoles souriantes qui, par leur présence, montrent que l'Espagne veut venir en aide aux Sahraouies, et moi-même, Yacoub fils de Joseph. Nous ne comptons plus notre temps, ni notre cœur. Mais il faut faire vite.... Voilà notre grand ordinaire, mon cher frère... »

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