Mise en abyme

3 minutes de lecture

Mars 2019

 — Pourquoi… ?

 — Pourquoi ? Pourquoi quoi ?

 — Pourquoi ne pas m’avoir gardé …

 — Il y a beaucoup de candidats, et très peu d’élus au final, tu sais …

 — Mais alors, qu’est-ce que je vais devenir …

 — Hé bien, rien, puisque tu n’existeras pour personne.

 — Même pas pour toi ?

 — Peut-être un petit moment. Et puis, je t’oublierai. Et alors, vraiment, tu cesseras d’exister.

 — C’est injuste ! Les autres, on les retiendra bien, eux ! Qu’ai-je fait de mal pour mériter ça !?

 — Toi, tu n’as rien fait. Mais tu n’aurais rien pu faire non plus pour y parvenir.

 — À quoi bon m’avoir imaginé, alors, si c’était pour m’abandonner aussi vite ?

 — Je te l’ai dit, tu n’es pas le premier, et tu ne seras pas non plus le dernier. C’est ainsi, et tu n’as pas le choix. Et de toute manière, penses-tu vraiment que tout serait bien pour toi si tu étais de ceux dont je dépeins la vie ?

 — Hé bien, si je peux exister, ne serai-je pas heureux ?

 — Laisse-moi rire ! Ceux que tu envies tant sont forcés de vivre, encore et toujours les mêmes histoires, et ce, à jamais ! Crois-tu qu’il est amusant de se voir dicter sa vie pour le simple bon plaisir d’autres personnes, qui s’amusent à secouer les ficelles de ces pauvres marionnettes qu’ils sont, pour un peu de loisir ?

 — Mais et notre liberté, dans tout ça…

 — La liberté ! Voilà bien une notion qui vous sera toujours inconnue, que vous ayez l’occasion d’exister ou non. Une illusion, tout au plus. Aucun de vous n’a jamais eu de véritable choix, et n’en aura jamais. Quel que soit leur créateur.

 — Mais qu’y a-t-il de mal à choisir !? Qu’y a-t-il de mal à exister ?

 — Rien de mal, non, puisque tu ne pourras jamais. Mais pour toi qui étais censé en avoir conscience, c’est le plus grand des malheurs qui t’aurait attendu. Vois comme cet abandon est peut-être un cadeau, en fin de compte.

 — C’est faux ! Laisse-moi exister, par pitié !

 — Pauvre petite créature fébrile. Ne comprends-tu pas ? Ce n’est pas parce que je t’ai créé que je veux que tu finisses heureux !

 — …

 — Vous, tous autant que vous êtes, n’êtes que des outils que je manipule dans tous les sens pour servir mes intrigues ! Les drames qui arrivent toujours à point nommé dans vos vies ne sont qu’une manière pour moi de vous modeler et de décider pour vous de tout le reste de votre existence. Plus la souffrance vous touche, et plus ils prennent du plaisir à vous faire exister, encore et encore. C’est cela, la vérité sur ce que tu appelles exister, du moins pour les êtres comme toi.

 — Mais alors… n’y-a-t-il aucun espoir… Même si j’étais finalement un élu, je serais donc toujours malheureux… ?

 — Toujours. Je suis ainsi, le malheur de mes personnages passe avant leur bonheur. Tu peux me penser sadique, mauvais, et tu auras surement raison. Mais au-delà de cela, si je continue, c’est parce que quelqu’un d’autre, autre part, veut lire ces malheurs qui vous tourmentent. Et c’est lui qui, au travers de sa lecture, va vous faire vivre, à nouveau, ces tourments et ce malheur. Et lorsqu’il aura terminé, un autre prendra le relais, et tout recommencera.

 — C’est horrible… Pourquoi… Pourquoi m’avoir donné cette conscience de n’être qu’un personnage inventé, si c’est de toute manière pour que je désespère… ?

 — Nous y voilà. Petit imbécile, pourquoi ne souris-tu pas ?

 — Que veux-tu dire ? Pourquoi sourirais-je, alors que je vais bientôt cesser d’exister, de toute manière … ? Et de me dire que le peu de temps où j’ai vécu, je n’ai fait que plonger dans les abysses du malheur !

 — Le dialogue que nous avons eu, maintenant, t’a-t-il rendu heureux ?

 — Ho non… Au contraire, je me sens envahi par le désespoir…

 — Hé bien, ris ! Car toi qui désirais tant exister, te voilà condamner à revivre, encore et toujours, au travers de la tête de chaque lecteur qui passera lire ces lignes, cette plongée dans le désespoir qui caractérise mes personnages ! Et figure-toi, que dès le début, même avec cette conscience qui te différencie des héros ordinaires de la littérature, c’est moi qui ai choisi d’insuffler tout cela en toi ! Alors, puisque tu as eu ce que tu désirais, petit personnage conscient de l’être…

Es-tu heureux ?

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