Chapitre 3 - Maélyne

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Multipliant les coups de taille de son épée, Jehan de Clairsambre harcelait son adversaire avec une rage mal contenue. Face à lui, reculant mais tenant bon sous la pluie de coups qui martelait son écu, Borrian de Cors-Barral économisait patiemment son énergie, laissant son adversaire s'épuiser. Lorsqu'enfin le bras de Jehan de Clairsambre sembla faiblir, une parade bien avisée de Borrian suffit à le désarmer. Quelques instants plus tard, le sire de Clairsambre se trouvait un genou à terre, et la pointe de l'épée du seigneur de Cors-Barral lui chatouillait l'épaule.

- Vous vous en tirez bien cette fois, grommela Jehan en repoussant d'une main leste l'épée de Borrian.

- Vous n'avez pas démérité, sire Jehan, assura Borrian d'un ton qui se voulait aimable. Votre main est adroite, mais à l'avenir, peut-être devriez-vous prendre garde à ménager vos efforts.

- Gardez vos conseils, Messire de Cors-Barral, je ne suis pas votre élève.

Les vassaux et alliés du comte Trystan avaient improvisé un pas d'armes dans le champ clos aménagé dans les jardins du palais d'Artellion. Sous prétexte de tuer le temps tandis que l'on réunissait l'ost, les preux chevaliers jaugeaient leurs forces et bombaient le torse ; c'était à qui prendrait le meilleur sur le plus d'adversaires, et ce petit jeu en voyait défiler un grand nombre tout au long de la journée. Perchée sur l’estrade qui jouxtait le champ clos, la comtesse Maélyne suivait le spectacle de loin, en compagnie d'un aréopage de nobles sires et dames de haut rang. A ses côtés, la jeune Mathilde de Clairsambre se lamentait sur le sort de son frère malmené par le sire de Cors-Barral :

- Mais quelle brute, ce chevalier de Tors-Braral ! Quelqu'un aurait dû l'avertir qu'il s'agissait d'un duel courtois. Mon frère retenait ses coups, lui.

- Oui, c'est ce qu'on a tous vus, persifla Arnaud de Nostang. Sire Jehan et son sens de la courtoisie…

- Il faut reconnaître que Borrian s'est bien battu, dit la comtesse. C'est une bonne chose qu'il rejoigne nos forces.

- Il n'amène qu'une poignée de chevaliers et de sergents d'armes, grommela Rorgon de Fernel. Cela ne fera pas une grande différence.

- Cela fait toujours une fine lame de plus dans nos rangs.

- Une fine lame ! ricana Arnaud de Nostang. Contre Jehan de Clairsambre, tout le monde est une fine lame. J'aimerais bien le voir à l'œuvre contre un adversaire digne de ce nom.

La remarque d'Arnaud de Nostang lui valut un regard noir de Mathilde de Clairsambre. Le frère de celle-ci les rejoignait justement la queue entre les jambes ; il semblait passablement vexé. Arnaud de Nostang, qui ne se privait jamais d'une bonne provocation, entreprit aussitôt de remuer le couteau dans la plaie :

- Vous n'avez pas l'air à la fête, sire Jehan. Vous devez être drôlement déçu.

- Il a eu de la chance, voilà tout, répliqua le sire de Clairsambre. Et puis, je ne combattais pas sérieusement. En conditions réelles, il n'aurait pas la moindre chance.

- Il n'y a pas de quoi avoir honte, tempéra Maélyne. Le chevalier Borrian n'est guère connu en pays artellois, mais il a fait ses classes à la cour de mon père, à Laréor ; il a été formé à bonne école.

- Cela ne lui donne pas le droit de me prendre de haut, répondit pompeusement le sire de Clairsambre.

Maélyne éprouvait toujours le plus grand mal à garder son calme en présence de Jehan de Clairsambre comme de sa stupide sœur Mathilde. Mais ces deux-là étaient les cousins de son époux Trystan et appartenaient dès lors à l'élite de la noblesse artelloise. Elle leur réservait par conséquent une courtoisie toute protocolaire, en dépit de l'exaspérante manie qu'ils avaient de se plaindre de tout, tout le temps, sans arrêt.

- Votre cousin vient d'entrer dans l'arène, sire Jehan, observa Arnaud de Nostang. Le comte a l'air de vouloir laver votre honneur. Ou il est juste en manque d'exercice.

Les regards de l'assistance convergèrent d'un même mouvement en direction du champ clos. Maélyne ne tarda guère à repérer la silhouette haute de Trystan qui marchait d'un pas rapide dans la direction de Borrian. On le reconnaissait de loin à son armure de plaques d'acier, dont le métal poli était rehaussé de détails subtils d'un bleu profond. Ces nuances n'étaient pas peintes ou teintées, mais résultaient d'une maîtrise méticuleuse du traitement thermique de l'acier par les artisans forgerons artellois. Son heaume arborait une crête qui représentait la tête d'un griffon, emblème ancestral de la lignée d'Artellion. Le comte s'arrêta à quelques pas du seigneur de Cors-Barral et les deux hommes se jaugèrent un instant du regard. Le faste de l'armure du comte tranchait avec la sobriété de l'équipement du sire de Cors-Barral, dépourvu des ornements excessifs qu'affectionnaient les Artellois. Tous deux échangèrent des paroles que Maélyne ne pouvait entendre à cette distance ; les deux duellistes devaient probablement échanger les courtoisies d'usage avant le combat.

- Mon cousin ne devrait pas s'abaisser à combattre un vulgaire seigneur d'une terre lointaine, commenta Jehan de Clairsambre. Il devrait réserver cet honneur à des chevaliers de plus haut rang.

- Mon époux n'est-il pas en droit de combattre l'adversaire de son choix ? répondit Maélyne en forçant sa voix à rester aimable.

- Pas quand cela risque de faire jaser à la cour, répliqua Jehan de Clairsambre en coulant sur Maélyne un regard chargé de sous-entendus.

Maélyne se mordit la lèvre et se sentit rougir malgré elle. Probablement satisfait d'avoir provoqué son malaise, Jehan de Clairsambre reporta toute son attention sur le combat. Déjà, les deux combattants débutaient l'assaut ; l'enthousiasme des spectateurs devait être révélateur d'un duel de qualité, mais Maélyne n'accordait désormais qu'un œil fort distrait à la scène, plongée qu'elle était dans ses pensées. L'allusion de sire Jehan lui rappelait combien la rumeur et la calomnie circulaient vite à la cour. Le mariage du comte Trystan avec la princesse Maélyne avait fait des déçus dans la noblesse artelloise, à commencer par tous les puissants vassaux du pays qui avaient espéré marier une de leurs filles au comte. Or, en invitant son ami d'enfance à rejoindre l'ost artellois, Maélyne donnait du grain à moudre aux langues de vipère ; ses ennemis étaient prêts à inventer n'importe quoi pour lui nuire, et une accusation d'adultère faisait un procédé des plus commodes pour qui souhaitait obtenir la répudiation d'une épouse encombrante. Dans un tel contexte, en voyant le comte Trystan ferrailler contre Borrian, certains courtisans ne manqueraient pas d'interpréter ce combat comme la revanche du mari jaloux contre le prétendu amant. Trystan en avait-il conscience ? Maélyne en doutait fort ; son époux avait bien trop confiance en elle pour aller s'imaginer de telles choses, et en offrant ce duel à Borrian, il cherchait plutôt à lui faire honneur, à ce seigneur des contrées royales qui avait rejoint sa cause sans y être obligé par un serment.

Une pluie d'applaudissements tira Maélyne de ses pensées. Décontenancé par une manœuvre du comte, Borrian venait de perdre l'équilibre - et le combat. L'assistance saluait bruyamment la performance du suzerain artellois.

- Voilà qui était bien tenté, reconnut Arnaud de Nostang, mais Trystan est imbattable.

Jehan de Clairsambre acquiesça sans mot dire. Sur ce point, au moins, le comte savait mettre tout le monde d'accord.

*

L'odeur de viande rôtie associée aux relents d'épices emplissait d'une atmosphère chaude, presque suffocante, la grande salle de réception où s'étaient réunis l'ensemble des vassaux et alliés de Trystan. Si les démonstrations de force et les préparatifs de guerre avaient présidé l'essentiel de cette journée, la soirée était consacrée aux réjouissances d’un banquet. Étrange idée que de s'adonner à la ripaille juste avant de partir en guerre, mais il fallait bien que ces joyeux seigneurs et chevaliers ne partent pas le ventre vide et le moral en berne. Alors on festoyait bruyamment aux frais du comte, et l’ambiance générale portait plutôt à l'optimisme ; dans le brouhaha général des conversations, la plupart des causeurs s'accordaient à penser que la victoire serait rapide et sans appel.

- Vous ne mangez pas, constata le prieur Eadred qui, assis à la table d'honneur juste à la droite de la comtesse, s'apprêtait à attaquer une poularde qui lui faisait les yeux doux.

- La perspective d’une guerre contre Sistre n'est sans doute pas de nature à m'ouvrir l'appétit, répondit Maélyne avec une ironie désabusée.

- Je m'associe à vos appréhensions, comtesse Maélyne. D'autant qu'il ne doit pas être aisé de se savoir dans le camp opposé à celui de sa propre sœur.

Si la plupart des courtisans évitaient soigneusement d'évoquer Alcyne en présence de Maélyne, Eadred ne s'embarrassait pas de telles précautions. D'une certaine manière, elle lui en savait gré ; si invisible fut-elle, Alcyne flottait comme un fantôme dans les méandres du conflit naissant. Les relations entre les deux sœurs avaient toujours été complexes, et Maélyne éprouvait de troubles sentiments à son sujet.

- La responsabilité de cette guerre pèse sur les épaules du comte Évrard et non sur celles de son épouse, répondit-elle calmement. Lorsque tout cela sera terminé, je tendrai la main à Alcyne.

- Pourvu qu'elle en fasse autant, si par malheur Évrard devait gagner.

Maélyne se mordit la lèvre inférieure. Le prieur cherchait-il à la faire sortir de ses gonds ? Ses intentions étaient généralement difficiles à cerner. Eadred était un homme influent, mais placide ; ses yeux pâles ne laissaient filtrer aucune émotion. Il était le demi-frère bâtard de Trystan, et Maélyne se demandait souvent comment deux hommes partageant le même père pouvaient se trouver si différents.

La table d'honneur du comte accueillait les invités les plus prestigieux. Outre le couple comtal, Eadred y avait sa place en qualité de prieur d'Inara, la déesse de la sagesse et de la justice ; il dirigeait de fait le grand temple qui lui était consacré à Artellion. Inara étant la principale divinité tutélaire du royaume d'Avranie, Eadred occupait une position centrale au sein du clergé. Le reste de la tablée accueillait les plus importants vassaux, dont certains étaient également apparentés au comte, à l'image de Jehan de Clairsambre. La grande salle de réception accueillait une myriade d'autres tablées ; plus elles se trouvaient éloignées du comte, plus ses occupants se trouvaient bas dans l'échelle de la renommée. Borrian de Cors-Barral avait échoué à une table en milieu de salle ; il ne côtoyait pas le fond du panier, mais il demeurait à grande distance de la table d'honneur.

- Mon époux me dit que vous souhaitez rendre obligatoire la participation à la prière pour tous les gens du peuple, reprit Maélyne.

Constatant qu'elle avait changé de sujet, Eadred marqua un instant de silence, se demandant sans doute si la comtesse avait à dessein choisi de l'asticoter lui aussi sur un point sensible.

- Le nombre de nos fidèles présents dans l’enceinte du temple lors de la prière hebdomadaire se réduit chaque semaine, répondit-il enfin. Il y a là un laisser-aller qui m'inquiète, et qui devrait tous nous inquiéter. Je crains hélas que le comte ne soit pas favorable à cette mesure, malgré tous mes efforts pour l'en convaincre.

Il appelait toujours Trystan “le comte”. Jamais Maélyne ne l'avait entendu dire les mots “mon frère”, pas même “mon demi-frère”.

- La foi ne devrait-elle pas reposer sur la bonne volonté de chacun plutôt que sur la contrainte ?

- Dans un monde idéal, sans doute. Hélas, les gens du peuple n'ont pas la clarté d'esprit nécessaire pour distinguer les bonnes croyances des mauvaises. Les petites gens ne désertent pas le temple pour consacrer plus de temps aux travaux des champs. Aujourd'hui, nombre d'entre eux délaissent nos vieilles divinités pour se tourner vers de nouvelles idoles.

- Ce sont les dieux elfiques qui vous inquiètent ? S'étonna Maélyne en esquissant un sourire. Les missionnaires elfiques prônent tous la tolérance et l'harmonie. Les deux religions doivent pouvoir coexister.

- Le problème, comtesse, c'est que les Elfes ne reconnaissent pas notre panthéon. Par leurs paroles insidieuses, ils incitent le peuple à se détourner de la foi véritable. Savez-vous ce qu'ils professent dans les hameaux et les villages ? Ils disent que nos dieux sont au service des élites. Quelle absurdité !

- Je pense que ce qui déplaît aux gens du peuple, c'est que les dieux du panthéon classique ne leur ressemblent pas. Or, les dieux elfiques sont liés à la nature, à la ruralité ; le peuple s'identifie davantage. Ces dieux-là se manifestent dans les arbres et les cours d'eau, ils ont pouvoir de guérison et influent sur les récoltes. Un tel message trouve forcément de l'écho auprès des communautés rurales. Les gens du commun ont besoin qu'on parle de leur quotidien. Votre clergé devrait s'inspirer de cela s'il veut regagner l'amour du peuple.

- Nous prêchons la foi dans les seuls véritables dieux, comtesse ; nous ne pouvons pas adapter notre discours, cela reviendrait à déformer l'essence même de ce qui est divin.

- Alors il y aura toujours un fossé entre les dieux et les gens du peuple.

- Quoi de plus naturel ? C'est une idée absurde que de croire que la religion est simple et compréhensible par tous. La vérité est que les gens du commun sont trop ignorants pour comprendre les subtilités de notre panthéon ; ils n'ont pas étudié la théologie, mais ils n'ont pas à le faire. Il appartient au clergé de pourvoir à ces choses-là.

Maélyne commençait à regretter d'avoir abordé la question religieuse. Le prieur Eadred pouvait se montrer très opiniâtre et le sujet était sensible. Cela faisait deux ans que les premiers Elfes avaient débarqué en péninsule et s'étaient mis à répandre leurs croyances. Ils s'étaient heurtés dans un premier temps aux résistances du clergé et d'une partie de la noblesse, tout en rencontrant un fort écho au sein des populations rurales. Afin d'apaiser les tensions naissantes, et craignant des révoltes paysannes, le roi Léandre avait promulgué un édit de tolérance. Les Elfes pouvaient désormais prêcher légalement leur religion dans toute la péninsule, au grand dam des hommes comme Eadred. Maélyne, pour sa part, n'y voyait pas d'inconvénient ; en fait, elle avait de la sympathie pour la nouvelle religion et se défiait de plus en plus de l'ancienne, bien trop conservatrice à son goût.

- Les dieux me gardent de manquer de respect au roi Léandre votre père, poursuivit Eadred, mais en autorisant les Elfes à prêcher leur fausse religion dans toute la péninsule, il a laissé entrer le loup dans la bergerie.

Fallait-il qu'elle défende la politique de son père auprès du prieur ? Ce n'était là nullement son rôle, mais elle commençait à se demander comment s'extirper du tour dérangeant qu'avait pris la discussion. Elle reçut alors le soutien providentiel de son époux qui, le hasard faisant bien les choses, choisit ce moment pour s'adresser à l'ensemble des convives. La plupart des conversations s'interrompirent rapidement alors que le comte Trystan se levait de son siège en brandissant bien haut sa coupe de cristal remplie de vin de Clairuis. Il avait troqué son armure contre un pourpoint de brocard pourpre rehaussé de fils d'or, et présentait à l'assistance son visage fin et avenant, presque féminin - n'eut été la barbe fournie qui lui mangeait les joues et le menton et durcissait ses traits. Sa peau était légèrement parcheminée par les assauts du soleil artellois, et ses yeux brillaient d'un bleu intense qui captait toutes les attentions avant même qu'il commence à parler.

- Mes amis ! Vous êtes là en grand nombre ce soir, et demain nous ferons route ensemble pour l'Ombreval. Je m'en réjouis ! Vous avez tous répondu à l'appel de la justice. Car il n'est pas question de mener une simple guerre ; il s'agit de restaurer l'honneur et le droit qu'un seigneur perfide a choisi de piétiner. Le cupide Évrard de Sistre apprendra que l'Ombreval est artellois et que cela n'est pas prêt de changer. Ce qu'il veut, c'est notre étain ; faisons-le lui payer au prix fort. Qui est avec moi ?

Le brouhaha assourdissant des acclamations et des applaudissements emplit la salle pendant plusieurs minutes. Trystan savait se faire aimer de ses hommes ; c'était là une qualité qui avait toujours impressionné Maélyne. Son propre père, le roi Léandre, lui semblait bien loin d'avoir un tel ascendant sur ses vassaux. Trystan était le genre d'homme que l’on aimait admirer et servir, car il y avait chez lui une espèce de simplicité qui le rendait accessible, et tout semblait en même temps lui réussir, si bien qu'il y avait chez les siens cette conviction que tout se passerait toujours au mieux, pourvu que ce soit lui qui menait la barque. Un instant, le comte d'Artellion tourna la tête et son regard rencontra celui de son épouse. Trystan souriait. Sûr de sa force et du soutien de ses hommes, il était plus que jamais le maître de la situation. Faut-il qu'Évrard soit fou pour oser s'en prendre à lui, songea Maélyne. En cet instant précis, elle n’éprouvait pas le moindre doute. Un homme tel que lui ne pouvait que remporter la guerre.

*

- Tes hommes te suivraient jusqu'au bout du monde, dit Maélyne tandis qu'elle éteignait, une à une, les bougies qui éclairaient la luxueuse chambre comtale.

- Tant qu'ils me suivent jusqu'en Ombreval, cela suffira, répondit Trystan.

- Seulement Ombreval ? J'aurais cru que tu porterais tes forces jusqu'à Sistre.

Elle laissa une unique bougie baigner la pièce d'une douce lueur tamisée. Son mari se rapprocha d'elle.

- Une telle entreprise serait aussi hasardeuse que ruineuse, en or comme en hommes, répondit-il en lui prenant la main. Je veux chasser Évrard de nos terres et mettre fin à ses prétentions sur l'Ombreval, mais envahir Sistre derrière ? Ce serait prolonger la guerre pendant des mois, peut-être des années. Et dans quel but ? Si fourbe soit Évrard, le comté de Sistre lui appartient. Je ne chercherai pas à le lui prendre. Je veux juste défendre mes gens, et rendre au plus vite mes vassaux à leurs femmes et à leurs enfants.

- Et rentrer auprès de ta femme, conclut Maélyne.

- Il n'est rien que je désire davantage, répondit Trystan.

Il l'entoura de ses bras puissants, et leurs lèvres s'unirent avec la douceur d’une caresse. Ponctuant son baiser d'un petit rire, elle referma sa main sur celle de Trystan et l'entraîna vers le lit tout en le fixant d'un sourire mutin. Comme son mari soutenait son regard, ses yeux brillaient de cette intensité qui précédait l'embrasement. Elle le trouvait beau, avec ses yeux d'un bleu profond, ses cheveux soyeux dans-lesquels se perdaient souvent les doigts joueurs de Maélyne, et sa barbe virile et soignée qui lui recouvrait le menton et ses joues, cette barbe qu'elle aimait sentir contre sa peau et ses lèvres chaque fois qu'elle se lovait contre lui.

- Déshabillons-nous, chuchota-t-elle sur le ton de la confidence comme si elle craignait que l'on puisse les entendre.

Joignant le geste à la parole, elle s'attaqua de ses doigts fins et habiles au pourpoint du comte, dont elle défit les nœuds un à un. Séduit par l'initiative de son épouse, Trystan ne se fit pas prier pour libérer sa belle des entraves de sa robe. Sans égard pour les précieuses étoffes, ils se défirent mutuellement de chacun de leurs effets, et leurs gestes étaient guidés par une frénésie de plus en plus palpable.

- Tout nus, murmura-t-elle sur un ton espiègle comme ils se trouvaient l'un et l'autre dans le plus simple appareil, et qu'à la lueur diffuse de la dernière bougie, chacun pouvait contempler l'autre à loisir.

Elle sentait le regard de Trystan courir sur sa peau comme une caresse et s'amusait à deviner les pensées qui traversaient l'esprit de son mari tandis que celui-ci observait un spectacle qu'aucun autre homme ne pouvait voir. Le halo de la bougie faisait briller la peau d'albâtre de la jeune comtesse, soulignait la teinte rose pâle des larges aréoles qui couronnaient ses seins ronds et fermes, exposait dans la semi-pénombre le tracé délicat de ses courbes, la jolie rondeur de son ventre et de ses cuisses, entre lesquelles se laissait entrevoir, dans le mystère d'une toison blonde et soyeuse, ce que sa féminité avait de plus intime. Elle se mordit la lèvre ; elle rougissait toujours un peu en s'offrant ainsi au regard passionné de Trystan mais les échos de sa pudeur contribuaient à enflammer son désir, et elle savourait sa propre audace. L'érotisme ambiant diffusait dans son corps une chaleur exquise qui érigeait la pointe de ses seins et qu'elle ressentait jusque dans la moiteur de son bas-ventre. Elle-même coulait un regard gourmand sur la nudité de son mari, dont la silhouette svelte et élancée s'agrémentait des bienfaits des exercices physiques auxquels il s'adonnait quotidiennement. Les muscles de Trystan saillaient dans la semi-pénombre ; elle savoura la vision de ces épaules bien charpentées, de ces lignes tracées sur son torse puissant, du galbe musculeux de ces bras forts et protecteurs entre lesquels elle se plaisait à se réfugier. Du coin de l'oeil, elle apprécia la vue de ce qui faisait de lui un homme : entre ses jambes robustes, sa virilité se déployait dans toute sa vigueur.

- Tu es beau, murmura Maélyne.

- Tu es belle.

Les mains fermes de Trystan s'emparèrent de ses hanches. La pression de ses doigts sur sa peau trahissait l'empressement du comte ; mais ce soir, Maélyne avait envie de mener la danse. Elle porta son index sur les lèvres de Trystan. “Chhhh”, murmura-t-elle, lui intimant le silence avant de lui glisser un clin d'œil chargé de promesses. Elle s'empara de la main de son mari et guida celui-ci en direction du lit. Beau joueur, Trystan s'y étendit, s'abandonnant aux initiatives de son épouse. Maélyne l'y rejoignit, se glissant sur le matelas à quatre pattes, cambrant les reins, la démarche féline ; la pointe de ses seins caressa le torse ferme de son époux, avant qu'elle n'y dépose du bout des lèvres une salve de petits baisers. Avec une lenteur cruelle, sa bouche se dirigea vers le bas-ventre de Trystan et s’arrêta à quelques centimètres de sa virilité. Elle sentit la respiration du comte s'accélérer alors que, dans un geste d'une infinie douceur, elle refermait une main sur la hampe du sexe de son époux ; elle en apprécia la texture et la fermeté, puis remarqua l'humidité qui perlait au bout du gland. Elle émit un petit soupir de satisfaction, puis elle fit glisser sa langue le long du sexe de Trystan. Lorsqu'elle jugea l'avoir suffisamment fait languir, elle guida son gland humide entre ses lèvres et le prit dans sa bouche. Sa langue et son palais entamèrent une succion bien appliquée, tandis que, des deux mains, elle imprimait des gestes circulaires à la base de sa verge. Elle ne tarda pas à sentir contre son palais la saveur humide du plaisir de son époux, et savoura le son de ses gémissements rauques qui trahissaient son plaisir.

Elle se demanda s'il jouirait dans sa bouche cette fois. Trystan ne s'était jamais autorisé une chose pareille, mais Maélyne avait entendu dire que certains hommes le faisaient. Elle était curieuse de savoir ce que cela faisait de recevoir la semence de son mari sur sa langue et dans sa gorge, mais elle avait surtout envie de le sentir en elle. Et puis, ils cherchaient également à concevoir. Si elle laissait passer l'occasion ce soir, Trystan partirait ensuite en campagne et la laisserait seule pendant de longues semaines, retardant d'autant la réalisation de leur désir d'enfant. Il fallait qu'ils essayent maintenant. Cela pourrait marcher cette nuit, songea-t-elle, et l'idée qu'elle puisse lui annoncer l'heureuse nouvelle à son retour de campagne lui plut. Elle recracha la verge humide de salive et de liqueur masculine, et se redressa à califourchon sur son homme. Dans cette position, elle se sentait particulièrement exposée à son regard, offrant à sa vue l'entièreté de sa personne ; une délicieuse sensation de vulnérabilité traversait son corps nu. Toujours résolue à mener la danse, elle s'empala sur la verge tendue de Trystan ; elle ressentit un frisson de plaisir intense alors que le sexe de son époux lui transperçait la chair. Le comte d'Artellion émit un murmure rauque appréciateur, et ses mains vinrent empoigner fermement les fesses de son épouse, accompagnant la danse lascive de ses reins.

Au jeu des corps enchevêtrés se mêlaient les caresses subtiles de leurs mains baladeuses. Sans rompre leur étreinte, Trystan l'attira contre elle, forçant Maélyne à se cambrer, fesses en l'air, pour offrir sa bouche à la langue avide de son homme. Ils échangèrent un long baiser empli de passion furieuse tandis que la verge de Trystan allait et venait en elle. Il ne fallut pas longtemps avant que les vertiges d'un orgasme libérateur fassent chavirer Maélyne, qui s'abandonna dans une longue plainte aiguë, alors que se contractaient délicieusement toutes les extrémités de son corps, de la pointe de ses seins jusqu'au bout de ses orteils. Un instant plus tard, elle sentit la semence chaude de Trystan s'immiscer au plus profond de sa féminité.

Ils demeurèrent un long moment enlacés, silencieux, haletants et hagards, comme surpris eux-même par l’intensité de ce qu'ils venaient de partager. N’éprouvant nullement le besoin de se rhabiller, Maélyne se lova toute nue entre les bras de Trystan. Elle aurait voulu que cette nuit ne s'achève jamais, et n'avait aucune envie de songer au lendemain.

Le lendemain, l'armée de Trystan partait en campagne.

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