L'automne

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Au village d’à côté, on commençait à parler de moi. On s’demandait ce que j’étais venu faire là, ce que je comptais y faire. On me soupçonnait de l’œil quand j’arrivais à la coop. Le maire avait même fini par venir me voir à la cabane. Après quelques amabilités, il en était venu au fait. Est ce que je comptais rester ici longtemps ? M’installer ? Ce à quoi je lui répondais que je m’étais mis en retraite. Et que la retraite par définition on ne sait pas trop pour combien de temps on en a. Après avoir opiné du chef, il me rappela gentiment tout de même certains éléments du code de l’urbanisme. Ce n’est pas personnel, comprenez-vous bien. J’ai des administrés, ils se posent des questions, c’est une population vieillissante. J’avais à mon tour opiné en le raccompagnant à sa voiture.

Il n’y avait donc ici plus aucun espace pour qu’on nous foute la paix que je m’étais dit juste après. J’emmerdais pourtant personne au fond de mon bois, je dégueulassais rien et tout. Bah non, fallait qu’on vienne me titiller, mon salaud.

L’automne était presque là avec ses petites froidures nocturnes. Je ne me mettais déjà plus à poil dans le hamac, les jours de pluie commençaient à se rapprocher. J’avais sorti les premiers bouquins, allumé les premiers feux.

J’avais toujours considéré l’automne comme une saison fabuleuse. D’une par ses merveilleuses couleurs et nuances ; de deux par sa philosophie. Petit, petit, tout se recentrer sur l’essentiel, se réserver.

Au fond, l’automne c’était la retraite de la nature, le moment de thésauriser pour survivre et pour éclater aux prochaines saisons. Les animaux commençaient leurs réserves pour les mois d’hiver, les arbres se concentraient sur l’essentiel tandis que leurs feuilles mortes décomposées apporteraient le nouvel essor. Les couples ne se séparaient pas et le bois se rentrait pour l’hiver. Oui, il a été prouvé que statistiquement il y a beaucoup moins de séparation en novembre qu’en juillet. La peur de passer l’hiver seul n’y était pas pour rien. Un genre d’instinct de survie.

Somme de tout l’automne était le retour à l’essentiel, au vital. Je vivais dans un automne permanent depuis ma cabane. Je n’étais pas forcément heureux depuis que je m’étais installé ici, mais j’étais serein. C’était l’essentiel.

Il y a eu du bruit et plus rien. J’avais ouvert les yeux, m’était redressé de mon lit. Mon crâne allait exploser. J’avais un peu trop picolé la veille. Le feu s’était éteint , la température avait bien chuté. Je décidais alors de me reglisser sous la couette avec pour ambition de dormir quinze heures de plus. Le bruit sourd recommença sitôt. J ‘entendais qu’on s’approchait. C’était de la voiture, des portes de voitures le bruit. C’était de l’humain qui venait me faire chier au petit matin.

A entendre sa voix prononcer mon prénom, j’étais sorti de ma torpeur derechef. Enfilé un jean, caché la bouteille de rhum, vidé le cendrier dans le poêle, aspergé mon visage avec de l’eau bien fraîche. Je devais lui montrer comme j’étais bien loin. Tout en faisant, je m’apercevais que c’était du tout à fait puéril, stupide, et pourtant je ne pouvais m’en empêcher. Au son de son deuxième rappel, je décrochais le verrou, j’allais rentrer en scène.

La brume matinale, la légère brise filant entre les dernières feuilles des frênes têtards, son foulard sur sa tête, le châle autour du cou, son visage creusé et son corps faible s’étaient découvert à moi comme un tableau de Géricault.

La tragédie devait avoir lieu, l’aube dégueulasse un jour apparaître.

Nous sommes restés comme ça peut être une trentaine de secondes, à s’regarder, à s’jauger sans bouger.

Puis elle a fait un pas, j’ai ouvert mes bras et entouré son corps trop faible.

Nous nous sommes assis sur le banc sur le perron, une couette sur nous, le café chaud entre nos mains, sa tête sur mon épaule à regarder le jour finir de se lever.

Rien ne pouvait nous arriver de pire. Ce dernier automne s'annonce beau.

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