Chapitre 33 Confrontation

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De retour à l’hôtel, j’accourais devant la porte de la chambre où Victor était censé nous guider. Je voulus frapper les quatre coups qui annonçaient ma venue en tant que vampire, mais avant de pouvoir terminer, je remarquai que la porte était restée entrouverte. Prudemment, je me mis à l’affût. Sans un bruit, j’ouvrais lentement et me faufilais à l’intérieur. Les rideaux étaient tirés, Victor, lui, avait disparu. J’essayais tant bien que mal de repérer son odeur, mais je n’étais toujours pas au point avec l’utilisation de mon odorat. J’essayais alors d’entrevoir sa couleur à travers les cloisons.

Une main vint alors à se poser sur mon épaule.

« Est-ce moi que tu cherches, Alexandre ?

Je fus tellement surpris que j’en avais poussé un petit cri aigu.

-Isabelle !

Elle était derrière moi et j’étais à sa merci. À présent, les mots de Charlotte résonnaient comme une condamnation à mort dans ma tête. Elle m’avait prévenu, elle ne viendrait pas à mon aide. Évidemment, je m’étais tout de même préparé à l’éventualité d’un corps à corps et j’avais pris quelques dispositions pour y faire face. Il fallait juste que je parvienne à la distraire et que j’attende le bon moment. Isabelle s’approcha doucement de moi avec assurance. Elle s’était parfaitement remise de l’attaque du bibliothécaire. Elle s’était débarrassée de sa blouse de médecin et portait des vêtements en jean, plutôt indécents, laissant apparaitre ses longues jambes.

-Dis-moi où je peux trouver la reine Charlotte. Ordonnât-elle.

-Isabelle, écoutez-moi. Nous pouvons vous aider, mais nous avons besoin de vous.

-Tu te méprends, vermisseau, je n’étais pas en train de négocier !

-Comptez-vous réellement me tuer ?

-Faut voir… Si tu es sage, je peux me contenter de te démembrer. Maintenant que j’ai l’esprit clair, je sais que tu n’es pas Charles, mais tu restes un seigneur, à ce que je vois. Ta disparition entraînera la fin des buveurs de sang.

-Vous n’aurez pas Charlotte. Je suis désolé, mais elle ne viendra pas. Nous sommes seuls.

-Quelle est cette chose que vous portez à l’oreille ? N’est-ce pas elle que j’entends respirer ?

-Non, je vous en empêcherai !

-Arrête, tu vas me faire rire ! Tu n’es vraiment pas de taille face à moi. »

Je fis briller mes yeux et sortis mes canines. Je ressentais alors, de l’énergie émaner de moi. Énergie que je pouvais ressentir, mais également voir se matérialiser sous la forme d’ondes qui déformaient l’espace dans lequel nous nous trouvions. J’utilisais mon pouvoir à pleine puissance sur Isabelle, en espérant qu’elle tarde à charger le sien. Je tendais ma main vers elle pendant qu’une puissante force la plaquait contre le mur. Prisonnière de mon emprise, elle commença par se débattre violemment. Telle une furie, elle poussait des cris évoquant des rugissements. De mon côté, il ne me restait plus qu’à la soulever et à saisir le petit pulvérisateur que j’avais dissimulé dans la poche interne de ma veste.

Relâchant temporairement mon attention, je jetai un rapide coup d’œil en direction de ma poche. Lorsque j’eus relevé mon regard en direction de ma proie, celle-ci avait cessé de se débattre et me souriait comme si la victoire lui était déjà acquise. Je compris que je n’aurais jamais dû la quitter des yeux, mais il était trop tard. D’un regard, elle trancha la vague d’impulsions qui la maintenait prisonnière. Je vis alors, le couperet invisible se diriger vers moi sans que rien ne lui résiste. Il m’effleura la joue, me laissa une balafre jusqu’à l’œil avant de se perdre derrière moi, causant une lacération du mur sur toute sa diagonale.

Je me tenais la joue en sang, relâchant totalement l’emprise que j’avais sur la reine déchue. Elle était à présent libre de me torturer à sa guise.

« C’était pas mal, dit-elle. Mais tu as encore tellement de choses à apprendre ! Les cinq autres étaient bien plus forts.

Elle s’avançait vers moi, pendant que je reculais prudemment jusqu’à buter sur le lit. Elle m’empoignât et se prépara à m’asséner un direct du droit. C’était le moment précis que j’attendais. Aussitôt, je puisais dans mes dernières réserves et aspergeai son visage avec la fiole d’absinthe que je dissimulais à l’intérieur de ma veste.

Sa première réaction fut de tousser et de se frotter les yeux avec sa main. Elle avait l’air d’être calmée, cependant, elle me retenait toujours. En moi-même, je me demandais si dans la panique, je n’avais pas eu la main un peu lourde. Ma mère m’avait pourtant bien averti de ne pas lui en donner de trop. Je ne connaissais toujours pas les effets secondaires tant redoutés provoqués par cette plante. Je savais juste qu’un abus de fée verte avait des effets néfastes sur la santé d’un humain, surtout si elle était de mauvaise qualité, comme il s’en trouvait souvent durant la Belle Époque. En revanche, j’étais loin d’imaginer les conséquences sur l’organisme d’un immortel… Et je n’allais pas tarder à le découvrir.

Le regard d’Isabelle passa de la haine au désir. Elle commença à me pousser sur le lit et se jeta sur moi pour m’immobiliser. Elle avait probablement dû se nourrir contrairement à moi, car elle n’avait aucun mal à me maitriser. Elle s’attaqua d’abord à ma plaie en y posant sa bouche et en lécha le sang qui s’écoulait goutte par goutte.

-Isabelle, arrêtez !

Elle n’était plus elle-même et de toute manière, elle ne m’écoutait plus. Elle m’embrassait sauvagement, avec bien plus de fougue que ne l’aurait fait Isa, l’insouciante. Sa bouche sur la mienne, il m’était impossible d’appeler des secours. Mon bras droit étant bloqué sous ses jambes, elle n’avait qu’à retenir le gauche avec tout son poids. Peut-être avait-elle appris à immobiliser une victime, dans le but de se nourrir d’elle, à l’école des vampires. Elle avait raison, je n’étais vraiment pas prêt à affronter seul mon immortalité.

Fatigué, essoufflé, de plus en plus épuisé, je cessais de lutter, attendant désespérément que les effets de l’absinthe s’estompent pour qu’elle se décide à en finir avec moi. C’était donc une mauvaise idée !

-Stop, on s’arrête tout de suite !

Une voix avait retenti depuis le couloir. Je reconnus celle de Charlotte, qui avait finalement changé d’avis et s’était portée à mon secours.

-Charlotte… Dit Isabelle avec une voix glaciale.

-J’ai tout entendu grâce à mon oreillette, je n’ai rien loupé ! Franchement, mon garçon, c’était ça ton plan ? Utiliser de l’absinthe. Tu aurais dû venir m’en parler, je t’aurais averti au sujet de son effet désinhibiteur.

-Vous auriez pu contrer ces effets ? Demandai-je.

-Oh que non ! Dit-elle. Mais tu aurais été averti. Remercie moi, je suis arrivée à temps avant que tu ne passes à la casserole. »

Isabelle s’était redressée. Elle était toujours à califourchon sur moi, mais elle ne me prêtait plus attention. Elle regardait Charlotte d’un air menaçant et semblait essayer de balayer son dangereux regard sur elle.

« Ne te fatigue pas. Tu en as pour une bonne heure sans tes pouvoirs. Reprit-elle. Maintenant, descend de lui ou c’est moi qui te descends.

La jeune reine s’exécuta calmement, me libérant de son étreinte.

-Isabelle, attendez… Qu’avez-vous fait de Victor ? Lui demandai-je.

Elle pouffa de rire.

-Votre nigaud ? Je l’ai enfermé dans le dressing.

-Quoi !

-Quand il m’a vu à sa porte, il s’est mis à pleurer. J’ai voulu le secouer un peu, mais il s’est évanoui. Quand j’ai vu qu’il portait le monogramme des Bertolucci je n’ai pas voulu le croire.

Tout pendant qu’elle parlait, je délivrais le pauvre vampire qu’Isabelle s’était appliquée à ligoter et à bâillonner. Il reprenait péniblement son souffle. Je remarquais d’ailleurs pendant cette phase que son aura avait diminuée. Celle-ci reprenait sa taille initiale une fois Victor remis de ses émotions.

-Comme c’est intéressant…

-Monsieur Alexandre ! Majesté ! Je vous suis tellement redevable ! S’exclama-t-il. Elle a débarqué d’un seul coup, telle une tigresse. Je me suis battu corps et âme, n’écoutant que mon courage tel un spartiate, seul face aux hordes déchaînées…

-Elle nous a dit qu’elle avait simplement frappé à la porte… Dis-je, non dupe.

-Tu parles, il s’est fait dessus, oui ! Reprit Isabelle.

-C’est bon, Victor. Il ne faut plus avoir peur, l’absinthe l’a rendu inoffensive, venez donc constater par vous-même.

Il s’approcha prudemment d’Isabelle qui restait sagement assise sur le bord du lit, sous la menace de Charlotte.

-Vous… Vous en êtes sûr ? Bon et bien, dans ce cas je peux me porter garant pour la surveiller pendant que vous continuez vos recherches.

Isabelle poussa un feulement, ce qui eut pour effet de mettre Victor en fuite, pendant que la reine vampire se tordait de rire. Sa frayeur avait été telle, qu’il était reparti s’enfermer dans le dressing. Décidément, tout le monde n’était pas fait pour être un vampire. Mais là où je l’aimais bien, c’est qu’en me tenant à côté de lui, je me sentais comme quelqu’un de charismatique. Le pauvre homme était certes intelligent, mais il dégageait autant d’assurance qu’un souriceau battu toute son enfance.

-C’est bon, dit Charlotte, je m’en occupe ! Tâche de négocier intelligemment, nous n’avons qu’une heure avant qu’elle ne décide de tous nous tuer pour se venger.

Je pris un siège et m’assis en face d’elle. Elle me regardait toujours avec envie, mais elle savait cette fois à quoi s’attendre. Je sortis mon téléphone et lui montra nos progrès au sujet de la recherche du cœur de Lorenzo, l’énigme, le décodage, la clé. Elle inspecta silencieusement les dessins et photographies que nous avions constitués, ainsi que les passages du livre de l’Apocalypse de Jean qui nous avaient permis de comprendre dans quel ordre devaient tourner les disques.

-Isa si tu es toujours là dedans ! Dis-je tout haut. Tu dois sûrement te rappeler les mots : Ego Alpha et Omega ?

Isabelle me regarda à nouveau, avec l’expression de mépris mêlé à la colère, qui la différenciait d’Isa.

-Tu as frappé à la mauvaise porte, petit. Je ne suis pas Isa.

-Peut-être pas, non ! Mais je suis sûr que vous partagez ses souvenirs.

-Même si c’était vrai, qu’est-ce qui te fait croire cela ?

-Je suis l’objet de votre désinhibition, non ? Ça doit bien vouloir dire que les sentiments qu’éprouvait Isa sont toujours présents quelque part en vous ?

Elle détourna le regard.

-Tu te surestimes, petit. C’était toi ou Monsieur nigaud… D’ailleurs, tu ne t’es pas beaucoup défendu…

-la question n’est pas là. Le fait est que nous pouvons vous aider à apaiser votre colère si vous nous aidez à déchiffrer le code Bertolucci.

-Qui te dit que je fais tout cela par colère ? Peut-être que j’aime ça, moi, tuer des vampires…

-Je sais ce qui s’est passé à l’école des vampires, la flûte cassée, le meurtre,…

-Tais-toi !

-Il avait brisé la flûte qui appartenait à Madame votre mère. Il voulait que vous soyez sa chose, il vous rabaissait au même rang que la vermine.

-Non, tu n’y es pas du tout. Je me moque de cette flûte, je n’en joue plus depuis longtemps !

-Isabelle, reprit Charlotte. Pourquoi tu as continué à tuer ?

-Tu ne pourrais pas comprendre ! Lui répondit-elle sèchement. Tu vis dans ton monde au milieu du luxe et des affaires. Tu ne vois pas le danger que les tiens représentent.

-Les nôtres, tu veux dire ! Je te signale que tu es comme nous, que tu le veuilles ou non.

-Vous voulez vraiment savoir pourquoi je hais les vampires ?

-Bien sûr ! Répondis-je.

Elle prit une profonde respiration et essuya une larme au bord de ses yeux turquoise.

-Charles… C’est Charles, c’est lui qui a assassiné mes parents. »

Cette dernière révélation nous avait tous chamboulés. Je me tournais vers Charlotte et je pus voir à quel point elle n’en croyait pas ses oreilles. Bien qu’ils n’avaient pas toujours eu des rapports faciles, Charlotte et mon grand-père se connaissaient et se respectaient, du temps où la vieille reine vampire était encore la directrice de l’école située en Normandie. Il arrivait souvent à mon grand-père de faire le voyage depuis Paris jusqu’à la côte de nacre pour rendre visite aux survivants du clan Bertolucci, héritiers de son grand ami Lorenzo. Je m’adressais alors à Charlotte.

« Ce qu’elle dit au sujet de mon grand-père, c’est possible, à votre avis ?

-Eh bien, c’est difficile à dire, mais…

-Oui ?

Charlotte semblait évasive, tandis que les souvenirs lui revenaient en mémoire.

-Il faut que tu saches que ton grand-père était connu pour être un homme violent. Je l’ai déjà surpris en train de s’en prendre à des membres de mon clan, au sein même de mon établissement. Mais la raison pour laquelle je l’avais chassé remonte à la plainte d’une de mes étudiantes qui l’accusait d’avoir un comportement indécent.

-Et ce n’est pas tout, affirma Isabelle. N’est-ce pas Charlotte ?

-Qu’est-ce qu’elle veut dire ? Demandai-je.

-Elle a raison, il y a autre chose, que je n’ai jamais pu prouver. Il y a très longtemps de cela, mon mari et moi avions notre clan à Venise. Nous faisions partie des familles les plus puissantes de la cité. C’était durant les guerres d’Italie. Le roi de France, Louis XII, avait passé la frontière et ses armées déferlaient sur toute l’Italie, plusieurs cités étaient déjà tombées. Nous avions appris qu’une immense armée marchait sur Venise. Mon cher et tendre Lorenzo avait décidé de mettre le clan Bertolucci à contribution à l’effort de guerre. Malheureusement, il fut vaincu et on m’a fait part de son décès des semaines plus tard. J’ai appris que son bourreau s’était appliqué à le décapiter.

-Or, seul un seigneur pouvait venir à bout d’un autre seigneur. Je suppose que vous avez soupçonné mon grand-père.

-Oui, je dois l’admettre, mais comme je n’avais aucune preuve de son implication, je m’étais résolue à penser que le tueur pouvait être n’importe lequel des seigneurs restants. Encore aujourd’hui, je ne suis plus sûre de rien. Je ne sais pas si ton grand-père était vraiment un assassin, je peux juste dire qu’il en avait les moyens et le mobile. C’est d’ailleurs en voulant enquêter sur lui que j’ai connu Victor. »

Nous restâmes silencieux durant un long moment. Je m’adressai alors à nouveau à Isabelle.

« Je comprends que votre vie n’ait pas été facile, sincèrement. Mais je vous le demande encore une fois. Aidez-nous et nous vous ferons profiter du cœur de Lorenzo. Votre faim sera apaisée à tout jamais et vous pourrez mener la vie normale dont vous avez toujours rêvée.

-Je serai amnistiée ? Demanda-t-elle.

Charlotte Hocha la tête.

-Je m’y engage.

-C’est une offre intéressante, mais il reste encore un vampire que je veux pouvoir faire disparaitre librement.

Victor me fit un signe pour me signaler que l’heure venait d’être écoulée. Isabelle était à nouveau libre de tous nous découper et notre survie dépendait de la décision qu’elle allait prendre.

-Je vous écoute…

-Aidez-moi à vaincre l’immonde bibliothécaire qui a osé boire mon sang.

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