Chapitre 20 Charlotte

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Isa fut prise en charge par un groupe de personnes au service de la maitresse de maison. Pendant qu’elle s’éloignait de ma vue, l’élégante dame qui nous avait accueilli s’approcha de moi. Elle était belle, intimidante, mais aussi terrifiante. Si Isa m’évoquait parfois le comportement d’un chat, cette grande dame me faisait plutôt l’effet d’une panthère noire. Puissante, dangereuse, prête à bondir sur une proie innocente.

« Permettez-moi de me présenter, jeune homme, je suis Charlotte Forestier, reine du clan Bertolucci. Dit-elle.

-Bertolucci comme…

-Comme Lorenzo Bertolucci, lui-même. Si vous le permettez, nous serons mieux à l’intérieur pour parler. »

Charlotte me guida au sein de sa propriété. Le style empire de cet hôtel particulier me rappelait vaguement l’école des vampires en Normandie, où nous avions rencontré le vampire bibliothécaire. Je pensai : « Mais alors, c’est elle la directrice de l’école ! »

Je profitais de pouvoir marcher avec elle afin de mieux retenir son visage. Aussitôt je remarquai une différence flagrante avec Isa. Cette reine vampire avait les yeux de couleur argent. Un bel argent brillant comme les yeux d’un loup gris, étincelant comme un soir de pleine lune. Était-ce la couleur normale que toutes les reines devraient avoir ? Pourquoi Isa serait-elle la seule à avoir les yeux turquoise ?

Elle m’installa dans un petit salon d’hiver richement décoré à la manière des manoirs du dix-huitième siècle. Une servante apporta le thé et des verres de sang. Charlotte prit place en face de moi, dans une posture élégante, jambes croisées, bras au repos, la tête légèrement penchée dans ma direction. Ella Weber se tenait derrière elle, non loin.

« Vous devez être Alexandre ? Demanda-t-elle.

-C’est moi.

-Le fils d’Élisa ! Si je m’attendais.

-Vous connaissiez ma mère ?

-Bien sûr. Enfin par l’intermédiaire d’Isa.

-Comment va-t-elle ?

-Ne vous inquiétez pas, on s’occupera bien d’elle. En attendant qu’elle aille mieux, nous devrions faire plus ample connaissance.

-Que projetez-vous de faire ?

-Tout d’abord, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue en ces lieux. Comme vous pouvez le voir, humains et vampires cohabitent ici en paix depuis des générations. Nous respectons des règles strictes qui nous empêchent de nous entretuer. Sachez que vous n’aurez rien à craindre des miens sous ce toit, j’y veillerai personnellement… Bien que je pense sincèrement que la plus dangereuse, ici, soit Mademoiselle Weber, ma gardienne...

-Voyons madame ! Protesta Ella.

-Je vous remercie Dame Charlotte. Pour être honnête, je me suis déjà fait mordre et j’avoue que ce n’était pas une très bonne expérience.

À ces mots, elle inspira doucement l’air dans ma direction.

-C’est étrange, je ne sens pas l’odeur d’un vampire autre que celle d’Isa sur vous. En êtes-vous sûr ?

-Oui, Isa non plus n’arrive pas à percevoir son odeur. La deuxième morsure était en rêve, il s’agissait du vampire Isabelle.

Lorsque j’eus prononcé ce nom, son regard avait changé. Je crus y déceler comme un nuage d’anxiété.

-Isabelle, hein… » Dit-elle, pensive.

Elle passa sa main dans ses longs cheveux noirs, puis après un silence interminable elle reprit la parole :

« Ella, sortez, je vous prie.

-Mais enfin, Madame ! S’indigna Ella.

-Allons, de quoi avez-vous peur ? Il ne va pas me sauter dessus ! Laissez nous, s’il vous plait. Je dois lui parler.

Ella obéit à contrecœur, ce qui, je le crains, renforça son antipathie envers moi.

-Elle va m’en vouloir…

-Bien sûr ! Mais si elle vous aimait sans efforts, cela ne serait plus drôle !

-De quoi souhaitiez-vous me parler, au juste ?

-Connaissez-vous le lien qui unit Isa à Isabelle ?

-Elles sont sœurs n’est-ce pas ?

-Non.

-Mais pourtant, elles se ressemblent tellement !

-Je pense qu’il est temps que vous sachiez qui elle est vraiment.

-Je vous écoute.

-Il y a très longtemps de cela, il me fut présenté une jeune reine vampire, elle s’appelait Isabelle. Elle était abandonnée, perdue, ses parents étaient morts et elle n’avait nulle part où aller. Elle m’avait été confiée pour que je l’éduque dans mon école. Malheureusement, les jeunes vampires sont ce qu’ils sont, immatures, puérils, cruels. Elle n’a jamais réussi à s’intégrer et de fil en aiguille elle s’est repliée sur elle-même.

-Elle m’avait touché deux mots de cette époque.

-Peut-être, jeune homme, mais elle ne vous a pas tout dit. Jours après jours, les autres vampires la harcelaient, la traitaient en paria,… Bien évidemment, je faisais mon possible pour m’y opposer. Je distribuais sanctions, avertissements, exclusions,… Mais malheureusement, même pour une reine vampire de huit cents ans, il n’est pas toujours possible de tout contrôler. Un jour, un jeune vampire se moqua de ses parents décédés. Sur le coup, elle ne réagit pas, mais de là où j’étais, je sentais qu’elle en avait très envie.

-Envie de quoi ?

-D’utiliser son pouvoir le plus destructeur. Quand je suis arrivée sur les lieux pour l’en empêcher, il était trop tard. Il venait de casser la petite flûte qu’elle tenait de sa mère, alors elle utilisa son pouvoir sur lui et le tua d’un seul coup. Le vampire qui menait la bande de harceleurs était mort sous l’effet de son terrible regard.

-J’avoue que c’est une mort horrible, mais ce vampire n’était-il pas responsable de sa propre fin ?

-C’est une question de point de vue, jeune homme. Voyez-vous, où débute la légitime défense, même chez les vampires, tout le monde ne partage pas le même avis. Bien évidemment, la reine qui avait engendré cette brute réclama réparation. Là encore je m’y suis opposée fermement. Isabelle était ma petite protégée. Afin de concilier les deux partis, j’ai proposé de la garder en isolation dans mon école.

-Vous voulez dire que vous l’avez…

-Enfermée, oui… Et croyez bien que j’en ai honte aujourd’hui. Mais pour sa propre sécurité, je devais la tenir éloignée des autres clans. Parmi eux, il y avait les familles les plus riches et influentes de France. La liberté était trop risquée pour elle. Isabelle était devenue incontrôlable, dangereuse aussi bien pour les vampires comme pour les humains. C’est pourquoi, ils voulaient tous la tuer.

-Je ne peux m’empêcher de trouver cela cruel.

-Dites-vous que c’était un autre temps. Une de nos lois venait d’être bafouée, nous devions sévir. À cette époque, les vampires meurtriers étaient condamnés à mort par une assemblée de vampires issus de plusieurs clans. Cependant, ma position de reine me permettait de retarder cette procédure. J’ai dû soudoyer des clans et en intimider d’autres pour obtenir le plus de votes favorables, mais je ne pouvais pas la gracier. Le seigneur qui avait crée Isabelle proposa alors une alternative qui concilia tout le monde.

-Quelle était-elle ?

-Détruire la personnalité d’Isabelle et la remplacer par une autre, plus douce, plus docile : l’innocente Isa. Isa, l’ingénue, la joyeuse, Isa l’insouciante celle qui ne mordrait même pas une mouche.

-Alors, Isa et Isabelle sont une seule et même personne !

-Et qui plus est elles partagent le même corps. Je m’étais appliquée à construire la cage mentale qui retiendrait Isabelle pour toujours, mais je crains qu’elle ne soit encore capable d’agir à travers les barreaux. Ainsi, même après avoir été reprogrammée, Isa se mit à subir des pertes de mémoire, laissant le champ libre à Isabelle qui s’adonnait à des actes des plus sanguinaires. Ainsi elle tua deux autres vampires.

-Vous en avez fait une schizophrène !

-Oui, mais je vous rappelle qu’à l’époque le nom de Freud nous était inconnu.

-Quelles furent les conséquences pour ces deux autres meurtres ?

-Aucune.

-Comment ça ?

-En fait, les deux dernières victimes d’Isabelle furent les deux seigneurs vampires restant dans ce monde. Vous imaginez la stupeur qu’a provoquée la nouvelle de leur disparition dans la société vampirique.

-C’est elle qui a mis fin à la lignée des seigneurs ?

-Oui, ce faisant, elle a condamné notre espèce. Les seigneurs comptaient parmi les plus anciens et les plus puissants vampires que la Terre ait porté. Réussir à en tuer un était déjà inconcevable, mais deux… Cette réputation de tueuse de vampire lui permit de gagner du temps pour trouver un abri. Abri qu’elle trouva chez ta grand-mère. Finalement, c’est la guerre qui l’a sauvée. Les vampires furent forcés de s’enfuirent en Angleterre ou aux États-Unis, oubliant totalement la petite tueuse à la flûte brisée.

-Et pour Charles ? Demandai-je.

-Ah oui Charles… Je vous raconterai le reste demain. Pour le moment vous devez vous reposer.

-Attendez ! Dites-moi, si le pouvoir d’Isa est la lévitation, à quoi ressemble le pouvoir d’Isabelle ?

-Le pouvoir est très souvent le fruit des désirs les plus profonds des vampires. En l’occurrence, le cas d’Isabelle est complexe, elle abrite deux types de désirs, la recherche de la liberté et la vengeance. Dans le cas d’Isa, son désir d’échapper à sa nature lui a donné le pouvoir de défier la gravité. En revanche, pour le cas d’Isabelle, la haine viscérale qu’elle éprouve pour notre race lui a donné le pouvoir de nous tuer de la manière la plus directe qui soit. Si cela peut vous donner une idée, disons que si elle se mettait vraiment en colère contre moi, elle pourrait me détruire juste en me regardant et je ne pourrais rien faire pour l’en empêcher, malgré toute la puissance dont je dispose aujourd’hui.

Charlotte rappela Ella, sa gardienne et lui confia la tâche de me trouver une chambre « humaine » de libre.

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