Chapitre 12 Confessions indignes

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Un peu sonné par ma chute dans les escaliers, je reprenais doucement connaissance. Je ressentais toujours un poids supplémentaire sur mon dos qui me faisait mal.

« Isa, tu m’écrases, relève-toi. Suppliai-je.

Elle était toujours assise sur mon dos et je comprenais qu’elle était en colère contre moi.

-Mmh je ne sais pas si je dois te libérer, je trouve que tu ne m’as pas beaucoup aidé tout à l’heure face à ces deux rustres.

-Quoi tu m’en veux ? Allons ! Tu sais que je n’aurais rien pu faire, je ne suis pas aussi fort que toi. Allez, arrête de bouder et relâche-moi !

-Tu sais ta grand-mère était bien plus courageuse, elle n’a jamais trahi mon secret, même face aux allemands.

À ces mots j’eus honte de ma passivité face aux problèmes de mes proches en général. Je réalisais que c’était ainsi depuis toujours. J’avais entendu parler de cette histoire à propos de ma grand-mère. Elle s’était faite arrêtée et avait dû subir un interrogatoire bien pire que le nôtre, à coup de claques dans la gueule, jusqu’au sang. Peut-être avais-je été trop couvé par mes parents. J’aurais dû m’opposer fermement à la manière odieuse dont Isa fut traitée. Quel piètre serviteur je faisais.

-Tu as raison Isa, je suis désolé pour mon manque de soutien. J’aurais dû te défendre mieux que ça.

-Bon, ça va, je te libère, mais sache que j’en attends bien plus de toi. Tu t’es engagé à devenir un gardien, je suis sous ta responsabilité, je dois pouvoir compter sur toi si je suis en danger, tu comprends ? Il n’y a que comme ça que tu monteras les échelons et accèdera à la récompense suprême.

-La récompense suprême ?

-Devenir l’un des nôtres ! »

Le fameux « don de l’obscur » dont toute la littérature vampirique et les légendes parlaient, Isa avait envisagé de me le donner à moi afin que je sois à ses côtés pour toujours. J’étais ému et honteux à la fois car après ma prestation, je ne méritais pas ce cadeau. Ma mère m’avait expliqué que les reines vampires n’accordaient cette chance qu’à ceux en qui elles avaient vraiment confiance. La transformation d’un vampire par une reine était souvent assimilée dans leur culture comme un acte charnel et intime. En moyenne, ce privilège n’était accordé qu’une fois tous les siècles, sauf exceptions dans certaines régions du monde comme le Japon, les pays de l’Est ou l’Amérique du Sud où les vampires étaient beaucoup plus nombreux et organisés.

Le soir tombait sur la capitale, en quelques instants, Paris prit une ambiance chaude et dorée. Les derniers rayons d’un coucher de soleil faisaient ressortir les façades déjà bien imposantes des bâtiments Haussmanniens. Nous avions pris le temps de déposer nos affaires dans un petit hôtel, il nous restait un peu de temps pour profiter d’une promenade. La colère d’Isa était passée et fit place à l’émerveillement d’une jeune fille qui semblait impatiente de découvrir Paris.

Ne disait-t-on pas « Ajoutez deux lettres à Paris et c’est le Paradis » ? Cela semblait juste. C’était une belle soirée d’été et nous nous apprêtions à découvrir le vrai Paris, celui de la fête, celui de la nuit, celui de la ville lumière.

« Ça alors ! Il est terminé ! S’écria Isa.

-Mais de quoi ? Lui demandai-je.

-Le pont sur lequel nous nous trouvons !

-Ah oui ça va faire un moment ! C’est pour moi le plus beau pont de Paris.

-Comment l’ont ils appelé finalement ?

-Pont Alexandre III.

-Comme le Tsar…

-Le quoi ?

-Non rien… C’est drôle, vous portez le même nom… Tu sais que j’ai assisté au début de sa construction ?

-Vraiment ?

-Bien sûr, c’était en 1896, je m’en souviens comme si c’était hier. Ils avaient organisé une si grande fête ! Il y avait beaucoup de monde. Nicolas II de Russie en personne avait fait le déplacement avec son épouse pour venir poser la première pierre. On était si fiers en ce temps là.

-Il symbolise l’amitié franco-russe et implicitement la puissance de la France.

-Oui, c’était une véritable prouesse architecturale pour l’époque.

-Elle te manque ?

-Je suis toujours un peu nostalgique… Pourtant pour une reine de 146 ans je suis plutôt jeune comparée aux autres. Le fait est que dans un siècle je regretterais peut-être l’époque que nous vivons actuellement. Mais qu’importe les années, ce pont les traversera avec moi, À chaque fois que je flânerai dessus, il me rappellera les gens que j’ai connu. Leurs âmes m’accompagneront à jamais. Le temps est un peu comme la Seine qui coule en dessous, je ne pourrai jamais arrêter son cours, mais tant qu’il restera un pont qui me reliera à mes souvenirs des bons moments passés je pourrai avancer la tête haute.

-Mon grand-père te manque ?

-Non. »

Ce n’était pas vraiment la réponse que j’attendais alors je préférais ne pas insister. Mais Isa reprit :

« Ton grand-père et moi… Nous avons dû nous séparer.

-Isa tu n’es pas obligée, tu sais, je ne l’ai pas connu.

-Ce n’est pas grave, c’est une vieille histoire de famille. Éva et Élisa n’ont pas voulu aborder le sujet avec toi, mais moi je pense que tu as le droit de savoir quel genre d’homme était ton grand-père.

-Il te faisait du mal ?

-Oui, il a joué avec nos sentiments. Il nous a rendu toutes les deux très tristes ta grand-mère et moi. C’était une personne malhonnête. Ses ambitions avaient pris le pas sur sa vie de famille, aussi bien avec moi qu’avec elle. En fin de compte je n’en veux pas à Éva. Je me suis laissée tourner la tête par cet homme qui m’a abandonné, elle n’y était pour rien. On s’est revues après qu’elle se fût retrouvée seule et on s’est soutenues l’une l’autre.

-Comment est-il mort ?

-On ne sait pas, il a disparu et n’est jamais revenu. Je garde de lui le souvenir d’un homme grand et élégant. Physiquement il te ressemblait beaucoup, vous avez cette même expression autoritaire dans le regard. C’est simple, j’ai failli te prendre pour sa réincarnation, dit-elle en plaisantant.

-J’espère alors que c’est la seule ressemblance que j’aurais avec lui, conclus-je.

-Retiens seulement que je l’ai aimé sincèrement malgré tous ses nombreux défauts. Malheureusement un aspect de moi lui a déplu.

-Oh tu veux dire qu’il n’a pas accepté le fait que tu sois un vampire et qu’il t’a quitté pour ma grand-mère.

-Si on veut. Je te raconterai toute l’histoire de ta famille quand le moment sera venu. »

Pendant que les dernières lueurs du soleil couchant caressaient son visage d’ange, je remarquai combien Isa était jolie avec ses longs cheveux flottants sous la brise du soir. Durant un court instant, j’eus envie de mettre ma main sur son épaule. Mais au dernier moment je m’abstins par crainte. J’avais le visage de l’homme qui l’avait trahie jadis. Un homme dont elle avait dû tomber amoureuse très jeune et avec qui elle avait beaucoup souffert. Peut-être était-ce dû à l’atmosphère enchanteresse de la ville qui s’illuminait progressivement sous les majestueux lampadaires ou encore à la magie qui était attribuée au pont qui rassemblait tous les romantiques du monde entier, mais ce soir-là, je n’arrivais pas à m’empêcher de regarder Isa d’une manière très différente des jours précédents. Cette fois-ci je la voyais comme une femme et plus seulement une reine. Bien sûr, elle le remarqua :

« Attention monsieur Alexandre, si vous me regardez trop fort, vous risquez de tomber amoureux… » Dit-elle en souriant.

Je détournai aussitôt le regard, mais c’était trop tard, j’étais pris sur le fait. Heureusement elle changea de sujet.

« Je plaisante Alex, ne fais pas la tête. Allez viens, je me souviens d’un restaurant où j’allais en 1930, je crois qu’il me reste des invitations.

-Voyons Isa, elles ne sont plus valables depuis longtemps… »

Je n’eus pas le temps de terminer ma phrase. L’Isa romantique était déjà repartie et avait de nouveau laissé sa place à l’Isa énergique et impulsive. Cette même Isa qui me tirait par le bras pour m’inviter à la suivre et cela avec une force démesurée.

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