31 - Sérénade d'un assassin

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9e jour de la saison de la mort 2448

La matinée était frisquette, mais Reaginn avait bien averti ses compagnons qu'une fois rendu à Elthen, le royaume de la Coupe Dorée, la température serait en permanence très sèche et chaude.

- Rationner votre eau, ordonna-t-il. Voyager dans les dunes d'Elthen n'est pas une partie de plaisir.

Avant de partir, il avait dévoilé une carte d'Aerinda et avait expliquer la route empruntée durant leur première tentative de sauvetage. Étant maître en pistage, il avait immédiatement remarqué la présence d'indices subtiles quoique très évidente pour lui qu'ils étaient sur la bonne voie. Il s'avait avoué mal à l'aise avec le pistage d'elfes des bois car, ceux-ci étaient maîtres de la nature et savaient comment se masquer à la quasi-perfection. À cet instant, il savait qu'un membre du groupe des ravisseurs était un traître. Par contre, il s'était vite rendu compte qu'il s'était trompé et que c'était Yuzia qui s'occupait de laisser une piste dans son sillage. À la bordure d'Elthen, il y avait des indices de lutte et des écailles de dragons brisées enfouis sous le sable luisant. En bref, il fallait retourner là où ils s'étaient fait prendre en embuscade par quelques elfes des bois: soit juste au sud de Myssa, une petite citée situé à l'une des rares endroits où il y avait de la verdure dans ce royaume. Pour s'y rendre, il fallait voyager pendant longtemps dans le désert du Crâne Ricaneur ou suivre la bordure du royaume de Dètmor mais cela prolongerait trop le voyage.

Peu de temps après qu'elle avait pénétrée en Elthen, Azéna se rendit vite compte que le nom du désert n'était pas en vain. Il y avait des bâtons un peu partout monté d'un crâne de victimes qui semblaient se moquer des voyageurs qui les croisaient.

- Tu vas succomber ma pauvre, avait murmurer l'un d'eux alors qu'elle passait à sa droite. C'est ta dernière erreur... Ici, les soleils n'ont aucune pitié et ils te videront de ta vie.

Puis, il se mit à rire comme un dément, ses gloussements perçants engloutissant les pensées de la demi-elfe.

- Non! hurla-t-elle paniquée.

Elle donna l'ordre à son cheval de galoper, mais l'animal s'arrêta net lorsqu'un homme agrippa ses rênes et maintint sa position fermement.

- Mo-Morcan, bégaya Azéna, incertaine de ce qui se passait.

- Tout doux, dit l'élémentaliste dans une tentative de calmer l'esprit de sa propre monture ainsi que de celle d'Azéna.

Les autres ne s'étaient même pas arrêtés.

- Ne t'en fait pas, dit Morcan avec un petit sourire. Ce désert a une sale réputation. Même ceux qui y sont habitués succombent parfois à ces ruses.

- Le crâne... Il m'a parler, expliqua Azéna qui commençait à réaliser qu'elle était la seule à l'avoir entendu.

- Ça m'est arrivé aussi la première fois que j'ai traversé ce désert, avoua Morcan. Ignore-les, ils ne sont pas réellement animés. Ce n'est que le fruit de ton imagination... ou peut-être la malédiction qu'on dit hanter cet endroit.

Azéna déglutit le peu de salive qui lui restait. Pourquoi était-elle même surprise qu'un pareil endroit soit maudit? C'est la parfaite défense contre la plupart des menaces, mais l'escouade de Ombres Passagères était plus solide que ça. Cette pensée renforcit la résolution d'Azéna et elle se calma.

- Je crois que ça va aller.

Morcan hocha de la tête, semblant ravis de l'entendre et lâcha les rênes. Malgré tout, il garda un œil sur la jeune apprentie. Il ne devait pas être idiot; il savait bien que le désert était indocile et cruel comme Azéna venait de s'en rendre compte. D'ailleurs, le prochain crâne qu'elle croisa semblait lui sourire malicieusement. Par contre, celui-ci resta silencieux. Pour se calmer les nerfs, elle décida de s'accorder une gorgée d'eau. Une gorgée d'eau qui dura bien trop longtemps.

- Pas trop, lui dit Morcan. Ne perd pas le contrôle.

Enfin, le premier soleil était tombé et le deuxième le suivait lentement. Alors que le groupe passa à côté d'un autre crâne fiché sur un bâton, Azéna crut qu'elle allait enfin perdre la raison. Elle évita le regard du crâne, mais c'était comme si elle éprouvait une attirance magnétique à son égard. Pour une raison qu'elle ne comprenait pas, elle savait que celui-ci avait jadis été une danseuse exotique d'une beauté hypnotisant. Une vision d'elle se manifesta dans son esprit: taille moyenne, courbes assez généreuses, longue chevelure sable, peau bronzée, yeux de jade, mais ce qui attira particulièrement Azéna fut son tatouage à l'épaule d'une épée sombre.

- Je sais ce qui te hante, murmura-t-elle sur un ton autant luxueux que vil. Rejoins-nous, ma chère.

La réalisation qu'elle avait en effet été obsédée par les membres du groupe de rebelles dénommé Sombrelame, son gros dilemme avec son inhabilité de contrôler son deuxième élément ainsi que sa récente découverte de son attirance pour les femmes la prit par surprise. Elle hoqueta et secoua la tête, observant ses alentours. Il n'y avait rien d'anormal. Ce n'était qu'une illusion, sûrement issue de son anxiété ou encore de cette malédiction. D'une manière ou d'une autre, elle comprenait pourquoi les voyageurs n'empruntaient pas cette route. C'était un véritable supplice, autant mental que physique. Elle était morte de fatigue, elle avait une soif de loup et chaque muscle de son corps était endoloris. Au moins, les brises étaient maintenant fraîches et cela lui apportait beaucoup de bien.

- Devrions-nous pas nous reposer, Capitaine? questionna Sanah.

La guérisseuse lui avait enlever les mots de la bouche et pour ça, elle la glorifia silencieusement. Le groupe fit halte et attendit avec appréhension la décision de Reaginn.

- Es-tu véritablement épuisée ou désires-tu tout simplement observer cette plante? questionna le capitaine en pointant en direction d'un petit cactus dont les fleurs étaient d'une couleur jaune pétillant.

Sanah rougit immédiatement et secoua la tête négativement.

- Mais non... C'est juste qu'il y a aussi un rocher et il est assez massif pour nous protéger des deux soleils durant la matinée... Nous pourrions dormir un peu...

- C'est entendu, décida Reaginn. Mais, on reprend la route à l'aube.

- Oh! s'exclama Sanah, le regard rayonnant de joie. Parfait!

- Allez, va examiner ton cactus Sanah, dit Morcan en pouffant de rire.

- Mais, ce n'est pas du tout pour cela que... Oh, bon, d'accord...

Morcan lui donna une petite tape amicale à l'épaule et le visage de l'elfe lunaire prit une teinte étrangement pourpre. Il continua de rigoler et elle évita de continuer la discussion en s'accroupissant près du cactus. Elle se mit ensuite à marmonner comme si elle avait une discussion avec la plante. Azéna sauta en bas de sa monture, attacha les rênes à sa ceinture à l'aide d'une longue corde puisqu'il n'y avait pas d'alternative et fixa l'herboriste curieusement.

- C'est Sanah, expliqua Morcan en effectuant la même procédure que la demie-elfe. Elle est un peu... excentrique. Elle adore son travail.

- Je vois ça, répliqua Azéna.

Honnêtement, Azéna ne doutait pas des habilités de Reaginn, mais les trois autres membres de l'escouade lui donnaient un pressentiment de doutes comme s'il n'allait pas être très compétents. Ils étaient tous si étranges... Des choix très étranges... Par contre, plus Azéna passait du temps avec eux, plus elle se sentait en confiance comme s'il existait un lien solide et inexplicable entre eux.

- Par ici la jeune, dit Morcan en lui faisant signe d'approcher.

L'élémentaliste se mit à ficher cinq bâtons de bois solides dans le sable un à côté de l'autre. Ceux-ci n'étaient pas très longs, mais c'était suffisant pour y attacher les chevaux. Baldur manipula le sable de sorte à ce qu'il se renforcit autour des bâtons, sûrement pour s'assurer qu'ils restent droits. Morcan offrit à Azéna d'attacher sa monture qu'elle accepta volontiers.

Un petit cri alarmé attira leur attention. Sanah appliquait de la pression sur son index dont l'extrémité était légèrement enflée.

- Vraiment, marmonna Morcan. Fait un peu attention à toi. La plupart des cactus sont vénéneux.

- Je suis herboriste tu sais, lui rappela Sanah avec un petit sourire prétentieux. Et aussi guérisseuse.

Elle sortit un petit flacon de son sac à dos duquel elle vida une goutte de liquide gluant sur la blessure.

- Ça va, ronchonna l'élémentaliste qui déroula son sac à couchage près de l'immense rocher.

Le jeune Baldur l'imita, ses mouvements délicats et presque élégants. Il n'avait pas prononcé un mot depuis des heures. C'était définitivement lui le plus mystérieux et le plus calme du groupe. Peut-être prenait-il son rôle de garde du corps un peu trop au sérieux?

- Pressé d'aller te coucher? commenta Sanah avec sarcasme. Allons, il faut manger et apprendre à connaître la petite nouvelle... autour d'un bon feu?

Azéna se sentit soudainement ciblé et légèrement mal à l'aise. Incapable de supporter ce sentiment, elle se tourna vers Sanah et eut un rire jaune.

- Ce n'est pas nécessaire, dit-elle. Vous devez être épuisés et... et...

Elle n'arriva pas à trouver une deuxième excuse pour échapper à cette obligation sociale.

- Trop tard petite, lança Morcan. Moi aussi j'aimerai en savoir un peu plus à propos de toi. Cette mission est dangereuse... C'est à notre avantage de bien te connaître. D'ailleurs, ca va de ton côté aussi.

Il se tourna vers Sanah qui ne l'écoutait pas. Celle-ci était distraite par son cactus qu'elle examinait sous tous ses angles avec une expression presque luxueuse.

- Sanah, tu m'écoutes? questionna l'élémentaliste.

- Eh? M'ouais, m'ouais.. feu et discuter, répliqua Sanah.

Morcan s'approcha d'elle et empoigna le collet de son chandail et se mit à la traîner près d'Azéna. La pauvre herboriste se débattit en se lamentant, mais en vain; Morcan était bien plus costaud qu'elle. Le tout était un peu ridicule d'après Azéna. D'ailleurs, Reaginn et Baldur semblait du même avis, observant leurs compagnons d'un air légèrement irrité.

- Mais arrête! beugla Sanah. Je faisais une découverte phénoménale!

- Faire connaissance est plus important, grommela Morcan. Allez, il commence a faire froid. Préparons un feu.

En effet, les brises commençaient à être frisquettes. Azéna mourrait de faim et la fatigue commençait à se montrer le bout du nez.

- Nous avons quoi comme nourriture? questionna la jeune dragonnière en haussant un sourcil, convaincue que Reaginn n'avaient pas apporté grand-chose de comestible.

- Du gâteau, dit Sanah avec un grand sourire.

- Sérieux?

- Bah c'est ce que j'ai emporté. Ça avec quelques légumes qui se mangent bien crues comme des carottes. Qu'est-ce que toi tu as?

Azéna réalisa qu'ils avaient tout emporté des rations individuellement et qu'elle n'avait rien en cause qu'elle avait été précipitée.

- Elle partage des soupes en boîte de conserve avec moi, lança Reaginn.

Azéna ne put s'empêcher s'ouvrir la bouche en signe de désespération.

- Des soupes en boîte de conserve froides ? se lamenta-t-elle. C'est à ça que tu as pensé?

- Avec un feu, ça se réchauffe bien, rétorqua Reaginn, toujours aussi insensible. Même froide, c'est de la nourriture et ça se garde bien. Maintenant, prend ce que je t'offre ou préfères-tu être affamée? J'espère que tu vas te nourrir sinon tu vas devenir un fardeau.

- Ça va, ça va... Je vais manger de la soupe... bien chaude...

Azéna rougit légèrement et détourna ses yeux de son chef d'escouade. Elle détestait quand elle avait tort, spécialement face à Reaginn.

- Réalise bien qu'en mission, nous ne sommes plus à l'académie où le Grand Maître nous gâte, rappela le rôdeur. On fait avec ce qu'on peut se permettre. Préoccupe-toi de deux choses: survie et accomplie ton objectif.

Azéna hocha de la tête, réalisant sa situation.

- Et pour accomplir ton objectif, il est utile de connaître ses compagnons, lança Morcan dans une tentative d'alléger l'atmosphère.

Il poussa un rire forcé, puis, réalisant qu'il n'était pas drôle, il se précipita à son cheval et se mit à fouiller dans un grand sac. Il en sortir quelques brindilles, une potion au liquide rouge pétillant et du papier parchemin.

- Vous avez vraiment penser à tout, commenta Azéna.

- Ce n'est pas grand-chose, dit Morcan. Sûrement juste assez pour un feu très petit et bref. Dommage que nous n'ayons pas de dragonnier rouge avec nous. Je déteste gaspiller cette potion de FlammeVivante. Elle pourrait être utile en combat.

- C'est quoi, commença Azéna en pointant la petite bouteille.

- Oh! Oh! s'excita Sanah sur la pointe des pieds. C'est moi qui a enfermé une flamme de dragon rouge ; celle de Rendarnusx pour être précise. Il a été si gentils de me laisser la prendre... C'est un cadeau que beaucoup de gens rêveraient de posséder. Une flamme de dragon en bouteille!

- Et... elle réagit de quelle façon exactement?

Elle observa Sanah qui continua son explication en effectuant de grands gestes exagérés.

- Lorsqu'on la lance et le verre se brise, la flamme s'échappe de sa prison et se mouvait comme un serpent très brièvement avant de mourir. Cela peut être utilisé comme une distraction ou une attaque avec une zone d'effet ou...

- Ou pour un feu de camp, termina Morcan.

- Impressionnant, avoua Azéna. Je ne savais pas que les alchimistes pouvaient stocker le souffle d'un dragon dans un contenant.

- Oh pas juste le souffle d'un dragon, souligna Sanah, le regard pétillant. Si nous rencontrions un élément, nous pourrions utiliser son essence pour créer ses potions.

Azéna hoqueta et écarquilla les yeux. Encore une fois, ce monde la prit par surprise.

- Oh tu ne savais pas à propos des éléments? questionna Morcan. M'ouais... Il existe des manifestations des éléments. Ils sont rares et puissants ; un dragon adulte, même parfois wyrm aurait de la difficulté à vaincre un pareil ennemi. Je n'en ai jamais vu un, mais...

- Assez de bavardage, coupa Reaginn. Nous avons tous faim. Préparons le feu.

Sanah et Morcan hochèrent de la tête et se mirent à la tâche. Morcan plaça les brindilles et le papier dans un tas tandis que Sanah entoura le tout de roches. Le reste du groupe préparèrent leur lit. Baldur installa le sien à l'écart de ses camarades afin que si un intru s'approche qu'il soit le premier à le rencontrer. Il tenait clairement son rôle de garde du corps à cœur ; il avait caché une dague sous son oreiller, une à l'intérieur de son sac à couchage et une dernière sous son sac à dos.

- Il est vraiment dédié celui-là, murmura Azéna pour elle-même.

- Ruvior ne la pas choisis pour rien, souligna Sanah.

Elle tendit une main en direction de Morcan. Ce dernier grimaça en lui donnant le flasque de FlammeVivante.

- Fait attention avec ça, ronchonna-t-il. C'est puissant... Ça en prend juste une goutte.

- Arrête de me traiter comme une gamine, rétorqua Sanah en grinçant des dents. Je sais que ça prend juste une goutte! Raah!

Le corps de Sanah fut légèrement secoué lorsqu'elle s'irrita et elle renversa plusieurs gouttes sur les brindilles qui prirent immédiatement le feu. Les flammes grandirent à une vitesse ahurissante et atteignirent la hauteur d'un homme adulte. Sur le coup, Sanah cria et tomba à la renverse.

- Idiote! hurla Morcan.

L'élémentaliste l'attrapa d'un bras et la tira vers lui, loin du danger tandis qu'Azéna attrapa la petite bouteille de FlameVivante avec des réflexes inhumains. Paniquée, l'adolescente tendit la potion en direction de Morcan et Sanah qui étaient tous les deux figés sur place, leurs visages rouges.

Sanah fut la première à réagir. Elle agrippa la potion et se dégagea de Morcan qui balbutie des excuses.

- B-belle prise, Azéna.

Toujours légèrement nerveuse, elle eut un peu de difficulté à sécuriser la potion en remettant le bouchon pour sceller le liquide vivant.

Azéna fixa ses mains en songeant à son héritage elfique. Elle n'était pas aussi rapide qu'un elfe de sang pur, mais elle avait remarqué une différence de talent entre elle et les habitants de Daigorn lorsqu'elle était très jeune. Il y avait tant d'indices maintenant qu'elle y voyait plus clair.

- Soyez prudents, grogna Reaginn sur un ton autoritaire. Dire que je vous vente devant le Grand Maître. Une chance qu'Azéna possède de bons réflexes.

- Désolé Capitaine, dirent Morcan et Sanah simultanément, évitant de croiser le regard de l'autre.

Azéna ne put s'empêcher de pousser un rire amusé puis, de sourire. Elle avait un petit doute que Morcan agissait surprotecteur envers Sanah car il l'aimait bien et que l'alchimiste jouait l'indépendante, sûrement pour la même raison. Après tout, ils devaient avoir passés beaucoup de temps ensembles pour des missions et de l'entraînement.

Baldur avait réagi promptement aussi. Il avait manipulé du sable et de la terre pour suffoquer le feu sans l'éteindre. Maintenant sous contrôle, les flammes faisaient à peu près un demi mètre de haut.

- Bien joué Baldur, complimenta Reaginn. Vraiment, vous êtes de véritables enfants, continua-t-il en parlant de Morcan et de Sanah.

Il fouilla dans un sac que portait son cheval et y en sortit deux boîtes de conserve. Il en offrit une à Azéna et garda la plus grosse. Remarquant l'expression frustré d'Azéna, il eut un sourire en coin.

- Je suis un adulte comparé à toi petite fillette, alors j'ai besoin plus de nourriture. Tu es déjà chanceuse que je t'ais emporter des rations, alors ne te met pas à chialer.

- Je ne suis pas une petite fillette, marmonna Azéna après s'être tourné vers le feu en observant la petite boîte de conserve. J'ai quinze ans... Putain, je vais maigrir sur ce voyage.

Reaginn installa un chaudron au-dessus du feu, ouvrit sa boîte de conserve à l'aide d'une dague qui était cachée dans sa botte et vida sa soupe à l'intérieur. Immédiatement, il se mit à la brasser, toujours avec l'aide de son arme. Dégoutée, Azéna trouvait ses méthodes primitives et dangereuse en cause de leur manque de propreté. Puis, elle réalisa qu'elle allait devoir faire la même chose. Elle pinça ses lèvres et se soumit à l'idée, préférant cela à la famine.

- Oh merci Baldur, dit Sanah.

Azéna se tourna vers l'alchimiste et aperçut Baldur qui transportait une roche juste assez large pour qu'un humain s'y assis et la déposa devant le feu. Il répéta le processus jusqu'à ce que chacun possédait un siège improvisé. Éventuellement, l'escouade au complet fut installée autour des flammes et un à un, chaque membre fit cuir sa nourriture.

- Tu as même emporté des bols ?! s'exclama Azéna lorsque Reaginn lui en tendit un.

- C'est nécessaire avec de la soupe, répliqua-t-il. Je n'ai pas d'ustensiles par contre alors, il va falloir que tu la bois.

- C'est tellement compliqué... Pourquoi pas du pain ou un gâteau?

- Oui, faire de la soupe est complexe dans une situation de survie. Par contre, l'eau est limitée dans un désert et le jus est principalement fait de...

- D'eau, termina Azéna, se sentant ridiculisée une fois de plus.

Elle prit une gorgée de la soupe remplie de légumes et d'un peu de viande de bœuf. Le goût était très fade et elle failli cracher sa nourriture dans son bol.

- Ce n'est pas assez bon à ton goût? demanda Reaginn.

- Bah, dit Azéna doucement. Ça manque de sel...

- Le sel te déshydraterai. Pas de sel.

Azéna baissa le regard et prit une deuxième gorgée en essayant d'oublier son humiliation. Ruvior était tellement bien préparer et elle était une nuisance plus qu'autre chose. Par contre, il avait accepté de l'emporter avec lui et ça la réconfortait.

- Tu as préparé cette soupe toi-même?

- Oui, répondit le rôdeur sans trop d'émotions.

Azéna voulut lui dire qu'il était un horrible cuisinier, mais elle s'en abstient. Elle devait avouer que c'était pour le mieux dans leur situation. C'était bien qu'il ait une mentalité pratique. Elle n'y aurait même pas songé.

Sanah et Morcan grignotaient sur leur propre miche de pain tandis que Baldur avait emporté des kiwis qu'il coupait en quatre avec son épée avant d'en dévorer leur centre. Les fruits possèdent beaucoup d'eau; c'était aussi une bonne tactique. Par contre, Azéna espérait pour lui qu'il avait pensé à long terme. Des fruits, ça ne se garde pas très longtemps.

Elle but le reste de sa soupe et la silhouette ailée de Tyrath se dessina dans son esprit. Soudainement, elle s'ennuyait de son compagnon de vie et se demandait s'il avait déniché de quoi à manger. Lui et les autres dragons étaient si loin d'eux. C'était un sentiment très étrange. Et Turion se faisait silencieux et absent comme à son habitude. Elle aurait aimé lui parler et apprendre à le connaître un peu plus, mais elle comprenait pourquoi il ne pouvait pas se manifester très souvent. À cette pensée, elle se sentit frustrée pour la énième fois. Elle devait apprendre à manipuler la création, mais c'était si difficile, surtout sans maître pour la guider.

Elle avait besoin de se distraire. Ce silence la rendait folle.

- Alors, pourquoi avez choisi le nom Ombres Passagères pour l'escouade?

- Tu connais déjà notre spécialité ainsi que le type de missions qu'on accepte, dit Sanah. Sinon... Je dirai qu'on nous connait comme une escouade qui accomplit ses objectifs rapidement, en silence et qui ne laisse jamais de traces, sinon très peu. Après une mission qui semblait périlleuse, mais que nous avons terminé avec une expertise inattendue, Morcan s'était mis à blaguer que nous étions des ombres passagères et pas vraiment des mortels. Cela faisait longtemps que nous étions sans nom puis, soudainement, cette blague résonna avec nous.

- Laissez tomber ma blague, dit Morcan nonchalamment. Elle n'était pas si grandiose que ça. Miguhël était l'idiot qui trouvait que c'était phénoménale.

Un autre malaise s'installa. La mention de Miguhël était clairement toujours taboue. C'était probablement trop frais. Azéna était curieuse, mais elle ne dit rien. Elle remarqua que Sanah semblait particulièrement agitée malgré qu'elle essayait de son mieux pour que ça ne paraisse pas. Son corps était raide et son regard émanait la tristesse. Morcan cligna à plusieurs reprises, semblant réalisé son erreur.

- Alors, pourquoi es-tu si passionnée en ce qui concerne le sauvetage d'Umah? questionna l'élémentaliste, probablement pour changer de sujet. Est-il un ami proche?

- Honnêtement, pas vraiment, répliqua Azéna. Il est cher aux yeux de quelqu'un qui m'est important. Dans ce sens, je la comprends. Malheureusement, elle n'est pas si bonne en matière de combat alors, je me suis portée volontaire. Aussi, Umah est l'un de nos camarades. J'ai eut des tensions avec lui, mais je le considère quand-même comme l'un des nôtres et je tiens à protéger notre famille formée par notre union avec les dragons ainsi que notre philosophie partagée.

- Hmph, bien dit, complimenta Morcan. C'est un peu la même chose avec notre petit groupe de fous.

- Groupe de fous, murmura Sanah.

Le regard de l'alchimiste était plongé dans les flammes dansantes. Azéna s'inquiétait un peu, mais elle décida de ne rien faire. Ce n'était pas sa place de mentionner Miguhël.

- Azéna, appela Baldur de sa voix qui faisait jeune, mais tout de même brisé par une froideur professionnelle.

- Mmhmm? dit Azéna en se tournant vers le gamin guerrier.

Celui-ci affilait doucement l'une de ses deux haches de guerre sur une roche, mais ses yeux étaient fixés sur son interlocutrice.

- Donne-moi tes armes, ordonna-t-il. Je vais les inspecter et les aiguiser si nécessaire.

- Bien sûr, répondit Azéna.

Elle lui tendit son arc elfique, son carquois rempli de flèches ainsi qu'une dague qu'elle gardait sur sa ceinture.

- C'est tout? demanda Baldur avec un air peu impressionné.

- Bah ouais, grogna l'adolescente. Je suis principalement une archère.

- Typique d'une elfe.

- Demi-elfe, corrigea Azéna en se croisant les bras.

- Presque la même chose. La plupart des demi-elfes se tournent aussi vers le tir à l'arc. C'est classique.

Sanah et Morcan observaient l'échange entre les deux jeunots et échangèrent un regard inquiet.

- Ça va, dit Azéna. Pense ce que tu veux.

Elle s'attendait à une réplique quelconque, mais Baldur se mit à aiguiser une flèche qu'il glissa hors du carquois avec une délicatesse inattendue. De toute façon, Reaginn la surveillait de près et elle ne voulait pas attirer sa rage. Elle décida donc de se tenir la langue. Elle aurait bien aimé voir cette crapule en combat. Elle ressentait soudainement l'envie de le surpasser ou encore, de la vaincre en duel. Après tout, elle était la plus vieille des deux, ça c'était assuré. Par contre, il était dragonnier depuis bien plus longtemps qu'elle... C'était là son plus grand désavantage.

- Azéna, dit Reaginn en plissant les sourcils.

Avait-il deviné ses intentions? Elles étaient si fraîches... Comment avait-il pu? C'était Reaginn, après tout. Il est très perspicace ce qui rendait Azéna folle parfois. Elle s'efforça se songer au vide pour adoucir son expression faciale dans une tentative de cacher son état d'esprit de son capitaine. Énervée, elle fixa son attention sur le feu ce qui aida à la distraire. Elle se souvint alors des paroles de Turion à propos qu'elle devrait s'inspirer de son entourage. Elle ferma les yeux, croisa les bras et les jambes sur sa roche et expira longuement.

- Elle fait quoi là? questionna Morcan, sûrement en guise d'Azéna.

- Je ne sais? répondit Sanah. De la méditation peut-être?

Le reste de la conversation fut perdue car, Azéna trouva une étrange paix dans le son constant de la roche claquant contre le fer des armes que Baldur aiguisait. Elle réussit à vider son esprit et à se concentrer promptement ce qui était très rare. Elle détecta le flux de la vie de ses compagnons. Chacun d'entre eux avait une différente sensation très complexe. Azéna se questionna sur l'âme des êtres vivants. Si elles existaient réellement, elles devaient être uniques. Celle de Morcan et de Sanah étaient plus agitées, plus chaotiques, mais aussi réconfortantes et chaleureuses tandis que celles de Baldur et de Reaginn étaient presque entièrement uniformes, plus ordonnée, un peu effrayante même, mais solides et robustes. Étrangement, celle de Morcan semblait se rapprocher de celle de Sanah qui demeurait constante dans son tourbillonnement comme s'il y avait un contentement dans cette incertitude. Soudainement, Azéna détecta une petite vague qui traversa en ondulant le flux de vie de Reaginn. Le flux de Morcan s'éloigna et celle de Sanah recommença à virevolter avec instabilité.

Lorsqu'Azéna ouvrit les yeux, elle remarqua que Reaginn était en train de parler à Morcan.

- ... notre mission, pas vrai?

- Oui Capitaine, murmura Morcan.

L'élémentaliste paraissait calme, mais Azéna savait que ce n'était qu'une facette.

« Qu'en n'est-il du mien? songea-t-elle. »

Cette-fois, pour une raison quelconque, elle ne put se concentrer assez pour puiser dans l'élément de la vie et de la mort. Elle ne sentait plus rien. Rien qu'un moment passé, elle se sentait comme si elle était dans une autre dimension. Elle réessaya, mais elle sentit un poid lourd affligé ses pieds. Elle ouvrit les yeux pour découvrir que Baldur avait laissé ses armes au sol juste devant elle.

- J'ai terminé, dit-il. Ils sont comme neufs.

- Err... merci, répondit Azéna.

Elle rangea ses affaires à leur endroits originaux et revint s'assoir sur sa roche.

- Je ne savais pas que tu médites, dit Sanah. J'en suis incapable. Je suis trop énergétique.

- Oh, tu as remarqué, dit Azéna, un peu gênée. Ce n'est pas dans mes habitudes normalement.

Elle se sentit soudainement observé par quelqu'un de dangereux. Par instinct, elle se tourna vers Reaginn. En effet, le capitaine la fixait avec un intérêt qu'elle n'appréciait pas du tout. En plus, il n'essayait même pas de le cacher. Azéna devinait qu'il avait été ordonné de bien la surveiller en cause de ses pouvoirs qui étaient toujours très mystérieux et potentiellement dangereux. À sa grande surprise, le rôdeur ne dit rien. Peut-être que les autres n'étaient pas courant de la situation d'Azéna.

- Ne restez pas éveiller trop longtemps, ordonna Reaginn. Nous avons beaucoup de chemin à faire demain et, dès que le premier soleil sera visible, il fera déjà trop chaud pour dormir.

- Oui Capitaine, répondit le reste de l'escouade.

Sans souhaiter bonne nuit à qui que ce soit, le rôdeur disparut dans la noirceur, sûrement là où il avait installé son lit.

- Cela fait combien de temps que vous vous entraîner ensemble? demanda Azéna à ses trois compagnons.

- Baldur est pratiquement nouveau, répondit Morcan. Alors... peut-être une dizaine de jours... Moi, Sanah et Reaginn, probablement près de trois années.

- Quel genre d'entraînement Reaginn vous donnait?

- Bah... À vrai dire, je n'aimais pas ces entraînements, avoua Morcan.

Sanah pouffa de rire et continua à la place de l'élémentaliste:

- La philosophie de Capitaine Ruvior est difficile à suivre, mais elle fonctionne bien. Il croit que des coéquipiers doivent se faire entièrement confiances. Pour cela, ils nous mettaient dans des situations périlleuses qui demandait que chacun de nous fasse un effort pour en sortir. Il nous as appris comment lire le langage corporel des autres en forçant la communication silencieuse dans nos entraînements. Ainsi, nous n'avons presque pas besoin de parler pour se comprendre. C'est très pratique.

- C'était le bordel, se lamenta Morcan. En fait, c'est encore le bordel à nos entraînements.

- Ça a en valut la peine, espèce de paresseux. En cause de ces méthodes, nous sommes l'une des escouades les plus redoutée des dragonniers.

Elle se tourna vers Azéna.

- Reaginn agit froidement et même parfois injustement, mais je t'assure qu'il se soucie pour nous.

- Vous lui faites pleinement confiance, réalisa la jeune dragonnière.

- Exactement comme il nous l'a appris. Aussi, nous ne pourrions jamais réussir nos exploits sans cette confiance. Nous devons agir en tant qu'un seul individu.

- Alors, pourquoi m'emmener avec vous? Je ne suis clairement pas à votre niveau.

Morcan se mit à rigoler.

- Je crois qu'il nous as tous choisis pour une raison spécifique. Il n'est pas un idiot. Et puis, il ne s'encombre jamais avec des personnes qu'il juge ne pas être capable d'accomplir la mission. En conclusion, je dirai de suivre son jugement. Honnêtement, je n'ai aucune idée de pourquoi il nous endure moi et Sanah.

- Hé! Parle pour toi, rétorqua l'alchimiste. Je trouve que nous apprenons exemplairement... à l'exception de quelques petites bêtises...

- Ouais... quelques petites bêtises... Plutôt des grosses... mais, pour une raison quelconque, nous nous en sortons toujours en un morceau et avec notre objectif complété. Bah... sauf durant la dernière mission...

L'atmosphère devint lourde et sombre à nouveau. Ce qui s'était passé durant la première tentative de sauvetage d'Umah était clairement émotif.

- Parlez-moi un peu de Reaginn, dit-elle pour changer le sujet.

- Dans quel sens? questionna Morcan qui leva la tête vers elle.

- Bah, il semble si... si... reconnu et différent. Il doit bien y avoir une raison derrière cela.

Morcan se mit à rire comme un dément en se tapant les jambes consécutivement.

- Morcan... Arrête espèce d'idiot, dit Sanah. Ce n'est pas de sa faute si elle ne sait pas. Tu sais qu'ils n'aiment pas en parler aux apprentis. De plus, c'est la vie privée du capitaine. Allons...

- Ouais, répondit Morcan entre deux rires, pour ne pas les effrayer.

Il se calma après un moment.

- Bon bon, je vais te raconter très brièvement et sans détails car il ne faut pas réveiller le loup qui sommeil. Après tout, ça pourrait te servir de leçon.

Il jeta un coup d'œil en direction d'où Reaginn avait disparu. Il attendit un long moment, puis il fixa son attention sur Azéna. Les détails de son visage étaient difficilement distinguables en cause du feu qui se mourait lentement. Malgré cela, Azéna détecta un peu de malice innocente dans ses yeux comme s'il se préparait à lui faire un mauvais coup.

- Ils ont écrit la version courte sous forme de chanson, continua l'élémentaliste. Voici la sérénade d'un assassin.

Il se racla la gorge puis, à la grande surprise d'Azéna, sa voix changea lorsqu'il se mit à chanter. Malgré sa masculinité, cette dernière était douce et mélancolique.

Une brise unique n'est rien qu'espiègle

Mais ne poussez pas votre chance

Car le vent est toujours flexible, se transformant en une tornade rugissante

Une âme reste éveillée toute la nuit solitaire

Anxieux ou calme, personne ne sait ce qui se passe dans son esprit

Profondément enterré dans la prison qu'il appelle son chez soi

Jeune et audacieux, alors sans cicatrice, il courait entre les morts qu'il laissait dans son sillage

Un parfait assassin, il portait son destin avec fierté

Une nuit, il donna son cœur à une jeune fille qui le séduisait sous le clair de lune argenté

Ses murs glacés fracassés, sa conviction ébranlée

Il ne pouvait qu'envier de partager sa vie avec elle

Alors il brisa les lois sacrées qu'il protégeait en l'amenant aux œufs dormants

Là, elle est devenue ce qu'il a prévu qu'elle deviendrait

Pour partager ses cauchemars avec elle

Ensembles, ils suivirent les traces de sang

Profondément, profondément, enterrés dans leurs fiers esprits

Les deux assassins parfaits, payés seulement en admiration et en éloges

Courant sur la flamme et le vent, mortel comme toujours

Mais qui l'aurait cru?

Les loups sont parfois nés de moutons obéissants

Les monstres sont souvent nés de loups battus

Ne vous égarez pas dans leurs tanières

Car ils sont éveillés, anxieux ou calmes, personne ne le sait

Silencieux comme la nuit, l'ancienne jeune fille s'est éloignée sans qu'il sache

Seulement pour revenir en étant traîné sous sa poignée de fer et son cœur saignant

Traîtresse, elle était devenue un monstre portant la marque d'une lame sinistre sur son épaule

Elle fut torturée sous son regard

Il ne pouvait réagir car sa loyauté était sur la ligne

L'ancienne jeune fille n'a jamais cédée, dure comme l'acier exactement comme il l'avait entraînée

Ses derniers mots n'étaient que pour lui

Alors qu'elle le suppliait d'abandonner sa vie insensée

Réclamant la présence d'un monstre plus sombre qu'elle

Alors que son corps grisonnait, la lumière du jour mourut

Une seule larme roula le long de sa joue

Éveillé toute la nuit, anxieux ou calme, personne ne sait

Combattant ses propres monstres, profondément dans la prison qu'il appelle son chez soi

Toujours payé seulement en admiration et en éloges

Son âme est maintenant une manifestation de ceux déchirés par la guerre

Ne craignant rien que cette sérénade

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