Martin

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Après m’être brûlé les doigts sur le mégot de ma cigarette, je me suis perdu dans l’un des derniers souvenirs que j’ai de Nino.

Eté 1989

Un léger vent, venu de la mer, balance doucement les rideaux de la chambre du palazzo… Si je n’étais pas en train de consciencieusement nouer le préservatif que je viens de retirer, le moment serait parfait, mais je suis décidément bien plus terre-à-terre qu’on ne peut le croire à me lire…

Mon regard s’est porté à droite, vers la fenêtre, et la silhouette mince et élancée de Nino, nu, voilé du tissu diaphane.

- L'amore è dolce con te’’ avait-il murmuré vingt minutes plus tôt, me serrant contre lui, en lui…

- J’imagine’’ avais-je répondu, un peu cruellement, avant de regretter, et d’espérer, toujours un peu, le gagner à autre chose que ce dont il se contentait habituellement.

- Ma vieni dentro di me, più forte, violentemente, lo preferisco’’ avait-il susurré en me tirant en lui, son plaisir ne se satisfaisant clairement pas de mes gestes naturellement retenus.

‘Prends-moi, plus fort’. Au temps pour le déficit de compatibilité de nos sensibilités, que Gianluca évoquerait trois mois plus tard... Et qui serait confirmé, dès le week-end suivant, par son escapade en solitaire à Pescara, et son passage dans les toilettes d’une boîte sordide où, une main serrée sur sa nuque, la joue écrasée sur le carrelage, il subirait, extatique, les assauts d’un bourrin que, quoi qu’il en ait dit, il appréciera au moins autant que le pacson de coke.

Quand nous avons rejoint le fornaio, Maria nous a fourré des foccacie encore tièdes entre les mains, avant de candidement demander à quoi nous avions passé notre après-midi.

Nino lui a expliqué qu’il m’initiait aux pratiques locales… pour le roman que j’écrivais.

J’ai pleinement compris l’admiration qu’elle portait à son fils si beau, soudain devenu, par sa propre invention, le collaborateur d’un auteur, dont elle n’avait jamais lu, et ne lirait jamais, la moindre ligne.

Loin de celle de ma propre mère, qui avait consacré une longue lettre à chacun de mes deux premiers livres, pour en souligner les faiblesses, selon elle…

Les yeux de Maria avaient peut-être encore un peu plus brillé lorsque Nino s’était exclamé ‘’Oh ! J’ai une idée pour… développer… l’intrigue du récit, bien sûr’’, avec un clin d’œil limite lubrique.

Je l’ai aimé une dernière fois, avant de caler mes bagages à l’arrière de mon ridicule cabriolet de location, pour rejoindre l’aéroport de Pescara, puis Paris.

Septembre 1989

- C’est quoi, ça ?’’ avais-je demandé à Martin, un compatriote, interne à Lariboisière, que je connaissais depuis le cours moyen, en pointant l’arrière de mon épaule gauche.

- Hmmm’’ a-t-il murmuré, ‘’C’est un naevus mélanocytaire, c’est sérieux…’’

- Oh non ! Non-non-nooon, j’ai attrapé… Woputain, non !

- Hey ! Calme-toi, je rigole, ce n’est rien, c’est juste un grain de beauté.

- Mais je ne l’ai jamais remarqué ! Ce n’est pas une de ces taches de… certaines maladies, alors ?

- Certainement pas un Kaposi, non, vu que tu sembles penser à… certaines maladies acquises dans… certains groupes à risque ?

- Eh flûte ! J’aurais dû demander à un médecin qui ne connait pas ma famille ! S’il te plait, ne…

- Le secret médical, ça te parle ? Même si je ne suis qu’interne, j’y suis tenu. Sinon, c’est quoi… tes risques ?

- Quelques mecs, raisonnables et prudents, puis le dernier, cet été, en Italie, qui l’est parfois moins… Mais je me suis protégé, je te jure ! Latex, toujours ! Après, peut-être, je ne sais pas, la salive ? Et aussi, il avait plein de minuscules taches de beauté sur le torse et le dos…

Martin m’a jeté un sourire de sphinx, qui disait tout, et rien, en même temps.

- De un, trois mois, c’est trop court pour développer des symptômes, de deux, s’il se répand à tout le corps, un sarcome de Kaposi n’est pas minuscule, il a une forme irrégulière et un relief, tu m’as décrit de simples naevus. Et enfin, à ce stade de connaissance, on soupçonne très fortement que ça se transmet par le sang, particulièrement en cas de lésion qui enverrait le virus dans ton propre flux sanguin, mais quant aux autres fluides biologiques… Eh bien, tu es un peu jeune pour avoir un ulcère à l’estomac, par exemple.

- Pourquoi un ulcère à l’estomac ?

- Ben… si tu avales.

- Non ! Mais non, tu crois quoi ? Oooh, pas bon, tu vas penser quoi de moi ? C’est trop la honte…

- Calme-toi et écoute-moi, ton naevus derrière l’épaule, tu l’avais déjà en 5è, je l’avais remarqué à la piscine. Comme le second orteil de ton pied gauche qui n’est pas exactement dans l’alignement… Puis des détails plus… intimes, aperçus quand on avait joué au jeu de la biscotte que Quentin Malfroid avait dû bouffer.

- Tu avais remarqué tout ça ?

- Ça, et bien plus… Alors, à mon tour, question : le perso nommé Martin, et son amitié trouble avec le narrateur dans ton premier roman, c’est …

- Toi, évidemment, il y a plein d’indices.

- Mon père l’a lu, il n’a pas capté, lui. Note qu’il y a plein de trucs qu’il ne capte toujours pas trop, en fait…

J’ai soudain réalisé que dans les ‘autres trucs’, il y avait peut-être le fait que Martin kiffait les mecs, et peut-être moi, un peu...

- Oui, Jérémie, depuis nos douze ans, je pense, à balancer entre l’idée que tu étais hétéro inactif, ou potentiellement gay mais non-pratiquant, sinon résolument éthéré et pur... Ensuite, j’en ai substitué d’autres à l’image que je gardais de toi, je t’ai remplacé en te fantasmant…

Dans le rituel d’approche, il y a assez directement la question des affinités, ou des préférences, mais je ne l’ai même pas posée, j’ai redécouvert Martin différemment, qui aurait assez d’assurance, ou d’adaptabilité, pour s’en dispenser, lui.

- Sinon, ce mec en Italie ?’’ a-t-il suggéré, candidement.

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