Chapitre 17 : Merci, maman.

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  • J’arrive pas à croire qu’on va enfin être en vacances !

Guillerette, Éloïse, dont la tête était enfermée dans un bonnet, ne tenait plus en place. Elle ne trouva malheureusement pas la même énergie chez ses copains. Seul Chris l’accompagnait d’un air béat. Moufle contre moufle, elle continua dans sa lancée :

  • Allez, les amis ! Vous n’êtes pas contents ? Plus d’école, les fêtes, rester au chaud à la maison,...
  • Sauf que là, on n’est pas au chaud, cingla Clara dans sa grosse doudoune à fourrure, tout de blanc vêtu.
  • Les profs devraient nous ouvrir les classes, la complèta Seb, qui combattait l’hiver en piétinant sur place.

Contrairement à Judith, ce dernier n’avait rien perdu de son teint bronzé. Le sien l’avait abandonné depuis longtemps. Non plus ravie par cette idée, ainsi que par l’humidité de la cour, elle avait trouvé un moyen de sauver ses semelles. Réchauffés dans de longues bottines rembourrées, ses pieds ne touchaient le sol que de leurs pointes, assise sur les genoux de Noah. Elle lui avait enfin trouvé une utilité, à lui et ses grandes mains.

  • Toujours pas de gants ? lui envoya Noah, en caressant ses phalanges rougies.

Judith répondit en haussant les épaules, difficilement, car elles étaient enfermées dans une longue parka. Un bon mois était passé depuis que ceux qu’ils qualifiaient de copains les avaient plantés devant chez Erwan. Persuadés d’avoir contribué à les rapprocher, ceux-ci les couvraient de sourire insistants à la moindre occasion.

Une bouffée d’air glacée s’évaporait de la bouche de la rouquine quand elle leva les yeux au ciel. Son regard accroché à la fenêtre poussa le groupe à l’imiter. L’un de leur professeur les observait. Eux, ou d’autres élèves, cela revenait au même. Rejoints par un collègue, qui abordait un café, les deux hommes semblaient rire de bon cœur.

  • Je parie qu’ils se foutent de nous, renchérit Clara.
  • Ou il parle joyeusement de notre cas… dit Chris, maladroitement.
  • C’est déjà vendredi, se rappela Noah.
  • De quoi ?

Tous se retournèrent vers Judith.

  • T’es pas inquiète, toi ! s’exclama Chris. La réunion profs - élèves, ça te dit un truc ?
  • Ha. Oui.
  • Il neige, dit Éloïse, les paumes tendues vers le ciel.
  • C’est bon, on rentre ! déclara Clara. Je vais pas ruiner mon brushing pour ses vieux cons ! En plus, monsieur Colin m’a pété en français. En fran-çais ! Comme si je ne savais pas parler notre langue ! s’écria-t-elle en enfournant son sac à main trop petit pour contenir un classeur.

La torpeur de Clara les amenèrent à se hâter dans le bâtiment principal et jusqu’à la prochaine salle de classe où ils auraient cours. Chris se montrait particulièrement inquiet de cette réunion. En effet, il avait caché à ses parents des contrôles de maths désastreux qui l'amènerait sans aucun doute à être privé de sortie. Leur copine à la chevelure platine arriverait bien à duper les siens, mais elle craignait que ce ne soit pas le cas de Seb. L’histoire lui avait fait faux bon. Quant à Éloïse, elle n’avait aucun souci à se faire, au vu des notes exemplaires dans son bulletin, mais elle adorait recevoir des éloges de ses professeurs face à ses parents, ce dont Judith n’avait strictement rien à faire.

  • T’avais vraiment oublié la réunion ? plaisanta Noah, tandis qu’ils marchaient en bout de file.
  • Mes parents n’y sont jamais allés. En même temps, je n’ai aucun échec, moi.
  • Je n'en ai pas non plus !

Il écrasa son épaule contre la sienne quand elle lui tira la langue.


  • Mais quelle chance. Les miens insistent chaque année. Pourtant, j’ai des bonnes notes... Bon, là, je risque sérieusement de me prendre un savon vu que j’ai tout juste la moyenne en géo. J’entends déjà mon père : “comment tu as pu avoir eu seulement dix en géographie ?”.
  • C’est vrai ça, comment c’est possible ? le taquina-t-elle. C’est la base pour un mec de savoir se repérer sur une carte. Est-ce que tu sais dans quelle aile on est, au moins ?
  • Haha, c’est ça moque toi !

Il la tira vers lui en attrapant sa main.


  • Une sortie shopping, ça te dit ? Évidemment, uniquement pour te montrer que je sais me repérer en ville.
  • Évidemment, répéta-t-elle, en se mordant la lèvre.
  • Je t'achèterais des gants. Pour Noël.
  • Euh…

Noah serra ses phalanges froides aux siennes. Elle dévia légèrement le regard, intimidée. Des papillons se bagarraient dans son ventre.

  • C’est un date. Tu veux bien ?
  • Oui, répondit-elle, d’une si petite voix, qu’elle se demanda où était passée la Judith qui réclamait un homme. Il n’était pas si mal. Grand, beau, marrant, attentionné… Elle avait décidé de lui laisser une chance après ce qu’il s’était passé chez Erwan.

Comme une vilaine piqûre de rappel, celui-ci apparut dans son champ de vision. Le groupe freina le pas, non pas à la vision du garçon, mais du professeur avec lequel il discutait. Erwan semblait sur le point de le contredire avant de se faire couper la parole.

  • J’insiste. Au vu de tes notes, j’aimerais la rencontrer…

Judith tendit l’oreille.


  • Je comprends, mais… - Erwan lança une œillade à ses “amis” -...
  • Que faites-vous là ? s’insurgea leur professeur. Combien de fois allons-nous devoir vous le dire ? La récréation, ça se passe à l’extérieur.
  • Il neige, monsieur, rechigna Clara.
  • Oui, et les capuches ça existe, Mademoiselle. Dehors !

“Vieux con”. Clara avait juré assez bas pour qu’il ne l’entende pas. Le reste du groupe le dévisagea, affligé par l’idée d’affronter les zéros degré à l’extérieur.

Chris, cependant, se posait une question :

  • Pourquoi on lui parle plus déjà ? Je me demande s’il a des problèmes, dit-il en gardant un œil sur Erwan.
  • Parce qu’on ne peut pas lui faire confiance, répondit Noah du tac au tac.
  • Oui, mais…
  • Chris, cherche pas à comprendre.
  • C’est pas une grande perte de toute façon, dit Clara. Il est ennuyeux à mourir ce type. Hein, Ju’ ? Tu l’as toujours dit.

Au début de l’année scolaire, elle l’avait en effet évoqué. Depuis, pas mal de choses avaient changé. Elle l’avait découvert au Major et il y avait longtemps qu’elle ne s’était plus rendue à l’établissement. Son quotidien avait changé, les doigts de Noah noués aux siens. Elle remarqua la façon dont ce dernier la regardait.

  • Haha, ouais ! J’ai toujours raison, il est trop naze, ce gars !

Elle fut rassurée de découvrir le fin sourire s’établissant sur les lèvres de son potentiel futur petit copain.


***


S’ils n’étaient pas officiellement ensemble, ce n’était plus qu’une question de temps. Aux yeux de tous, Judith et Noah formaient déjà un couple. La chiante de service avait finalement accepté qu’un garçon l’approche et le play-boy avait sérieusement jeté son dévolu sur une fille. Il n’y avait pas meilleure paire que ces deux-là.

Cependant, Judith se gardait bien d’officialiser la chose. Une part d’elle-même ne voulait pas aller trop vite en besogne. Quant aux vacances, elle avait déjà tout prévu. Lorsqu’elle rejoindrait Noah en ville, elle inventerait le plus probable des bobards à ses parents : elle irait faire du shopping avec ses copines ! Ce serait une parfaite excuse pour s’échapper de cette grande baraque.

Elle amenait ses clés dans le trou de la serrure, son sac à bout de bras, quand elle constata que la porte d’entrée était ouverte. La dernière fois que cela s’était produit, rien de bon n’avait suivi. Judith eut une pensée pour Kley. Elle se demandait comment il allait. Puis, elle se rappela la manière dont il avait traité sa mère. Elle se demanda ensuite comment elle traiterait la sienne dans la même situation.

  • Ma chérie, tu es rentrée !

Accueillie par sa mère, les talons de Judith se clouèrent au tapis de l’entrée quand elle se jeta sur elle pour lui faire la bise. Toutes deux étaient faites du même gabarit.

  • Tu es là ? répondit-elle, d’un ton dubitatif.
  • Oui ! Je suis ravie, j’ai réussi à convaincre ton père de prendre plus de congés cette année ! Il faut qu’on en discute d’ailleurs…

Le ton qu’elle employa, elle le connaissait par cœur. Une déception lui pendait au nez. Judith se débarrassa de sa parka. Malgré l’hiver, elle avait opté pour une jupe. Noah n’avait pu s’empêcher de reluquer ses jambes toute la journée. Cette pensée lui fit un grand bien.

  • Dis-moi, lança-t-elle en se dirigeant vers la cuisine, le dos tourné vers sa mère.

Elle attrapa un cookie et le grignota appuya au bord du plan de travail. En face, sa mère irradiait de bonheur.

  • Pour les fêtes, ton père et moi partons à Hawaï ! Voyage offert par sa boîte !
  • Waw… Dément !
  • Oui, je sais ! Je suis tellement impatiente !
  • Donc, si je comprends bien, je serais toute seule pour les fêtes ?
  • … Judith, souffla lourdement sa mère. Ne le prends pas mal.
  • Mais non, qu’est-ce que tu racontes ? Ça va être trop chouette de fêter Noël et le nouvel an toute seule.
  • Ce sera l’occasion de le faire avec tes amis ! Tu n’es plus un bébé, tu as le droit de t’amuser.
  • Le truc, c’est que… elle fit semblant d’être pensive. Mes amis le fêtent en “famille”, eux.
  • S’il te plaît, ne fais pas ton égoïste, c’est une super opportunité pour ton père et moi.
  • Tu m’étonnes…
  • Puis, ce n’est pas tout. J’ai une très bonne nouvelle ! Étant donné que je suis en congé, cette année je t’accompagne à la réunion des parents - élèves.
  • Oh ! Mais maman, c’est super ! lança Judith, une main sur le cœur.
  • N’est-ce pas ? Je sais à quel point ça te déçoit chaque année, alors je me suis arrangée avec le travail.
  • Tu es vraiment trop gentille, souffla-t-elle, le regard serré. C’est tellement mieux que de passer les fêtes ensemble !

Sa mère perdit instantanément son sourire. Au contraire, celui de Judith continua de s’étirer.


  • C’est le plus beau cadeau que tu m’aies jamais fait, je suis trop émue, dit-elle en glissant un doigt sous son œil.
  • Je fais de mon mieux, tu sais…
  • Mais oui, c’est ça ! explosa-t-elle. Tu fais de ton mieux pour lécher le cul de papa en le suivant là-bas. Trop bien maman, tu vas te faire sauter sur la plage ! Quoi, c’est pas pour ça que tu y vas ? dit-elle face à son air dédaigneux. Pour être certaine que papa ne grimpe pas toutes les Hawaïennes qu’il croise !
  • Je le savais, dit-elle en croisant les bras. Je me disais bien que tu étais trop calme ces derniers temps. À mon avis, je n’ai pas tort de venir à cette réunion… Je vais en apprendre des belles…
  • Tu vas surtout tomber de haut, déclara-t-elle, en se décollant du plan de travail. En tout cas, tu as raison, je vais en profiter pour inviter mes amis, ici. J’espère que tu tiens à ton carrelage, ajouta-t-elle en la dévisageant de haut en bas.
  • Tu ne feras rien du tout… Judith ! Reviens ici ! Ha, c’est pas possible… Quelle plaie !

En un rien de temps, Judith avait disparu dans sa chambre où elle s’était enfermée à double tour. Elle martela le sol de ses talons avec la volonté de faire le plus grand tapage qu’elle pouvait. D’un mouvement, elle balança la première chose qu’elle trouva sous sa main : la couverture de son lit où elle se jeta la seconde d’après. Peu de temps après, elle griffonnait dans son journal intime, la rage au coin des yeux :

  • Connasse, connasse, connasse !!!

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