Chapitre 15 : Luxure.

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Tout y était : la musique dansant en arrière-plan, les chips et les cookies coincés entre des cuisses mi-nues et à moitié découverte par les minis shorts de pyjama. Les masques pour la peau accompagnaient des magazines remplis de ragots bien juteux sur lesquels débattre, et pourtant, à moitié affalée dans son lit, Judith poussa un énorme soupir.

Clara l’imita aussitôt en repoussant sa chevelure platine en arrière :

  • Comme tu dis, balança-t-elle, d’un air las.

D’un geste décidé, cette dernière mit de côté la rubrique people, et l’abandonna à son sort, au milieu de conseils vestimentaires. Elle se dirigea vers sa garde-robe, son téléphone en main.

  • Tu fais quoi ? lui demanda la rouquine, les sourcils bien hauts.
  • J'ajoute un peu de piment à cette soirée ! Parce que là, c’est franchement pas terrible.

Comme à son habitude, elle ne lésinait pas sur l’honnêteté. La franchise respective des deux filles leur vallait sans cesse des conflits. Éloïse, coincée entre les deux, appréhendait qu’une dispute éclate. Elle fut alors étonnée lorsque Judith capitula.

  • Ouais, on se fait chier, avoua-t-elle. Je comprends pas pourquoi, c’est comme d’habitude pourtant, enchaîna-t-elle, les épaules basses.

D’une mine déçue, elle observa la pointe de ses pieds dont les ongles étaient peints en bleu ciel. Dans le temps, les trois copines raffolaient de ce genre de soirées. L’idée de les inviter lui était venue au commencement d’une troisième semaine sans se présenter au Major. Tout était résumé : Judith s’ennuyait à mourir depuis qu’elle ne traversait plus la porte de l’établissement. Clara reprit de plus belle, gigotant son pouce sur l’écran de son téléphone.

  • Tu sais, c’est bien beau de nous inviter chez toi quand tes parents ne sont pas là, mais ça sert à quoi… si on ne remplit pas la maison de beaux garçons ? dit-elle en agitant l’appareil et les fossettes apparentes.
  • Oh oui, on invite les garçons ! s’exclama Éloïse, les lèvres fendues par ses adorables dents de lapin.
  • Mieux encore, on sort en boîte.

Festoyant, les deux filles se mirent à crier d’une seule et même voix. Elles étaient excitées comme des puces à l’idée d’aller danser en compagnie de leurs amoureux respectifs. Elles prévoyaient même de se servir dans les robes de Judith. Cependant, en voyant que cette dernière ne réagissait pas, la brunette l'interpella :

  • Tu en dis quoi ? Ju’ ?

Le regard cloué sur ses genoux, cette dernière ne répondit que par un battement de cils. En boîte ? De manière floue, une main se déposa sur ses rotules.

Elle sentit chacun de ces doigts les entourer.

  • Judith ?
  • Oui ! Faisons ça ! s’exclama-t-elle, en se levant d’une traite.
  • À quoi tu pensais ? demanda Clara, perplexe.
  • Ha…

Elle sourit, malicieusement.

  • Au fait que Noah ne devrait pas trop prendre ses rêves pour une réalité. Même si je l’invite à notre super soirée, il peut toujours courir pour m’avoir !

Noah n’avait en effet pas cessé de lui faire des avances au cours de ces dernières semaines.

  • Et au fait que tu ne devrais pas prendre cette robe… Elle est trop longue pour toi.

Les filles éclatèrent de rire, complices, et s’empressèrent de passer des coups de fils. Judith en profita pour replacer la robe que son amie avait initialement piochée. Celle qu'elle avait achetée en compagnie de Noah, justement. Elle en détailla le jean.

Celle-là, elle ne la porterait plus.

***

Accueilli par un roucoulement, Kley immobilisa la porte du bureau un temps de trop. Il regretta de l’avoir poussé, son regard sautant directement sur la poitrine à moitié découverte de la patronne du Major :

Galia Serova, ainsi indiquait la plaque nominative à l’entrée. Celle-ci était étendue à moitié sur la table, son tailleur défait, et son long cou en guise de bonbon aux lèvres d’un de ses collègues. Ils l'avaient croisé avec Judith lors de leur dernière session ascenseur. Le haut-le-cœur que Kley ressentit s’apparenta à la même sensation de chute.

Il voulut faire demi-tour, mais la femme le repéra aussi vite.

  • Kley, dit-elle, avec douceur et en se redressant dans les bras de son amant.

Ce dernier, massif, devait être un des rares à la surplomber entièrement. Elle était si grande, et davantage avec ses escarpins, qu’il était souvent compliqué de maintenir ses yeux dans les siens. Sans compter cette fâcheuse tendance qu’elle avait, d’écraser tout ce qui tombait dans ses prunelles claires.

  • Il y a longtemps que tu n’étais plus passée me voir… Assis, murmura-t-elle à l’égard de l’autre, ses griffes parcourant son crâne.

Hypnotisé, il se fit accroupir, d’une seule main. Loin de se cacher de son désir de domination, elle accueillit allègrement sa tête entre ses jambes.

  • Joins-toi à nous.
  • Non, je…

Elle courba l’échine, en arrière. Graduellement, elle se mit à haleter.

  • Je repasserais. Bon app, Grégor.

Dans son dos, il l’entendit soupirer, non pas de plaisir, cette fois. Galia remit en place sa longue jupe fendue.

  • Tu es un petit grincheux. Toi, tu peux nous laisser, dit-elle en repoussant l'escorte de sa paume.

Ce dernier humecta ses lèvres au moment de quitter le bureau.

Kley fit comme s’il n’avait rien vu et attendit qu’il soit parti avant de reprendre sa patronne :

  • Il n'est pas nouveau lui, pourtant, dit-il, d’un ton amer.
  • … Évaluation du personnel, répondit-elle, en haussant un minimum les épaules. Que me veux-tu ? Il est tard, enchaîna-t-elle, les traits tirés. Je m’amusais bien.

Toute séduction avait quitté son visage pour laisser place à une façade lisse et froide.

  • J’ai besoin de vous…
  • Oh ?

Il déglutit en comprenant qu’il n’aurait peut-être pas dû utiliser ces termes.

  • Maël, du Boulevard.

Elle le laissa poursuivre, appuyée, telle une tigresse, à l’avant de son large bureau. Celui-ci trônait au milieu d’une pièce réchauffée.

  • Vous savez que ce type est problématique.
  • Qu’a-t-il fait ?
  • Il a drogué l’une de mes clientes.
  • … Comment est-ce possible ? Ta cliente se serait rendue dans un autre établissement ?
  • Non, c’était… tiqua-t-il, ça s’est déroulé lors de la grande soirée de rencontre.
  • Tu as amené une cliente là-bas ? releva-t-elle, d’un ton doucement accusateur.

Kley marqua un temps d’arrêt. Il savait qu’il avait manqué de professionnalisme en l'embarquant dans ce plan.

  • Je n’aurais pas dû.
  • Elle n’aurait sans doute pas eu à se faire droguer, oui.
  • Quand même, c’est…
  • Je peux m’occuper de Maël, déclara-t-elle. À condition que tu t’occupes de ceci.

Elle pressa ses doigts au milieu de sa jupe. Un large sourire envahit ses lèvres tandis que le cadet du Major perdit en lueur.

  • Tu sais bien que rien n’est gratuit, ici.
  • Comme vous le dites, rétorqua-t-il, le regard droit.
  • … Tu arracherais la fortune à ton propre toit ? Alors que tu en rapportes si peu.

Il blêmit.

  • Tu pensais que je ne remarquerais pas ? Tous ces rendez-vous inutiles… Impertinent, tu es. Fais ce que je te dis, et peut-être que Dieu se montrera clément.*

Les joues mordues, Kley fit un pas en avant. Il se mit plaça difficilement à hauteur de sa patronne, qui avait une tête de plus. Lorsqu’elle se mit à jouer avec ses ondulations, il chassa sa main, et plaqua la sienne contre sa cuisse. Il descendit de lui-même. L’ouverture de sa jupe lui donna accès à l’intérieur de ses cuisses, où ses doigts glissèrent, bientôt mouillés.

  • Vous êtes tellement en manque que ça…

D’un geste cadreur, elle emprisonna ses joues. Elle les écrasa en l’obligeant à maintenir son regard inondé de luxure.

  • Tu sais, je pense que tu devrais travailler un jour de plus.

Ce n’était pas une suggestion, et la manière dont elle remonta sa jambe sur le bureau non plus.

***

Entourée de ses amis, Judith ne s'entendait plus dans le taxi limo. Ceux-ci criaient plus fort que la musique.

Clara, toute en beauté à côté de Seb, gloussa quand elle les reprit :

  • Mais où est passée notre fêtarde préférée !
  • C’est vrai, qu’est-ce qui se passe ? appuya Noah, qui en profita pour glisser son bras autour de son épaule. C’est pas ton genre de dire “non”.

Le manque d’espace l’empêchait de s’en débarrasser, mais les regards qu’elle lui lançait ne détrompaient pas.

  • Oh, ta gueule, Noah ! Et justement, on n'a pas besoin d’aller chercher Erwan pour faire la fête.
  • Ça va pas la tête ! s’exclama Chris, qui portait de tout petits yeux. C’est notre pote, on va le chercher !

Judith croisa les bras, marquant son mécontentement.

  • Ouais, bah, il est nul votre pote.

Des complaintes s'élevèrent dans tous les sens. Elle s’en fichait. Cela faisait plus d’un quart d’heure déjà qu’elle tentait par-dessus tout de les dissuader de se pointer devant chez Erwan pour le “kidnapper”. Judith savait très bien qu’il ne s’y trouverait pas, mais qu’il serait au Major, comme tous les samedis soirs. C’était une perte de temps. Seulement, elle ne pouvait pas leur dire, car Erwan Dice paraissait si asocial à l’école qu’il leur aurait paru impossible de ne pas le trouver chez lui.

Il était d’autant plus étonnant qu’une part d’elle-même l’imaginait leur ouvrir la porte. Noah brisa cette image à l’instant où il réapparut dans son champ de vision :

  • Tu veux pas le voir ou quoi ? releva-t-il, d’un ton sérieux.

Elle roula ses yeux dans ses orbites.

Installée au creux de son bras, elle pinça les lèvres.

  • Je veux juste aller danser, mentit-elle.
  • Bientôt, ma poule.
  • M’appelle pas comme ça.
  • Côt côt côt,...
  • T’es lourd !

La voiture ralentit pour s’intégrer dans un quartier qui ne payait pas de mine. Judith regarda par la fenêtre. En face d’elle, se présentait une maison étroite, sur deux étages, et à la façade craquelée.

  • C’est… ici ?
  • Ouais ! Viens, on va le chercher ! s’exclama Noah, en ouvrant la portière et en l’entraînant par la main.

Il n’y avait aucune lumière. C’était d’autant plus flagrant que la limo tournait devant la maison, les rires de leurs amis étouffés. Ils pensaient chuchoter de façon discrète.

  • Je pense qu’il n’y a personne, dit Judith, qui remonta sa veste en fourrure noire sur ses épaules.
  • Si, regarde.

En effet, entre les rideaux tirés d’une des fenêtres, ils aperçurent un filet de lumière. Noah se précipita pour toquer à la porte.

  • Arrête, et si ses parents…
  • C’est bon ! Je suis son meilleur pote, sa mère ne dira rien, tu verras ! Elle m’a toujours adoré.
  • Je me demande bien pourquoi.

Judith ne vit cependant rien, frigorifiée par l’air glacial. À peine vêtue, elle tournait en rond sous le portique.

  • Allez, on décampe. Il est pas là, répéta-t-elle.
  • C’est bizarre…
  • Les gars, ça vient ou pas ? s’écria Seb, à moitié sorti de la voiture.
  • Ouais, attends ! Je vais essayer de l’appeler, marmonna-t-il, il répond pas à mes messages.

Noah prit appui sur la clenche de la porte d’entrée. Son coude glissa au même instant qu’il entendit les roues de la voiture grincer. Celui d’après, Judith courait en direction de la limousine. Celle-ci foutait le camp, Clara s’appliquant à leur envoyer des baisers par la fenêtre. Ils furent suivis d’un doigt d’honneur de la part de la rouquine qui s’empressa de l’appeler.

  • C’est pas vrai ! s’écria Judith, en trépignant. Merde ! C’est quoi ce plan foireux, encore… Clara ! Pourquoi vous…

Elle écouta à peine les arguments de sa soi-disant meilleure amie.

  • Je m’en fous de rester avec lui, revenez nous chercher ! Quoi… Non… Mais ! Elle m’a raccroché au nez, la salope !

Esseulée, Judith se tourna vers la personne avec qui elle avait le moins envie d’être à ce moment-là. Noah la regardait comme une andouille. Elle le trouva même bizarre.

  • Quoi ?
  • Ju’... C’est ouvert…

En effet, elle constata la fente qu’offrait la porte d’entrée.

Judith s’approcha, intriguée.

  • Tu as essayé de l’ouvrir ?
  • Non, j’ai pas fait exprès, c’est quand je… hwaw !

Quand Noah fit un bond d’un mètre en arrière, Judith s’attacha à lui et hurla au visage cireux qui était apparu dans l'entre-porte. Une femme disgracieusement habillée s’y appuya. Respirant à pleins poumons, les deux ados la dévisagèrent comme si elle était la laideur incarnée. Son dos tendait à glisser le long du chambranle.

  • … qui…

Le regard dénué de sens, ses mèches folles se coincèrent entre ses lèvres.

Elle tituba.

Consternée, Judith en avait presque oublié Noah qui s’empressa de venir en aide à la femme qui chancelait.

  • Iza ? l’appela ce dernier, en venant la soutenir par l’épaule.

Cette dernière se contracta en deux.

  • Bleeeuuuurrghh.

Judith plaqua ses mains immédiatement sur son nez à la vision du vomi qui atterrit sur les pompes de Noah. Il se contint pour ne pas régurgiter à son tour et la lâcha. Agenouillée au sol, Iza crachait pitoyablement ses poumons.

  • Merde, lança Noah, aussi pâle qu’un fantôme. Il faut qu’on la rentre à l’intérieur… Est-ce que tu peux… ? Tu peux t’en occuper, il faut que je…

D’un geste, il montra ses chaussures souillées en essayant de ne pas tourner de l'œil. Si elle avait su qu’il était de si petite nature… Judith se serait occupée de son cas plus tôt.

Sans se faire prier, elle attrapa la mère d’Erwan par le bras. La façon dont elle chancelait lui rappela sa dernière soirée. Elles s’écrasèrent au niveau de l’entrée. Judith se vit sous celui de son fils. Il l’avait soutenu avec force. Ce qu’elle fit également pour la tirer jusqu’au hall. À gauche, se trouvait directement le salon. Il était difficile de marcher avec ce poids sur les épaules. Encore plus, entre les débris éparpillés sur la moquette imbibée de tâches dont elle ne voulait surtout pas connaître l’existence. Sans peine, Iza atterrit dans le fauteuil. Elle s’y vautra en ramassant, machinalement, une bouteille de vin au pied du canapé.

  • Ne buv…

Quelle fut sa déception en la trouvant vide. Ce n’était qu’un cadavre. Elle tira sur le goulot. Judith fut soulagée. Elle lui laissa sa bibine, espérant qu’elle soit dupée un temps. Dans un tel état, elle ne ferait peut-être pas la différence et ne s’en souviendrait certainement pas le lendemain.

L’odeur, cependant, raviva une impression chez la rouquine. Elle se rappelait vaguement avoir vomi dans l’ascenseur du Major, tout comme elle s’était vu sortir de la boîte de nuit. Depuis, les réminiscences s’étaient succédé. Les coups de chaleur dans la limousine, la friction de ses membres contre ceux d’Erwan. Elle ne l’appelait jamais comme ça. Même à l’école.

En portant son regard sur sa mère, Judith se fit la réflexion qu’elle ne connaissait que Kley, le garçon qui lui sortait par les oreilles. Qu’est-ce que tout ça signifiait ? Noah la rejoignait, en chaussettes et l’air écoeuré, lorsqu’il sembla être transporté par la même question.

  • … C’est quoi ce bordel ? dit-il, complètement retourné, en balayant le salon des yeux.

Incrédule, Judith s’apprêtait à faire de même quand un bruit fracassant la fit tressaillir.

  • C’est vide !!!

Les bras ramenés contre sa poitrine, elle regarda la bouteille brisée au sol de la même façon que son compatriote. Elle n’était pas la première à subir ce sort, raison pour laquelle Noah la tira du fauteuil pour la ramener à ses côtés.

Il portait une telle expression, Judith ne l’avait jamais vu ainsi.

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