Damien

7 minutes de lecture

Je me donne d’arrache-pied toute la semaine, je n’ai pas une minute à moi. Maintenant je sais ce que ça fait d’être ma mère, elle non plus n’a pas une minute à elle, et ce depuis que je suis né. Je m’en veux un peu de ne pas l’avoir aidé comme cela auparavant, elle a dû se sentir bien seule.

Mais je suis heureux de pouvoir l’aider, la décharger un peu de tout ce travail harassant. Je ne sais vraiment pas comment elle pouvait enchaîner sa journée d’infirmière avec les courses, la cuisine pour elle et moi, le ménage, et tant d’autres petites choses que je n’avais pas remarquées avant. Je lui suis reconnaissant d’avoir toujours fait tout ça sans se plaindre, mais désormais elle n’aura plus à faire cela toute seule.

En plus de ces horaires habituels elle repartait la plupart des soirs pour une garde supplémentaire. Nous ne nous sommes pas beaucoup vus par le fait. Ça me manque de prendre le temps de lui parler un peu tous les jours. Je sens que l’on ne va pas pouvoir continuer longtemps comme ça, il va falloir trouver une autre solution. Pour elle autant que pour moi c’est fatiguant, et je ne vois qu’un moyen de tout régler : arrêter d’aller voir ma psychologue, ou tout du moins y aller de moins en moins souvent au début avant de tout stopper.

Ma mère ne veut pas que je fasse ça, et au fond de moi je ne veux pas non plus, lui parler m’aide vraiment à comprendre mes émotions, mes réactions, etc. Mais si ça nous met dans la panade question finances ce n’est pas une bonne chose.

Un bruit de clés tournant dans la serrure m’arrache à mes pensées, ma mère rentre enfin de sa garde. Nous sommes dimanche et elle n’a même pas pu se reposer. Et dans onze heures il faut déjà qu’elle y retourne.

Quand elle arrive à un niveau où je peux voir son visage, la première chose qui me frappe c’est l’absence dans son regard. Elle est tellement éreintée qu’elle est passée en mode automatique. Je me dépêche d’aller à sa rencontre. Je l’aide à se débarrasser de ses affaire et la guide jusqu’à la cuisine où le dîner que j’ai préparé nous attend.

Elle n’a pas beaucoup touché à sa nourriture, elle n’a pas dit un mot du repas. La garde d’aujourd’hui a dû être éprouvante émotionnellement.

– Tu peux aller te reposer dans ta chambre maman, je m’occupe de débarrasser, dis-je.

– Merci, grommelle-t-elle en guide de réponse.

Je la regarde s’éloigner dans le couloir, j’ai l’impression de voir le fantôme de ma mère. Je suis très inquiet et décide d’envoyer un message à Chris pour lui demander si lui sait quelque chose. Sa réponse est la suivante :

(dessin sms Chris : Apparemment, une des patientes dont ta mère s’occupait, et de qui elle était devenue proche, est morte aujourd’hui…

N’hésite pas à m’appeler si vous avez besoin de quoi que ce soit, d’accord ?)

Ce doit être terrible pour elle, je n’imagine même pas ce qu’elle ressent. Après avoir débarrassé et fait le vaisselle je nous prépare de la tisane. Je ne peux pas la laisser souffrir seule, alors je la rejoins dans sa chambre.

(dessin mugs)

Je la trouve allongée sur son lit, encore habillée, les yeux grands ouverts mais le regard vide. Je m’assois à côté d’elle et pose sa tisane sur sa table de nuit, en espérant que l’odeur la sorte de son coma.

Au bout de quelques minutes elle se redresse et prend a tasse entre ses mains. Elle ouvre la bouche, et un flot de paroles sans déverse. Je la laisse parler, je l’écoute, c’est ce dont elle a le plus besoin en cet instant. Elle me parle de leur rencontre, de leur complicité grandissante, et de la fin. Une fois fini son récit elle éclate en sanglot et vient se lover dans mes bras. Je la rassure du mieux que je peux.

Sa respiration se calme mais elle ne se détache pas de moi. Quand je regarde son visage je me rends compte qu’elle s’est endormie sur moi, elle devait être crevée, autant par le boulot que par tant d’émotions. Je l’installe correctement sur son lit, remonte la couverture sur ses épaules et quitte la pièce sans un bruit.

J’imagine mal ma mère aller au boulot demain dans cet état, alors je décide d’appeler son patron pour lui signaler son absence.

– Allô ? demande la voix au bout du fil.

Je n’ai même pas eu à attendre, il a décroché au bout de la première sonnerie.

– Oui bonsoir, c’est le fils d’Alicia.

– Oh, salut jeune homme, que puis-je faire pour toi ? reprend-il avec une voix plus douce.

– Je vous appelle pour vous prévenir que ma mère ne viendra pas demain, elle n’est pas en état, je réponds, sans hésitation.

– Oui, d’accord, je comprends. Dis-lui qu’elle prenne autant de temps qu’elle a besoin, il n’y a pas de soucis de mon côté, dit-il, compatissant avec la peine de ma mère.

Je la remercie et raccroche, soulagé et reconnaissant envers son patron.

Avec tout ça il commence à se faire tard. En voyant l’heure qu’il est, 22h00, je pense à Angel. Tout au long de la semaine mon inquiétude à son égard n’a fait que s’accroître. Angel est toujours aussi peu expressif. On continue de se parler tous les soirs mais ce n’est plus la même chose. On dirait que quelque chose lui a volé son enthousiasme de vivre.

Je ne veux pas rester comme ça, s’il souffre, de quoi que ce soit, je ne veux pas qu’il soit seul là-dedans. Alors je rassemble mon courage et lui envoie un message pour lui demander ce qu’il ne va pas. Malheureusement il n’est pas encore exactement l’heure où il peut répondre, je dois donc attendre, ce qui ne fait qu’augmenter encore plus mon inquiétude.

Aux alentours de 22h30 je reçois enfin une réponse :

(dimanche 8 mars 22h36)(dessin message Angel : Salut Dam. Tu as raison, ça ne va pas fort en ce moment. Je dois t’avouer quelque chose et ça ne va pas être facile. En rentrant samedi, après notre première rencontre, mon père m’a frappé. Pour tout te dire, ce n’était pas la première fois. (Je vais t’expliquer ça en plusieurs messages, ne m’interromps pas s’il te plaît)).

Je n’en reviens pas de ce que je viens de lire. Son père l’a frappé. Je… je ne sais plus comment réagir, je ne m’attendais pas à ça. Je fais ce qu’il me dit et attend la suite.

(22h38)(dessin message Angel : Pour te donner un peu plus de contexte : nous sommes une fratrie de trois : mon grand frère Elias, ma grande sœur Louise, et moi le petit dernier. Elias est le portrait craché « fils à papa », mon père l’adore et veut qu’il devienne membre de l’entreprise familiale. Louise, c’est différent, mon père a toujours voulu pouvoir contrôler son unique fille, mais suite à un accident il la laisse à peu près tranquille. Et moi, le fils qui a toujours tord, qui ne fait jamais ce qu’il faut, etc.)

(22h41)(dessin message Angel : Du plus loin que je me souvienne, il a toujours pu me frapper à sa guise, ma mère intervient rarement car, selon elle, mon père a toujours de « bonnes raisons » pour me frapper. Hormis cela, il essayait de toujours avoir du contrôle sur moi, je n’ai pas une minute à moi, il me donne toujours des choses à faire pour être sûr de savoir où je suis et ce que je fais. Ces derniers temps, à cause des problèmes avec l’entreprise familiale, il a un peu relâcher tout ça, c’est pour cela que j’ai pu venir te voir samedi. Mais en rentrant … Disons qu’il n’a pas apprécié ma petite escapade et que j’en ai payé le prix fort.)

(22h43)(dessin message Angel : Il a dû se passer quelque chose pour qu’il reprenne du poil de la tête car ça a continué toute cette semaine, et ce n’est pas près d’arrêter je pense. Il s’en prend à moi, autant physiquement que verbalement, pour un rien, il est vraiment tendu. De plus, maintenant j’ai un traceur GPS sur mon téléphone. Quand il y a besoin ma sœur me soigne, etc. donc tu n’as pas de soucis à te faire à ce niveau là. Je ne te dis pas tout ça pour que tu t’inquiètes, je voulais juste être sincère avec toi, je me sentais mal de te mentir, alors voilà.)

Il me parle enfin de sa famille, de son père, de ce qu’il se passe chez lui. Je comprends mieu maintenant : les heures auxquelles il peut parler, le déguisement, et son comportement de ces derniers jours. Mais le seul sentiment que je ressens en ce moment c’est de la colère. Je n’arrive pas à croire qu’il n’en a parlé à personne, qu’il ne m’en a pas parlé.

Je comprends qu’il ne voulait pas m’inquiéter mais là, là ce n’est pas possible. C’est impossible que je reste sans rien faire sachant maintenant ce qu’il se passe. Je reste un instant immobile sur mon lit avant de lui répondre :

(22h51)(dessin message Damien : Je n’en reviens pas que tu ne m’en parles que maintenant…

Tu ne peux pas espérer me dire ça et que je ne fasse rien ensuite. Tu ne peux pas rester comme ça, ça va continuer, et ça… Ça ce n’est pas possible)

(22h55)(dessin message Angel : Désolé…

Je sais que ce n’est pas bon pour moi de rester dans cet environnement. Mais je ne peux pas partir, je ne peux pas le dénoncer, ce serait encore pire pour moi après.)

Je ne peux pas laisser passer ça… Comment je peux laisser quelque se faire maltraiter par son père sans rien faire ? Je dois faire quelque chose. Mais je ne peux pas le faire sans son accord. Un râle s’échappe de mes lèvres. Cette situation m’énerve.

Avant de m’en prendre à Angel je pose mon téléphone et essaye de me calmer. De toute façon je n’arriverais pas à m’endormir après ça.

Pour comprendre ce que je ressens je vais devoir en parler à ma psychologue demain.

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