Chapitre 15 : Gypse

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Joshua essaye de garder le rythme. La colère qui anime Juni la fait marcher rapidement et le garçon peine à suivre. Surtout à cause de la malchance de Lucky-Licky qui rend les pavés glissants. Joshua a déjà manqué de tomber à plusieurs reprises quand ils arrivent au petit mur de pierre qui sépare le chemin et la clairière derrière la maison de Tara. Juni, le visage encore renfrogné, l’enjambe sans difficulté. Joshua y va plus prudemment mais l’une des pierres se dérobe sous ses pieds. Il dégringole tête la première dans l’herbe molle. Le visage enfoncé dans le sol, il entend à peine les mots de Juni.

— Ne bouge pas et ne fais pas de bruit, surtout.

Il lève les yeux et la regarde. Juni fait un signe à Res et toutes deux se dirigent vers le centre de la clairière. La jeune femme s’arrête brusquement et se tient le ventre. Joshua a l’impression qu’elle va vomir. Res se met en position de chasse, les oreilles baissées, et ne quitte pas sa protégée des yeux.

— Ca… ça va, Juni ? demande-t-il timidement.

Elle lui fait signe que tout va bien et se redresse, caresse la tête de la louve puis reprend son chemin. Elle marche d’un pas décidé jusqu’à la parcelle de terre labourée que Joshua a remarquée ce matin et soupire. Agacée, elle tape la terre du pied et attend. Il ne se passe rien. Elle réitère, un peu plus fort. Une vibration sourde se fait sentir. Le sol souffle et s'effondre mollement. Joshua a un mouvement de recul quand la terre se met à onduler.

Et à se soulever.

Juni s’écarte, fait un signe de main à Res et la louve contourne l’amas de terre en mouvement. Puis elle attend, en position basse. Joshua regarde alors, les yeux écarquillés, une énorme masse s’extirper du sol. D’abord un bras, puis deux, puis un corps recouvert d’herbe, de terre et de roches qui tombent. La créature s’élève et se dévoile enfin.

Le bjergtrolde de Stuttgart.

Joshua sent la peur le gagner. Il veut s'enfuir mais encore une fois, il est paralysé par d’obsolètes reflexes profondément enfouis dans son cerveau qui lui assurent que s’il ne bouge pas, le prédateur ne le verra pas.

Impuissant, il regarde le géant devant lui. Le troll est bien plus grand que ce qu’il imaginait ! Un goliath puissant et terrifiant aussi haut que les maisons du village. Son corps élancé, duquel partent deux jambes et deux bras épais comme des troncs, donne l’impression d’être mal proportionné. Sa tête est minuscule, mais pourvue d’oreilles immenses et d’un nez démesuré. Le monstre s’ébroue pour se débarrasser des débris qui le recouvrent et Joshua remarque qu’il a une courte queue. Il ne se souvient pas avoir vu ce détail dans l’encyclopédie. Le bjergtrolde est pourtant un grand favori de l’Académie, étant le seul alterbiote humanoïde répertorié jusqu’à présent. Une autre chose que l’encyclopédie a manqué de préciser : le troll a la peau grise tachetée de marron, un peu à la manière des motifs de camouflage militaires.

Visiblement en colère, le troll cherche des yeux celui - ou celle, dans le cas présent - qui l’a dérangé et voit Juni. La jeune femme qui s’est un peu éloignée semble ridiculement petite en comparaison. Elle a aussi l’air tendue, et cela inquiète Joshua. Le troll attrape une motte de terre et la lance sur Juni, qui l’évite de peu mais trébuche. Res accourt mais Juni, d’un signe de la main, lui dit de ne pas bouger. La louve répond à l’ordre en une demi-seconde et se fige, alerte et prête. Juni se relève et souffle, prête à esquiver une nouvelle attaque du troll. Le géant grogne et lève un poing.

Il se met à courir.

Chaque pas fait trembler le sol et résonne dans la forêt. Joshua ne sait pas si les chocs qu’il ressent sont causés par la créature ou par son cœur stimulé par un trop plein de terreur. Il s’apprête à crier à Juni de partir quand il voit l’énorme poing foncer vers la jeune femme. Le choc est terrible et fait exploser le mur de glace de Res qui est apparu juste devant la jeune femme. Juni profite de ce moment pour faire une succession de signes à Res. La louve saute sur le dos du troll encore surpris par la douleur froide dans son poing. En moins d’une seconde, elle arrive à sa tête et referme les crocs sur l’une de ses oreilles.

Le troll pousse un cri de douleur. Joshua le voit relever les épaules et tenter de repousser la louve de ses mains, mais la louve mord de plus belle lorsqu’elles s’approchent un peu trop près. Au bout de quelques secondes, le troll s’avoue vaincu et ne bouge plus. La tête penchée sur le côté et les bras repliés près du torse, il fait presque peine à voir. Juni se place devant lui et le regarde.

— Tu sais que tu ne peux pas être là. Je t’avais déjà averti, lui dit-elle.

Elle lève un bras, indique la forêt puis penche la tête, comme pour attendre une réponse. Le troll fronce les sourcils, grommelle quelque chose puis semble acquiescer. Res libère l’oreille et descend avec grâce.

— Allez, pars ! dit Juni.

Le troll grogne une dernière fois. Il lance un regard noir à Res en se grattant l’oreille, puis se dirige lentement vers les arbres. Il en arrache un qui lui bloque le passage puis le jette à côté de la louve avant de s’enfoncer dans la végétation.

Joshua, la respiration courte, n’a pas perdu une miette de la scène. Il ne sait pas s’il est terrifié ou impressionné par Juni. Il se souvient de Tara qui lui disait que les animaux n’attaquent jamais Juni, mais le troll a bien failli la blesser sérieusement.

Juni soupire et se dirige vers Joshua.

— J’aurais pu me passer de cette rencontre, dit-elle alors en montrant ses mains qui tremblent. Il m’a fait peur, cet idiot. J’aurais dû attendre la fin de sa sieste pour lui parler au lieu de le réveiller comme ça, il serait parti sans faire d’histoires. Mais Siwen m’a enervée et j’ai laissé mes émotions me guider. Je n’aurais pas dû...

Joshua se souvient alors de la respiration qu’il avait ressenti sous le sol matin-même. Ce n’était en fait pas celle de la Terre.

— Il aurait pu me bouffer, dit-il à Juni qui le rejoint. Il aurait pu me bouffer ! Je suis venu ici ce matin !

— Si, même avec la malchance de Lucky, il ne t’est rien arrivé, c’est que tu ne risquais rien, répond-elle. Il m’a attaqué uniquement parce que je l’ai cherché. Et ce n’était pas pour me blesser, mais juste pour me faire comprendre que je l’avais dérangé.

Joshua sait qu’il devrait se sentir rassuré, mais encore une fois, il ne l’est pas du tout. Il tourne la tête vers la forêt et écoute les pas lourds du troll se dissiper au fur et à mesure qu’il s’éloigne.

— Il… Il est terrifiant. Et je savais pas qu’il était ici, je pensais qu’il était à Stuttgart.

— Il voyage… Il revient ici à cause des villageois qui lui donnent souvent à manger, explique Juni. Le problème, c’est qu’il attire l’attention des médias et risque un jour de compromettre notre cachette.

— Les licornes aussi, elles attirent les médias. Pourtant elles étaient là, ce matin, l’informe alors Joshua.

Juni se retourne et le regarde, exaspérée.

— Elles sont revenues, elles aussi ?! Il faut que je les fasse partir. Le troll peut passer inaperçu en forêt grâce à son camouflage, mais les licornes...

Juni regarde autour d’elle et semble chercher quelque chose.

— Attends-moi, j’en ai pour une seconde, dit-elle en se dirigeant vers un gros fourré.

Juni disparaît dans les feuillages, laissant Res et Joshua seuls. Après quelques secondes de silence durant lesquelles Joshua se demande si elle n’est pas tout simplement allée aux toilettes, un bruissement se fait entendre. Juni sort du buisson, suivie de trois petits renards blancs qui sautillent et jappent autour de la jeune femme. Le pelage sombre autour de leurs yeux donne l’impression d’une fente noire lorsqu’ils les ferment.

— Les licornes étaient vers où ? demande Juni à Joshua du bord de la clairière.

Il lève un doigt vers la forêt. Juni s’accroupit et parle aux renards qui l’écoutent attentivement. L’un d’eux se change en serpent. Juni acquiesce puis le serpent redevient un renard. La jeune femme leur caresse le museau et, chacun leur tour, ils déguerpissent dans la forêt.

— Dis-moi, il y a des alters dans absolument tous les arbres et buissons de cette forêt ? demande Joshua alors que Juni revient vers lui.

— On est dans la Zone Rouge, répond-elle en haussant les épaules.

Elle invite Joshua à le rejoindre. Ils descendent dans le gros trou laissé par le troll. Joshua glisse sur une empreinte de pas givrée de Res. Il dévale le reste de la petite pente sur les fesses.

— Est-ce que les renards vont manger les licornes ? demande-t-il pour dévier l’attention de Juni de la chute ridicule qu’il vient de faire.

— Non, juste leur faire peur. Elles détestent les serpents. Leur forme leur rappelle les concombres, dont elles ont la phobie.

Joshua a envie de dire qu’il serait alors plus logique qu’ils se changent en concombre, mais il imagine qu’il est plus facile de se mouvoir en étant un serpent. Alors que Juni continue d’inspecter le trou, Joshua passe en revue tous les alters qu’il a vus depuis son arrivée dans ce village de fous. Hydre vorace, poule noire obsédée, chats moches - ah non, ce sont des animaux normaux - troll géant, renards polymorphes, chevaux cornus et louve de glace… Quelle ménagerie surnaturelle. Joshua est né dans un monde de monstres, il devrait trouver ça normal, mais il n’y parvient pas. Il pense à ses parents, qui étaient adultes lors de la Collision. Le choc a dû être perturbant pour eux...

— Juni, est-ce que tu sais d’où ils viennent, les monstres ?

Juni s’arrête. Elle regarde Joshua sans bouger puis, après quelques secondes, hausse légèrement les épaules.

— D’ici... répond-elle.

Juni reprend son inspection. Joshua a l’impression qu’elle ne veut pas aborder le sujet.

— Non mais avant d’apparaître dans la Zone…, insiste Joshua.

— Ils ont toujours existé.

Joshua sourit discrètement. Il savait bien qu’il allait avoir une réponse avec Juni. Il choisit ses prochaines questions avec prudence et précision.

— Pourquoi on les a jamais vus avant la Collision alors ? Et pourquoi ne sont-ils qu'ici ?

Juni le regarde. Elle ne veut pas parler, Joshua le sent, mais elle se résigne et répond.

— Ils ont été vus avant, on parle d’eux dans les mythes du monde entier. Ils étaient partout, comme les autres animaux. Ils étaient bien plus rares que les animaux communs, mais marchaient à côté des hommes. Et si on les a de moins en moins vus, c’est parce qu'ils ont été massacrés.

Joshua a un mouvement de recul. Massacrés ?

Il déteste les monstres, mais le mot lui fait mal. C’est pourtant quelque chose qu’il a souhaité. Que les monstres disparaissent… Qu’ils meurent comme sa famille est morte… Il sent un conflit prendre forme en lui. Les monstres sont mauvais. Ils sont dangereux, comme le troll, comme l’Undamortis. Ou comme Res qui l’a... protégé de la poule noire ce matin. Joshua regarde au sol, perdu dans ses pensées, les sourcils bas. Il a raison, non ? Les monstres représentent bien un danger ?

— On les a tués parce qu’ils sont dangereux ? demande-t-il alors à Juni.

— On les a tués à cause de la peur et de l’ignorance. Les hommes ont préféré éliminer ce qu’il ne comprenait pas au lieu d’essayer de comprendre. Mais surtout, ils ont été exterminés à cause des guerres de religion.

Joshua ne comprend pas. Il n’a pas une connaissance étendue des religions, n’ayant été exposé qu’à la Bible par sa famille et au Coran par la famille de Karim et Djam. Pourquoi les religions auraient-elles décimé les monstres ? Juni répond avant que la question ne soit posée :

— Chaque grande religion a d’abord grandi dans son coin. Partout sur Terre, il y avait des tribus plus ou moins imposantes d’hommes et de femmes, isolées et enfermées dans leurs idées. Quand les explorateurs les ont reliées, les religions sont entrées en conflit et certaines ont voulu pretendre être la seule légitime. La possibilité de plusieurs dieux était inacceptable, et aujourd’hui encore. Accepter que les monstres de la mythologie grecque côtoient ceux de la Bible ou du folklore égyptien serait revenu à accepter que les divinités de chaque religion existent. Que l’idée du dieu unique est fausse. Et plutôt que le dialogue, certains hommes de foi ont choisi l’épée et ont éliminé ce qui ne leur donnait pas raison. Ils ont tué les monstres. Et au fur et à mesure que ceux-ci disparaissaient, il devenait de plus en plus facile pour les historiens - des croyants - de les ignorer. Les siècles ont passé, on a commencé à omettre qu'ils avaient vraiment existé, puis à les oublier... Et leur Histoire est devenue mythe.

Joshua se sent dépassé. Il n’avait jamais pensé que les hommes des dieux ne s’entendaient pas entre eux. Est-ce que ses parents et ceux de Karim se détestaient secrètement à cause de leurs croyances ? Ils avaient pourtant toujours été en si bons termes...

— Quand il est devenu évident qu'ils allaient s'éteindre pour de bon, un groupe de personnes a décidé de les protéger à tout prix. Des individus qui semblaient faire des miracles - comme les monstres - et que l’on a aussi rejetés à cause de leur différence.

— Ce groupe, c’était vous ? Les douze ? demande Joshua.

Juni sourit et continue de caresser Res.

— C’était bien avant ma naissance, mais oui, c’était nous et les personnes qui nous ont protégés alors que le reste du monde voulait notre mort. Menés par Ekimwe, ils ont construit les Villages partout dans le monde, et Mesonimbé. Pour y accueillir les monstres, humains ou bêtes, et leurs alliés.

Joshua écoute attentivement. Il ressent alors une immense sympathie envers les habitants d’Eigenlicht. Ces gens aux horizons si différents mais unis par leur bienveillance.

— Le jour où Meso était prête, et alors qu’il devenait de plus en plus difficile de rester caché ou anonyme sur la planète, ils l’ont faite s’envoler, continue Juni. Moi, j’ai eu de la chance car je suis née là-haut. Mais les autres ont dû vivre dans un monde qui ne les acceptait pas tels qu’ils étaient. Eono a vécu sur une île minuscule sans pouvoir se cacher. Siwen est née en plein centre du monde et la moindre faute d’inattention l’a obligée à fuir et prendre de nouvelles identités pour survivre. Mon père a fait la même chose.

Joshua se souvient des mots d’avertissement d’Eono lors du retour du cimetière. Un jour, quelqu’un découvrira ta couleur. Et il avait ajouté qu’il ne voulait pas que Joshua vive la même chose que lui. Il a un léger pincement au cœur en repensant à son faux infirmier.

— Comment vous y êtes vous pris pour faire voler toute une ville ? demande Joshua, soudainement intéressé par la logistique d’une telle entreprise. Il s’imagine un amoncellement de maisons fixées à des ballons d’air chaud et reliées les unes aux autres par des ponts de corde.

— Grâce à l’Unité, répond Juni en époussetant une grosse pierre sur laquelle elle s’assied. Res la contourne, s’allonge à ses côtés et pose sa tête sur les genoux de la jeune femme. Joshua s’assied sur un petit tas de terre qui s’écrase légèrement sous son poids.

— L’Unité, c’est un ensemble de préceptes pour assurer notre cohésion. C’est travailler ensemble. Unir nos forces pour dépasser nos limites, explique Juni. Faire un dégradé en mélangeant nos couleurs, si tu veux.

Joshua hoche la tête et pense aux médaillons, fabriqués par deux d’entre eux à chaque fois.

— C’est aussi la promesse de n’utiliser nos dons sur l’un des nôtres qu’avec leur autorisation.

— Oh… C’est pour ça que Tara m’a demandé si je l’autorisais à me soigner ? demande Joshua. Juni acquiesce.

Puis il repense à quelque chose qui le chiffonne.

— Mais alors, pourquoi Kan fouille dans ma tête sans me demander ?

— Elle ne t’a pas immunisé contre ses rêves ? demande Juni, visiblement étonnée.

— Elle a dit qu’elle allait le faire quand je serai prêt, mais il n’empêche qu’elle ne me demande jamais l’autorisation…, répond Joshua. Une autre question pointe dans son esprit.

— Et vous faites comment si quelqu’un vous attaque ? Vous demandez l’autorisation de vous défendre ?

— On ne s’attaque pas entre nous, répond Juni.

— Mais Eono a... commence Joshua. Le prénom fait réagir Juni.

— Eono a brisé l’Unité. Il a ignoré tous nos préceptes ce jour-là, même le plus important de tous, dit-elle amèrement. Le serment de ne pas détruire alors que nous en avons la capacité.

La colère et la tristesse dans la voix de Juni font regretter à Joshua d’avoir parlé d’Eono. Juni se lève et s’approche de Joshua.

— Quand tu rencontreras Ekimwe, et qu’il confirmera que tu es l’un des nôtres, tu devras promettre de respecter l’Unité, lui dit-elle d’un ton ferme.

Joshua acquiesce. Il n’a nullement l’intention d’attaquer qui que ce soit et se demande ce qui a bien pu pousser Eono à s’en prendre à Lalima. Il a dû se passer quelque chose de grave. Quelque chose d’assez important pour le pousser à transgresser les lois qu’il a aidé à établir.

Joshua sent le vertige le gagner. Il y a tellement de choses à apprendre sur ce nouvel univers. Dans un sens, Monsieur Bataille avait raison. Les monstres ne sont que les messagers, ils annoncent un changement. L’écufeuille - le mot résonne dans l’esprit de Joshua avec la voix de Karim - est arrivé dans la vie de Joshua et quelques jours plus tard, le changement a eu lieu : l’Undamortis mettait fin à son monde. Le monstre a décidé que le cycle devait se terminer et il s’en est assuré en lui prenant sa famille. Saleté d’animal.

Saletés de monstres.

Joshua pousse un soupir tremblant et Juni le regarde, tracassée.

Saletés de monstres...

— Ils te font si peur que ça...

Joshua la regarde et se rend compte qu’il est en train de répéter saletés de monstres à voix basse, et non dans sa tête. Il acquiesce.

— C’est… à cause de l’Unda ?

Joshua ferme les yeux. Il ne veut pas se souvenir de cette pourriture.

— C’est… Ca date d’avant, répond Joshua en repensant à ce que sa mère n’a jamais vraiment voulu leur raconter sur son passé. Et l’accident avec l’Undamortis n’a pas amélioré les choses.

Le visage de Juni se teint d’une compassion qui frôle la culpabilité.

— Tu sais, commence-t-elle alors, les alterbiotes ne sont pas tous dangereux. Ou mauvais. Les monstres inoffensifs sont même majoritaires. Je sais que ce n’est pas facile quand on est la victime, mais il faut savoir faire la différence. Les amalgames sont dangereux et...

— Ils sont pas normaux, lui répond Joshua sans la laisser terminer.

Il se sent bouillir intérieurement. Il ne veut pas en parler. Il ne veut pas avoir cette conversation. Juni ne semble pas comprendre. Les sourcils bas, elle regarde le garçon et hausse légèrement les épaules.

— Ils… ils sont pas naturels, continue Joshua.

— Ils font partie de la nature, ils sont naturels.

— Les animaux normaux n’ont pas de… de… de pouvoirs magiques bizarres !

La colère dans la voix de Joshua ne parvient pas à cacher sa peur et sa douleur.

— Des pouvoirs magiques bizarres comme les miens ? Et comme les tiens ?

Joshua se fige. Juni s’approche de lui, lentement. Son visage est plus sévère qu’il y a encore quelques secondes.

— Joshua, commence-t-elle. C’est à cause de ce genre de pensées que les gens comme moi et les alterbiotes ont été chassés et massacrés ces derniers millénaires. Nous sommes des monstres aux yeux des autres. Et tu es l’un des nôtres, maintenant. Quelqu’un d’anormal. De dangereux. Un blasphème, un affront, une honte. Tu comprends ce que j’essaye de dire ?

Joshua absorbe les mots, puis fait oui de la tête.

— Est-ce que tu penses que ces mots seuls suffisent à te définir ? A définir qui tu es, toi, Joshua ?

Joshua fait un non vif de la tête.

— Et est-ce que tu penses que ces même mots suffisent à définir les alterbiotes ?

Joshua ne bouge pas. Il ne sait pas quoi répondre. Ni quoi penser. Une minuscule partie de lui sait que Juni a raison. Le reste préfère encore la zone de confort du préjugé hypocrite. Ils sont dangereux. Joshua n’est pas dangereux. Joshua n’est pas… Puis il se souvient de l’hôpital à moitié détruit par la terre qui s’ouvre. Et de l'implosion. Le coeur de Joshua s'effondre sur lui-même et le garçon regarde le sol, penaud.

Il ne vaut pas mieux que les monstres.

Il entend Juni se lever et s’approcher. L’air s’est soudainement rafraîchi et Joshua comprend que Res est juste à côté.

— Caresse-la, dit Juni.

Joshua lève le nez et croise le regard de Juni. La jeune femme lui montre la louve.

— Il faut que tu cesses d’avoir peur du monde auquel tu appartiens désormais. Alors, caresse-la.

Joshua prend peur et sent sa peau commencer à vibrer. Il regarde Res, la louve au regard bleu. Sa fourrure, blanche strillée de gris à certains endroits, est une avalanche qui coule et l’enveloppe. Joshua hésite mais tend la main. Lentement. Il sait qu’elle ne va pas l’attaquer. Mais il a peur. Ses doigts le picotent mais il continue de tendre le bras. Il est si près du museau qu’il sent la respiration glacée. Encore un petit centimètre et… Res recule. Et part s'asseoir un peu plus loin.

— Mais…, lâche Joshua, presque offusqué.

Juni émet le plus petit des rires et tend la main au garçon.

— Allez, enlève tes chaussures, dit-elle alors. On va commencer l'entraînement.

Joshua la regarde, interdit. Il veut savoir pourquoi Res n’a pas voulu être caressée, mais il se lève et regarde le sol. La terre est humide et il n’a pas très envie d’y être pieds nus. Il pourrait y avoir des vers de terre qui se glisseraient entre ses orteils. Mais il obéit et retire chaussures et chaussettes sans broncher. Ses pieds s’enfoncent légèrement dans la terre. C’est loin d'être aussi désagréable qu’il ne l’imaginait.

— Ferme les yeux, maintenant, dit Juni en se plaçant devant lui. Et essaye de ne pas penser à tout ce dont nous venons de parler. Laisse ta tête se vider.

Facile à dire. Joshua est encore bousculé par la longue conversation qu’ils viennent d’avoir. Mais il joue le jeu et fait l’effort. Il imagine que son cerveau est un seau rempli de mémoires et d’émotions. Il perce un petit trou au fond et attend qu’il se vide.

— Focalise-toi sur ce que tu ressens tout de suite, à cet instant précis. Autorise tes autres pensées à traverser ton esprit mais ne leur porte pas d’attention.

Joshua se concentre. Il essaye de ne pas penser, mais chaque cri d’oiseau, bruissement de feuilles et craquement de branches est accompagné d’images. Néanmoins, le seau continue de se vider. Petit à petit. Goutte par goutte.

— Ecoute sans identifier, sans interpréter, sans juger, murmure Juni. N’essaye pas de donner un nom à ce que tu vas entendre ou ressentir. Imagine juste que tu es un… microphone et que tu dois seulement enregistrer tout ce qui t’entoure.

Joshua prend une respiration et comprend. Il ne doit pas écouter ou regarder, mais entendre et voir. Recevoir les informations. Entendre les bruissements sans supposer qu’il s’agit de vent dans des feuilles, les grincements sans se dire que quelqu’un vient d’ouvrir un volet rouillé.

Et respirer.

Accepter le poids de son corps sur lui-même. Et sentir la lumière argentée des fils qui dansent, sans se demander d’où ils viennent ni où ils vont. Juste savoir qu’ils existent et qu’à leurs côtés coule la force douce et puissante de Lalima.

Et respirer encore.

Laisser ses couleurs se dévoiler. Les laisser envahir ses bras, ses mains, son coeur, son ventre, ses jambes et ses pieds. Savoir que la bia s’attache à la terre humide en contact avec sa peau et voir les innombrables fibres s’illuminer et se mouvoir au rythme d’un souffle lent et colossal, en un spectacle grandiose plus grand que tout ce que Joshua peut imaginer.

Et...

— Mon dieu, murmure Joshua. Je vois… trop...

— Tu commences à tout voir, le corrige Juni. Maintenant que tu as laissé les choses venir à toi, tu peux les observer.

Juni prend une respiration puis commence à marcher lentement autour de Joshua.

— Observer l’effet que ce qui t’entoure a sur toi. Par exemple, quand je laisse venir les sensations jusqu’à moi, je sens chaque créature vivante autour de moi, explique Juni à voix basse. Je ressens leur proximité. C’est comme un pincement dans l’espace, comme un appel...

Un appel. Joshua prend conscience que le sol l’attire vers lui. Il se sent ancré.

— Je ressens les muscles glisser sous leur peau... continue la jeune femme.

Joshua regarde les fils s’enfoncer dans le sol et illuminer des frictions, loin, loin sous ses pieds. Il entend les roches s’éloigner et s’approcher. Une mosaïque de montagnes, de vallées, de fosses...

— J’entends le sang circuler dans leurs veines, dans leurs artères, dans leurs blessures...

Le grondement des flots emplit l’esprit de Joshua et les veines du monde pulsent autour de lui. Les lacs souterrains dorment, les mers enflent et les rivières percent la terre en geysers et cascades.

— Je sens leur respiration...

La terre s’enfle et se contracte. Le mouvement est lent et imperceptible mais puissant et inarrêtable, grandiose et sublime. Inexorable. Joshua sent son souffle accélérer. Tout bouge, rien n’est figé.

— J’entends leur coeur.

Un chaos de feu, de lave, de puissance et de métaux écrasés par la démesure d’une planète répand sa chaleur à travers les failles, les couches, les plaques. Jusqu’aux volcans qui hurlent et relâchent leur puissance dans un grondement phénoménal aveuglant.

— Je vois leur vie.

Les yeux fermés Joshua voit la planète. Sa planète. Il sent l’odeur des terres, le goût des mers et des océans, les chants des métaux, les cris des cristaux. La chaleur des laves et la fraîcheur des sommets, tous liés à son coeur par d’innombrables fils de soie légers qui partent de sa peau et le connectent à la Terre. Submergé par des sensations qu’il ne connaissait pas, Joshua sent son coeur accélérer et son souffle s’emballer. Aucune peur, ni angoisse, mais un débordement d’amour qui s’exprime par une larme sur sa joue.

— Juni... murmure-t-il, la gorge serrée, alors que la terre commence à trembler autour de lui.

— Respire, ne laisse pas les émotions t’envahir. Deviens un fantôme qui ne peut pas toucher et que l’on ne peut pas toucher.

Joshua se calme et le tremblement s’atténue. Concentré sur sa respiration, il laisse les fils continuer de s’immiscer dans le monde qui l’entoure.

— Maintenant que tu vois, altère quelque chose, termine Juni.

Joshua laisse les fils de soie guider ses mains et il détecte les montagnes qui cachent le village d’Eigenlicht. Il s’approche et reconnaît la forêt et les deux rivières qui dessinent des veines sur la roche. Il tend la main, hésite devant l’immensité des possibilités qui s’offrent à lui, et son cerveau lance un ordre. Un fil s’illumine et un grondement sourd se fait entendre. Le sol tremble et Joshua perd l’équilibre.

Sorti de sa torpeur mais encore sonné, il tente de se relever. Il tend la main vers Juni pour qu’elle l’aide. Mais la jeune femme regarde vers le ciel, les larmes aux yeux.

Joshua se relève seul et regarde ce que Juni fixe du regard.

Loin au-delà les arbres, perçant la canopée verte caressée par le vent, se dresse un pic rocheux. Non, un cristal. Une aiguille de roche translucide, blanche, d’une trentaine de mètres de haut. Légèrement penchée, elle est encore recouverte de quelques arbres qui dégringolent de la formation rocheuse. Joshua se rend compte qu’il a la bouche grande ouverte quand une mouche se pose dedans. Il la recrache et Juni lui attrape les mains, émue et heureuse. C’est la première fois qu’il la voit sourire et il a presque du mal à la reconnaître. Elle regarde le cristal avec fierté et une émotion palpable.

— C’est comme si… comme si ma mère était encore là, dit-elle, les yeux brillants. Puis elle fronce les sourcils. C’est du gypse ?

Elle sort du trou. Joshua la suit. L’exercice a réveillé quelque chose en lui et il continue de ressentir tout ce qu’il se passe sous ses pieds. Des mots d’Udo de la veille lui reviennent en mémoire. Lalima marchait toujours pieds nus pour mieux ressentir la Terre. Il sort du trou facilement, évitant instinctivement les roches délogées ou les zones de terre glissante sans les regarder et rejoint Juni.

Et ensemble, ils admirent le cristal qui attrape la lumière du soleil et l’emprisonne. Un phare blanc sur un océan vert. Joshua laisse l’euphorie le gagner. Puis il voit le cristal géant se pencher un peu plus. Lentement d’abord.

Puis de plus en plus vite. Et au bout de quelques secondes, Juni et Joshua se rendent compte qu’il est en train de s'effondrer. Le pic blanc tombe. Le choc est terrible et résonne dans toute la vallée. L’onde de choc se propage dans les arbres mais meurt avant d’atteindre le village. Elle laisse sur son passage un chaos d’oiseaux paniqués qui remplissent le ciel de battements d’ailes affolés.

— Oh… dit Juni.. Kanmada ne va pas être contente.

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Kanmada a les bras croisés et les sourcils froncés. Elle foudroie du regard les deux coupables penauds, debout devant elle au milieu de la place du village. A ses côtés, Siwen fait les cent pas en fulminant, Tara s'inquiète et Udo fait mine d'être en colère. Autour d'eux, les villageois, d'abord alertés par le bruit, regardent le spectacle rare qui s'offre à leurs yeux.

— Inutile de vous dire que je suis extrêmement surprise et fâchée de ce qu'il vient de se passer, dit Kanmada d'une voix calme sans sourire. Joshua, je peux comprendre, il se passe des choses dans ta vie, dans ton corps, et tu as du mal à appréhender ces transformations...

Joshua a l'impression qu'elle va lui faire un discours sur la puberté et baisse la tête.

— Mais Juni, continue la vieille femme. Qu'est-ce qu'il t'est passé par la tête ?

Le petit ricanement de mépris de Siwen répond à la question de Kanmada. Juni ne dit rien, impassible, la tête haute. Joshua est impressionné par le stoïcisme de Juni alors que l'embarras qu'il ressent lui donne envie de disparaître sous terre. Ce qu'il pourra bientôt aisément faire avec un peu d'entraînement.

— Bon, il va falloir s'occuper de ça, et tout de suite. Un pic de pierre, ça aurait peut-être pu passer inaperçu mais un cristal aussi gros ? Ce genre de chose va se voir sur les images satellite, et la dernière chose dont on a besoin, c'est d'attirer l'attention sur nous, dit Kanmada en se tournant vers Siwen.

— Siwen, ma belle, tu peux te charger de l’opération ?

Siwen lève les yeux au ciel.

— Udo, tu viens avec moi, dit-elle. Tara, toi aussi. On aura besoin de tes muscles aujourd’hui.

— Je n’ai pas assez de temps avec moi, répond Tara.

— Tu en as toute une armoire ! lance Siwen.

— Je le garde pour les urgences médicales, pas pour altérer ma masse musculaire et pousser un rocher !

Joshua prend note. Tara peut… devenir musclée ? Il se demande si sa peau peut tourner au vert et il étouffe un petit rire. Il se reprend. Ce n’est pas le moment de ricaner.

— Udo, rassemble une dizaine de personnes alors, siffle Siwen. Juni, tu nous accompagnes aussi, on aura besoin de toi.

— Tu proposes quoi comme plan, demande Udo. On aura pas assez de médaillons pour cacher quelque-chose d'aussi gros.

Siwen réfléchit.

— Papa, tu pourrais déjà recouvrir le cristal d'arbres pour le camoufler aux yeux des satellites dans le ciel, dit Juni. Une fois la nuit tombée, on le déplace en le faisant flotter. Siwen, je sais que le troll n'est pas loin, il aidera à le pousser jusqu'à un ravin.

— Je valide, dit Siwen. En route.

Siwen se dirige vers la salle du Serpent, suivie d'Udo. Juni ne bouge pas et regarde Kanmada. Elle s'assure que Siwen est hors de portée et murmure :

— Je suis désolée, Kanmada. J'ai laissé ma colère agir pour moi.

Kanmada hoche la tête, les lèvres pincées. Juni part rejoindre son père et Siwen. Joshua regarde sa seule protection s'éloigner et sent le courroux de Kanmada fondre sur lui tel un oiseau de proie.

— Joshua, dit Kanmada d'un ton sec. Suis-moi.

La vieille femme se dirige vers sa maison et Joshua la suit, sous les regards des villageois curieux. Elle ne l’a pas appelé mon coeur, ça sent le roussi. En quelques pas, ils sont à la porte. Kanmada invite Joshua à entrer, il s'exécute. Attendant le châtiment, il la regarde patiemment fermer la porte. Ses yeux rencontrent ceux de la vieille femme qui se retourne alors, arborant son plus grand sourire. Elle lui attrape les joues, ravie.

— Mon coeur !! Tu as réussi ! Tu as vu la taille de ce cristal, dit-elle toute excitée et fière. C’était du gypse, non ?

Joshua laisse retomber ses épaules de soulagement.

— Je… sais pas ce que c’est, du gypse…, répond-il alors. La pression retombe et il est content de ne pas avoir été envoyé au coin. Ou en exil.

— Ça va venir. Tu es un peu comme un aveugle qui verrait pour la première fois. Tu vois les images sans savoir ce qu’elles te racontent. Maintenant que tu ressens les choses, tu vas pouvoir commencer à les identifier et les reconnaître. Au bout de quelques années, Lalima possédait des connaissances qui auraient fait rougir les plus grands géologues de la planète !

Joshua sent son excitation disparaître. Il n’avait pas songé au fait qu’il lui faudrait... apprendre des choses. Dans les films, les gens avec des pouvoirs semblaient savoir faire des merveilles sans y réfléchir. La perspective d’avoir des devoirs magiques durant son temps libre ne l’enchante guère…

— Ça devrait convaincre Siwen que tu es bien l’un des nôtres, dit Kanmada. Tu viens de nous prouver à tous que tu avais bien une bia.

Elle ébouriffe les cheveux de Joshua et lui fait un petit bisou sur le front.

— Viens avec moi, on va aider à préparer le déjeuner'', dit-elle en se dirigeant vers la porte. Mais quand on sera dehors, essaye d’avoir l’air de t’être fait réprimander.

Joshua sourit et acquiesce. Kanmada ouvre la porte et le regarde pour l’inviter à la suivre. Le garçon la dépasse puis s’arrête.

— Kan, tu penses vraiment que je suis l’un d’entre vous ? demande-t-il en se tournant vers elle.

Kanmada semble surprise par la question. Elle le regarde avec un sourire de fierté qui lui fait plisser les yeux. Une tendresse infinie émane de la vieille femme.

— Bien sûr ! Je sais que tu es l’un d’entre nous.

Joshua hésite à poser la question suivante. Mais s’il est l’un d’entre eux, selon les préceptes de l’Unité, il a le droit de demander.

— Du coup… Est-ce que… Est-ce que tu pourrais me demander la permission avant d’entrer dans ma tête, à partir d’aujourd’hui ? demande-t-il timidement.

Kanmada penche la tête et regarde le garçon sans rien dire. Son sourire s’étire alors de nouveau et elle pose son doigt sur le bout du nez de Joshua.

— Bien sûr, mon coeur, répond-elle d’une voix douce.

Joshua sourit timidement en retour et hoche la tête en remerciement. Ils sortent et traversent la place du village. Joshua espère qu’il n’a pas demandé quelque chose de déplacé, mais il chasse cette pensée. S’il est l’un des leurs, sa requête est valide. Autour de la table-serpent, des villageois mettent le couvert. Kanmada se dirige vers la cuisine. Hertha-la-viking en sort avec un chariot en métal recouvert de plats divers aux senteurs ensorcelantes. Elle appelle Joshua et lui demande de s’occuper des tourtes.

— Mets-en une par table, précise-t-elle en pointant du doigt les différents segments courbés qui forment le serpent de bois. Elle lui donne une tourte, identique à celle de ce matin. Et cette fois-ci, le plat n’est ni glissant, ni trop chaud et ne lui échappe pas des mains.

Satisfait, il la place sur la table la plus éloignée, ravi de voir que la malchance s’est enfin évaporée.

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