La chute du déni [1/2]

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Les étudiantes du Centre Michelet échangent des regards entre elles, lorsque le professeur de symbologie en art, James Taylor, traverse les couloirs. Des chuchotements à son passage enveniment ma colère. Je supporte de moins en moins leurs sourires à son attention et leur « bonjour » en gloussant.

J'ai fait abstraction de son dérapage avec Constance Malagret en me répétant que nous n'avions plus de relations et qu'il ne l'avait pas revu, même si, au fond de moi, j'ai envie de lui arracher son sourire de crapaud, quand il m'arrive de la croiser dans d'autres annexes de l'université ou à des soirées arrosées en compagnie d'Iban, Toni et Clara.

Ma jalousie porte plusieurs noms et le premier en liste est Camille Durand. Cette bourgeoise aguicheuse ne loupe aucune occasion pour arriver à ses fins. Je l'ai surprise plus d'une fois à converser avec lui à la fin des cours. Une main caressant la sienne pour lui proposer de se voir seule à seul – parfois, elle remonte sur son bras.

James remarque mon manque d'intervention, persuadé que nous sommes toujours amies.

Pourtant, mes lèvres frémissent à chaque acte séducteur de la part de la rouquine et je préfère détourner le regard, bien que l'envie de lui enfoncer mes doigts dans ses orbites et lui arracher ses yeux puisse devenir de plus en plus réalisable dans mon imagination.

Elle attend que je fasse un faux pas, un seul, qui puisse me trahir, et James serait répudié, tandis que moi, je ne veux pas revivre l’enfer vécu à Lorient. Pas pour les mêmes raisons, car cela était basé sur de fausses accusations. Or, dans ce cas-là, tout est vrai.

James ne comprend pas mon comportement et j'apprécie qu'il veuille me mettre en garde ou me faire réagir. S'il savait à quel point je tente de le protéger de toutes ces manigances infâmes, afin d'éviter son embarras, son renvoi ou sa carrière !

Ensuite il y a Nathalie Cigliano. Cette douce et aimable professeure d'art médiéval n'a d'yeux que pour lui. James passe beaucoup de temps avec elle et ça me tord les boyaux quand je les surprends en plein fous rires. Mme Cigliano le regarde comme si c'était l'homme le plus extraordinaire au monde. Elle rougit quand il lui sourit. Au début, je trouvais cela mignon et adorable, mais plus les mois défilent auprès de lui, plus je méfie de leur relation.

Avant, tous les deux nous échangions après les cours. Aujourd'hui, l'enseignante a pris ma place et je sais parfaitement qu'il apprécie sa compagnie.

Je ne peux m'empêcher de me dire qu'il a plus de chance de faire sa vie avec elle, une femme divorcée, intéressante, belle, de son âge. Alors qu'avec moi, et j'ai beau me rassurer, je suis consciente que lui et moi nous nous voyons uniquement pour assouvir nos fantasmes. Par ma faute, certainement, mais si lui aussi a pris goût à ce mode de relation, je doute fort qu'il y ait autre chose entre lui et moi.

Le dernier obstacle n'est autre que sa voisine, l'ancienne Top-Model : Moïra Kriergerman. Il aurait plus ou moins vendu la mèche lorsque l'on a évoqué son nom, en la complimentant.

Sa gêne peinte sur son visage et trahie par ses mains, a dénoncé clairement qu'il avait goûté à la femme mariée. Bien qu'il ne l'ait pas avoué.

La voyait-il toujours ? Un volcan en éruption avait surgi au creux de mes entrailles, prête à le gifler. Mais avais-je mon mot à dire ? Une fois encore, il m'avait déçu. D'abord, une étudiante des plus grotesques, puis ensuite sur le point de détruire un mariage ? A-t-il une morale ?

Pour moi, il y a des principes dans la vie : ne pas tromper et ne pas piquer l'ex de son ami-e. Simple à respecter, et sans ennuis.

Par ses nombreuses raisons, je refuse catégoriquement de dîner le mardi soir de la Saint-Valentin lorsqu'il me le propose. Je n'ai su dire ni oui ni non de façon courtoise.

Camille ne l'intéresse sûrement pas. Constance et Kriegerman ont été sans doute des passe-temps. Mais qu'en est-il de sa collègue ? Je ne suis pas idiote. Si je n'avais pas été dans sa vie, il aurait probablement succombé à son charme. Les signes ne se trompent pas et quand il en aura fini avec moi, je ne peux que visualiser sa future vie avec elle, un somptueux mariage et de beaux enfants.

Je ne supporterais pas cette éventualité. Je ne veux ni d'un dîner en amoureux, ni de baisers langoureux, et encore moins tomber dans la dépendance et le manque de James. La jalousie se ressent déjà chacun de notre côté. Tôt ou tard, nous le paierons.

Cependant, dès la porte claquée, j'ai la drôle de sensation que cette dispute est un avant-goût d'une rupture et je ne cesse d'y penser sur le chemin qui m'amène à l'Atelier Drouot.

Sa mine renfrognée, déçu par mon ton sec et sa voix implorante me brise le cœur. Et si je me trompe ? Peut-être pourrais-je lui donner une dernière chance ?

À la fin de la journée, lors d'une discussion avec Iban à mon retour à l'appartement, il m'assure que je devrais me dévoiler, m'ouvrir à James, affirmant qu'il est une personne de confiance. Mon colocataire aurait bien vu la douleur et le malheur sur le visage de mon amant alors que je lui refusais ce dîner.

Après mûre réflexion, le 14 février, je décide de lui faire une surprise et m'habille de sous-vêtements assortis, couverts d'un trench. Sur le scooter, je regrette de m'être vêtue aussi légèrement. Frigorifiée de la tête aux pieds, j'insiste sur la sonnette plusieurs fois sans réponses.

L'ai-je blessé à ce point ? Des scénarios fusent dans mon esprit. Lui en tête à tête avec une autre femme. Ou lui, à l'intérieur d'une sublime dame, juste le temps d'une soirée. Une étudiante ? Sa collègue ? Une larme coule et me nargue silencieusement de l'avoir repoussé ces derniers jours. Pourquoi faut-il que je gâche tout !

Alors que je pose mes mains sur le guidon de mon deux-roues, le bruit d'un moteur s'arrête à quelques mètres de moi.

— Charlie ?

Dans un costume impeccable et son long manteau noir, il apparaît sous la fine pluie. Il est admirablement à tomber ! Tellement séduisant que je pourrais mourir sur place.

Étonné, il s'avance vers moi, les lunettes tâchées de grosses gouttes d'eau.

— Désolée, je pensais que tu serais là..., dis-je la voix étranglée, impossible à contenir, trop heureuse de le voir là devant moi.

— Et bien je suis là.

Il s'empresse de ranger mon scooter et m'invite à monter pour nous sécher.

— Tu étais de sortie ?

— Oui.

— Qui était-ce ?

Mon ton est froid et j’aperçois la surprise surgir sur le visage de James. Il n’a du jamais me voir dans un tel état, et j’en suis la première étonnée.

Il ouvre la bouche mais je l’interromps par peur de la réponse :

— Non, en fait, ça ne m'intéresse pas. Je ne veux pas savoir. Ce ne sont pas mes affaires.

— Viens, ne restons pas dehors. On va attraper la crève, me dit-il en me prenant la main.

Je tremble comme une feuille, trempée par la pluie, et son attention m’emporte à lui tenir cette main.

A peine entrés, nous tombons sur ses voisins et je reconnais tout de suite l’ancienne Top-model, Moïra Kriegerman.

— Ah ! Bonsoir Monsieur Taylor ! salue son époux.

— Bonsoir Monsieur Kriegerman. Madame, répond-il.

Le regard qu’elle jette sur nos deux mains liées et le tic au coin de la lèvre me donne l’information sur mes doutes : ils ont eu une aventure. Je ne la quitte pas des yeux.

— Oh ! Et enfin Madame Taylor ! Ravi de vous rencontrer. On vous voit peu dans l'immeuble, accuse le mari à mon intention.

Je tique au nom qu’il me donne, Mme Taylor ? Ca me fait une drôle de sensation, comme un écoulement de magma dans le sang. Moïra intervient :

— Parce que tu n'es pas souvent là, mon amour. Madame Taylor est souvent présente. Nous nous croisons assez régulièrement, déclare-t-elle, un sourire adressé à moi.

Je serre fort la main de James en espérant lui briser quelques phalanges, mais mon visage ne trahit rien. J’ai plus de dignité que cela.

— Oui ! C'est à moi de vous retourner cette remarque Monsieur Kriegerman ! Il est temps pour vous de vous reposer un peu. Le travail n'est pas la santé mon cher ! surenchéris-je, un grand sourire.

Il rit de bon cœur et nous l'accompagnons.

— Eh bien, au plaisir de vous revoir chers voisins ! s’écrit James.

— À nous aussi. Agréable soirée à vous.

Moïra nous sourit, tandis que nous entrons dans l'ascenseur. Je lâche sa main, ne quittant pas les numéros d’ascenseur.

— Je suis désolé, mais... merci.

— De rien, rétorqué-je, des envies de meurtre me traversant l’esprit.

— Écoute...

— Je ne veux rien savoir James. Sincèrement, passons à autre chose, dis-je sèchement. Tu n'as rien à me justifier.

Je tente de rester détachée, mais si nous continuons à discuter de ses conquêtes, je vais exploser. Je sais un peu trop, est-ce qu’il est nécessaire que j’en sache plus ? Me dira-t-il la vérité ? Que suis-je pour lui ?

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