Sans relâche

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La neige aurait dû saupoudrer le sol du Morbihan en cette période de vacances de Noël, là où un bout de terre s'immobilise sur l'Atlantique, en plein océan breton. La mer, elle, n'a pas fait impasse sur la saison. Dans sa danse frénétique, elle se déchaîne, se fracasse contre les falaises, soulève sous ses remous ce froid humide de ses eaux en colère. Les houles épargnées par les récifs s'abattent tels des fouets en cadence sur les plages désertées. Herlin ne ressemble plus à ce coin paradisiaque dont j'aime la tranquillité, mais à un lieu où les éléments de la nature grondent, frappent et se vengent des méfaits des Hommes.

Pourtant, j'admire le spectacle au-dessus des falaises après ma balade à bicyclette, affrontant vents et marées. Se sentir en harmonie avec la nature est la meilleure des thérapies.

Durant ce séjour, j'ai remplacé mes habits de bohème urbaine à ceux de la campagne, mes bottines à talons deviennent plus plates, mes vestons évincés par mes épais gilets et mes gants en cachemire par des mitaines en laine.

Puis, le soleil est revenu un beau matin de dimanche. Jour où mes parents et moi descendons au village afin de vendre les légumes et fruits de saison de ma mère. Mon père rencontre toujours un client, souvent des hôteliers ou des directeurs de campings, des propriétaires de gîtes. Ils viennent acheter ses services, pour peindre les espaces ou pour qu'il y amène de sa touche personnelle en retapant des meubles.

Mon père, Jacques Mahé, est un homme fier lorsqu'il a ses deux femmes près de lui. Sourire placardé sur son visage, il ne peut s'empêcher de me présenter aux villageois « Vous connaissez ma fille, Charlène ? Elle est étudiante en art et archéologie. » et la réponse est immédiate « Elle a vos yeux, mais le portrait de sa mère ! ». Ce qui vexe mon père tandis que maman sourit avec insolence en piquant les côtes de son mari.

Après le réveillon de Noël où, tout n'est que cotillons, vins et nourriture à faire grossir un anorexique, je reprends mes balades à vélo, traversant l'île de long en large, parfois même en diagonale par peur de louper une perle terrestre. Je pique-nique seule en compagnie d'un livre, traverse l'île de la pointe des Poulains jusqu'à la plage de Donnant où l'eau somptueusement turquoise laisse penser à l'une des plages des Caraïbes. Lors des fortes mers, les surfeurs pratiquent leur sport en résistant à Poséidon qui ne cesse de les chasser par des flots violents, et tente de les avaler de ses écumes marines.

À la fin des vacances, les au-revoirs me déchirent le cœur, affichent le regard penaud de mon père aux fines larmes de ma mère, ma gorge est nouée avant de reprendre le train jusqu'à la Gare Montparnasse puis revenir au 32, rue Ballu. Le retour est un électrochoc. Paris et ses rues assourdissantes, ses habitants pressés, anonymes aux teints ternes que les femmes rehaussent par du fard à joues et que les hommes cachent par des barbes bien taillées.

Pour le jour de l'an, le Perchoir a fait l'unanimité puisque Clara y travaillait toute la nuit. Alors, mes amis et moi décidons d'y passer la soirée pour fêter l'année 2010. Nouvelle année où, Paris s'éveille sous les hurlements de jeunes ivres, aux klaxons continus des voitures, mais aussi à l’étreinte d'un inconnu devenu papa dans la nuit, ou d'un nouveau couple qui s'embrassent à pleine bouche. C'est cela aussi Paris. Nous finissons en beauté, à cinq heures du matin, Bastien et moi, sans prêter grande attention au peu de vêtements enlevés de nos deux corps endiablés par l'alcool, ni aux gémissements de Camille avec Gaël dans le salon, encore moins aux ébats d'Iban dans sa chambre avec un certain Fabien, dont le surnom m'est venu dès que j'ai entendu : « Charlie ? Comme la chocolaterie ? », le rebaptisant Gueule en Biais, à cause de son nom de famille et son nez à l’oblique. Il méritait, et de loin, ce surnom après sa vanne à quatre francs six sous.

Janvier, glacial et pluvieux, apporte des e-mails de Lauren et du bahut, puis un week-end de réconfort au retour de l'Anglaise avec qui j'étudie la symbolique des nombres, des fleurs, mais aussi sur les codes tels que la sémiologie.

En février, mes partiels du second semestre, longs et pénibles, sont requinqués par l'apprentissage du langage corporel, induit dans l'art de la séduction. Plus j'apprends mieux les gestes, les actes, les expressions mieux ils me révèlent leurs secrets. Je ne fais qu'une bouchée de Bastien, ne lui lançant aucune perche, je le séduis sans qu'il ne soit capable de saisir l'entourloupe. Je sais reconnaître une personne qui ment. Mon meilleur cobaye n'est autre qu'Iban dont les mensonges flagrants envers ses mecs potentiels passent sous mes analyses chevronnées. Mon petit ami, quant à lui, me dissimule quelque chose. Je le devine, rien qu'à son regard fuyant, ses manies qu'il exerce dès qu'il est sous tension, des tocs qui lui sont propres comme un grattement de nez ou une jambe un peu trop nerveuse.

Le mois de mars, au lieu d'amener printemps et renaissance se poursuit dans un temps humide. C'est le mois de mes vingt ans. J'ai pu revoir Lauren pour étudier les classiques littéraires, lesquels, grâce à Bastien, j'ai pris de l'avance. Ainsi, j'ai aussi ingurgité beaucoup de mythologies antiques des quatre coins du monde. Bien sûr, elle m'en divulgue en grande ligne pour m'introduire les bases, le reste, c'est à moi de me renseigner et faire mes recherches grâce à quelques livres dont elle me souffle les titres. Certains plus durs à trouver que d'autres. Sans relâche, quitte à me coucher a pas d'heure, à me renfermer dans mon monde ésotérique et symbolique, je ne souhaite pas la décevoir et encore moins, me décevoir. J'en suis capable. Si elle y arrive, pourquoi pas moi ?

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