Les protecteurs

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Au petit matin, il dort toujours, tête enfoncée sous l'oreiller. Allongé à plat ventre, il entoure ma taille dénudée de son bras. Je me faufile hors du lit pour m'habiller et rejoindre le salon. Iban n'est pas rentré.

Je me prépare un bon chocolat chaud et m'enveloppe dans le plaid qui recouvre habituellement le canapé.

J'allume la télé. L'OMS déclare que la grippe A a fait près de neuf mille cinq cent morts et que cinq américains ont été interpellés au Pakistan pour avoir préparé un attentat.

Je zappe et je me retrouve captivée par un feuilleton de Noël, à l'eau de rose. Absorbée, je ne détache pas mon regard de l'écran. Un film avec un scénario coup de foudre évident entre deux personnages, dont un des deux obligatoirement accompagné d'un chien, et où la protagoniste reçoit un conseil du père Noël pour rattraper l'homme de sa vie au matin du 25 décembre, subitement recouvert de neige. Je pousse un soupir et bois une gorgée dans mon bol. Entre temps, la porte d'entrée s'ouvre, laissant apparaître Iban, sifflotant un air d'un de ses tubes du moment.

— Chuuut, Bastien dort encore ! indiqué-je.

— Chut ? Je suis chez moi que je sache, brame-t-il en jetant ses clefs sur le comptoir.

Il enlève son manteau et me le balance en pleine poire. Il se marre et s'assoit comme si de rien était.

Je retire son anorak de mon visage.

— Tu veux un café ?

— Oui, je veux bien.

Il croise ses jambes.

— Dans la cuisine, à gauche du grille-pain...

— Et elle est contente de sa petite blague ! De toute façon, je préfère me le faire, parce que tu chierais dedans que ça serait pareil.

J'explose de rire sur le coussin du canapé, pour ne pas réveiller Bastien.

Alors qu'il prépare son café, curieux comme est Iban, il me questionne sur ma soirée. Installés tous deux sous notre petite couette, je lui raconte le dîner avec Lauren. J'hésite un instant. Et si au lieu de me confier à elle, je ne le faisais pas directement à lui ? Elle m'a aidé à passer à l'action avec Bastien, sans le savoir. Suis-je prête seulement à en parler à quelqu'un ?

Une nanoseconde de réflexion et je me lance à lui raconter l'évènement le plus traumatisant de mon existence. Après avoir passé une nuit formidable avec Bastien, faire part à mon meilleur ami, à mon confident, de cet épisode me semble être un autre pas vers la guérison. Il saura me conseiller, me réconforter, me soutenir, me protéger.

Il n'en revient pas de ce que j'ai pu vivre et la manière dont j’ai pu le tenir à l’écart de ce secret, il comprend beaucoup mieux mes agissements et mes crises d’angoisse. De mon côté, je me libère, je lui partage une partie de mon poids, et le nœud que j’avais à l’estomac se desserre un peu.

Surtout pas de pitié, ni de compassion, je risque de pleurer. Je le rassure et continue de lui raconter la suite des évènements jusqu'à mon arrivée à Paris.

J’assume enfin ce qui m'est arrivé. Je veux agir comme une étudiante normale, une jeune femme qui a des rapports avec son petit ami, sans remettre sans cesse cette histoire sur le tapis. C'est une raison pour laquelle, je n'ai rien dit à Bastien, d'ailleurs. Pour qu'il ne se pose pas une centaine de questions à mon sujet ou pendant que nous faisons l'amour. Je souhaite être dans la case de la normalité.

Ceci étant, durant mon récit, Iban est bon public : il rit quand il le faut, sa main se plaque contre sa bouche lorsque cela le choque, s'exclame l'air coquin et s'attendrit dans les bons moments.

On s'arrête net de ricaner lorsqu'on discerne des bruits sourds à l'intérieur de ma chambre : Bastien est levé. Comme prévu, il sort de la pièce, déjà habillé, les cheveux défaits et les yeux plissés par la lumière du séjour. Qu'il est beau !

— Salut vous deux ! dit-il avec une voix enrouée.

— Bonjour mon cœur, répond Iban.

— Bien dormi ? demandé-je en regardant mon meilleur ami avec le sourire.

— Plutôt bien.

— Il y a des nuits comme ça qui épuisent, hein ? taquine le moustachu.

Je le pince derrière le bras.

— Aïe ! Putain ça fait mal ça, bordel ! jure-t-il dans un sursaut, parsemant ainsi quelques gouttes de café sur son pantalon.

Il se frotte là où je l'ai happé. Je m'adresse à Bastien :

— Un café, chéri ?

— Oui, je veux bien. C'est gentil.

— Au fait, ce soir je dors chez Camille, annoncé-je.

Bastien se vautre sur le canapé en soufflant par dépit et Iban s'exclame d'un simple « han ! » avant de me tourner le dos.

— Quoi ? Vous avez quoi, vous deux ?

Personne ne répond.

— Oh ! Je vous cause là !

— Rien. Vas là-bas, lance Iban en me montrant la porte de sa main.

— Tu nous en diras des nouvelles, d'accord ? ajoute Bastien.

Ils se jettent un regard et les deux s'enfoncent dans le sofa, pieds sur la table basse.

— Vous n'avez pas cours ? dis-je sèchement à leur attention.

— Oh merde ! s'égosille Iban.

— Mais, on n'est pas samedi ? s'inquiète Bastien.

— Bah non !

Je lève les yeux au ciel tandis que les deux garçons courent partout dans l'appartement pour se préparer.

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