Ô Capitaine, mon Capitaine

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La silhouette élancée aux épaules carrées de Bastien nous attend sur le trottoir opposé, un bouquet de fleurs à la main. Quand Lauren et moi sortons, celle-ci murmure « Well, well, well » avec un long soupir. Un peu éméchée, je ris discrètement. C'est vrai qu'il est beau sous ces illuminations de Noël, son bonnet sur la tête, son pull en laine endossé d'un gros manteau en daim.

Accueillie par un charmant sourire face auquel aucune femme ne peut résister, moi la première, il s'avance vers nous puis m'embrasse avec pudeur.

— La courtoisie aurait voulu que je vous dise bonsoir en premier Madame, mais j'ai encore du mal à lui résister, s'excuse Bastien.

Je rougis et jette un œil attentif à Lauren.

— Il est vrai que vous avez là une splendide petite amie. A young prodigy ! Although she doesn't know it...

Bastien répond par un sourire.

— Bastien, je te présente Lauren de la Smith Art Gallery, dis-je le visage bouillonnant, alors qu'il m'est impossible de définir si cela dérive de l'embarras ou du vin.

— Madame, la salue-t-il d'un baisemain.

— Enchantée, jeune homme.

— Cela vous ennuie que je vous enlève ma petite amie ?

— Je vous en prie. Elle est toute à vous ! Je dois également appeler mon mari. Charlène, samedi matin, rendez-vous au pied du Sacré-Cœur pour neuf heures, s'il te plaît.

— Sans faute. Merci Lauren pour cette soirée.

— Merci à toi. Good evening to you both.

— Au plaisir, Mrs Smith !

Il me tend le bouquet de fleurs, des roses rouges et blanches.

J'en suis émue.

Je m'agrippe à son bras et nous poursuivons notre petite balade jusqu'à la prochaine bouche de métro. Ce soir, il dort à nouveau chez moi.

— C'est pour quoi ? demandé-je en humant le parfum des fleurs.

— Faire des pots-pourris.

Le visage ferme, je m'arrête de marcher. Il éclate de rire et passe sa main sous mon oreille.

— Pour tout ce que tu représentes.

— Je comprends pourquoi la taille de ce bouquet, alors ! réponds-je, hilare. Tu attends quelque chose, en particulier ?

— Toi. Pour toujours, déclare-t-il en déposant un baiser sur mes lèvres.

Iban n'étant pas là pour nous déranger, nous profitons d'une soirée en amoureux. Mon colocataire a la fâcheuse habitude de me demander tout et n'importe quoi lorsque nous sommes ensemble. Je suis certaine qu'il le fait exprès, uniquement dans le but de me mettre les nerfs à vif.

Dans la cuisine, je propose à Bastien, installé dans ma chambre s'il veut boire un remontant. Il refuse et me prie de me dépêcher pour qu'il puisse mettre le film de ce soir.

Quelques secondes plus tard, je dépose les chips et mon verre de rosé sur la table de chevet et saute sur le lit, près de Bastien.

— Quel film tu as mis ? demandé-je en prenant le bol de chips sur mes cuisses.

Slumdog Millionnaire.

— Oh ! Il y avait Inglorious Bastards avec Brad Pitt et Diane Krüger ! Je voulais le voir.

— Tu aurais dû me le dire avant ! Je l'aurais téléchargé, clame-t-il, irrité.

— Le cliché ! Donc, une romance et le tour est joué ? l'accusé-je en le poussant par l'épaule, de mon index.

— Je ne considère pas ce film comme une romance. Et je t'interdis de m'accuser à tort !

Il se jette sur moi et me chatouille au niveau des côtes. Je me tortille comme une anguille et ris comme une bécasse. La bouche si grande ouverte, que je manque de peu d'inonder mon lit de bave.

Soudain, une musique orientale perce les volets de ma fenêtre et remplace la composition d'A.R. Rahman, la musique du début du film.

— Attends, attends..., m'affolé-je. Mets pause s'il te plaît.

Bastien s'exécute et je tends l'oreille. Mon voisin d'en face a osé m'achever, un jeudi soir, avec son Raï'n'B ?

Je m'avance, écarte les rideaux et ouvre grands les fenêtres. Le maghrébin lève la tête de son ordinateur dès que je l'interpelle. Il s'approche, toujours le visage étonné pour n'importe quelle circonstance.

— Quoi ?

— Par pitié, baisse ta musique, crié-je au milieu du vide qui nous sépare.

— Tu n'aimes pas ?

— Quoi ? Qu'on me perce les tympans ?

Je suis mauvaise et j'en suis consciente. Redouane est du genre simple d'esprit et cherche à nouer des liens entre nous, ce que j'évite par toutes les supercheries possibles et imaginables. Ses seuls sujets de conversations tournent entre le Raï'n'B chanté par son vénéré Amine qui, selon moi, aurait mieux fait de changer de métier que d'hululer dans un micro, et des déballages sans fin liés à l'informatique. Des trucs d'hacker qui n'ont ni queue ni tête. C’est un brave garçon qui sort peu de chez lui.

Il s'exécute sans affront et je le remercie avant que nous retournions à nos occupations. C'est assez répétitif qu'il le fasse, je pense qu'il cherche à entrer en contact avec moi sans trouver la bonne solution.

En me retournant, Bastien hausse les sourcils, assis sur le rebord du lit.

— C'est un vieil ami, sans plus.

Le film terminé, j'avoue avoir passé un bon moment. Du drame, de la romance, du dépaysement. Après l'avoir visionné, l'Inde, non merci ! En tout cas pas dans la peau de ce pauvre Malik ou la vie désastreuse de Latika, son amour d’enfance. Alors que Bastien semble être subjugué par le pays.

J'ai envie d'un autre verre de vin et je sais qu'il y a une bouteille au frais. Avant j'en propose à Bastien. Je souhaite passer le cap ce soir et j'ai besoin qu'on soit vraiment détendus pour cela.

— Je vais chercher la bouteille de vin, tu en veux ?

— Oui, remplis-le au trois-quarts, je vais en avoir besoin.

Et il me gratifie d’un sourire embarrassé.

Les verres vides, je contemple mon beau blond, allongé sur mon lit, hypnotisé par l'écran, les mains derrière la tête.

— Je peux te poser une question ? lancé-je soudain, mon quatrième verre à la main.

— Mmmh ...

— Qu'est-ce que tu as pensé de moi la première fois ? Tu sais... à la rentrée ?

Sans changer de posture, il tourne la tête et pose son regard sur moi.

— Je n'ai pas vraiment pensé, à vrai dire. Sincèrement, je suis resté scotché par ta beauté. Puis, par la suite, j'ai aimé ta résistance vis à vis de moi et tes fesses (je lui flanque une petite tape sur l'épaule), ton franc-parler et même ton humour assez sarcastique. Tu n'étais pas qu'une simple belle fille et... je suis assez veinard. Je ne le cache pas...

— Mais ?

Il me fixe un instant avant de se lancer.

— Sortir avec toi à ses avantages et ses inconvénients.

— C'est-à-dire ? insisté-je, en pensant qu'il parlait de sexe.

Il reporte son attention sur le téléviseur et réfléchit sûrement à ce qu'il allait m'annoncer.

— Les potes sont relous avec moi.

— Comment ça ?

— Je les vois moins depuis qu'on sort ensemble – même si ça avait commencé bien avant, de mon point de vue.

— Pourquoi ?

— On n'évolue pas de la même manière. Bien que nous partagions des sports, comme le skate ou le foot en centre d'intérêt, ils sont tous en sciences politiques, en économie, en droit. De vrais futurs requins et, bon avec les filles, enfin... tu as vu ? Je ne suis, certes, pas un saint, mais leurs attitudes me déplaisent. Puis, je suis le mec en Lettres. Sportif et passionné de littérature avec des types comme eux ? Ils me surnomment « Ô Capitaine, mon Capitaine ! »

Il ricane, un peu embarrassé.

— Au moins, ils ont déjà vu Le Cercle des Poètes Disparus. Mais, en vérité, je me demandais : pourquoi ils te reprochent maintenant de ne plus te voir ? Quel rapport avec moi ?

— Tu plaisais à l’un d’entre eux, Emmanuel Lombardi que tu as déjà croisé.

Je fronce les sourcils par incompréhension.

— Manu, celui qui est venu dans la chambre avec Constance, après ta crise d'angoisse.

Je me souviens, le type que j’ai trouvé repoussant à la soirée de Bastien.

— Il me reproche de faire le canard, d'oublier les potes. Je lui ai cloué le bec et ça ne lui a pas plu. Bref, nous ne sommes pas en froid. Juste, je prends mes distances, c'est mieux...

Je le vois serrer sa mâchoire. Il est attendrissant. De le voir jaloux et protecteur me submerge d'un désir fou pour lui. Je me jette sur sa bouche et l’embrasse fougueusement, comme si l’alcool m’encourageait et me désinhibait.

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