Désirable chair [2/2]

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Les premières notes de David Guetta Sexy Bitch enflamment encore plus l'atmosphère, Bastien accroche mon regard. Le moment aurait pu être romantique si Iban n'avait pas débarqué en nous hurlant « Venez voir ! Venez voir ! ». Il nous prend tous les deux par le bras et nous gagnons l'étage. Dans la précipitation, j'ai failli tomber et Bastien a eu envie de lui décrocher un uppercut, dès l'instant où il nous a coupé dans notre baiser.

Le parquet ciré s'est refait un vernis sous les divers alcools et nos chaussures s'y accrochent à chacun de nos pas. L'étage donne une vue sur le salon et la salle à manger. Bastien s'appuie sur la rampe et Iban, ne tenant plus à nous montrer sa surprise, nous ouvre une des chambres.

Le temps d'apercevoir Camille, nue, chevauchant Gaël tandis que Liam Rocha, étudiant dans un de mes cours d'art antique, est derrière elle. J'enfouis mon visage dans les mains et entends les gémissements de ma copine ainsi que le salut détendu de Gaël.

Soudain, j'ai peur. Je frissonne. Mes jambes flageolent quelque peu et des sueurs froides parcourent le long de mon échine. Des images atroces me reviennent en mémoire. Ce n'est plus Camille, comblée, qui est dans cette pièce entre deux hommes à la moralité apparente. Deux bourreaux aux regards pervers et déterminés.

Bastien, près de moi, pose la main sur mon bras.

— Ça va ? Tu trembles comme une feuille.

J'ai un geste de recul.

— Je ne me sens pas très bien, dis-je tandis que mes palpitations cardiaques s'accentuent.

— T'es paloche, dis-moi. Eh ! oh ! Ne t'en fais pas, Camille prend du plaisir là ! s'exclame Iban.

— Non, non. Ce n'est rien, ça va passer.

Mes deux compagnons me retiennent par le bras avant que je sois secouée de spasmes.

— Putain, c'est quoi ça ?

— Une crise d'angoisse. Ne crie pas ! répond Bastien à Iban. Charlie ? Charlie ? Calme-toi.

Les convulsions sont interminables. Ont-ils fermé cette porte ? Je perds le contrôle de tous mes membres et je tombe comme une vieille chaussette sur le parquet. Dans ma tête, rien ne tourne. Ma vue se brouille et les sons deviennent échos. Tout ce que je tente de faire c'est de discuter avec mon moi intérieur, qu'il se détende, qu'il s'arrête. De le supplier de ne pas se mettre dans cet état, surtout en public !

Bien que des mains caressent mon visage pour m'apaiser, mes dents, elles, continuent de claquer. Encore quelques minutes et j'aurais la dentition d'un fumeur de crack.

La voix lointaine de Bastien me chuchote que tout va bien et Iban propose de m'emmener dans une chambre pour m'allonger, avec un sceau de glace à me jeter en pleine face. Tandis que ma raison pense que c'est une bonne idée, mon corps, lui, me dicte que non. Alors la crise s'intensifie comme si mes muscles refusaient cette option de façon catégorique.

Mon corps est en apesanteur, et pourtant il se débat, se déchaîne. Je n'ai plus aucun contrôle sur lui. Je suffoque. Je pleure. J'ai envie de hurler de douleur quand des images atroces me traversent l'esprit. Rien ne sort. Ces ombres du passé m'empêchent de m'extérioriser, comme si cela devait rester enfoui à jamais dans les fibres de mes muscles crispés.

Etalée sur le matelas moelleux, une main douce tente de me calmer. Mon rythme cardiaque revient petit à petit à la normale. Ma respiration n'est plus saccadée et je distingue les yeux hagards d'Iban et les lèvres attirantes de Bastien au-dessus de moi. Mon colocataire s'effondre avec un soupir de soulagement et le grand blond m'attrape par la main :

— Hey ! Ça va mieux ? Qu'est-ce que tu as eu ?

Je ne réponds pas, en phase à une longue léthargie.

— Tu veux un verre d'eau ? Je vais t'en chercher un, me propose Bastien.

— Oui, va lui en chercher un, approuve le jeune moustachu.

— Tu restes avec elle ? se précipite-t-il vers la sortie.

— Bien sûr ! répond Iban.

La porte claque et il se penche vers moi. Son haleine sent la vodka.

— Qu'est-ce qu'il y a ma chérie ? Parle-moi.

Doucement, la tête qui tourne, je le vois inquiet.

— Ça va, ce n'est rien, chuchoté-je, en essuyant mes joues. L'alcool, je suppose.

— Je n'aurais jamais dû te montrer Camille ! dit-il en drapant mes jambes. Ça t'a choqué ? Évidemment pas sa tronche, hein ? Je parle de l'acte en lui-même.

— Je t'avoue que je ne comprends pas pourquoi tu nous as montré ça, Iban. Ça ne se fait pas. Par égard pour Camille et par respect pour mes propres yeux, ajouté-je pour ne pas être trop dure avec lui.

Il pique du nez, mal à l'aise. Pas de réponses.

— J'ai eu peur que Bastien me fasse la même chose, c'est tout, murmuré-je, ne trouvant rien de mieux pour excuser ma réaction excessive.

— Attends... lance-t-il d'une main levée. D'une, Bastien ce n'est pas Gaël, et de deux, Camille le voulait. C'est un fantasme, tu comprends ?

— Non, abdiqué-je. Comment fantasmer sur deux hommes qui te... qui te dominent à ce point ?

— C'est un jeu sexuel comme un autre. Parfois, les femmes aiment être soumises ou elles aiment qu'on les désire et un seul ne suffit pas... Chacun a ses propres fantasmes. Généralement, c'est en fonction des désirs refoulés. Merci Freud ! Certaines aiment les assouvir, d'autres les garder.

Alors tout le monde ici semble connaître son corps ? Ses désirs ? Et profite pleinement de leur sexualité ? Et moi, je suis à la ramasse, une inexpérimentée de dix-neuf ans qui n'est sollicitée ni par l'amour ni par la passion. Peur des hommes, de ce qu'ils ont entre les jambes. Peur d'avoir mal, de revivre une horrible expérience.

Tête basse, je lui demande, curieuse.

— C'est quoi le tien ?

Imitant la posture du Penseur de David, il répond après réflexion :

— Un mec bien monté ! Jusqu'à présent, ce n'était pas la forme olympique.

Je me cache le visage en riant.

— Te fous pas d'ma gueule, toi ! Miss je-n-en-ai-aucun ! m'asticote-t-il.

La porte s'ouvre et Bastien entre avec mon verre d'eau. Je me drape jusqu'au nombril.

— J'ai apporté un cachet d'aspirine, au cas où.

Sa chemise blanche s'est peinte en couleur ketchup. Je ne fais aucune remarque. J'ai l'impression qu'il est déjà bien remonté.

— C'est gentil, mais juste l'eau me suffira. Merci.

Dans un brutal fracas, la porte claque contre le mur en me faisant sursauter, me foutant la moitié de mon verre sur le décolleté. Deux personnes viennent de pousser l'accès de la chambre avec le dos du jeune homme, s'embrassant - ou se léchant - fougueusement. Je reconnais Constance et...

— Manu ! s'écrie Bastien, en colère.

— Tu descends ? ricane Iban. Euh... Pardon, ajoute-t-il quand il croise le regard du locataire.

— Oh 'scuse Bastien. On ne savait pas que tu étais là, dit simplement le Manu, pas du tout désolé.

— Et bien, et bien ... Kapli caniche avec toi, chou ? ricane Constance en lissant sa longue jupe.

Ferroni se gratte l'arrière de la tête. Je fronce les sourcils.

— Je ne te savais pas des penchants homos ..., crache-t-elle d'un air dédain.

— On n'était pas occupé à faire ça, lui réplique Bastien, sèchement.

Elle étudie la scène qui se présente devant elle : moi, sous la couette, les cheveux moites à l'extrémité du front et dégoulinante au-dessus de la poitrine, Iban assis tout près et Bastien dont la main se pose sur la tête du lit. Dans ce genre de soirée, la jeune femme ne peut que s'imaginer une situation douteuse, bien qu'il faille avoir l'esprit tordu, à mon avis.

— Quoi ? Plus aucune queue ne veut de ton vieux derrière ? Toi qui aimais tant ça, c'est si dommage... rétorque Iban

Il mime l'homme outré, une main posée sur son torse, yeux grand écarquillés et bouche ouverte. Un théâtre ambulant ! Il ajoute :

— Me ferais-tu une petite jalousie, cul plat ? J'avoue, d'avoir Charlie et Bastien pour moi tout seul, je m'éclate !

— Tu n'as pas évolué, Rémi sans famille, réplique-t-elle en haussant un sourcil.

— Au moins des gens ont bien voulu de moi, parce qu'à en croire les rumeurs, ta mère aurait préféré avaler durant la conception, tacle-t-il.

Je crois que si elle avait pu lui trancher la gorge avec ses longs ongles, elle l'aurait fait sans pitié. Iban, lui, sourit aisément et ose même croiser les jambes en signe de provocation, bouche en cul de poule.

Quant à Manu, il continue de m'observer depuis le moment où il m'a aperçue. Il a la tête du type qui pourrait être beau, mais qui se force à faire des moues gênantes pour paraître séduisant. Il est écœurant.

— On t'a déjà croisé à la soirée 90, toi ! Même en traversant les couloirs, tu ne passes pas inaperçue, affirme-t-il alors que sa petite amie pousse une petite exclamation exaspérée. Encore moins pour notre capitaine, hein ma gueule ? commente le Manu.

— Vous pouvez nous laisser ? Ici, c'est ma chambre. Je ne me répèterai pas deux fois.

— Ça va ! Excuse-nous bro', on va en trouver une autre.

Manu entoure son bras au cou de Constance en lui fourrant sa langue d'emblée. Elle ricane et ils disparaissent dans l'embrasure. Bastien s'empresse de fermer la porte.

— Désolé.

— Ce n'est rien, dis-je avant de m'adresser à Iban. Ça t'ennuie si on y va ?

— Tu ne vas pas partir maintenant ? s'exclame Bastien. Si tu veux, tu peux rester dormir ici ?

— C'est gentil, mais j'ai besoin de repos et de silence. Pas de bruit, ni de vampires et, encore moins d'obsédés sexuels.

Il serre la mâchoire et respire fort.

— D'accord. Laisse-moi ton numéro alors ?

— On se verra au bahut. Viens, Iban, conclus-je en posant pied sur le carrelage.

— Désolé gars, ajoute mon coloc' en faisant mine d'être chagriné.

Iban m'aide à descendre, néanmoins j'insiste pour marcher seule. Je ne souhaite pas attirer les regards sur moi, plus qu'ils ne le sont apparemment. Bastien est au téléphone et nous suit.

Arrivés au premier étage, là où la fête bat son plein, nous signalons à Toni et Clara que nous rentrons chez nous. Déçues, elles nous embrassent tout de même et je leur demande gentiment si elles peuvent l'annoncer à Camille lorsque celle-ci aura fini de jouer à saute-moutons.

À peine prononcé les mots, cette dernière accourt vers moi, puis me prend par la main pour m'amener dans un coin moins bruyant.

— Écoute, pour tout à l'heure... je voulais dire, commence-t-elle à s'expliquer.

— Ne t'en fais pas, tu n'as pas à te justifier...

— Si, écoute, je suis désolée que tu aies vu ça... j'espère que ça restera entre nous. Tu sais, il y a des pratiques que j'aime, mais il n'y a pas tout le monde qui puisse comprendre..., se tortille-t-elle sur place. Ce salaud d'Iban ! Il me le payera !

— Simple question ... Est-ce qu'ils t'ont ... euh... obligé ?

— Non ! Pas du tout. C'était quelque chose entre Gaël et moi... un délire. Bref, tu m'as comprise. Toi ça va ? Tu ne m'as pas l'air bien.

— Si, ça va mieux, maintenant, tenté-je de la rassurer en étirant un las sourire.

Gaël arrive derrière elle et l'enveloppe de ses bras autour de ses épaules :

— Ça va ?

— Je suis fatiguée, je rentre.

Ma tête est sur le point d'exploser. Camille m'enlace alors que son petit ami me sort de but en blanc :

— Mon frère t'aime bien... Tu lui plais, tu sais ?

— Je prends note. Merci de l'information Gaël.

Bastien passe le pas de la porte et met une claque à l'arrière de la tête de son cadet, suivi d'Iban. Tous deux me demandent si je suis prête, Iban me presse, tandis que le blond me demande de rester, ce que je réfute à nouveau.

Un taxi nous attend devant le perron et je me retourne sur Bastien qui est resté à l'entrée. Je m'avance vers lui et le remercie pour ce qu'il a fait, un bisou sur la joue, avant de m'engouffrer dans la voiture et tracer direction la rue Ballu.

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