Paris, cité aux mille visages

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La Place de Clichy est une commémoration pour la défense de Paris en 1814 contre les Prussiens sous la période napoléonienne. Le Maréchal Moncey, étudiants et autres volontaires se sont insurgés face à l'ennemi jusqu'à l'armistice. En 1849, sous le Second Empire a été érigée la statue du Maréchal, au centre du rond-point.

Notre immeuble se trouve non loin de Clichy, dans un coin assez tranquille - bien que le quartier soit animé de jour comme de nuit. Pour ceux logeant dans les appartements de la place, le bruit ne s'arrête jamais.

Au Nord du faubourg, l'ambiance est plutôt alarmante pour certains touristes. Trafics de drogue, prostitution, vol à la tire et tant d'autres délits. J'avoue moi-même ne m'y aventurer que peu souvent. Une habitude à prendre, sans doute.

À l'Est, Montmartre me laisse admirative, célèbre pour ses rues pavées, conforme au Paris d'antan. Cette ancienne commune du département de la Seine regorge de galeries, d'ateliers de peinture et de scènes de théâtre de rue. Fascinée par le Sacré-Cœur, je m'y pose souvent sur les marches afin de contempler la vue que la butte nous offre des toits de Paris. Plus tard, c'est ici aussi qu'avec Iban nous nous retrouvons après les cours, avant de boire un verre durant les Happy Hour, dans les cafés du coin.

Au fil des jours, j'apprends à connaître le 32, rue Ballu. Dois-je dire : ce beau bordel !

L'entrée de notre immeuble se trouve en haut du perron après avoir traversé la cour. Jorgina Garcia De Suza Lopes n'est autre que la concierge originaire d'Almeida au Nord-Est du Portugal. Elle n'aime pas qu'on salisse « sa » cour. Elle s'approprie l'état des lieux, du hall jusqu'aux escaliers, ainsi que l'ascenseur qui marche une fois tous les trente-six du mois.

Au rez-de-chaussée, d'un autre immeuble près de notre entrée, habite Mamie Renée, vieille bigote qui radote sans arrêt sur les personnes qui vont et viennent dans le bâtiment, collectionnant les chats de gouttières infestés de puces.

Au second, nous avons affaire à Monsieur Lefebvre, ancien gendarme à la retraite qui crie plus fort qu'un haut-parleur. D'une oreille sourde à un débit de propos racistes à tout va, personne ne peut l'encadrer, celui-là. L'ironie du sort a voulu qu'une famille de sénégalais s'installe en face de chez lui. Les Ndiaye ont le sens du partage. Toutes les semaines, Iban et moi avons droit aux plats typiques de leur pays et souvent ils sont de cœur à faire la fête, ce qui peut exaspérer Monsieur Lefebvre. Leurs enfants, eux, passent leur journée à jouer dans la cour, une chose qui énerve par-dessus tout Madame Garcia.

Le japonais du troisième, Monsieur Yamamoto, surnommé le Sumo par toutes les femmes de l'immeuble, est le pot de colle de ces dames. Persuadé d'avoir du sex-appeal, il en devient lourd dans tous les sens du terme.

Un jeune couple de trentenaires, Mathieu, appelé Woodtsock et sa compagne Sana, enceinte, est un duo particulier qui se chicane à tout bout de champ. Woodstock fume de l'herbe tandis que Sana prie au nom d'Allah. Allez savoir comment ils en sont arrivés là.

À notre étage, nous avons la petite étudiante qui s'envoie en l'air quasiment tous les jours. Des « La ferme! » fusent dans tous les étages à son attention. Une fois, Iban en a eu tellement marre de l'entendre bramer à l'agonie, qu'il s'est procuré une merde de chien enfermée dans un sac en plastique, afin de l'essuyer contre sa porte et sur son paillasson. Le lendemain, une affiche de menace de mort était placardée dans le hall à l'encontre de celui qui avait osé lui faire ce coup tordu. Des mots d'insultes ont été écrits sur sa fiche par la suite, par tous les occupants de l'immeuble.

Le panorama, vu de ma fenêtre, donne sur le bâtiment d'en face, dont l'entrée s'ouvre sur notre cour. Pile-poil en face, loge Redouane. Un jeune maghrébin assez simplet qui passe son temps sur l'ordinateur et écoute du Raï'n'b à fond les ballons. Une sorte de musique qui n'en est pas une, le son d'ongles grinçant sur un tableau se voulant plus mélodieux.

Quand je raconte les histoires de cette communauté, beaucoup de personnes me disent de déguerpir au plus vite. Pourtant, pour rien au monde, et ce, malgré les inconvénients et les contraintes, je ne partirai du numéro 32. Car aussi tordus et bruyants qu'ils puissent être, tous savent faire preuve d'une solidarité sans pareille à l'encontre de leurs voisins, hormis M. Lefebvre.

Dans le quartier, j'ai découvert les salons de massages qui attirent énormément de clients, des touristes aux riverains. Ces attrape-nigauds sont, en réalité, des sortes de salons de rencontres où des femmes, hôtesses, tiennent compagnie à des hommes friqués. Le prix est élevé. Chaque soir, je croise l'une d'entre elles : une belle brune au rouge à lèvres flamboyant et cigarette à la main, souvent le regard perdu. J'en ai le cœur retourné tant la mélancolie se lit sur son doux visage.

Pour ce qui est d'Iban Kaplinsky, il est un enfant adopté à la naissance par des parents d'origine russe. Communistes, exilés en France où son père a trouvé du travail dans le bâtiment. Il a appris par cœur la chanson Katyusha et passa quelques vacances à l'abri des autorités soviétiques jusqu'au début des années 90, près de St Petersburg dans un village nommé Staraya Ladoga. Bourg où il fait froid toute l'année et s'il ne neige pas, il pleut. Depuis, il n'a pas remis les pieds dans le pays. « Encore moins en étant homo » ajoutait-il. Il n'a jamais tenté de retrouver ses parents biologiques et, à vrai dire, il s'en fiche.

J'ai appris à connaître son petit ami Vincent avec qui il est depuis cinq mois. Leurs ébats matinaux ou tardifs ont encore plus terni mon envie d'avoir un petit copain. Mon oreiller plié en deux pour recouvrir mes oreilles afin de ne plus entendre les râles des deux hommes est devenu ma routine.

Il m'est même déjà arrivé de pleurer. Par dégoût ou solitude ? Je l'ignore. Prends-je conscience que cela ne m'arrivera pas d'être aimée ? Ou parce que tout attrait au sexe me répugne ? Encore une fois, je suis incapable de répondre à cette question.

Je ne comprends pas les hommes et ils ne me comprennent pas non plus. Difficile de savoir ce qu'est l'amour charnel, lorsqu'on te l'a volé à la force des coups. Cette complexité d'apprendre à donner ce qu'on m'a arraché à contrecœur. À qui dois-je faire confiance ? Et si ce futur compagnon en question est assez doux et me prouve qu'il n'y a pas que le sexe qui l'intéresse, puis-je passer outre les simples bisous ? L'image de Bastien, tout sourire, lorsqu'on se croise dans les couloirs de la fac, me revient souvent en mémoire. Il ne m'a plus adressé la parole depuis notre dernière conversation à la soirée à thèmes.

Dans un même temps, lorsque Vincent est parti avec Georgio, Iban s'est retrouvé malheureux et délaissé. C'est alors que notre petite complicité est devenue une grande amitié. Nous évoluons de simples colocataires, partageant le même salon et la même salle de bains, à deux êtres inséparables et confidents.

La vie dans la capitale déteint sur moi.

Les jeudis soir, grâce à l'organisatrice des soirées, Toni, et de la barmaid du Perchoir, Clara, nous sortions profiter des soirées parisiennes. Mais par les bons soins d'Iban et de son œil aguerri, il m'a infligé un total look beaucoup plus branché urbain que « mes pauvres vêtements provinciaux » disait-il. Qu'avait-il de ringard ? D'accord, je me levais en prenant le premier haut et le premier pantalon que je trouvais sur ma pile d'armoire, mais j'ai toujours fait attention à l'accord des couleurs. Ce qui m'a valu un applaudissement moqueur de mon abruti de colocataire.

Dorénavant, mon style ressemble toutefois à beaucoup de parisiennes, chic et bohème, urbain et casual à la fois. Des panoplies de sacs et de chapeaux – mon accessoire préféré – décorent ma chambre. Des bijoux fantaisies recouvrent mes mains, mes poignets et mon cou. Certains de mes vêtements ou de mes chaussures sont retravaillés par le savoir-faire d'Iban, après les avoir achetés dans des friperies provenant du Marais. À dire vrai, ma vie me plait.

J'ai également fait découvrir la ville à mes parents qui sont venus séjourner un week-end. Les crises de fous rires d'Iban et moi dans sa chambre, étouffés par nos oreillers respectifs sont mémorables durant le sommeil de Jacques et Carole qui se sont accaparés mon lit. Ils l'ont apprécié et s'en sont allés le cœur bien plus léger.

Quant aux cours, l'histoire de l'art a pris le dessus sur l'archéologie. Nous sommes au mois de novembre 2009 et le froid gagne la ville.

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